Avant d’étudier la situation en Corse au XVIIIe et de nous intéresser à ses deux plus grands hommes, il n’est pas inintéressant de survoler les siècles précédents. La Corse, île de la Méditerranée occidentale, plus proche de l’Italie que de la France ,semble avoir été habitée dès l0 000 ans avant JC. Dès 6500 avant JC, on y trouve des traces de civilisation, dans le sud à Bonifacio et dans le Cap Corse, tout au nord.. Toutefois ce n’est que vers 1500 que l’on peut voir s’élever des constructions de type torréen et des représentation humaines, comme les statues-menhir.
Statue-Menhir à Filitosa dans le sud de la Corse
L’origine de Mycènes, en Grèce, remonte à peu près à la même période. En Crète la civilisation minoenne est plus ancienne, mais atteint son apogée autour de 1500 avant JC. Mais leurs destins respectifs furent bien différent. Mycènes comme la Crète furent des civilisations fondatrices, dont l’héritage se retrouve encore parmi nous. Il est difficile d’en dire autant de la Corse.
Corse colonie romaine
Dès le VIIème siècle avant JC, la Corse commence son interminable histoire d’île colonisée, jamais colonisatrice. Les Etrusques, les Carthaginois, les Phocéens en firent leur territoire. Mais en 259 avant JC, le destin de la Corse bascule de façon quasi-définitive, en la faisant sortir de l’orbite des puissances de la Méditerranée orientale pour en faire un territoire romain.
Aléria, capitale romaine de la Corse
Ce ne fut pas sans mal que la Corse fut conquise. Des siècles de guerre, la perte des deux tiers de sa population s’achevèrent dans la Pax Romana du deuxième siècle avant JC, jusqu’à la fin de l’Empire romain. La Core devint une colonie de peuplement pour les vétérans des légions romaines. Elle y gagna sa langue, des ports, des villes et des routes. La Corse connut une certaine prospérité, exportant vers Rome, blé, huile d’olive, vin, huitres.
Mais cela ne doit pas faire illusion car voici comment Strabo l’historien-géographe, du premier siècle avant JC, décrit la Corse et les Corses : « L’île de Cyrnos est connue des Romains sous le nom de Corsica. La vie y est partout misérable, la terre n’est que rocs, la plus grande partie du pays totalement impénétrable. Aussi les bandits qui occupent ces montagnes et vivent de rapines sont-ils plus sauvages que des bêtes fauves. Parfois les généraux romains y font des incursions, et après les avoir vaincus ramènent de très nombreux esclaves, et Rome voit alors avec stupéfaction à quel point ils tiennent du fauve et de la bête d’élevage. En effet, ils se laissent mourir par dégoût de la vie, ou excèdent à tel point leur propriétaire par leur apathie et leur insensibilité qu’ils lui font regretter son achat, si peu qu’il ait dépensé. Il y a cependant certaines portions de l’île qui sont, à la rigueur, habitables… »
La chute de l’Empire romain fut aussi catastrophique pour la Corse et les Corses que pour le reste des populations et des territoires européens. Vandales, Goths, Ostrogoths et Lombards firent des incursions semant troubles et désordres dans une île bien tourmentée.
Corse féodale
En 774, Charlemagne, devenu roi des Lombards cède la Corse à la papauté. Mais pour plus de deux siècles, la Corse “pontificale” est victime des razzia des barbaresques et des Sarrasins mais aussi victimes des luttes entre le pape et l’empereur.
Vers les Xe et XIe siècle, s’installe un début de féodalité, alors que l’Eglise y crée un certain nombre de diocèses et organise un maillage religieux, les Pieve, que l’on retrouvera jusqu’en 1789. Le partage de souveraineté sur la Corse est encore incertain.
Pise et Gênes, avec l’accord du pape, se la partagent avec toutefois une tentative du roi d’Aragon d’en devenir maître. Tentative qui se renouvellera au XVème siècle avec Alphonse d’Aragon, roi de Naples
Alphonse V d’Aragon, roi de Naples dit Le Magnanime
Mais à partir de 1284, l’éviction de Pise fera de Gênes le seul souverain de la Corse, ce qui est constaté en 1347.
Eglise pisane, Saint-Michel de Murato
Cela ne fut malgré tout pas le début d’une période de calme. Les féodaux corses se disputent des territoires et s’allient parfois avec Gênes et parfois contre Gênes. Quelques noms, les da Mare, les Avogari de Gentile, les della Rocca, les d’Istria.
En 1358, la Corse connait une mutation sociale et politique importante. Une révolte populaire et chasse de leurs fiefs les seigneurs, remplacés par des Caporali. Tous les châteaux sont démolis, à part 6 dont ceux de Nonza et San Colombano. Le peuple s’administre et les communes émancipées s’unissent en une confédération de la Terra del Commune, opposée au Cap Corse et à la Terra dei Signori, dans le sud.
C’est le début de la conscience du droit que le peuple peut avoir à exercer la souveraineté, assimilable aux mouvements des communes et des villes libres partout en Europe à la même période.
La féodalité s’épuise aussi dans des luttes entre grands seigneurs, dont aucun n’arrive à s’imposer aux autres, comme cela s’est fait dans d’autres pays. Hugues Capet finit par s’imposer, comme roi, aux autres grands seigneurs. Et pour huit siècles, personne, ou presque, ne contesta sa puissance souveraine.
Quand d’autres connaissaient les bienfaits de la monarchie, la Corse s’enfonçait dans l’anarchie.
Corse Génoise
En 1383, Bastia est fondée par Gênes.
Palais du gouverneur génois à Bastia
Tout le territoire sur lequel elle s’appuie dans un triangle dont les pointes sont Brando, au nord à 10kms, Aleria au sud à 40km et Corte à l’ouest à 50 km devient proprement génois.
Fort génois d’Aléria
Ajaccio, elle, était beaucoup plus ancienne, de date immémoriale, probablement fondée au premier siècle de notre ère. En 1453, Gênes cède l’administration de la Corse à l’Office de Saint-Georges, institut financier fondé à Gênes en 1407, une de premières banques au monde, liée à la puissance maritime et commerciale de la Sérénissime. Cette cession se fait à la demande des Corses et avec l’accord du pape.
Siège de l’Office de Saint-Georges à Gênes
Elle fut la banque des rois catholiques, de Charles Quint, de Christophe Colomb, entr’autres. Outre la Corse, elle eut aussi la Crimée sous son administration. Jusqu’à la fin de la domination génoise au XVIIIe, rien ne fut simple car tantôt les appétits des puissances se réveillent. Aragon, Milan mais aussi France au XVIe du temps de Henri II.
Mais les Corses aussi se soulèvent contre l’autorité de Gênes, tantôt ce sont les anciens féodaux qui tentent de reprendre leurs droits, tantôt ce sont les communes.Le tout sur fond de razzia permanentes effectuées par les barbaresques obligeant les Corses à se doter d’un système de tours qui entourent l’île afin de prévenir les populations de leur arrivée, et les obligeant à se retirer dans les montagnes, abandonnant les plaine plus riches, au profit d’une civilisation agro-pastorale.
En 1569, Gênes dote l’île de « Statuts civils et criminels » qui restera en vigueur presque jusqu’en 1789.
Tour génoise
En 1573, le drapeau corse apparait pour la première fois, sous l’impulsion de Philippe II d’Espagne qui veut un emblème pour chacune de ses possessions…même si la Corse n’en est pas une. Probablement une réaffirmation des droits aragonais. Le roi d’Espagne actuel a encore le Royaume de Corse parmi ses titres.
Au début du XVIIIe, la Corse semble définitivement génoise, l’ensemble des populations ayant fini par en accepter la domination et par payer l’impôt demandé par Gênes. Mais c’est à ce moment que Gênes voit sa puissance décroître.
Fondée au XIe siècle, elle vit son apogée au XVIe. Ce fut une république maritime, aristocratique dont l’influence en Méditerranée occidentale et orientale et en Mer Noire fut considérable. Il est difficile de l’imaginer aujourd’hui.
A la fin du XVIIe, opposée à la France, menée des guerres coûteuses contre le Piémont, eut-être victime de l’essor des ports flamands, la République est en difficultés. Il lui faudra tout de même un siècle pour disparaitre en 1797, de par la volonté d’un certain Bonaparte.
La Corse reste encore un des moyens le plus importants du dispositif génois. Elle en a besoin pour s’approvisionner en blé mais aussi de par sa position stratégique. Une série d’erreurs dressera les Corses contre Gênes. Un gouverneur maladroit, des mauvaises récoltes et des impôts supplémentaires furent à l’origine du premier soulèvement en 1729.
Aux impôts et taxes classiques, s’ajoutent des taxes demandées par les représentants de Gênes pour payer leurs dépenses personnelles.
A la suite d’une très mauvaise récolte en 1728, les Corses ont demandé à ce que Gênes tienne compte de cet élément. La République de Gênes consent à ramener, pour cette année 1729, l’impôt à la moitié. Mais les autorités génoises dans l’île n’en tiennent pas compte et exigent l’impôt selon l’ancien taux. Des émeutes spontanées éclatent quand un lieutenant de la République vient prélever cet impôt.
Elles se cristallisent sur le refus de l’impôt, mais les causes profondes sont multiples : la pression fiscale en général, taille et gabelle jugées excessives pour le contexte économique de crise ; mais aussi, les abus des percepteurs génois envers les Corses ; et enfin, l’insécurité exacerbée par la disette, due à des bandits isolés ou à des bandes audacieuses. Cette troisième raison entraîne la demande de rétablissement du port d’armes, dans un souci traditionnel en Corse d’assurer soi-même sa propre sécurité et de se faire sa propre justice.
Gênes interprète cette revendication comme un refus de payer l’impôt, d’autant que le rapport qu’en fait le gouverneur omet de mentionner la façon dont il a contrevenu à ce qui était décidé. (Merci à Patrick Germain pour cet article)
aggie
18 janvier 2016 @ 06:55
merci Patrick et Régine pour ce très intéressant exposé sur l’histoire Corse qui éclaire un peu le tempérament corse ; j’attend la suite avec intérêt.
Ghislaine
18 janvier 2016 @ 09:23
Très intéressant
Je suis allée en recherche mégalithique dans le sud de la Corse – Filitosa évidemment mais plus encore les mégalithes non mis en lumière encore enfouis pour certains dans le maquis .
Il y a là de beaux monuments . 8000 ans d’histoire !
Gérard
18 janvier 2016 @ 09:34
Encore un très bel article, original et très bien illustré. Merci cher Patrick.
Ami des Bataves
18 janvier 2016 @ 09:44
Merci à Patrick Germain pour cet article très intéressant et qui va instruire bon nombre de lecteurs, dont je fais partie.
Jean Pierre
18 janvier 2016 @ 09:58
Merci Cosmo, j’ai aimé la description de Strabon.
Philibert
18 janvier 2016 @ 22:56
J’ai l’impression que la définition de Strabon a inspiré les auteurs d’Astérix en Corse…
Cosmo
19 janvier 2016 @ 18:26
Philibert,
La lecture d’Astérix en Corse est indispensable pour… comprendre le phénomène corse…et rire beaucoup.
Les Corses ont apprécié, je crois, car Uderzo et Gosciny font certes preuve d’humour mais aussi de beaucoup de tendresse.
Cordialement
Cosmo
Baronne Manno
18 janvier 2016 @ 12:31
Merci cher Patrick pour ce très bel article, qui remet en perspective l’histoire mouvementée de la Corse. J’attends avec impatience la suite.
Pierre-Yves
18 janvier 2016 @ 13:14
Très intéressant et très instructif. Merci à Patrick Germain de ce travail.
Et bravo à cette science du découpage du récit pareil aux bonnes séries télévisées. C’est juste au moment où quelque chose d’important se trame qu’on clôt l’épisode et qu’on contraint le spectateur à patienter pour avoir la suite …
Claude-Patricia
18 janvier 2016 @ 13:38
Bonjour à tous!
Merci beaucoup cher Patrick pour cet article!! Chaque région de notre pays a un passé riche qu’il n’est pas négligeable de se remémorer. Dans mon métier de guide, je pars effectivement des racines les plus profondes pour aboutir au monde actuel (enfin, si j’ai le temps). Le Temps et l’Histoire des Hommes est passionnante.
Ils s’entremêlent à l’infini pour construire le puzzle du monde. A notre époque, nous pouvons avoir un regard global sur le passé, nous construisons le temps présent et préparons le futur.
septentrion
18 janvier 2016 @ 13:44
Bonjour,
Merci pour cet article que je lirai avec grand plaisir pendant le week-end.
Merveilleuse Ile de Beauté, où j’ai tant de beaux souvenirs de vacances.
Ce matin, alors qu’il a rendez-vous avec Manuel Valls en fin d’après-midi ce lundi, Jean Guy Talamoni a déclaré « La France est un pays ami », cela quelques semaines après son discours d’investiture en langue corse.
A propos d’un des plus illustres natifs de la Corse, je viens d’offrir à mon neveu (8 ans) les deux premiers tomes de la B.D. » Napoléon » parus chez Glénat, dans la série « Ils ont fait l’Histoire ». Jean Tulard en est le conseiller historique. .
Philippe Gain d'Enquin
18 janvier 2016 @ 14:19
Cher Patrick, grand merci à vous pour cette passionnante participation pour qui – comme moi – ne connait pas notre région de Corse. Loin des polémiques, vous nous promenez dans l’une des plus intéressantes histoires méditerranéennes avec Chypre et Malte. Bravo. Amicalement vôtre, Philippe.
Philippe Gain d'Enquin
18 janvier 2016 @ 14:21
Sicile et Sardaigne, manquaient à mon énumération…
Berthold
18 janvier 2016 @ 22:58
Merci Patrick pour cette belle documentation sur cette île que je me ferais un plaisir de découvrir un jour, car magnifique.
JB.
Robespierre
21 janvier 2016 @ 13:55
Cette introduction à l’histoire de la Corse est utile car personne ne connait l’histoire de cette île, et surtout au début de notre ère. J’ai appris pas mal de choses.