Noblesse et Royautés : Monseigneur, votre père également prénommé Achille vient en Mingrélie lorsqu’il est enfant. Pouvez-vous nous raconter ?
Prince Alain : En 1906, lors d’un voyage en France, le prince Lucien vient chercher son fils Achille et l’emmène avec lui en Géorgie. Mon père a alors 6-7 ans.
Princesse Véronique Murat : Marie de Rohan-Chabot était une femme très cultivée et littéraire, elle avait son salon où elle recevait des personnalités du monde politique et culturel dont Maillol. Elle s’est d’emblée sentie totalement perdue en Géorgie. Lucien a auprès de lui sa sœur la princesse Antoinette Murat et son frère le prince Napoléon Murat. C’est Antoinette qui élève Achille qui la considère comme sa mère.
Prince Alain Murat : A l’arrivée de mon père en Géorgie, 200 cavaliers en tenue l’attendaient. Il est élevé comme l’héritier de Mingrélie. Il a toujours auprès de lui des chiens, 23 gardes et dormait avec sur sa table de chevet un revolver. On a vraiment peur qu’il lui arrive quelque chose ou qu’on le kidnappe.
Son éducation est confiée à un précepteur âgé de 23 ans, Monsieur Badji qui vient de Nice et que j’ai rencontré par la suite. Mon père avait appris le latin, le grec et le perse.
Mon père le prince Achille fait son service militaire en France lors de la Première Guerre Mondiale. Il sert au sein du 8ème régiment des cuirassiers. Il pilote des avions et s’écrase d’ailleurs à Motril près de Grenade en Espagne. Il en sort grièvement blessé et doit être opéré. Il a toutefois toujours eu ensuite une solide santé, étant très sportif.
Princesse Véronique Murat : En Géorgie, le prince Lucien est arrêté et mis en prison. La princesse Antoinette et le prince Napoléon Murat qui a perdu ses deux jambes (avant la guerre) se cachent dans la haute montagne à Gordi où la famille possède un nid d‘aigle qui a été démoli l’année passée.
Les circonstances ne sont pas très claires mais le fait est qu’un bateau français accoste au port de Poti à la Mer noire et permet ainsi l’évacuation de Lucien, Antoinette et Napoléon Murat.
Lucien s’installe à Rabat où il est enterré. Il meurt en 1934. Sa veuve Marie de Rohan-Chabot dont il est séparé depuis les premiers mois de leur mariage, se remarie avec le comte Charles de Chambrun qui fut notamment ambassadeur de France à Rome. Antoinette et son frère Napoléon s’installent quant à eux à la Villa Saint-Pierre à Nice. Ils décèdent respectivement en 1954 et 1943.
Prince Alain Murat : La princesse Antoinette, tante de mon père, était une grande gaulliste. Elle exhibait d’ailleurs avec grande fierté sa carte de parti.
Noblesse et Royautés : Monseigneur, quand avez-vous entendu parler pour la première fois de vos racines géorgiennes ?
Prince Alain Murat : Depuis que je m’en souviens, on a toujours parlé de la Géorgie à la maison.
Princesse Véronique Murat : Je me souviens très bien du costume géorgien de ton père qui trônait dans son hall d’entrée.
Prince Alain Murat : Oui, mon père évoquait souvent sa vie en Géorgie, la chasse à l’ours et à la bécasse qui est très difficile. Il a pour ainsi dire été élevé sur un cheval. Des ours, il y en a encore en Géorgie, comme des loups.
Noblesse et Royautés : Monseigneur, votre père est décédé en 1987. A-t-il un jour revu la Géorgie ?
Prince Alain Murat : Mon père le prince Achille et l’une de mes sœurs la princesse Anne-Marie (mariée au baron belge Alain Guillaume) ont fait le voyage en URSS en 1965. Mon père travaillait pour le Ministère des Affaires étrangères, il était diplomate. Il a utilisé un « faux » passeport dont il était d’ailleurs très fier. Il n’était pas fait mention de son titre de prince, il était juste indiqué « Murat » afin de ne pas attirer l’attention des autorités soviétiques. Arrivés à Moscou, ils ont fait route ensuite vers Soukhoumi et Salkhino.
Il a retrouvé d’anciennes connaissances, des paysans, des domestiques et leurs descendants. C’était un moment très émouvant. On lui a fait la fête avec des banquets improvisés. Le KGB alerté, lui a donné 3 heures pour quitter les lieux au risque d’être envoyé en Sibérie…
Il a ramené de la terre de Salkhino pour mettre dans son cercueil.
L’ambassadeur de Russie à Paris, a rencontré mon père. Quelques jours plus tard, un paquet a été envoyé à la maison. Il s’agissait d’une bouteille de vin, provenant des vignobles familiaux. En 1900 à l’exposition universelle de Paris, ce vin avait remporté un prix. Mon père a bu ce vin en disant « je bois goûte à goûte ce qui me rappelle mon enfance ». Le cadeau fut renouvelé une seule fois par l’ambassadeur. (à suivre)
Jean Pierre
29 mai 2019 @ 08:10
Le royaume de Mingrelie se limitait-il à cette seule région ou englobait-il toute la Géorgie ?
Gérard
1 juin 2019 @ 20:08
Non ce n’était pas toute la Géorgie mais cette principauté occidentale.
IANKAL21
29 mai 2019 @ 09:28
J’ai trouvé la séquence « vin de Georgie » très émouvante. La beauté et la force du geste…
Alinéas
29 mai 2019 @ 09:30
Merci pour cette suite bien détaillée avec une petite carte qui m’a permis de mieux situer la Mingrélie !!!
Lady Chatturlante
29 mai 2019 @ 13:18
D’après ma recherche en ligne, le royaume de Mingrélie n’existe pas. Tout juste s’agissait-il d’une principauté géorgienne.
Karabakh
1 juin 2019 @ 15:02
Une vague principauté géorgienne, en effet.
Angelo Pucci
29 mai 2019 @ 23:20
Selon Wikipedia les armoiries publiées dans cette deuxième partie se réfère à la Maison de Gelovani. Quelle est la relation entre cette famille avec la Mingrélie et les Murat. Merci.
Karabakh
1 juin 2019 @ 15:01
Les armoiries ci-dessus sont bien celles de la maison Dadiani. Ceux-ci, tout comme les Gelovani, sont probablement issus de la dynastie médiévale Vardanisdzé. Notant d’ailleurs que Catherine de Mingrélie est véritablement une Chikovani, famille qui a pris le pouvoir en Mingrélie à l’extinction de la dynastie Dadiani, en relevant ses titres et armoiries – je vous laisse rechercher plus d’infos sur cette famille (il faudra aller plus loin que Wikipédia) mais vous verrez que ces individus avaient (déjà) les dents qui rayaient le parquet.
Gérard
1 juin 2019 @ 19:55
En réalité les Dadiani qui ont régné sur la Mingrélie jusqu’en 1866 étaient de mâle en mâle des Chikovani qui avaient succédé aux Dadiani à partir de 1691.
La nouvelle dynastie était issue par les femmes de la première dynastie, en l’espèce par la princesse Thamar fille du prince Levan III.
La nouvelle dynastie prit les noms et armes de la précédente au lieu des siennes. La branche subsistance des Dadiani s’est éteinte à la fin du XIXe siècle.
Les armoiries qui ont été présentées ici selon les armoriaux (comme celui de Siebmacher) auraient pu être officiellement conférées aux Dadiani d’Imérétie avec le titre de prince russe le 11/23 juin 1801.
Des armes différentes mais qui présente aussi la vouivre ou dragons ont été conférées aux Dadiani de Mingrélie avec le titre de prince russe le 6/18 mars 1876.
Gérard
2 juin 2019 @ 16:41
On peut dire que les princes de Mingrélie ont été pleinement indépendants de 1557 à 1803 date à laquelle ils acceptent le protectorat russe.