Le 17 juin 1804, Marie Łączyńska devint comtesse Walewska. Et c’est sous ce nom qu’elle passera à la postérité.

« On me para (sic), on me conduisit à l’autel, on souleva ma main pour la placer entre celles de celui qui en obtenait l’acquisition. Je ne sais ni ce que je faisais, ni ce que je pensais, ni même ce qui se passait autour de moi alors. » Ci-dessus, Sainte Margaret, église de Kiernozia.

Intérieur de l’église

La tristesse et l’apathie de la mariée faisaient contraste avec le bonheur de son mari et de sa mère.

Ils partirent en voyage de noces, dans un classique tour d’Italie. A Rome, ils furent reçus dans l’aristocratie, le comte étant allié des Colonna. Son nom était en fait Colonna-Walewski. La relation famille entre les Walewski et les princes Colonna est loin d’être certaine. Pour Marie, il semble qu’ils étaient reçus en cousins. Mais dans ouvrage sur la descendance de Napoléon et Marie Walewski, il est dit que le nom Colonna attaché à Walewski prend racine dans l’histoire de la Pologne. Selon le comte Walewski, chef de la branche française, « Cette famille prétend, que le mot « kolumna » polonais aurait été attribué  en complément du patronyme d’un Walewski, par le roi polonais de l’époque, en remerciement de sa tenue irréprochable et ferme au combat, comme une colonne, contre des troupes ottomanes au XIVème siècle. » ( Communication personnelle faite à l’auteur).

Les armes des Walewski sont décrites ainsi : « Coupé au 1. D’or à l’’aigle à deux têtes naissante de sable,, le vol étendu couronné d’or : au 2. D’azur à la colonne d’argent sommée d’une couronne d’or. » ( extrait du N° 635 des « Chercheurs et Curieux » de Juillet août 2005.)

Armes des Colonna-Walewski

Parente des Colonna ou non, la nouvelle comtesse entre dans une famille importante et fortunée de la grande noblesse polonaise, ordre auquel elle-même appartient mais au niveau de la petite noblesse.

De retour à Walewice, le couple mena la vie qu’il s’était choisie, lui heureux d’être au bras d’une aussi jeune belle femme qu’il présenta à tout le monde, elle résignée « languissante, triste, apathique, puisant ma résignation dans la prière et mes exercices religieux. »

Enfin Marie revint à la vie grâce à la maternité. « Il me semble que j’avais quitté la vie pour moi et que c’était mon fils qui la recommençait. »

Le 13 juin 1805 naquit Antoine Basile Rodolphe Colonna-Walewski. Elle doublement attachée à son enfant tout d’abord en tant que mère et ensuite en tant que polonaise. Son fils aurait pu être russe si elle avait épousé Souvorov, mais il était polonais et elle en tirait de la fierté. Ses sentiments patriotiques s’étaient assoupies dans la léthargie de son mariage. Son fils les réveilla.

Napoléon en 1806 par Franz Gerhard von Kügelgen

En 1806, Napoléon, empereur depuis près de deux ans, est le centre d’attention des polonais qui mettent beaucoup d’espoir. Marie écrit : « Nous étions à l’époque où le vainqueur de l’Europe donnait des lois au monde comme aux souverains ! Disposait des états à sa volonté – élevant de nouvelles dynasties, rabaissant les anciennes ! Quel temps ! Plus propice pour nos espérance ! Aussi la fermentation était-elle générale ! Revendiquer nos droits, notre indépendance nationale, secouer un joug honteux, oppressif et illégitimes où nous tenaient les trois puissances réunies ! Il était le sauveur universel qui, filtrant depuis la haute classe jusqu’au peuple, faisait mousser les esprits…La France devint la patrie adoptive des proscrits, ainsi que de tous les nobles et dignes fils de la mère commune. »

Alexandre Ier de Russie par George Dawe

Les Polonais sont certains que Napoléon va leur venir en aide. Le 2 décembre 1805, à Austerlitz, n’avait-il pas battu à plate couture les troupes du tsar Alexandre Ier et de l’empereur d’Autriche, François II ?

François Ier d’Autriche

L’empereur des Français y avait révélé son génie militaire. Tous les espoirs sont donc permis aux Polonais. Beaucoup d’entre eux se mettent au service de la France. En 1806, à Iena, ce sont les Prussiens, troisième puissance occupante de la Pologne, qui sont vaincus par Napoléon.

Napoléon passe en revue la Garde impériale à Iéna par Horace Vernet.

Marie Walewska, «  pénétrée d’une exaltation patriotique qui m’a occupée uniquement et ranimait ma vie » ne va pas tarder à rencontrer l’homme et le destin qui firent d’elle probablement la polonaise la plus connue de toute l’histoire.

« Napoléon, cet homme au bras de fer qui n’avait qu’à vouloir pour conquérir le monde – alors – après avoir humilié l’Autriche, anéanti la Prusse, agrandi la Bavière, la Westphalie, la Saxe et allait enfin s’occuper des destinées de la Pologne. Son arrivée attendue ardemment dans la capitale nous paraissait la fin de tous nos maux »

Miniature de Maria Walewska par Marie-Victoire Jaquotot

Le couple Walewski s’était installé à Varsovie en septembre 1806, louant un hôtel particulier digne de leur fortune. Marie fit son entrée dans le grand monde, dans lequel, au mécontentement de son mari, elle ne se sentait pas à l’aise. Mais le grand événement en préparation, souhaité et attendu par toutes les classes sociales, était l’arrivée de Napoléon.

« Tous attendaient avec une expression de joie, de triomphe, de noble orgueil cette arrivée tant désirée. J’étais apparemment plus tourmentée que les autres de cette fièvre d’impatience puisque je formai le projet irréfléchi , et j’engageais une de mes cousines, de m’accompagner pour aller au-devant de lui, ne fût-ce que pour l’entrevoir. Cette imprudence décida de mon sort et me priva de mon repos tout en croyant faire l’action la plus méritoire. »

Marie raconte ainsi sa première entrevue avec l’empereur :
« Vêtue simplement d’un chapeau noir à voile de la même couleur nous montâmes précipitamment avec mystère dans une calèche attelée de quatre bons chevaux au moment où les courriers venaient d’annoncer que Sa Majesté n’était plus qu’à une poste de Bronie. Incapable de raisonner, de réfléchir, je m’abandonnai à cet enthousiasme, à cette exaltation délirante universelle, alors persuadée que tout polonais, toute polonaise ne saurait trop faire paraître d’empressement à l’arrivée de celui que nous considérions comme le sauveur de la patrie…Descendues de voiture nous nous plaçâmes de manière à bien voir dans la direction que nous présumions la plus convenable. Mais seules femmes sans un homme pour nous protéger nous fûmes tellement enveloppées par la foule avide comme nous de l’apercevoir qu’il nous fut impossible de la forcer. Pressées, moulues, nous étouffions. Désespérée de la situation dangereuse où je me trouvais et craignant de manquer le triomphe…je jetais des cris de détresse…et un moment après je distinguais un militaire français de haut grade…j’élevais mes mains vers lui et m’écriais d’une voix suppliante en français : Ah Monsieur, tirez-nous d’ici et faite que je puisse l’entrevoir un instant, un seul instant ! Il nous dégagea en souriant, me tenant par la main il me conduisit à la portière de la voiture de l’empereur auquel il dit en me présentant : Sire, voyez celle qui a traversé les dangers de la foule pour vous ! Napoléon ôta son chapeau, se pencha vers moi, je ne sais ce qu’il me dit alors car j’étais trop pressée de lui exprimer ce dont j’étais pénétrée : Soyez le bienvenu, mille fois le bienvenu sur notre terre! Rien de ce que nous ferons nous rendra d’une manière assez énergique, ni les sentiments d’admiration que nous portons à votre personne ni le plaisir que nous avons à vous voir fouler le sol de cette patrie qui vous attend pour se relever. »

Général Duroc, duc de Frioul, maréchal du Palais 1772-1813

Marie était transportée, voire délirante. Elle continue son récit « Napoléon me regardait attentivement, il prit un bouquet qui était dans la voiture et me le présentant dit : Gardez le comme garant de mes bonnes intentions, nous nous reverrons à Varsovie, je l’espère et je réclamerai un merci de votre belle bouche. »

Marie pensait rêver, incapable de croire qu’elle avait vraiment vu l’empereur et qu’il lui avait donné un bouquet.

Certains historiens mettent en doute cette première rencontre. Mais pourquoi ne pas croire le récit qu’en a fait l’intéressée elle-même ?

Si, selon son récit, Marie Walewska ne se vante auprès de personne de son escapade, il n’en est pas de même pour la cousine qui l’accompagnait. Aussi Marie eut-elle la surprise de recevoir un message d’un personnage important lui demandant de le recevoir. Il vint à midi et l’aborda en disant : « Madame, je viens vous demander pourquoi vous nous privez de l’avantage de faire admirer à notre auguste maître des plus belles fleurs de notre sol… aussi viens-je vous supplier de ne plus nous tenir rigueur et d’accepter l’invitation d’un bal chez moi. Je présume que vous n’avez plus besoin d’être présentée. Nous savons tout. » L’émissaire lui reprocha sa modestie car l’empereur après un dîner donné par le comte Stanislas Potocki, où il put admirer les plus belles femmes de Varsovie, s’étonna devant le général Duroc de ne pas y avoir vue « cette délicieuse inconnue de la poste de Blonie. »

Il semble qu’à la demande de Napoléon, on se soit mis à la recherche de l’inconnue. Le général Duroc et le prince Poniatowski finirent par découvrir qui elle était, grâce à l’indiscrétion de la cousine.

L’émissaire ajouta : « Allons, Madame, j’espère que vous serez des nôtres maintenant, que vous ne priverez plus de votre présence le Héros, en nous permettant de jouir de vos succès. » Marie hésite à accepter car si elle a rencontré l’Empereur, incognito, ce n’était pas pour se faire remarquer mais pour être la première à lui offrir l’hommage de Varsovie. « Je laisse à d’autres mérites l’honneur de lui plaire et de l’occuper » L’émissaire insista en lui demandant de déployer tous ses moyens de séduction « Faites la Circé , je vous en conjure. Sous la bannière du patriotisme nous vous suivrons tous, et qui sait, peut-être le ciel se servira—t-il de vous pour réaliser et accélérer le but vers lequel tendent tous nos désirs, toutes nos espérances. Vous mettrez peut-être aussi un jour au nom des heureuses chances de votre vie l’occasion qu’il vous donne d’être utile à la patrie, d’influencer son rétablissement. » Paroles de courtisan qui veut plaire au maître ou paroles de patriote qui veut par tous les moyens servir sa patrie ? Toujours est-il qu’il connaissait bien les sentiments de Marie « Ah Mon Dieu, tant de bonheur ne m’est pas réservé. » dit-elle. Pour elle le bonheur n’était pas de rencontrer ou de séduire Napoléon, le bonheur était de faire quelque chose d’utile à sa patrie.

Prince Joseph Poniatowski par Józef Grassi.

D’autres, principaux représentants et hommes d’état, vinrent la trouver ensuite pour la convaincre. Elle fut mise au pied du mur et se vit dans l’obligation d’assister au bal donné par le prince Poniatowski en l’honneur de l’empereur. Et ce d’autant que le comte Walewski, flatté de voir sa femme ainsi sollicitée, lui demanda d’accepter et exigea de ne pas épargner la dépense pour sa toilette. Il devait bien se douter que si l’empereur des Français souhaitait voir sa femme, ce n’était pas uniquement pour le plaisir de la conversation.

Palais Plod Bacha, résidence du prince Poniatowski à Varsovie

Marie choisit une simple robe de satin blanc avec un châle de gaze et un diadème de feuillage. Dans la crainte de manquer Napoléon, le comte Walewski pressait sa femme de finir sa toilette et de monter en voiture. Dès son arrivée Marie fait sensation mais elle cherche à se fondre dans la foule élégante, en vain. Le prince Poniatowski lui murmure : « On vous attendue impatiemment. On vous a vue arriver avec joie. On est content de vous avoir retrouvée. On s’est fait répéter votre nom jusqu’à l’apprendre par coeur…Et on m’a donné l’ordre de vous engager à danser ». La réponse de Marie fuse : « Je ne danse pas, je n’ai nulle envie de danser. » « C’est un ordre, Madame, auquel vous ne pouvez vous soustraire. » « Un ordre ! L’ordre de danser mais je ne suis pas une pirouette à faire tourner à volonté » dit-elle en riant. Et devant les reproche du prince Poniatowski lui faisant voir que l’empereur la regardait. « Il a beau nous observer, je ne quitterai pas ma place. Allez lui dire que je veux pas danser. » « Mais vous plaisantez, Madame, certainement mon intention n’est pas de me compromettre». Le couple attirait tous les regards et il est probable que chacun savait ce dont il s’agissait. Le prince la quitta et rendit compte de l’échec de sa mission au Maréchal Duroc.

Napoléon

Napoléon alors fit le tour des dames pour se les faire présenter. A chacune, il adressait un compliment. Marie tremblait de le voir arriver près d’elle. Au moment fatidique, elle s’entendit dire : « Le blanc sur le blanc ne va pas, Madame » et puis tout bas « Ce n’est pas l’accueil auquel j’avais le droit de m’attendre. » Et il passa non sans l’avoir observée attentivement. A dix-huit ans et demie, troublée, Marie était dans la la grâce de sa fraîcheur.

Le départ de l’empereur libéra l’atmosphère qui, d’un coup, fut plus joyeuse. Marie la timide fut soulagée du malaise voire du sentiment de honte qui s’était emparée d’elle.

Il semble que Napoléon ait adressé à biens des invités des questions malencontreuses que chacun se répétait à l’envie. Tous voulaient savoir ce qu’il avait dit à la comtesse Walewska. Ce fut de ses voisines qu’ils apprirent la remarque désobligeante, mais ne purent toutefois répéter la fin de la phrase dite à voix basse. Sur le chemin du retour, son mari lui posa également la question en lui annonçant qu’il avait accepté une invitation à un dîner auquel serait également présent l’empereur. Il lui recommanda d’être mieux parée à cette occasion. Elle s’étonna de la naïveté du comte qui ne semblait pas réaliser le but poursuivi par Napoléon. Elle fut tentées de lui ouvrir les yeux. Et elle avait bien raison car à peine dans son appartement, sa femme de chambre lui remit un billet que le prince Poniatowski avait été chargé par l’empereur de lui remettre, écrit et signé de sa main : « Je n’ai vu que vous. Je n’ai admiré que vous. Une réponse bien prompte pour calmer l’impatiente ardeur

C’était direct et sans ambages. Elle ordonna à sa femme de chambre de dire qu’il n’y avait pas de réponse. Mais le messager ne se tenait pas pour battu. Il suivit la femme de chambre et à travers la porte, il lui demanda de changea d’avis, pendant une demie-heure, mais elle tint bon. Et le prince Poniatowski repartit sans autre réponse.

Le lendemain, Marie eut à nouveau à montrer sa détermination. Elle reçut un deuxième billet dans les mêmes termes que le premier. Elle les mit tous les deux dans une enveloppe et les renvoya à l’expéditeur. Mais ses épreuves n’étaient pas finies. Napoléon n’était pas habitué à ce qu’on lui résiste. Le comte Walewski vint la prévenir que le Maréchal Duroc et d’autres grands personnages, en fait les membres de la Commission de gouvernement, chargée d’administrer la Pologne, avec probablement parmi eux Stanilas Malachowski, son président, l’attendaient au salon. Elle refusa de descendre prétextant une migraine. Son mari était furieux. Elle était « indignée, courroucée, humiliée » que Napoléon ait pris son élan de patriotisme à Bronie pour une avance amoureuse.

Stanislas Malachowski (1736-1809)

Mais c’était mal connaître Napoléon et ses émissaires que le comte Walewski introduisit lui-même dans les appartements de Marie. « Le porteur du billet était là devant moi lançant des regards foudroyants. » Il s’agissait du prince Poniatowski.

Il n’est pas inutile de rappeler ici qui il était. Né en 1763, il commença sa carrière dans l’armée autrichienne où il devient colonel et aide de camp de l’empereur. En 1789, il quitte l’armée autrichienne pour rejoindre son oncle le dernier roi de Pologne. Il intègre l’armée polonaise en tant que major-général. Stanislas II Auguste lui confie le commandement de l’armée polonaise d’Ukraine lors de la Guerre russo-polonaise de 1792. après la capitulation de Stanislas II, il quitte l’armée suivi des meilleurs officiers. En 1794, il rejoint l’Insurrection de Kościuszko et se bat comme simple soldat pour l’indépendance de la Pologne, mais il reçoit tout de même le commandement d’une division. Après l’échec de l’insurrection, il se retire dans ses terres, jusqu’en 1806 où il est nommé gouverneur de Varsovie par Frédéric-Guillaume III de Prusse.

À l’arrivée de Napoléon, et avec la formation du gouvernement provisoire du Grand duché de Varsovie, le prince Poniatowski se rallie à l’Empire, pensant que cela est la seule chance pour la Pologne de retrouver son indépendance et son territoire. Il est fait ministre de la Guerre du grand-duché et généralissime. Il défend les frontières contre les Autrichiens et les repousse en 1809, lors de la bataille de Raszyn.

À la tête de ce ministère, il réorganise une nouvelle armée polonaise qui se distingue par la suite dans toutes les futures batailles napoléoniennes.

Il était donc déjà à l’époque de Marie un personnage considérable en Pologne, de par son nom, sa fortune et sa position, en passe de le devenir dans toute l’Europe. On ne peut qu’admirer la comtesse Walewska d’avoir su lui résister. Mais il était dit qu’il influerait sur sa destinée par la constance de son insistance. Il ne fut pas seul, car le comte Walewski insistait aussi pour que Marie acceptât d’être présentée à la Cour impériale et qu’elle s’initiât aux arcanes de son étiquette.

Un personnage, dont le nom n’est pas cité, « un père de famille respectable » lui dit enfin d’un ton sévère : « Tout doit céder, Madame, en vue de considérations si hautes ! si majeure! pour toute une nation ! Nous espérons donc que votre mal ( la migraine supposée, prétexte invoqué par elle ) passera d’ici au dîner projeté, duquel vous ne pouvez vous dispenser sans paraître mauvaise polonaise. » (merci à Patrick Germain pour cette troisième partie)