Carte postale du château de Bagatelle par Karabakh. « Je souhaite vous présenter le château de Bagatelle, sis au hameau Saint-Gilles, hors les murs d’Abbeville, selon un ancien cadastre – actuellement : Faubourg Saint-Gilles sur la commune d’Abbeville (Somme, France).
L’histoire du château de Bagatelle est intimement liée à l’épopée de la famille van Robais, manufacturiers-drapiers d’origine flamande installés à Abbeville en 1665 à l’initiative de Jean-Baptiste Colbert, emblématique contrôleur général des finances du roi Louis XIV. Nous reviendrons plus tard sur l’histoire de cette dynastie drapière, fondée par Josse van Robais, né à Courtrai en 1630 et décédé à Abbeville en 1685.
En 1753, Abraham van Robais (1698-1779), petit-fils de Josse, fait édifier un petit pavillon sous terrasse sur un terrain nu, acquis deux ans plus tôt, à l’extérieur de la ville (à l’époque) et une demie-lieue des remparts. Construit à même le sol, sans cave ni fondation, la bagatelle comme l’appelait son propriétaire était un bâtiment léger, conçu de plain pied sur un plan dit « en lanterne » et ouvert à la lumière de tous côtés. Il comprend une entrée, une salle à manger, un salon d’été et un salon d’hiver chauffé par une cheminée. La demeure est surmontée d’une balustrade décorée d’angelots et formant une terrasse de type italien, cependant non utilisable.
Édifiée en trois ans, cette jolie folie (litt.: une maison dans les feuilles) faite pour ne durer que vingt à trente années, fut réalisée en briques, en bois et en torchis. D’usage plaisancier, Abraham van Robais y recevait essentiellement ses clients.
Le poète Michel-Jean Sedaine écrira : « M. van Robais vient de faire bâtir dans l’un des faubourg d’Abbeville une maison de campagne à qui il a donné le nom de Bagatelle. Ce bijou (car c’en est un) joint l’agréable à l’utile et rien n’est plus capable de fixer le coeur et les yeux que son architecture et sa situation. Cette retraite ferait plaisir aux Dieux. »
Jean-Baptiste Perronneau, Jean-Baptiste Pillement, François Boucher et Pfaff de Pfaffenhoffen ont grandement contribué à la beauté du décor intérieur.
En 1763, André van Robais (1728-1806), fils d’Abraham, décide d’y demeurer. Il fait alors agrandir la Bagatelle en remplaçant la terrasse par un étage surmonté d’un toit ; un escalier de fer forgé à double révolution conduit alors à deux petits appartements éclairés par des fenêtres rondes en œil de bœuf, dont le bois des croisées forme un dessin d’inspiration chinoise. Le toit est percé de trois « vues » mais reste vide.
En 1764, Anne Élisabeth Émilie van Robais (1748-1785), fille de Pierre (1694-1767) et nièce d’Abraham, se marie avec Jean de Kalb (1721-1780), héros de la guerre pour l’indépendance américaine, mortellement blessé lors de la bataille de Camden. En hommage, une aigle américaine est peinte au plafond du salon d’été.
À la Révolution, les Van Robais quittent Abbeville. Le château et son domaine seront vendus en 1793 à Pierre-François Roze, oncle de Jacques Boucher de Crèvecœur, dit Boucher de Perthes (1788-1868).
Finalement, c’est en 1810 que Bagatelle fut cédé à François-Gabriel Warnier de Wailly (1765-1844). Les descendants de ce dernier apportèrent deux modifications majeures :
- vers 1860 : le toit fut modifié pour ajouter un comble dit « à la Mansart » ;
- en 1898 : sous la direction de l’architecte parisien Louis Parent (1854-1909), Paul de Wailly, élève de César Franck, fait compléter l’ensemble par deux ailes étagées, l’une petite (gauche), l’autre plus grande, venant chacune flanquer le bâtiment ancien et séparées de celui-ci par des passages bas, couverts et de plain pied ; l’une de ces ailes devient un salon de musique, fréquenté par de grands musiciens tels Jean d’Indy, Camille Saint-Saëns et Erik Satie.
Le parc du château de Bagatelle fait 11 hectares et se compose de plusieurs parties formant un ensemble original :
- Un jardin à la française conçu en 1755 et remanié en 1900, comprenant un boulingrin planté de rosiers à l’ouest, un alignement de tilleuls à l’est et une grande pelouse agrémentée d’un bassin de 54 mètres de long ;
- Un parc paysager à l’anglaise conçu en 1810 puis restructuré en 1847, au cours des travaux d’agrandissement du parc, abritant une collection d’arbres rares et anciens (dont un érable de Montpellier, un hêtre à feuilles de fougère, un hêtre tricolore et un ginkgo biloba âgés de 150 à 200 ans), des topiaires (lapin et chat en buis commun), un petit pavillon du XIXe siècle, une fontaine, des statues et un kiosque.
- un arboretum et un potager.
La propriété revêt son aspect actuel depuis 1905.
Le château de Bagatelle demeura propriété de la famille Warnier de Wailly jusqu’en 1998, date à laquelle Henri (1934), historien, officier et biographe de Charles De Gaulle le vendit à Christophe Carbonnier-Pauwels (1960), toujours propriétaire des lieux.
De nos jours, le domaine accueille des événements culturels, principalement musicaux (un salon de musique est installé dans l’aile gauche) et constitue une escale du Rallye des Anglaises, reliant Honfleur et Le Touquet chaque dernier weekend du mois de juin. Par ailleurs, il est associé à l’exploitation agricole qui le jouxte et le parc accueille depuis peu, sept moutons de Shropshire.
Le château de Bagatelle se visite sur rendez-vous. La visite est payante (9 €). https://www.chateaudebagatelle.fr/
Régine ⋅ Actualité 2020, Cartes postales, Châteaux, France 48 Comments
ciboulette
10 août 2020 @ 06:49
Merci de nous faire découvrir cette petite merveille et ses jardins , arbres . . .
Menthe
10 août 2020 @ 09:48
Merci Karabakh, votre reportage est des plus complets ! je trouve cette bâtisse très harmonieuse et reposante.
Charlotte (de Brie)
10 août 2020 @ 07:02
Merci de nous avoir fait connaître cette « folie » picarde, je connaissais celle d’Artois à Paris, mais pas ce Bagatelle baroque.
Le parc doit être très intéressant à parcourir au vu des essences d’arbres que vous énumérez, les moutons Shropshire sont j’imagine les tondeuses écologiques du parc ?
Karabakh
10 août 2020 @ 12:32
Oui, les moutons Shropshire font office de « tondeuses à gazon écologiques » ; ils sont peu exigeants en fourrage, facilement adaptables, très sociables – ils affichent des très bonnes performances zootechniques. C’est une belle race.
DEB
10 août 2020 @ 07:13
Merci, bel endroit.
Pas de cuisine, dans la première version ?
Étonnant.
Karabakh
10 août 2020 @ 13:44
Effectivement, il n’y avait pas de cuisine dans la première version. La raison tient du fait que la Bagatelle était un lieu de réception, et lorsque M. van Robais recevait, les plats arrivaient de la ville.
Carolus
11 août 2020 @ 11:13
Il n’y avait pas de soufflés 😋
Karabakh
12 août 2020 @ 12:07
Ah ah! Bien vu.
DEB
13 août 2020 @ 11:42
Merci du renseignement. Bonne journée .
Robespierre
10 août 2020 @ 07:48
C’est pas un château, c’est une bombonière. Adorable !
Jean Pierre
10 août 2020 @ 09:04
Vous savez cadrer une photographie.
Karabakh
10 août 2020 @ 12:21
Les photos sont issues de Wikimedia Commons car, malheureusement, je n’ai pu me rendre sur place afin de réaliser des clichés.
Le projet de cette carte postale remonte à l’été 2019 et nous étions convenus, avec l’équipe de Bagatelle, de réaliser des clichés en septembre, après le dernier afflux de touristes ; mais j’ai eu des impératifs qui m’ont empêché de coller avec les timings des uns et des autres, et nous avons donc repoussé au printemps 2020. La Covid-19 nous a empêchés de tenir ce nouveau délai !
Actuellement, Bagatelle se visite sur rendez-vous mais le carnet est plein pour tout l’été. Or, il est très compliqué de réaliser des clichés en situations de fréquentation touristique. Comme je souhaitais vraiment boucler ce projet cet été, j’ai pris la décision, en accord avec toutes les parties, d’utiliser des clichés libres de droits.
Ces beaux cadrages sont à porter au crédit de l’utilisateur APictche.
Je lui transmettrais vos compliments. 😉
Carolus
11 août 2020 @ 10:56
Merci Karabakh !
Je découvre.
Gwillianne
10 août 2020 @ 09:24
Sur l’instant Karrabakh j’ai pensé au château de Bagatelle a l’ouest de Paris et à sa roseraie !
Mais quel joli reportage , elle est ravissante cette folie .
Avec la carte postale de Suisse que j’ai beaucoup appréciée , elle entre dans mon classement personnel .
Merci beaucoup et bonnes vacances
Karabakh
10 août 2020 @ 13:46
Il y a un petit quelque chose de la Bagatelle de Paris, bien que cette folie picarde soit plus modeste. 🙂
Carolus
11 août 2020 @ 11:04
En effet, j’y vais très souvent avec mon petit-fils, et j’aime cet endroit (celui du Bois de Boulogne), il y a une cascade, des cygnes, des paons etc…
C’est facile d’accès depuis mon domicile, et je l’apprécie.
Danielle
10 août 2020 @ 09:30
Ce château tout en finesse me plait beaucoup, merci Karabakh.
Myriam Schopfer
10 août 2020 @ 11:54
J’y vivrais volontier.
Pa🍄
10 août 2020 @ 12:42
Cher Karabakh ,
L’érable de Montpellier n’est une rareté qu’au nord de la France et aigle n’est féminin qu’au pluriel il me semble 🙄; nonobstant cet article est très agréable à lire et très intéressant.
Quoique n’étant pas accro à la musique j’apprécie beaucoup la symp.honie cévenole de d’Indy et Erik Satie (Je te veux ….) .
Quelqu un a parlé d’harmonie pour cette demeure et c’est ce que je retiendrai avec plaisir.
Une demeure que la plupart d’entre nous serait très heureux , fier et honoré de considérer comme sa résidence principale .
Karabakh
11 août 2020 @ 13:39
Pascal,
L’érable de Montpellier se raréfie effectivement à mesure que l’on monte vers le nord. S’il tend à être redécouvert dans la partie nord-est (Moselle, Lorraine belge), il reste assez méconnu dans la partie nord-ouest (Picardie, Boulonnais, Flandre) et devient inexistant au-delà d’une ligne La Haye – Bielefeld. À Bagatelle, la spécificité tient surtout dans l’âge avancé de cet arbre (plus de 200 ans), plus que de sa rareté – il y en a plusieurs dans la région Picardie mais pas des aussi vieux.
Lorsqu’il est question des animaux, le Dictionnaire de l’Académie française (1694) le déclare que le mot aigle est de genre masculin ; toutefois, des ouvrages plus anciens consacrent le genre féminin de ce mot. C’est un féminin en latin (aquila) et en provençal (aigla), entre autres langues romanes. Enfin, la femelle ne porte pas de nom spécifique, c’est une aigle lorsque l’on ne parle que d’elle, pour ce qu’elle est : un individu du genre féminin.
Par contre, l’aigle héraldique demeure du genre féminin.
L’aigle du plafond du salon d’été est celle du blason américain. 🦅😉
Baboula
12 août 2020 @ 13:28
Ces discussions masculines sont délicieuses de courtoisie et d’érudition Non je ne me moque pas ,c’est un plaisir 😘
Karabakh
13 août 2020 @ 19:39
L’érable a un petit côté viril. 🙃
tristan
10 août 2020 @ 13:15
Et l’intérieur est également ravissant avec un escalier aérien. Absolument à visiter.
Karabakh
11 août 2020 @ 13:49
Effectivement. Escalier réalisé par Simon Pfaff von Pfaffenhoffen, également réalisateur d’autres belles choses (en bois ou en pierres) dans la Somme.
Nous avons tâtonné sur le contenu de l’article mais, devant la somme d’informations et, encore une fois, contraints par les événements, nous avons pris le parti de rester dans une approche globale de l’édifice. J’aurais sûrement l’occasion de me pencher un peu plus sur ces décors, et j’aurais alors à cœur de vous faire partager mes observations.
J’aime beaucoup la Bagatelle.
Baboula
13 août 2020 @ 09:24
Je vous le souhaite .
Mayg
10 août 2020 @ 13:54
Plutôt joli comme château.
Jakob van Rijsel
10 août 2020 @ 15:39
Un superbe exemple d’élégance architecturale française.
Merci pour cet article.
Pascal la hart au col
10 août 2020 @ 16:42
Au temps pour moi , l’aigle est féminin même au singulier quand elle vole d’étendard en frontispice et après tout l’érable de Montpellier est peut être considéré comme remarquable par son âge et non par sa rareté .
Nous allons donc plutôt nous rabattre sur les moutons du Shropshire qui semblent de vrais moutons de bande dessinée et doivent être fort décoratifs.
C’est très bien que cette propriété soit restée dans cet état et dans cette famille .
Karabakh
11 août 2020 @ 13:52
Aucun souci, vous avez bien repensé la chose, rétrospectivement. 🙂
Les moutons Shropshire sont de vraies personnalités ovines mais ils sont particulièrement méprisés par l’élevage à grande échelle (pas forcément intensif) ; ils subsistent grâce à des passionnés et des projets comme celui mené par la Bagatelle. Pour mon plaisir, vous vous en doutez bien.
Karabakh
11 août 2020 @ 13:55
La propriété n’appartient plus aux Van Robais ; elle a été vendu en 1810 à François-Gabriel de Wailly, est restée dans cette famille jusqu’en 1998, date à laquelle elle a été cédée à M. Christophe Carbonnier-Pauwels.
ciboulette
11 août 2020 @ 16:56
Cher Pascal – champignon , on dit plutôt » la hard » , mais l’autre graphie est admise aussi . . .en picard ancien !
Et cela ne suffit pas : il vous faut aussi aller pieds nus et en chemise !
Karabakh
12 août 2020 @ 12:13
La graphie hard correspond à celle du vieux-francisque, tandis que la graphie hart est celle du vieux-français. En picard, je l’ai toujours écrit comme en vieux-français. Dans tous les cas, cela se prononce toujours pareil. 😉
Vitabel
10 août 2020 @ 16:56
Merci pour ce très beau reportage Karabakh, ce château est un bijou.
Maria
10 août 2020 @ 21:14
È un edificio carinissimo mi piace molto! Merci Karabakh
Karabakh
11 août 2020 @ 13:58
Prego, è anche un grande piacere per me, di presentarvi questa caramella. 😘
Baboula
10 août 2020 @ 21:39
Si nous venions, seriez-vous présent pour nous accueillir ? 🙃
Carolus
11 août 2020 @ 11:15
À quelle date ? 😋
Karabakh
11 août 2020 @ 14:00
Je ne suis pas Christophe mais, oui, je pourrais être présent. 😉
Menthe
11 août 2020 @ 15:29
Ce serait la cerise sur le gâteau, dear Baboula !
Tella, prête-moi ton ventilo, je suis en train de me liquéfier dans ma chaise longue, malgré côté nord et ombre 😰😰😰
ciboulette
11 août 2020 @ 16:58
Oh oui , Karabakh , tous les intervenants viendraient avec leurs chats et ce serait chouette !
Karabakh
12 août 2020 @ 12:14
Votre chat aurait une place de choix car il est parfaitement craquant.
septentrion
11 août 2020 @ 10:56
Merci Karabackh pour votre carte postale, jolie découverte j’aime beaucoup le toit, mais tout le reste aussi.
Une folie que je trouve plus agréable encore que le château de Long.
Karabakh
12 août 2020 @ 12:16
Oui, c’est autre chose.
Le château de Long est plus imposant, sa conception n’a pas servi les mêmes intérêts. 😉
Naucratis
11 août 2020 @ 11:24
Très jolie folie ! Merci pour cet article !
Quitterie
12 août 2020 @ 20:23
Il y a une petite erreur les Chagnon ont également été propriétaires de Bagatelle, qui ont d’ailleurs fait refaire une bibliothèque et un salon de musique détruit par un obus
Karabakh
13 août 2020 @ 19:52
Une famille Chagnon est très connue dans le Ponthieu mais aucun de ses membres n’a été propriétaire du Château de Bagatelle. Désolé.
Gwillianne
14 août 2020 @ 09:58
veuillez bien me pardonner mon inculture totale en langue chti , pourriez-vous avoir l’obligeance de m’indiquer ce que veut dire hart ou hard
merci , par avance
Karabakh
14 août 2020 @ 21:39
Dans son sens littéral, c’est un collet pour lier les fagots. En picard (le chtimi est une forme du picard mais pas l’inverse), c’est un tour de cou pour les chiens de chasse ou encore, un collet d’étranglement pour les criminels.