Le 21 novembre 1966, Son Altesse Impériale et Royale l’archiduc Otto de Habsbourg-Lorraine tenait une conférence à la radio bavaroise afin de commémorer le cinquantième anniversaire de la disparition de son arrière grand-oncle. Un demi-siècle jour pour jour après sa mort, l’héritier du trône était la personne la mieux placée pour dresser une analyse très pertinente de l’un des plus longs règnes d’Europe. Voici l’occasion de mettre en lumière cette conférence peu connue du grand public. Une occasion aussi d’associer, en ce 21 novembre 2016, le souvenir de l’empereur qui rendit son dernier soupir il y a 100 ans aujourd’hui, et celui de son héritier, l’archiduc Otto, disparu en 2011.Ci-dessus, l’empereur avec l’archiduc Otto âgé de 3 ans.
François-Joseph et ses héritiers, les archiduc Charles (le futur empereur Charles Ier) et le petit Otto.
Cela fait aujourd’hui un demi-siècle que François-Joseph Ier, Empereur d’Autriche et Roi de Hongrie ferma les yeux pour toujours. Même ceux qui étaient encore enfants en ce jour sombre de la fin de l’automne 1916 peuvent s’en souvenir, alors qu’ils vivaient sous le règne du vieil empereur. François-Joseph faisait partie de leur vie : pour ses peuples, c’était une conception qu’on ne pouvait plus écarter de leur pensée, et sa disparition ne put que laisser un grand vide.
C’était la guerre, et chaque famille avait ses propres soucis. Chaque foyer n’en ressentit pas moins le sentiment d’une perte personnelle. Bien que j’étais encore, à cette époque-là, un petit enfant, je sus ce que cela voulait dire « l’empereur est mort ». Lorsque, quelques jours plus tard, le souverain fut porté dans la crypte des Capucins, la désolation s’empara de la capitale. Depuis ce temps-là, j’ai vécu beaucoup de deuils, d’obsèques, de cérémonies officielles. Mais aucun événement n’eut ce caractère grandiose de la tradition impériale et en même temps cet aspect personnel, que lors des funérailles de François-Joseph.
Aussi étonnant que cela puisse paraître, vu l’éloignement dans le temps, le vieil empereur est, encore aujourd’hui, bien présent sur ses terres et royaumes. Beaucoup de soldats de la 2e guerre mondiale savent raconter comment, dans les maisons les plus humbles de la vieille monarchie austro-hongroise, ils se sont retrouvés devant ses portraits et d’autres souvenirs l’évoquant.
De l’autre côté de la Méditerranée, en Israël, aujourd’hui encore, il y a une grande association pour la sauvegarde du Souvenir, à la mémoire de l’empereur François-Joseph. Ce courant de pensée n’est d’ailleurs pas restreint à ceux qu’on pourrait considérer comme nostalgiques, comme des personnes âgées qui ne veulent pas oublier.
Il y a quelques semaines encore, un haut responsable d’un pays d’Europe de l’Ouest, me parlait d’une mission économique qui l’amena à se rendre cette année (1966) dans une démocratie populaire. Son partenaire, un communiste assez jeune, membre du gouvernement, l’avait invité dans sa maison de campagne, à l’issue des conversations. A sa grande surprise, il trouva dans la petite bâtisse moderne, trois symboles : une vieille menorah, l’inévitable portrait de Lénine et à côté, celui de l’empereur François-Joseph.
Voyant son étonnement, le maître de maison lui dit : la menorah est pour moi, un souvenir de la foi et des souffrances de mes ancêtres, le portrait de Lénine montre mes convictions idéologiques et scientifiques, François-Joseph est pour moi un symbole de la justice. C’est un des rares hommes qui ont donné à mes aïeux et à leur minorité pourchassée, une période de véritable sécurité et tranquillité.
François-Joseph avec les regalia de l’empire héréditaire d’Autriche, Julius Viktor Berger, 1879.
Ce prestige du vieux monarque, auquel ni ses contemporains, ni ceux qui ont suivi, ne purent et ne peuvent échapper, n’est, selon l’opinion de beaucoup d’auteurs, que la conséquence de son long règne. Il fut en effet, le symbole politique, vivant et immuable pour presque trois générations. Ce fait a certainement contribué à l’ancrer très profondément dans leurs cœurs. Mais cela ne suffit pas comme explication.
Chaque homme a la nostalgie du père, de l’autorité et de la stabilité. François-Joseph pourrait en ce sens en être l’archétype, d’autant plus qu’il ne représente pas seulement l’image du père, mais aussi celle du grand-père à cause de son long règne. Si le père est avant tout l’image de l’autorité, à celle-ci se mêle, chez le grand-père, celle de la bonté, de la justice qui adoucit le caractère de la loi. Et ceci encore plus, lorsque le père, devenu grand-père rien qu’à cause de l’âge, est le symbole de la continuité, même quand les années qui lui restent lui sont comptées.
Il est de plus, en politique, la plus haute instance juridique, celui qui, déjà, voit selon la raison, par le fait même qu’il ne peut plus rien attendre de cette vie ici-bas (il a déjà atteint tout ce que l’on peut imaginer), et parce que le nombre d’années déjà passées lui a appris à comprendre et par la même, à pardonner.
L’empereur en 1860, peint par F. Schrotzberg.
Cet attrait de l’archétype chez l’empereur François-Joseph est renforcé par les données particulières de l’époque où le monarque est entré en scène et a régné. Lorsque François-Joseph vit la lumière du jour en 1830, l’Ancien Régime prédominait encore en Europe. Les Bourbons légitimes n’avaient été chassés du trône que quelques semaines auparavant.
Dans le reste de l’Europe, la puissance de la Sainte-Alliance était encore à peine ébranlée. Le monde du XVIIIe siècle n’avait pas encore cessé d’être. Goethe, le symbole de la culture occidentale, vivait encore. Ce vieux monde était la dernière expression d’une période de très grande stabilité, qui certes connaissait des secousses à l’extérieur, mais à l’intérieur continuait de couler des heures tranquilles parce que les conditions fondamentales de l’économie et de la politique sociale n’avaient que peu changé depuis la guerre de Trente Ans.
Uniforme de campagne autrichien de Feldmarschall réalisé en 1889. C’est celui que l’empereur portait le plus souvent.
Dans ce monde de la jeunesse et de l’enfance de François-Joseph fait irruption la révolution industrielle avec sa force brutale. Il y eut une époque où les deux formes, la tranquille sécurité du passé, et le vent de tempête de l’avenir coexistèrent.
La période de gouvernement de François-Joseph fut néanmoins une période de transition vers la situation contemporaine qui connaît l’accélération de l’histoire, situation qui a conduit, à la suite de transformations toujours plus profondes, à la fin de toute sécurité, comme le dit Winfried Martini.
L’homme aspire à la sécurité. On n’a qu’à suivre les élections dans toute l’Europe et même dans le monde démocratique, pour s’apercevoir qu’elle est fortement mise en avant par les partis, à droite comme à gauche.
Le mot « safety first », la sécurité d’abord, influence tous les hommes, même ceux qui croient encore tant au progrès. Cet instinct, François-Joseph l’a profondément ressenti, peut-être bien souvent de façon inconsciente, vu qu’il a été le dernier souverain en période de sécurité absolue, jusqu’au début de l’ère de la fin de toute sécurité. (Merci à Francky)
Sylvie-Laure
21 novembre 2016 @ 06:31
L’archiduc Otto parle ici de l’Empereur François-Joseph, avec une tendresse familiale qui l’honore. Il dépeint l’Empereur avec son rôle austère, ses fonctions toutes très différentes, laissant de côté la solitude sentimentale qui fut la sienne tout au long de sa vie avec Elisabeth son épouse.
Les demeures impériales de Vienne n’ont jamais abrité de bonheurs familiaux. C’était un homme austère, par la force des choses. Une vie vouée au double Empire.
Les domaines auxquels l’Empereur s’étaient dévoués, la Sécurité de l’Empire, les progrès, et la vie d’un monde passé qui devait évoluer : socialement et économiquement. Il a souhaité accompagner de son mieux, l’évolution des courants, des pensées (pas toujours menée à bien) mais l’âge venant et une solitude pesante ne l’ont pas servi pour ces tâches là.
Au début de ce comm, j’ai parlé de l’Archiduc Otto au présent, et je l’ai fait sciemment.
DEB
21 novembre 2016 @ 07:20
Merci à Francky.
La sécurité et la stabilité sont toujours des préoccupations actuelles.
Jean Sauzeau
21 novembre 2016 @ 10:26
Merci pour ce très bel et émouvant hommage !
Severina
21 novembre 2016 @ 10:34
L’archiduc Otto, magnifique enfant avec ses boucles blondes dans ces portraits, était un homme d’une grande intelligence politique et intégrité. Je peut confirmer que mon père, né sujet de François-Joseph, l’admirait beaucoup, surtout pour son sens du devoir et pour l’ordre et l’efficience de l’administration publique et chez nous il y avait un portait de l’empereur.
Leonor
21 novembre 2016 @ 11:27
Me réserve cet article pour le lire TRAN-QUIL-LE-MENT. Le soir. Quand tout le monde est nourri et couché. Le mari, les fils avec décalages horaires, les chiens, les chats , les alpagas, Biquette, les poules , les poussins , et les coqs. Remarquez, les coqs, ce sont des couche-tôt. Ils se couchent … avec les poules !
gloria
21 novembre 2016 @ 11:43
-Merci à Francky, pour son reportage sur François Joseph, les illustrations et les paroles rapportées.Cela a une autre dimension avec les propos futiles et negatifs que nous lisons trop souvent su le site.Encore merci!
Pierre-Yves
21 novembre 2016 @ 12:00
Quelque chose m’échappe: Est-ce l’archiduc Otto qui s’exprime ici, ou bien Francky ? J’ai l’impression en lisant l’article, qu’on passe de l’un à l’autre, mais sans qu’on puisse vraiment déterminer à quel moment.
Francky
21 novembre 2016 @ 13:51
Comme indiqué en préambule, il s’agit ici du texte de la conférence réalisée en 1966 par l’archiduc Otto. Il a été traduit de l’allemand mais reproduit ici fidèlement dans son intégralité.
Il est vrai que ses propos sont d’une grande actualité encore aujourd’hui, 50 ans plus tard. Mais tout le contenu de cet article et des suivants est bien de la plume de l’archiduc.
Sedna
21 novembre 2016 @ 22:19
Je me suis posé la même question que Pierre-Yves.
Ceci dit, article très intéressant, merci Francky
Gilles
21 novembre 2016 @ 12:14
François Joseph est encore chez nous très respecté. Il me serait impossible de me séparer de son portrait,les photos et autres médailles.
Mille fois merci pour cet article.
Francky
21 novembre 2016 @ 13:55
Gilles
Vous avez raison: un siècle après sa mort, il y a un village italien dans le Trentin qui fête toujours l’anniversaire impérial tous les 18 août, souvenir de l’époque où cette région faisait partie de l’Empire.
nozzari
21 novembre 2016 @ 12:30
J’avais une grande estime et une grande admiration pour l’archiduc Otto. Mais justement parce qu’il était un Habsbourg, je ne pense pas qu’il était le mieux placé pour être objectif.
Quant à l’image que les Autrichiens ont de François-Joseph, il semblerait que depuis plusieurs années, elle est beaucoup moins idyllique.
JAusten
21 novembre 2016 @ 19:39
Je suis fan de vos articles Francky mais je ne sais jamais quoi dire à part des platitudes pour vous remercier.
j21
22 novembre 2016 @ 17:33
Idem pour moi.
Francois
21 novembre 2016 @ 20:43
L’empereur Francois Joseph représentait une stabilité
Quand on voit aujourd’hui où en sont ces pays et ce par quoi
ils en sont passés il est permis de se demander si cette fameuse
liberté tant désirée etc n’a pas été payée bien cher et si
ce dont on a affublé la monarchie austro hongroise n’était pas
un moindre mal
corentine
21 novembre 2016 @ 21:21
Merci Francky, encore un reportage intéressant
lorraine 1
22 novembre 2016 @ 18:47
Le démembrement de l’empire Austro-Hongrois (dont la France de Clémenceau et les USA de Wilson) sont les principaux responsables est une des plus grande catastrophe du 20 ème siècle et nous aura valu Hitler.
grossmann
25 novembre 2016 @ 19:58
ce qui nous a valut hitler ces sont les américains qui nous empeché d’aller jusqu’a berlin pour bien écraser l’Allemagne et surtout qui nous ont empêcher d’annexer la rive gauche du rhin