C’est en 1867 que le prince Otto von Bismarck, duc de Lauenbourg achète la commune de Varzin dans l’arrondissement de Rummelsburg. C’est là que vit encore en 1945 sa belle-fille la comtesse Sybille von Bismarck, née von Arnim, veuve de son fils Wilhelm.
Wilhlem (1852-1901) est le troisième enfant du chancelier Bismarck. Il a épousé à Kröchlendorf en 1885 Sybille von Arnim née en 1864 à Berlin. De cette union sont nés : Herta (1886-1954), Irene (1888-1982), Dorothée (1892-1975) et Wilhelm (1896-1940).
Dans ses mémoires, la comtesse Marion von Dönhoff « Une enfance en Prusse-Orientale » raconte son exode vers l’Ouest et son départ du domaine familial de Friedrichstein qui fut détruit par l’armée rouge.
Elle fait halte en janvier 1945 à Varzin où elle découvre le château. La comtesse constate que l’on évacue en urgence les archives d’Otto von Bismarck.
Elle fait la connaissance de la comtesse Sybille von Bismarck qui avait la réputation d’être assez anti-conformiste, chassant à courre avec les hommes, fumant des cigares en société,…
Alors âgée de 81 ans, la belle-fille de Bismarck a pris sa décision : elle ne quittera pas Varzin malgré l’approche de l’armée rouge.
« Toutes les mises en garde et les raisonnements n’avaient servi à rien. Elle était parfaitement consciente qu’elle ne survivrait pas à l’arrivée des Russes. Elle ne désirait du reste pas y survivre et c’est pourquoi elle avait fait préparer sa tombe dans le parc (parce que disait-elle, ensuite plus personne n’en aura le temps). Elle voulait rester à Varzin pour jouir de son ays jusqu’au dernier moment et c’est ce qu’elle fit avec beaucoup de grandeur. »
La comtesse Marion von Dönhoff partagea deux jours avec la comtesse Sybille von Bismarck. Un vieux domestique était resté avec elle, ne désirant pas non plus quitter Varzin. On mangeait encore avec l’étiquette d’usage et on buvait des vins millésimés.
Sybille von Bismarck évoqua son beau-père, la vie à la Cour impériale et ce monde qui allait être englouti.
Lorsque la comtesse Marion se remit en route, la comtesse Sybille la raccompagna sur le perron et agita avec un sourire un petit mouchoir.
La comtesse Sybille von Bismarck se suicida dans la nuit du 5 au 6 mars 1945 lors de l’arrivée des troupes russes. Elle fut enterrée dans le mausolée familial qui fut détruit en 1957.
Le château a été transformé en un collège forestier. On trouve encore à l’intérieur une représentation du cheval de Bismarck, Schmetterling.
Varzin est devenu Warcino et se trouve auourd’hui en Poméranie polonaise. (Source : Comtesse Marion von Dönhoff, « Une enfance en Prusse-Orientale », Lacurne, 2018, pp.188-189)
Émilie 09
14 janvier 2019 @ 08:31
Sybille devait être une femme très têtue et/ou de fort caractère et d’une certaine façon je la comprends. Mais pour finir par se suicider, je pense que son histoire aurait pu être moins dramatique et peut être plus surprenante si elle avait fait un choix différent.
Leonor
14 janvier 2019 @ 12:43
Moins dramatique ? Voire.
Lors de l’avancée des troupes soviétiques, le sort des populations de Prusse orientale a été terrible. Celui des femmes encore plus. Des centaines de milliers de femmes allemandes ont été violées. Et pas que par les Soviétiques.
Ici, un article de Libération sur le sujet :
https://www.liberation.fr/planete/2009/02/13/rouge-cauchemar_309881
Lire aussi le livre du formidable historien britannique Keith Lowe
« Savage Continent: Europe in the Aftermath of World War II », publié en français sous le titre » l’Europe barbare , 1945-1950″, chez Perrin, coll. Tempus.
De quoi desciller les yeux. Effarant. De quoi desciller les yeux pour qui les aurait encore collés par la bonne conscience française qui a prévalu après-guerre.
Ici un article en ligne sur le livre :
https://www.lexpress.fr/culture/livre/d-apres-keith-lowe-la-guerre-n-etait-pas-finie_1227176.html
Et le livre ne concerne pas que la Prusse orientale, mais toute l’Europe.
De même, regarder le film » Allemagne , mère blafarde ».
https://www.lemonde.fr/cinema/article/2008/12/09/allemagne-mere-blafarde-la-redecouverte-d-un-film-phare_1128789_3476.html
Terrible, terrible.
Cela fait seulement quelques années que la parole des Allemands peut commencer à se dire, sur ce qu’eux-mêmes ont subi. Par la littérature essentiellement, le cinéma aussi.
C’était auparavant encore quasiment impossible, le reste du monde les réduisant au mutisme avec quelque raison par cette injonction » Bien fait pour vous, c’est vous qui avez déclenché la guerre. » .
D’où des traumatismes supplémentaires, car fossilisés, enkystés , sur plusieurs générations.
Impératif de mutisme d’une certaine façon logique.
Mais excellent moyen aussi pour les Français en particulier, historiens exceptés et encore, de rester dans le déni de leur propre part de responsabilité ( cf. collaboration, Vichy).
Zorro
14 janvier 2019 @ 16:59
Mouais….
L’article de Libération mentionne :
« Selon les estimations, entre 10 et 90 % des femmes qui se trouvaient à Berlin à la fin de la guerre ont été violées par les Russes ».
Entre 10 et 90% …. La fourchette est pour le moins large !
Sans remettre en cause l’existence de crimes de guerre soviétique en Allemagne, ceux-ci n’ont pas été plus terribles que ceux commis par les SS et la Wehrmacht dans les territoires soviétiques dévastés entre 1941 et 1945.
Par ailleurs, il ne faut pas non plus oublier les bombardements des gentils alliés sur les villes allemandes et donc sur les civils plus ou moins innocents (Dresde, Berlin) sans qu’il n’y ait eu une quelconque utilité militaire.
Je rappelle aussi qu’à peu près 27.000.000 de Soviétiques sont morts pendant la seconde guerre mondiale et que, sans l’armée rouge, l’Europe serait probablement encore aujourd’hui sous régime nazi.
Leonor
17 janvier 2019 @ 09:57
Personne n’a jamais dit le contraire.
Mais cela, les exactions allemandes avant et pendant la guerre , tout le monde les connaît.
C’est bien ce que j’entends , et que la plupart auront compris, en écrivant : « Impératif de mutisme d’une certaine façon logique ».
Cette obligation de mutisme pendant des décennies, vous l’illustrez bien par votre post, Zorro.
Il n’empêche qu’on doit à la vérité historique de dire aussi à quel point les Allemands ont » payé ». Il ne s’agit pas d’établir une concurrence entre qui a fait le plus de saloperies. Il s’agit de regarder les choses en face, de tâcher d’établir les faits possibles à établir, hors d’une approche » nationaliste » , voire de parti pris ,du sujet.
Ce à quoi s’attachent les historiens actuels britanniques et américains spécialement .
Cette injonction de se taire ne pouvait ni ne devait durer éternellement.
NB : Libé est peu crédible sur les sujets historiques. Sur celui-ci, pas du tout.
Sarita
14 janvier 2019 @ 18:43
Puis-je rajouter Léonor, l’incroyable et formidable livre « Une femme à Berlin » qui est un témoignage autobiographique et anonyme d’une jeune allemande au moment de l’arrivée des troupes soviétiques ? C’est un livre plein d’energie et de débrouillardise qui ne verse pas dans la victimisation mais qui met en lumière la force des femmes.
Leonor
17 janvier 2019 @ 10:00
Oui, tout à fait, Sarita. Ce livre est édité en français ( Folio) . Donc accessible à tous.
Naucratis
14 janvier 2019 @ 19:02
Leonor, ce que vous avez écrit est parfaitement exact.
Merci de l’avoir fait !
Jade
16 janvier 2019 @ 01:48
Merci pour ces liens Leonor. Cela fait froid dans le dos mais les viols de guerre sont encore commis de nos jours, en Syrie et ailleurs et en masse, malheureusement. Je vais lire « Une femme à Berlin » que je ne connaissais pas.
Jean Pierre
14 janvier 2019 @ 09:11
Crépusculaire !
Francois
14 janvier 2019 @ 10:03
Beacoup d’admiration pour quelqu’un de cette trempe
Vivre jusqu’au bout ainsi
J’aurais fait exactement la même chose
Cela me fait songer aux aristocrates partant à la guillotine
en disant je vais rejoindre mon Roi
Philippe
14 janvier 2019 @ 11:22
Un monde englouti … Mais dont son beau-père, par son nationalisme pathologique et coupable, avait rendu l’engloutissement absolument inéluctable !
Sans la folie nationaliste dudit bonhomme, conjuguée à l’orgueil tout autant condamnable des tout petits Hohenzollern, l’Europe aurait pu connaitre un sort bien moins tragique. Honte à eux …
Pas question donc de pleurer une seconde sur le sort de cette Mme Bismarck …
Au contraire même, le sentiment, quelque part, d’une justice immanente.
EDWIGE
14 janvier 2019 @ 13:22
En quoi cette personne est-elle responsable des agissements de son beau-père ?
Zorro
14 janvier 2019 @ 14:02
Bismarck n’est pas responsable du déclin de l’Europe. Il n’est pas responsable de la Première guerre mondiale, à fortiori de la seconde. De même qu’il n’est pas responsable de la révolution bolchévique. Pour rappel, Bismarck a été écarté de la Chancellerie en 1890 et mort est en 1898.
Le system d’alliances Bismarckien (notamment l’alliance des trois empereurs), s’il avait perduré, aurait permis à l’Europe d’être une vrai vraie puissance continentale aux ressources illimitées qui se serait étendue de Lisbonne à Vladivostok.
Toute alliance continentale est intolérable aux yeux des Anglo-saxons qui ont toujours tout fait pour diviser l’Europe en attisant à la fin du 19e siècle le revanchisme français et en concluant une alliance contre nature entre la France, le Royaume Uni et la Russie. Le Foreign office méprisait le tsarisme et a toujours vu la Russie comme un concurrent à abattre (« Le grand jeu »).
L’Allemagne privée de son allié russe est devenue une puissance industrielle sous Guillaume II qui, allié de l’Empire ottoman, menaçait la prépondérance thalassocratique britannique avec le Berlin-Bagdad Bahn et le projet de base navale au Koweit.
L’impérialisme thalassocratique britannique (et de la City de Londres) a détruit, dans l’ordre, tous ses concurrents : l’Empire espagnol, l’Empire portugais, l’Empire chinois (guerre de l’Opium) l’Empire allemand (Première et Deuxième guerre mondiale). Le seul qu’elle n’a pas encore mis complètement à genou est l’Empire Russe.
Philippe
14 janvier 2019 @ 16:17
Vous n’aimez pas les anglais … je n’aime pas les prussiens !
Chacun son truc.
Zorro
15 janvier 2019 @ 10:05
Pour ma part, il ne s’agit pas d’une question de sentiment ou d’émotion, mais d’analyse.
Effectivement, chacun son truc.
framboiz 07
15 janvier 2019 @ 01:38
Bismarck a uni l’Allemagne a obtenu une guerre -1870 – ensuite , la messe était dite…
Comme vous, Philippe, je ne sortirai pas mon mouchoir …D’autant plus, que mes ancêtres étaient sur le chemin de l’armée allemande, trois fois,ce qui fait beaucoup et a eu des conséquences sur nos vies …
En général ,les riches,en plus s’en sortaient bien mieux…
Naucratis
15 janvier 2019 @ 12:03
Comme certains l’ont rappelé, tous les Allemands ne sont pas des criminels de guerre.
Si les crimes des nazis méritaient d’être punis, et certains l’ont été heureusement, les Alliés n’ont pas été sans reproches.
Ne sortez pas votre mouchoir si cela vous plait ainsi mais ne vous vantez pas de votre manque d’humanité !
Leonor
17 janvier 2019 @ 17:31
Framboiz… on ne peut plus raconter – et encore moins enseigner … – l’Histoire de façon aussi unilatérale que cela. Même et surtout si c’est ainsi qu’ en France on nous a, enfants, forcés à gober le » roman national ».
Les hommes qui avaient été mobilisés n’ont pour la plupart pas choisi d’aller à la guerre, en tout cas pas pendant les conflits de 1870 et en 1914. Quel qu’ait été l’Etat qui les a appelés sous les armes. C’étaient des hommes comme les autres. Et un mobilisé , s’il ne répond pas à la mobilisation, est considéré comme déserteur et, repris, est passé par les armes, avec ou sans tribunal.
Dans ma famille, en Alsace, on le sait mieux qu’ailleurs – où souvent on ne le sait pas – .Sur le Monument aux Morts de Strasbourg, la mère pleure deux fils morts, un sur chaque genou, sans uniforme. Et sur le socle est écrit » A nos morts ».
L’un de mes grands-pères est mort en 1918, sur le Chemin des Dames côté allemand, où combattait aussi, mais juste en face, le grand-père de mon mari. Mon autre grand-père a combattu sous le casque à pointe en Russie. Ses carnets de guerre racontent combien il est malheureux et désolé.
Et mon père ensuite ,lors de la Seconde Guerre Mondiale, a combattu successivement sous les deux uniformes. Sans qu’on lui ait jamais demandé son avis. L’un de ses collègues, que j’ai encore bien connu, a perdu une jambe à Stalingrad. C’était un homme d’une grande gentillesse, pas un ogre.
Ce genre d’histoire familiale évite tous les nationalismes, et toutes les visions unilatérales.
Revenez à votre habituelle vision humaine, Framboiz , Framboiz… Ca fait 70 ans que la WWII est terminée.
Roxane
14 janvier 2019 @ 11:39
Très intéressant ! On en apprend des choses sur N&R. Belle semaine à tous
Philippe Gain d'Enquin
14 janvier 2019 @ 11:54
Cette femme exemplaire est l’archétype même de la véritable aristocratie, celle qui sait faire face à ses heurs et malheurs avec force, dignité et respect d’elle même…
aubert
14 janvier 2019 @ 12:51
Un peu difficile à accepter votre commentaire, cher PGE. Se suicider est-ce aristocratique ? au Japon peut-être, mais en Europe chrétienne ?
Lors de l’occupation certains aristocratiques ont vu leur maison de province réquisitionnée par les allemands. Ils les ont supportés pendant plusieurs mois dignement en restant pleinement patriotes et sans se suicider.
Romantique, Wagnérien aujourd’hui ?
Philippe Gain d'Enquin
14 janvier 2019 @ 19:07
Et pourquoi pas cher Aubert.? Du Crépuscule des dieux aux « orgues » de Staline le parallèle m’avait échappé; merci à vous de m’y avoir intéressé. Cordialement à vous, Pge…
Naucratis
15 janvier 2019 @ 11:57
Je suis d’accord avec vous mais j’évoquerais davantage la véritable noblesse plutôt que la véritable aristocratie. Le terme me semble plus approprié.
Philippe Gain d'Enquin
16 janvier 2019 @ 00:00
Vous avez tout à fait raison, le terme est effectivement plus proche de ma pensée. Cordialement à vous, Philippe.
Corsica
14 janvier 2019 @ 12:20
La comtesse a choisi librement le moment de sa mort et le lieu de son ensevelissement. Je la comprends. Elle n’a pas voulu laisser le monde qu’elle aimait mais beaucoup d’autres personnes ont choisi de se suicider, notamment des femmes, par terreur de l’avancée de l’Armée Rouge dont la propagande nazie n’arrêtait pas d’évoquer les futures atrocités.
Leonor
14 janvier 2019 @ 18:19
Il y a eu propagande nazie, évidemment. Mais il y a bel et bien eu atrocités bolcheviques. Le massacre de Nemmersdorf a certes été déformé et instrumentalisé par Goebbels, mais il avait bien eu lieu. Entre autres.
Sarita
14 janvier 2019 @ 18:48
Corsica, j’ai donné le titre d’un livre formidable un peu plus haut et je crois que vous l’aimeriez beaucoup :-)
https://www.babelio.com/livres/Hillers-Une-femme-a-Berlin–journal-20-avril-22-juin-1945/42614
Corsica
15 janvier 2019 @ 10:49
Amie Leonor, je me suis probablement mal exprimée mais je connais les exactions, notamment les viols, commises par l’Armée Rouge mais aussi comme vous l’écrivez plus haut par les autres armées alliées.
Amie Sarita, c’est avec plaisir que je vais lire « Une femme à Berlin ». Merci.
Leonor
17 janvier 2019 @ 17:35
Oui, Corsica, je ne vous avais pas mal comprise, mais ne trouvais pas ( non plus ?) moyen de mieux m’exprimer sans ambiguïté . Amitiés. L.
Perceval
14 janvier 2019 @ 12:49
Quid de son vieux domestique ?
Mayg
14 janvier 2019 @ 12:51
Voilà une comtesse qui avait du caractère. Très intéressant cette histoire.
Ludovina
15 janvier 2019 @ 08:07
Heureux anniversaire Mayg.
Cordialement.
Mayg
15 janvier 2019 @ 14:10
Merci d’y avoir pensé Ludovina.
Auberi
14 janvier 2019 @ 15:05
Qu’est devenu le fidèle vieux domestique ?
Anne-Cécile
15 janvier 2019 @ 05:03
L’arrivée des Soviétiques en Hongrie vue par la Princesse Stéphanie de Belgique, ex-archiduchesse héritière d’Autriche-Hongrie et remariée à un comte hongrois, fut un peu moins tragique.
La Princesse refugiée dans une abbaye et très malade, cacha dans son lit sous ses épais draps deux petites paysannes terrorisées.
Les soldats soviétiques qui la trouvèrent furent décontenancés par les deux bosses l’entourant. Un souleva les draps et apparut très perplexe en découvrant les deux filles.
La Princesse mourut de cause naturelle peu de temps après.