Le roi Mohammed VI du Maroc a visité à Antsirabe au Madagascar l’hôtel « Les thermes » où le roi Mohammed V et la famille royale ont séjourné en exil en 1954. (Copyright photos : Le Matin)
Le roi a visité l’hôtel Les Thermes en compagnie du président malgache Hery Rajaonarimampianina. Une exposition de photographies souvent inédites de la famille royale et de la suite royale en exil y est présentée par l’Association des Marocains et amis du Maroc à la Réunion L’Arganier, à la suite des travaux d’historiens. Ces photographies proviennent surtout de fonds privés appartenant à des familles indo-musulmanes dont la famille Kathadara. Le roi a décoré à cette occasion Ismail Kathadara, 82 ans, qui a connu le roi Mohamed V, de la cravate de commandeur du Ouissam Alaouite. Le roi a également visité la suite royale où séjournait son grand-père. L’hôtel est classé patrimoine national.
Le roi a également renommé la mosquée de la ville mosquée Mohamed V.
Le roi Mohamed VI doit également participer à Madagascar au 16e Sommet de la Francophonie.
Le sultan du Maroc Mohamed V le 20 août 1953 à 10 heures 7 du soir arriva sur un DC3 des parachutistes de l’armée française à l’aéroport de Campo del Oro à Ajaccio en compagnie du prince héritier et du reste de la famille, il venait d’être destitué par les autorités françaises qui avaient suscité la révolte du pacha de Marrakech Thami El Glaoui, que le sultan avait congédié le 23 décembre 1950 alors qu’il le mettait en garde contre l’Istiqlal lors des vœux du Mouloud, et Sidi Mohamed fut remplacé par son cousin le vieux chérif Mohamed Ben Arafa. Des engins blindés avaient encerclé le palais de Rabat et le général Augustin Guillaume, résident général, lui avait fait savoir qu’il devait abdiquer afin de mettre un terme aux revendications nationalistes qui avaient amené des troubles. Il refusa et le général Guillaume lui annonça qu’il devrait quitter le royaume immédiatement.
Tout est dit, écrira son fils aîné, le général nous fait appeler, Moulay Abdallah et moi. Il se tourne vers le souverain : « Nous vous emmenons, vous et vos fils. » Il fait signe à l’officier de gendarmerie qui, revolver au poing, pousse mon père devant lui…
Une limousine noire et huit cars de police attendaient. L’avion décolla, pour une destination inconnue, vers 15 heures. À Ajaccio le préfet de Corse et un détachement de gendarmes mobiles attendaient pour rendre les honneurs mais le sultan pensa d’abord qu’il s’agissait d’un peloton d’exécution et demanda à un haut fonctionnaire français Jean-Émile Vigier, de voir ce qu’il en était.
Le sultan eut à s’entasser avec les siens une quinzaine de jours au palais Lantivy chez le préfet ce qui occasionna des frais importants à la préfecture. Le préfet obtint de lui trouver une installation dans l’arrière-pays à une centaine de kilomètres, à Zonza, dans les montagnes, à l’hôtel du Mouflon d’Or. « Le décor était minable, la place mesurée, il s’agissait davantage d’un campement que d’une installation digne de ce nom », jugea le docteur Henri Dubois-Roquebert, le chirurgien de Mohammed V, lors de sa visite au sultan.
Dans les premiers temps le service fut assuré gracieusement par des membres du personnel de l’hôtel Crillon à Paris où le sultan avait ses habitudes. Malgré ces adoucissements c’était une sorte d’emprisonnement et les fenêtres de l’hôtel étaient éclairées la nuit par de puissants projecteurs pour empêcher toute fuite. Et puis on était loin de toute faculté pour les enfants royaux. « Le temps fraîchit de jour en jour et notre patience, si elle n’est pas à bout, s’épuise à grands flots, écrivait au dos d’une carte postale le prince héritier à un ami, on passe le jour à attendre la nuit, et la nuit on dort en attendant le jour. Cycle parfait, régulier, animal. »
Il faisait froid. Le sultan craignait beaucoup le froid. Michel de Grèce racontera que même à Louveciennes chez son oncle il faisait placer une chaufferette à ses pieds.
Les autorités acceptèrent de déplacer le sultan à L’Île Rousse dont le climat est plus clément et Mohamed V y passa trois mois quasiment en reclus à l’hôtel Napoléon Bonaparte. Le comte Clauzel qui le connaissait bien et qui était conseiller chérifien (le conseiller chérifien était l’intermédiaire entre la Résidence générale et le Palais mais Clauzel était trop ami de Sidi Mohamed et il fut rappelé à Paris) le trouva très changé et de plus il dût l’informer que le gouvernement français avait décidé de l’envoyer en exil à Madagascar car le Maroc était en pleine ébullition depuis la nouvelle de son bannissement, et la Corse était trop proche du Maroc et des autres pays du Maghreb. En outre le prince héritier Moulay Hassan aurait entretenu selon les services secrets français une correspondance avec l’Istiqlal, le Parti de l’Indépendance, et ce par l’intermédiaire d’une prostituée qu’il rencontrait. On craignit aussi que la Ligue Arabe ne tente de le libérer pour l’installer à Tanger où il aurait pu former un gouvernement de résistance car Tanger était dans la zone internationale. Le général Franco à Madrid avait pris position en faveur du sultan et beaucoup s’agitaient en France et protestaient notamment le général de Gaulle et le comte de Paris, ami d’enfance du sultan et qui intervint par la suite plusieurs fois auprès d’Edgar Faure, revenu à Matignon, en sa faveur. On faisait aussi remarquer que le sultan avait refusé d’appliquer les lois antisémites de Vichy dans un pays qui comptait trois à quatre cent mille Juifs.
Mohamed V, de son côté, disait au comte Clauzel qu’il ne voulait pas faire les frais des bisbilles coloniales entre la France et l’Espagne et qu’il n’était pas du bétail : « M’enverra-t-on au pôle Sud la prochaine fois que la France aura à se plaindre de l’Espagne ? » De fait on songera à l’envoyer à Tahiti mais le séjour y aurait coûté trop cher et il n’y avait pas de résidence assez spacieuse pour loger le sultan et sa suite.
Ce fut donc le départ vers Tananarive sur un DC 4 militaire qui le 28 janvier passa au-dessus de Fort-Lamy et de Brazzaville pour rejoindre Tananarive soit 7000 km et deux escales. Le sultan était accompagné de ses deux fils, de sa deuxième épouse qui était enceinte de six mois et de ses huit concubines. Il atterrit le 28 janvier 1954 au matin à Tananarive où un thé lui fut servi à l’aérogare avant le départ pour Antsirabe où il devait être logé au centre militaire qu’il avait fallu vider de ses occupants en particulier des retraités de l’armée qui passait des jours paisibles en cure. La vaisselle en porcelaine du camp fut remplacée par l’argenterie. On installa des tapis de laine et des réfrigérateurs et en recruta du personnel malgache pour la cuisine. Mais l’accueil avait été très froid, le haut-commissaire français à Madagascar Robert Bargues avait précisé que le souverain devait être placé sous surveillance stricte de la police et éventuellement de la troupe.
Le prince héritier était alors très fiévreux, François Cléret (1918-2014), médecin de la garnison malgache et futur médecin du Palais royal, diagnostiqua une angine aiguë et administra de la pénicilline mais le souverain qui s’était inquiété pour son fils s’inquiétait aussi pour le reste de sa famille d’autant que sa première épouse Abla et ses trois filles devraient le rejoindre prochainement et il trouvait l’endroit exigu et inadéquat, et c’est alors que les Français lui proposèrent de s’établir à l’hôtel des Thermes, une belle bâtisse de style colonial construite en 1897. Il fallut cependant un mois de travaux pour accueillir convenablement le sultan et 35 personnes de sa suite. Une vingtaine de domestiques malgaches et comoriens dirigés par l’intendant et le maître d’hôtel européens s’occupaient exclusivement du sultan et de sa suite. On mit à leur disposition des véhicules en nombre suffisant. Parfois le sultan se rendait à Tananarive pour la journée en complet gris, il allait voir son opticien, faisait du shopping ou déjeunait en ville mais nonobstant sa grande courtoisie, il était mélancolique et se considérait comme moins chanceux que ses oncles Moulay Hafid qui finit ses jours à Enghien près de Paris ou Moulay Abdelaziz à Tanger ou encore que l’ex bey de Tunis Moncef Bey qu’on avait logé dans un château français, la villa Cadaval à Pau.
Les Malgaches croisaient sa longue silhouette taciturne le long des grandes avenues qui reliaient l’hôtel au centre-ville le sultan, il s’arrêtait chez les commerçants y effectuant des achats pour sa famille. Généralement il se promenait à pied. Les Français le reconnaissaient mais beaucoup de Malgaches le prenaient pour le négus ou pour le roi Farouk. Dans cette île essentiellement chrétienne ce qui surprenait c’était surtout le nombre de femmes du sultan qui se promenaient par petites fournées le soir et les femmes du harem étaient toutes vêtues de gandouras grises et avaient seulement un voile de couleurs différentes qui masquait leur visage. Deux ans plus tard elles embarquèrent dans le même anonymat, elles étaient seulement les passagers 1 à 23, mais quand elles s’asseyaient on découvrait leurs hauts talons et leurs chevilles gainées de soie, selon les mots du journaliste Max Jalade. Elles consultaient cependant volontiers une cartomancienne d’origine libanaise chez laquelle elles se découvraient. Chaque semaine les princes et les princesses s’y rendaient aussi.
Parmi tous ceux qui étaient exilés avec le sultan, il y avait un prince qui lui avait choisi son exil pour l’accompagner, un grand jeune homme mince de 26 ans, au visage doux, un peu triste, le prince Moulay Ali, neveu de l’ex-sultan, qui voulait partager le sort de son oncle. Il disait : « C’est moi qui ai choisi mon sort. Je suis un privilégié… Combien d’autres Marocains auraient voulu pouvoir le faire… »
Si les autorités françaises avaient choisi le droit d’aînesse Moulay Ali qui était le fils unique du prince héritier Moulay Idris (1908-1962), lui-même fils du sultan Moulay Youssouf, aurait été roi du Maroc. Né en 1924, il fut ambassadeur de France et conseiller spécial du roi Hassan II et épousa Lalla Fatima la fille aînée de son oncle, il mourut en 1988.
Après 21 mois les négociations entre les nationalistes et la France étant presque achevées on pouvait songer à faire rentrer le sultan d’autant plus que cet exil avait provoqué deux années de violence car l’Istiqlal en avait profité pour exalter la figure du roi libérateur.
Le 1er novembre 1954 ce fut la sanglante Toussaint d’Algérie et il fallut alors lâcher du lest au Maroc et en Tunisie pour ne pas sacrifier les départements français d’Algérie. Edgar Faure président du Conseil, négocia à Aix-les-Bains avec les nationalistes en vue du retour de sultan. Le voyage du retour fut fixé au 28 octobre jour de la naissance du Prophète, jour du Mouloud, et le sultan constatant qu’il était parti le jour de l’Aïd remercia Dieu pour cette grâce supplémentaire. Cependant le vol fut repoussé de deux jours à cause de la météo ce qui permit au souverain de faire ses adieux à ses amis et à ses fournisseurs et d’accomplir les ressources mais la prière du vendredi, et de célébrer le Mouloud avec les Malgaches musulmans. Comme on n’avait pas la place de tout emporter on laissa à Antsirabe une bonne partie des bagages avec par exemple les jouets de la petite princesse Lalla Amina qui y était née le 8 avril 1954, trois mois après l’arrivée de la famille à Madagascar et l’on fut heureux de les distribuer aux enfants des domestiques, tandis que les machines à coudre des femmes du sultan étaient données à la ville pour les lépreux et que Moulay Hassan offrit toute sa bibliothèque très importante à la Fondation des vieux coloniaux ne gardant que la Bible et les Mémoires d’outre-tombe.
Le 30 octobre 1955 au petit matin le roi monta dans une grosse Ford conduite par son fils aîné. Tous les cent mètres le cortège était salué par des gardes malgaches. À l’aéroport les honneurs lui furent rendus par 12 soldats en short et bandes molletières portant des fusils Lebel avec baïonnette au canon, raconta plus tard Hassan II. Le 31 octobre 1955 Mohamed arriva en France et s’entretint avec le ministre des affaires étrangères Antoine Pinay à la suite de quoi il fut précisé que le Maroc allait retrouvé sa souveraineté et devenir un État démocratique à monarchie constitutionnelle. Le 16 novembre 1955 Mohamed V débarqua à l’aéroport de Rabat accueilli par une marée humaine de dizaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants venus de tout le Maroc. Il monta dans une limousine découverte pour se rendre au Palais saluant la foule. Deux jours plus tard, le 18, 100 000 personnes écoutèrent le discours du trône : « Nous nous réjouissons de pouvoir annoncer la fin du régime de tutelle du protectorat et l’avènement d’une ère de liberté et d’indépendance. »
Nous étions avec mes parents à la même période à Antsirabé, en villégiature. Ils croisaient souvent le Sultan Mohammed V dans les rues, voire dans des boutiques. Il était d’une politesse exquise. On n’en disait pas autant de son fils. Celui-ci s’était vu interdire l’entrée du Mess des Officiers français, je ne sais plus pour quel motif.
J’ai moi aussi des souvenirs d’Antsirabé.
Durant l’été 55, ma famille et moi avons traversé Antsirabé pour nous rendre dans le sud malgache et je me souviens de mon pere nous disant lorsque nous sommes passés devant l’hotel des thermes : c’est ici que réside le sultan du Maroc.
J’étais petit à l’époque . J’entendais tellement parler du Maroc que j’imaginais un immense pays que je situais vaguement au nord est de la France, je ne sais pourquoi.
Pour ce qui concerne le Mouflon d’Or à Zonza le grand bâtiment principal existe encore mais n’est plus affecté à l’hôtellerie. L’hôtel maintenant est une résidence de tourisme trois-étoiles composée de villas dans un grand parc. L’hôtel aurait été connu du sultan avant l’exil.
Vous allez croire qu’il était de mon destin de croiser le sultan du Maroc…mais il se trouve que je connais bien le Mouflon d’Or et Zonza. Pauvre sultan, car si l’Alta Rocca est une région splendide, c’est tout de même le bout du monde et le Mouflon d’Or n’a jamais été un palace. Le séjour à l’Ile-Rousse fut sans doute plus agréable à la famille royale marocaine…but nowhere is better than home…
Merci, Gerard, pour cette relation tres détaillée du séjour à Antsirabé du sultan du Maroc, puisque c’était le titre qui lui était décerné à l’époque.
Il eut été étonnant que son petit fils , Mohammed VI, se rendant à Madagascar, ne s’en souvienne pas. Cela s’effectue à l’occasion des journées de la francophonie et il est interessant de noter que cela semble s’effectuer sans rancoeur vis à vis de l’ancienne puissance coloniale.
Pour ce qui vous concerne , qu’est ce qui vous a amené à faire une telle couverture de l’évenement? Y étes vous concerné , personnellement ou par tradition familiale?
J’aime beaucoup le Maroc et si je ne connais pas Madagascar j’ai des amis malgaches mais ce qui est fascinant je crois c’est la manière dont les uns et les autres peuvent supporter l’exil et aussi sans doute l’injustice qui fut faite au sultan.
Le Roi Mohammed VI s’est rendu a l’Hotel où à était assigné a résidence son grand père le Roi Mohammed V et le Maroc va financé la construction d’un hôpital et d’un centre de formation professionnelle dans la ville pour remercier les malgaches de leurs hospitalité .
voici quelques activité du souverain…….
Antsirabe – SM le Roi Mohammed VI, que Dieu L’assiste, accompagné de SA le Prince Moulay Ismail et du président malgache, M. Hery Rajaonarimampianina, a visité, mercredi à Antsirabe, l’hôtel « Les thermes » où séjournaient feu SM le Roi Mohammed V et la famille royale lors de leur exil forcé en 1954 à Madagascar.
Antsirabe – SM le Roi Mohammed VI, que Dieu L’assiste, accompagné de SA le Prince Moulay Ismail, et le président de la république de Madagascar, M. Hery Rajaonarimampianina, ont procédé, mercredi à Antsirabe, au lancement des travaux de construction de l’hôpital « Mère et enfant » et d’un complexe de formation professionnelle.
Ces projets, d’un investissement global de 220 millions de dhs, assuré par la Fondation Mohammed VI pour le développement durable, confirment la vision royale constante en faveur d’une coopération Sud-Sud forte, agissante et solidaire.
L’hôpital « mère et enfant », qui sera réalisé sur une superficie de 50.000 M2, mise à disposition par la commune urbaine d’Antsirabe, dont 8.000 m2 couverte, sera mis en service en mars 2019.
S’agissant du complexe de formation professionnelle, il sera réalisé sur une superficie globale de 25.000M2 (parcelle mise à disposition par la commune urbaine d’Antsirabe), dont 8.000 M2 couvertes.
Lars de Winter
25 novembre 2016 @ 08:35
Acte sentimentale. Bravo au roi du Maroc.
Caroline
25 novembre 2016 @ 14:17
Ont-ils vécu dans l’opulence ou la pauvreté en exil ?
Cette photo-souvenir ne nous montre point la mère des enfants du grand-père du roi du Maroc!
Baboula
28 novembre 2016 @ 16:05
À Madagascar on est vite riche. Le pays est si pauvre.
bambina
25 novembre 2016 @ 16:06
Son père, Mohamed 5 était un grand homme, proche du peuple et moderne. De plus il a sauvé de nombreux Juifs Marocains de la barbarie des nazis.
Gérard
25 novembre 2016 @ 18:11
Le roi a visité l’hôtel Les Thermes en compagnie du président malgache Hery Rajaonarimampianina. Une exposition de photographies souvent inédites de la famille royale et de la suite royale en exil y est présentée par l’Association des Marocains et amis du Maroc à la Réunion L’Arganier, à la suite des travaux d’historiens. Ces photographies proviennent surtout de fonds privés appartenant à des familles indo-musulmanes dont la famille Kathadara. Le roi a décoré à cette occasion Ismail Kathadara, 82 ans, qui a connu le roi Mohamed V, de la cravate de commandeur du Ouissam Alaouite. Le roi a également visité la suite royale où séjournait son grand-père. L’hôtel est classé patrimoine national.
Le roi a également renommé la mosquée de la ville mosquée Mohamed V.
Le roi Mohamed VI doit également participer à Madagascar au 16e Sommet de la Francophonie.
Le sultan du Maroc Mohamed V le 20 août 1953 à 10 heures 7 du soir arriva sur un DC3 des parachutistes de l’armée française à l’aéroport de Campo del Oro à Ajaccio en compagnie du prince héritier et du reste de la famille, il venait d’être destitué par les autorités françaises qui avaient suscité la révolte du pacha de Marrakech Thami El Glaoui, que le sultan avait congédié le 23 décembre 1950 alors qu’il le mettait en garde contre l’Istiqlal lors des vœux du Mouloud, et Sidi Mohamed fut remplacé par son cousin le vieux chérif Mohamed Ben Arafa. Des engins blindés avaient encerclé le palais de Rabat et le général Augustin Guillaume, résident général, lui avait fait savoir qu’il devait abdiquer afin de mettre un terme aux revendications nationalistes qui avaient amené des troubles. Il refusa et le général Guillaume lui annonça qu’il devrait quitter le royaume immédiatement.
Tout est dit, écrira son fils aîné, le général nous fait appeler, Moulay Abdallah et moi. Il se tourne vers le souverain : « Nous vous emmenons, vous et vos fils. » Il fait signe à l’officier de gendarmerie qui, revolver au poing, pousse mon père devant lui…
Une limousine noire et huit cars de police attendaient. L’avion décolla, pour une destination inconnue, vers 15 heures. À Ajaccio le préfet de Corse et un détachement de gendarmes mobiles attendaient pour rendre les honneurs mais le sultan pensa d’abord qu’il s’agissait d’un peloton d’exécution et demanda à un haut fonctionnaire français Jean-Émile Vigier, de voir ce qu’il en était.
Le sultan eut à s’entasser avec les siens une quinzaine de jours au palais Lantivy chez le préfet ce qui occasionna des frais importants à la préfecture. Le préfet obtint de lui trouver une installation dans l’arrière-pays à une centaine de kilomètres, à Zonza, dans les montagnes, à l’hôtel du Mouflon d’Or. « Le décor était minable, la place mesurée, il s’agissait davantage d’un campement que d’une installation digne de ce nom », jugea le docteur Henri Dubois-Roquebert, le chirurgien de Mohammed V, lors de sa visite au sultan.
Dans les premiers temps le service fut assuré gracieusement par des membres du personnel de l’hôtel Crillon à Paris où le sultan avait ses habitudes. Malgré ces adoucissements c’était une sorte d’emprisonnement et les fenêtres de l’hôtel étaient éclairées la nuit par de puissants projecteurs pour empêcher toute fuite. Et puis on était loin de toute faculté pour les enfants royaux. « Le temps fraîchit de jour en jour et notre patience, si elle n’est pas à bout, s’épuise à grands flots, écrivait au dos d’une carte postale le prince héritier à un ami, on passe le jour à attendre la nuit, et la nuit on dort en attendant le jour. Cycle parfait, régulier, animal. »
Il faisait froid. Le sultan craignait beaucoup le froid. Michel de Grèce racontera que même à Louveciennes chez son oncle il faisait placer une chaufferette à ses pieds.
Les autorités acceptèrent de déplacer le sultan à L’Île Rousse dont le climat est plus clément et Mohamed V y passa trois mois quasiment en reclus à l’hôtel Napoléon Bonaparte. Le comte Clauzel qui le connaissait bien et qui était conseiller chérifien (le conseiller chérifien était l’intermédiaire entre la Résidence générale et le Palais mais Clauzel était trop ami de Sidi Mohamed et il fut rappelé à Paris) le trouva très changé et de plus il dût l’informer que le gouvernement français avait décidé de l’envoyer en exil à Madagascar car le Maroc était en pleine ébullition depuis la nouvelle de son bannissement, et la Corse était trop proche du Maroc et des autres pays du Maghreb. En outre le prince héritier Moulay Hassan aurait entretenu selon les services secrets français une correspondance avec l’Istiqlal, le Parti de l’Indépendance, et ce par l’intermédiaire d’une prostituée qu’il rencontrait. On craignit aussi que la Ligue Arabe ne tente de le libérer pour l’installer à Tanger où il aurait pu former un gouvernement de résistance car Tanger était dans la zone internationale. Le général Franco à Madrid avait pris position en faveur du sultan et beaucoup s’agitaient en France et protestaient notamment le général de Gaulle et le comte de Paris, ami d’enfance du sultan et qui intervint par la suite plusieurs fois auprès d’Edgar Faure, revenu à Matignon, en sa faveur. On faisait aussi remarquer que le sultan avait refusé d’appliquer les lois antisémites de Vichy dans un pays qui comptait trois à quatre cent mille Juifs.
Mohamed V, de son côté, disait au comte Clauzel qu’il ne voulait pas faire les frais des bisbilles coloniales entre la France et l’Espagne et qu’il n’était pas du bétail : « M’enverra-t-on au pôle Sud la prochaine fois que la France aura à se plaindre de l’Espagne ? » De fait on songera à l’envoyer à Tahiti mais le séjour y aurait coûté trop cher et il n’y avait pas de résidence assez spacieuse pour loger le sultan et sa suite.
Ce fut donc le départ vers Tananarive sur un DC 4 militaire qui le 28 janvier passa au-dessus de Fort-Lamy et de Brazzaville pour rejoindre Tananarive soit 7000 km et deux escales. Le sultan était accompagné de ses deux fils, de sa deuxième épouse qui était enceinte de six mois et de ses huit concubines. Il atterrit le 28 janvier 1954 au matin à Tananarive où un thé lui fut servi à l’aérogare avant le départ pour Antsirabe où il devait être logé au centre militaire qu’il avait fallu vider de ses occupants en particulier des retraités de l’armée qui passait des jours paisibles en cure. La vaisselle en porcelaine du camp fut remplacée par l’argenterie. On installa des tapis de laine et des réfrigérateurs et en recruta du personnel malgache pour la cuisine. Mais l’accueil avait été très froid, le haut-commissaire français à Madagascar Robert Bargues avait précisé que le souverain devait être placé sous surveillance stricte de la police et éventuellement de la troupe.
Le prince héritier était alors très fiévreux, François Cléret (1918-2014), médecin de la garnison malgache et futur médecin du Palais royal, diagnostiqua une angine aiguë et administra de la pénicilline mais le souverain qui s’était inquiété pour son fils s’inquiétait aussi pour le reste de sa famille d’autant que sa première épouse Abla et ses trois filles devraient le rejoindre prochainement et il trouvait l’endroit exigu et inadéquat, et c’est alors que les Français lui proposèrent de s’établir à l’hôtel des Thermes, une belle bâtisse de style colonial construite en 1897. Il fallut cependant un mois de travaux pour accueillir convenablement le sultan et 35 personnes de sa suite. Une vingtaine de domestiques malgaches et comoriens dirigés par l’intendant et le maître d’hôtel européens s’occupaient exclusivement du sultan et de sa suite. On mit à leur disposition des véhicules en nombre suffisant. Parfois le sultan se rendait à Tananarive pour la journée en complet gris, il allait voir son opticien, faisait du shopping ou déjeunait en ville mais nonobstant sa grande courtoisie, il était mélancolique et se considérait comme moins chanceux que ses oncles Moulay Hafid qui finit ses jours à Enghien près de Paris ou Moulay Abdelaziz à Tanger ou encore que l’ex bey de Tunis Moncef Bey qu’on avait logé dans un château français, la villa Cadaval à Pau.
Les Malgaches croisaient sa longue silhouette taciturne le long des grandes avenues qui reliaient l’hôtel au centre-ville le sultan, il s’arrêtait chez les commerçants y effectuant des achats pour sa famille. Généralement il se promenait à pied. Les Français le reconnaissaient mais beaucoup de Malgaches le prenaient pour le négus ou pour le roi Farouk. Dans cette île essentiellement chrétienne ce qui surprenait c’était surtout le nombre de femmes du sultan qui se promenaient par petites fournées le soir et les femmes du harem étaient toutes vêtues de gandouras grises et avaient seulement un voile de couleurs différentes qui masquait leur visage. Deux ans plus tard elles embarquèrent dans le même anonymat, elles étaient seulement les passagers 1 à 23, mais quand elles s’asseyaient on découvrait leurs hauts talons et leurs chevilles gainées de soie, selon les mots du journaliste Max Jalade. Elles consultaient cependant volontiers une cartomancienne d’origine libanaise chez laquelle elles se découvraient. Chaque semaine les princes et les princesses s’y rendaient aussi.
Parmi tous ceux qui étaient exilés avec le sultan, il y avait un prince qui lui avait choisi son exil pour l’accompagner, un grand jeune homme mince de 26 ans, au visage doux, un peu triste, le prince Moulay Ali, neveu de l’ex-sultan, qui voulait partager le sort de son oncle. Il disait : « C’est moi qui ai choisi mon sort. Je suis un privilégié… Combien d’autres Marocains auraient voulu pouvoir le faire… »
Si les autorités françaises avaient choisi le droit d’aînesse Moulay Ali qui était le fils unique du prince héritier Moulay Idris (1908-1962), lui-même fils du sultan Moulay Youssouf, aurait été roi du Maroc. Né en 1924, il fut ambassadeur de France et conseiller spécial du roi Hassan II et épousa Lalla Fatima la fille aînée de son oncle, il mourut en 1988.
Sur cette période voir : Frédéric Garan, Un sultan à Madagascar, Université de la Réunion (IUFM / CRESOI-EA12), http://espe.univ-reunion.fr/fileadmin/Fichiers/ESPE/bibliotheque/expression/33/Garan.pdf
Après 21 mois les négociations entre les nationalistes et la France étant presque achevées on pouvait songer à faire rentrer le sultan d’autant plus que cet exil avait provoqué deux années de violence car l’Istiqlal en avait profité pour exalter la figure du roi libérateur.
Le 1er novembre 1954 ce fut la sanglante Toussaint d’Algérie et il fallut alors lâcher du lest au Maroc et en Tunisie pour ne pas sacrifier les départements français d’Algérie. Edgar Faure président du Conseil, négocia à Aix-les-Bains avec les nationalistes en vue du retour de sultan. Le voyage du retour fut fixé au 28 octobre jour de la naissance du Prophète, jour du Mouloud, et le sultan constatant qu’il était parti le jour de l’Aïd remercia Dieu pour cette grâce supplémentaire. Cependant le vol fut repoussé de deux jours à cause de la météo ce qui permit au souverain de faire ses adieux à ses amis et à ses fournisseurs et d’accomplir les ressources mais la prière du vendredi, et de célébrer le Mouloud avec les Malgaches musulmans. Comme on n’avait pas la place de tout emporter on laissa à Antsirabe une bonne partie des bagages avec par exemple les jouets de la petite princesse Lalla Amina qui y était née le 8 avril 1954, trois mois après l’arrivée de la famille à Madagascar et l’on fut heureux de les distribuer aux enfants des domestiques, tandis que les machines à coudre des femmes du sultan étaient données à la ville pour les lépreux et que Moulay Hassan offrit toute sa bibliothèque très importante à la Fondation des vieux coloniaux ne gardant que la Bible et les Mémoires d’outre-tombe.
Le 30 octobre 1955 au petit matin le roi monta dans une grosse Ford conduite par son fils aîné. Tous les cent mètres le cortège était salué par des gardes malgaches. À l’aéroport les honneurs lui furent rendus par 12 soldats en short et bandes molletières portant des fusils Lebel avec baïonnette au canon, raconta plus tard Hassan II. Le 31 octobre 1955 Mohamed arriva en France et s’entretint avec le ministre des affaires étrangères Antoine Pinay à la suite de quoi il fut précisé que le Maroc allait retrouvé sa souveraineté et devenir un État démocratique à monarchie constitutionnelle. Le 16 novembre 1955 Mohamed V débarqua à l’aéroport de Rabat accueilli par une marée humaine de dizaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants venus de tout le Maroc. Il monta dans une limousine découverte pour se rendre au Palais saluant la foule. Deux jours plus tard, le 18, 100 000 personnes écoutèrent le discours du trône : « Nous nous réjouissons de pouvoir annoncer la fin du régime de tutelle du protectorat et l’avènement d’une ère de liberté et d’indépendance. »
Cosmo
26 novembre 2016 @ 22:03
Cher Gérard,
Merci pour toutes ces précisions !
Nous étions avec mes parents à la même période à Antsirabé, en villégiature. Ils croisaient souvent le Sultan Mohammed V dans les rues, voire dans des boutiques. Il était d’une politesse exquise. On n’en disait pas autant de son fils. Celui-ci s’était vu interdire l’entrée du Mess des Officiers français, je ne sais plus pour quel motif.
Que de souvenirs remontent à ma mémoire !
Amicalement
Cosmo
marie francois
28 novembre 2016 @ 09:35
Gerard
J’ai moi aussi des souvenirs d’Antsirabé.
Durant l’été 55, ma famille et moi avons traversé Antsirabé pour nous rendre dans le sud malgache et je me souviens de mon pere nous disant lorsque nous sommes passés devant l’hotel des thermes : c’est ici que réside le sultan du Maroc.
J’étais petit à l’époque . J’entendais tellement parler du Maroc que j’imaginais un immense pays que je situais vaguement au nord est de la France, je ne sais pourquoi.
Gérard
26 novembre 2016 @ 14:03
Pour ce qui concerne le Mouflon d’Or à Zonza le grand bâtiment principal existe encore mais n’est plus affecté à l’hôtellerie. L’hôtel maintenant est une résidence de tourisme trois-étoiles composée de villas dans un grand parc. L’hôtel aurait été connu du sultan avant l’exil.
Cosmo
26 novembre 2016 @ 22:07
Cher Gérard,
Vous allez croire qu’il était de mon destin de croiser le sultan du Maroc…mais il se trouve que je connais bien le Mouflon d’Or et Zonza. Pauvre sultan, car si l’Alta Rocca est une région splendide, c’est tout de même le bout du monde et le Mouflon d’Or n’a jamais été un palace. Le séjour à l’Ile-Rousse fut sans doute plus agréable à la famille royale marocaine…but nowhere is better than home…
Amitiés
Cosmo
Gérard
27 novembre 2016 @ 13:56
Cher Cosmo les photos que l’on voit de l’hôtel à l’époque ne sont pas très encourageantes en effet malgré le cadre.
Bon dimanche et amitiés.
marie francois
26 novembre 2016 @ 21:07
Merci, Gerard, pour cette relation tres détaillée du séjour à Antsirabé du sultan du Maroc, puisque c’était le titre qui lui était décerné à l’époque.
Il eut été étonnant que son petit fils , Mohammed VI, se rendant à Madagascar, ne s’en souvienne pas. Cela s’effectue à l’occasion des journées de la francophonie et il est interessant de noter que cela semble s’effectuer sans rancoeur vis à vis de l’ancienne puissance coloniale.
Pour ce qui vous concerne , qu’est ce qui vous a amené à faire une telle couverture de l’évenement? Y étes vous concerné , personnellement ou par tradition familiale?
Cordialement
MF
Gérard
27 novembre 2016 @ 13:54
J’aime beaucoup le Maroc et si je ne connais pas Madagascar j’ai des amis malgaches mais ce qui est fascinant je crois c’est la manière dont les uns et les autres peuvent supporter l’exil et aussi sans doute l’injustice qui fut faite au sultan.
Zakarim
28 novembre 2016 @ 09:18
Le Roi Mohammed VI s’est rendu a l’Hotel où à était assigné a résidence son grand père le Roi Mohammed V et le Maroc va financé la construction d’un hôpital et d’un centre de formation professionnelle dans la ville pour remercier les malgaches de leurs hospitalité .
voici quelques activité du souverain…….
Antsirabe – SM le Roi Mohammed VI, que Dieu L’assiste, accompagné de SA le Prince Moulay Ismail et du président malgache, M. Hery Rajaonarimampianina, a visité, mercredi à Antsirabe, l’hôtel « Les thermes » où séjournaient feu SM le Roi Mohammed V et la famille royale lors de leur exil forcé en 1954 à Madagascar.
Antsirabe – SM le Roi Mohammed VI, que Dieu L’assiste, accompagné de SA le Prince Moulay Ismail, et le président de la république de Madagascar, M. Hery Rajaonarimampianina, ont procédé, mercredi à Antsirabe, au lancement des travaux de construction de l’hôpital « Mère et enfant » et d’un complexe de formation professionnelle.
Ces projets, d’un investissement global de 220 millions de dhs, assuré par la Fondation Mohammed VI pour le développement durable, confirment la vision royale constante en faveur d’une coopération Sud-Sud forte, agissante et solidaire.
L’hôpital « mère et enfant », qui sera réalisé sur une superficie de 50.000 M2, mise à disposition par la commune urbaine d’Antsirabe, dont 8.000 m2 couverte, sera mis en service en mars 2019.
S’agissant du complexe de formation professionnelle, il sera réalisé sur une superficie globale de 25.000M2 (parcelle mise à disposition par la commune urbaine d’Antsirabe), dont 8.000 M2 couvertes.
mapnews.ma
voici la vidéo du Jt en FR :
https://www.youtube.com/watch?v=K0DLtu5UwAs
cordialement
Baboula
28 novembre 2016 @ 16:19
Merci pour cette page d’histoire qui me repose des frusques de l’une et Botox de l’autre.