Le Pavillon de la Muette est un témoignage remarquable de l’architecture des chasses royales françaises à la fin du XVIIIe siècle. Il se situe en plein cœur de la forêt de Saint-Germain-en-Laye.
Entre 1515 et 1547, François Ier résidait très souvent à Saint-Germain-en-Laye. Il chassait fréquemment dans la forêt de Saint-Germain. C’est ainsi qu’une nouvelle vie commence pour cette forêt qu’il apprécie particulièrement.
Le Roi, grâce à sa gestion et à ses innovations, lui donne l’aspect qu’elle a encore de nos jours. Pour une meilleure pratique de la chasse, il fait percer de nombreuses allées cavalières qui se croisent en étoiles, et ouvrir la grande allée rectiligne reliant La Muette à Saint-Germain qui va devenir l’avenue de la Muette
C’est par lettres patentes datées de Châteauroux le 16 juillet 1541 que François Ier nous fait part de sa décision d’élever à La Muette un nouvel édifice. On y lit: «François, etc…comme nous ayons puis naguère advisé et délibéré, faire nouvellement construire et édifier certaines maisons et édifice à La Muette, en notre forest de Saint-Germain-en-Laye pour nous y loger quand il nous plaira, au lieu de celle qui est à présent estant ruyne dont nous voulons que les pris, marchez, ordonnances…soient faits en la mesme forme et manière qui a accoustumé d’estre observée et par ceux mesme qui ont charge de nos édifices de Fontainebleau, Boulogne (château de Madrid), Saint-Germain-en-Laye... »
Tout d’abord François 1er fit construire un grand château (œuvre de Pierre de Chambige) dont l’architecture se rapprocherait de celle de Saint-Germain : même mélange de pierres et de briques.. Il comportait 5 étages et 4 tours d’angle. Il faut remarquer, dans les plans, la présence de «lieux d’aisance» à tous les étages que l’on ne retrouve pas souvent dans les châteaux de la Renaissance.
A peine achevé en 1564, le merveilleux bâtiment du château de La Muette ne semble plus attirer les monarques. Henri II fut le premier à le délaisser.
Charles IX (1560-1574), Henri III ((1574-1589) Henri IV (1594-1610) et Louis XIII (1610-1643) firent de même.
Inhabité, non entretenu, écrasé par les charges colossales du plomb des toitures, le bâtiment petit à petit tombe en ruine. En 1664 et 1665, cent ans plus tard, l’état du bâtiment que l’on peut l’observer sur les gravures de Mérian ou de Isaac Sylvestre (réalisées vers 1655) est tel que Louis XIV ordonne, sur les conseils de Henri de Daillon, duc du Lude, Capitaine et Gouverneur de Saint-Germain-en-Laye, de l’abattre.
Comme nombre de ses prédécesseurs, Louis XV chassait souvent en forêt de Cruye (actuelle forêt de Marly) ou en forêt de Saint-Germain-en-Laye à partir de Versailles ou de Marly qu’il regagnait après une journée de chasse. C’est donc assez naturellement que le site de l’ancien château de La Muette est retenu par Louis XV pour élever un nouveau pavillon de chasse.
Ange-Jacques Gabriel travaillait alors à la construction du petit Trianon, choisit pour le dessin de la façade méridionale des proportions analogues, réservant au premier niveau, de grande hauteur, les espaces de réception, et à l’étage, de hauteur plus modeste, les appartements intimes. Le pavillon de la Muette est le plus beau et le plus grand de tous les rendez-vous de chasse de l’ancien régime.
Ange-Jacques Gabriel est le fils de l’architecte Jacques V Gabriel (1667-1742), Premier architecte du Roi, et le petit-fils de l’architecte Jacques Gabriel (1630-1686). Il réalise la résidence royale du château de Compiègne, le Petit Trianon à Versailles, le château de Ménars pour Madame de Pompadour, dans le département du Loir-et-Cher et l’École militaire.
Il aménage deux grandes places : celle de la Bourse à Bordeaux (commencée par son père) et la place Louis XV à Paris et ses façades.
Pourquoi ce nom de « La Muette » ? L’étymologie exacte serait la « muete » en référence aux meutes de chiens pendant les parties de chasse. Associée à la puissance et au pouvoir, la chasse est une activité́ exclusivement réservée à une minorité́ aristocratique sous l’Ancien Régime et le braconnage reste très sévèrement réprimé. Cette activité était également un prétexte pour le roi d’échapper à l’étiquette rigide et étouffante de Versailles, ainsi qu’une opportunité́ pour les courtisans d’aborder le souverain plus librement, afin de lui présenter leurs requêtes.
Louis XVI, grand chasseur, comme son grand-père Louis XV, viendra également régulièrement à La Muette, comme l’attestent les nombreuses mentions de La Muette dans son Journal. Plus précisément, dans son Journal des Chasses, Louis XVI explique qu’il débute son cycle de chasse au nouvel an à Saint-Germain-en-Laye. C’est d’ailleurs dans la foret de Saint-Germain en Laye, au cours d’une chasse en février 1787, que le jeune Chateaubriand mentionne sa rencontre avec Louis XVI et sa découverte émerveillée du Pavillon de La Muette, qu’il décrira ainsi dans les Mémoires d’outre-tombe : « Je chevauchais dans une longue percée à travers des parties de bois désertes ; un pavillon s’élevait au bout : voilà que je me mis à songer à ces palais répandus dans les forets de la couronne, en souvenir de l’origine des rois chevelus et de leurs mystérieux plaisirs «
La Révolution française interrompit toute activité́ de chasse au Pavillon, qui échappa par bonheur à la tourmente destructrice révolutionnaire…
Très soucieux de s’insérer dans l’ordre monarchique européen, Napoléon Ier comprend rapidement que la chasse est plus qu’un passe-temps aristocratique, mais une véritable activité́ qu’il peut mettre au service de ses visées diplomatiques. Apres sa séparation d’avec Joséphine, à qui il laisse la Malmaison, Napoléon souhaitera même disposer d’une chambre au 1er étage de La Muette.
On aperçoit encore aujourd’hui la petite cheminée très simple qui chauffait la chambre de l’Empereur, et l’alcôve où se trouvait son lit de camp. Napoléon aime y recevoir Marie-Louise. On sait ainsi que l’Empereur avait fait changer les meubles depuis Moscou pendant la campagne de Russie.
Charles X, à la restauration, fit grand usage du pavillon pour la chasse ; il y recevait également ses intimes. Napoléon III, qui maintint un équipage de vénerie, vint lui aussi à plusieurs reprises au pavillon et un récit de chasse à tir par Marcel de Baillehache, dans ses « souvenirs d’un lancier de la garde impériale« , en donne un bon aperçu.
Napoléon III reçut au pavillon la reine Victoria et le prince Albert le 25 août 1855, lors du voyage qui scella « l’entente cordiale » franco-britannique. Une aquarelle représentant l’épisode et la présentation de la meute, devant l’entrée nord de la salle octogonale, est conservé dans la collection de la reine d’Angleterre ainsi que deux croquis de l’équipage de chasse qu’exécuta la reine Victoria sur son carnet personnel.
Au cours du XXe siècle, la vie à La Muette se banalise. Le Pavillon sert de résidence de weekend à quelques présidents de la IIIe République. Il est ainsi refait en 1933 pour y loger Daladier, le président du conseil de l’époque.
La superbe architecture de Gabriel sert de modèle pour le Pavillon de Chasse de l’exposition universelle de Vienne en 1911.
Durant la Seconde Guerre Mondiale, le Pavillon est occupé par l’armée allemande et échappa de peu aux bombardements allies visant à détruire les lignes ferroviaires situées à Achères et qui alimentaient la Normandie et le Mur de l’Atlantique. Un vestige de cette époque est encore visible dans le jardin, avec le support en ciment d’un canon Flack 88 mm, qui équipait la DCA allemande.
Le pavillon fut encore utilisé, dans les années 1960 et 1970, pour abriter le studio école de l’OCORA, institution dépendant de l’ORTF.
Bien que ce bâtiment fût classé monument historique dès 1921, il fut abandonné, privé de toutes fonctions à partir de 1970 et attribué à l’Office National des Forets (ONF) en 1984 qui n’aura malheureusement pas les moyens de l’entretenir, en dépit de son histoire prestigieuse .
Laissé à l’abandon durant 40 ans, il a été acquis récemment auprès de l’Office national des forêts (ONF) par des particuliers.
Dans le vestibule central , les boiseries sur les murs sont d’époque Louis XV de même que le remarquable pavement à cabochon. Après un grand nettoyage, la toiture a été refaite ainsi que le plafond du rez-de-chaussée du grand salon sur la partie ouest qui était l’ancienne salle des officiers de chasse. La cheminée en marbre rose est d’époque Louis XIV, ramenée de Versailles par Louis XV. Elle possède un élément en ferronnerie d’art du XVIIIe siècle représentant Hercule-Héraklès filant aux pieds d’Omphale.
Le grand salon octogonal à l’italienne, un salon de près de 90 mètres carrés sous 7 mètres de plafond est surmontée d’une terrasse belvédère destinée à suivre les chasses. Il fut meublé, sous Louis XVI, d’une façon plus raffiné que le reste du pavillon, il était notamment décoré de tables de jeu en acajou réalisées par Riesener.
Le décor de boiserie, réalisé par les ateliers Gesnon et Clicot, est encore en place. Il fut dotée au XIXe siècle d’un parquet dont le motif central en forme d’étoile a malheureusement été volé
Pour la restauration, les artisans ont utilisé une peinture à l’huile de lin, comme celle utilisée au XVIIIe siècle qui est résistante.
Le sous-sol comprend une première salle avec à gauche des réchauffoirs (pour faire réchauffer les plats) et un four à pain, et une seconde salle plus petite avec un four avec un mécanisme automatique pour rôtir du XVIIIe siècle provenant du château de Saint-Cloud, une vaste cuisine avec une cheminée monumentale.
À l’extérieur, sur les plans anciens figurent une vaste allée circulaire plantée d’arbres qui a aujourd’hui disparu. Au nord, une terrasse conforme aux plans originaux a bien été réalisée ; elle a été récemment dégagée. Au sud ont été ajoutées une vaste terrasse rectangulaire et une allée pavée qui ne figurent pas sur les plans d’origine. Il était projeté de construire plus au sud, en retrait de l’allée cavalière, un bâtiment pour l’équipage de vénerie, mais c’est finalement une dépendance plus modeste, la maison forestière, qui fut érigée immédiatement à l’ouest du pavillon et réunie, sous Charles X, avec un bâtiment d’écuries.
Toute cette restauration a été notamment possible grâce à l’ouvrage de Marie Marguerite Roy de L’École du Louvre qui lui est consacré. Madame Roy a exhumé par le menu les détails de la construction et les correspondances de Marigny et Angivilliers, les architectes en chef des bâtiments du roi, avec l’exécuteur du projet de Gabriel, Nicolas Galant. Il y a des détails très vivants sur les cheminées, les réemplois du garde meuble, l’exécution des décors de menuiseries, les moindres détails de l’aménagement.
Le Pavillon Royal de chasse de la Muette de Saint Germain en Laye est en train d’aborder une nouvelle vie. Les visites guidées sont faites par les propriétaires. La recette de la billetterie est reversée pour la restauration du pavillon. (merci à Guizmo)
Pavillon La Muette – Route forestière des pavillons – 78100 Saint-Germain-en-Laye
Pascal
26 février 2021 @ 06:31
C’est magnifique ,tant l’article que le bâtiment, le roi Louis XV fut un grand bâtisseur qui lui aussi avait le sens du beau.
Ces nouveaux acquéreurs eux aussi ont le sens du beau et il va leur falloir beaucoup de courage ,je leur souhaite bonne chance et je leur dis merci pour ce qu’ils ont entrepris.
Je crains que l’ONF ne soit plus qu’un pâle ersatz de ce qu’étaient les Eaux et Forêts, ça me console de ne pas y avoir fait carrière.
Et on ira parler de ”préservation ” …
Enfin y-a-t-il plusieurs ”muettes” ? Je croyais que le nom venait de l’endroit ou étaient relégués les oiseaux de chasse pour faire tranquillement leur mue ?
Pascal
26 février 2021 @ 11:01
Et comme pour les articles de Cosmo , l’iconographie est toujours remarquable .
Pistounette
26 février 2021 @ 06:38
Très intéressant reportage. Merci Guizmo
Phil de Sarthe
26 février 2021 @ 06:50
Grandeur et décadence;;;;Je ne pensais pas que l’Etat vende ce genre de patrimoine. En même temps, sauvé et ouvert à la visite…
Je ne savais rien non plus du grand château, ni de son usage après la Révolution!.
Un grand Merci, Guizmo!
ciboulette
26 février 2021 @ 12:29
Merci , Guizmo , c’est une découverte passionnante ! Je suis heureuse que ce beau bâtiment ait été racheté et sans doute rénové avec le temps .
Kardaillac
26 février 2021 @ 09:35
J’ai vu ce pavillon de la Muette ruiné de l’intérieur, au seuil de l’arrêté de péril qui pouvait le condamner à être rasé, des fois que des promeneurs curieux y seraient entrés. Fameux principe de précaution.
C’est une chance inouïe qu’il se soit trouvé un acquéreur en fonds capable de le restaurer. Il dut quand même braver une forte opposition des tenants de l’Etat à tout faire, qui voulaient le conserver dans le patrimoine public, on se demande bien pour quoi faire.
Félicitations chaleureuses aux propriétaires.
giseleT
26 février 2021 @ 09:56
Merci pour ce reportage
Marie DM
26 février 2021 @ 10:58
J’ai une grande admiration pour les propriétaires qui effectuent la restauration. Je les ai rencontrés lors de ma visite, au début de l’ouverture, ils étaient enthousiasmes.
Je vous encourage à aller visiter ce lieu. Il est aussi possible de le louer pour une réception.
Jean Pierre
26 février 2021 @ 11:49
Ce qu’en dit Chateaubriand est tellement beau que l’on pourrait croire que l’épisode est vrai.
Merci Guizmo, pour ma part je ne connaissais pas cet endroit.
BEQUE
26 février 2021 @ 12:16
Mme de Pompadour écrivait à Mme de Lutzelbourg, en 1749 : « La vie que je mène est terrible ; à peine ai-je une minute à moi. Répétitions et représentations et, deux fois la semaine, voyages continuels tant au Petit Château qu’à la Muette. Devoirs considérables et indispensables, reine, dauphin, dauphine, trois filles, deux infantes ; jugez s’il est possible de respirer, plaignez-moi et ne m’accusez pas ».
Robespierre
26 février 2021 @ 13:03
C’est vrai que la vie de cour l’épuisait et cela a sans doute accéléré sa mort dans la quarantaine. Elle n’était pas en bonne santé, mais devait faire tout ce que vous écrivez.
Peu avant sa mort, le prêtre qui était venu la voir allait prendre congé d’elle, et elle lui a dit « mon père, nous partirons ensemble ». Et elle mourut peu après.
Caroline
26 février 2021 @ 12:28
Très intéressant et instructif !
Lors de ma promenade à la forêt de St Germain- en – Laye en compagnie familiale , j’étais trop jeune pour m’ intéresser à ce pavillon.
Merci à Guizmo !
Pierre-Yves
26 février 2021 @ 13:37
Une magnifique découverte de plus que l’on doit à Guizmo, qui, depuis de nombreux mois maintenant, s’est mué en guide touristico-historique, mue totalement réussie. Bravo et merci !
Cosmo
26 février 2021 @ 14:54
Merci pour cet article fascinant !
Bravo aux propriétaires qui restaurent ce chef d’œuvre de simplicité et donc de bon goût.
Pascal
26 février 2021 @ 18:25
On voit une pièce avec un vide dans le milieu du parquet , s’agit-il de ce système de table escamotable, un peu comme au théâtre , qui fit fureur à une certaine époque et qui permettait de prendre un repas sans intervention directe de serviteurs aux oreilles possiblement indiscrètes ?
Gérard
27 février 2021 @ 02:22
Merci à Guizmo. Merci aussi aux deux nouveaux propriétaires qui ont restauré ce bâtiment qui tombait en ruine.
Il a fallu leur savoir-faire et beaucoup de courage.
https://www.pavillondelamuette.com/
L’un des nouveaux propriétaires dit que Victoria a été la première reine d’Angleterre depuis longtemps à venir en France sous Napoléon III mais rappelons tout de même qu’elle était venue sous Louis-Philippe déjà.
a
27 février 2021 @ 11:22
Quel chantier en effet !
Et en plus ils doivent se battre contre la mérule.
Ces personnes méritent la croix du mérite ou quelque chose d’approchant .
Gérard
27 février 2021 @ 13:00
Les deux acquéreurs du château sont Benoît d’Halluin et Emmanuel Basse qui ont créé en 1999 la société Esprim qui s’occupe de promotion immobilière.
Bretonig
27 février 2021 @ 16:25
Ce pavillon me fait penser au pavillon du parc de Bagatelle
Danielle
28 février 2021 @ 20:51
Comme Bretonig, en voyant ce pavillon j’ai immédiatement pensé à celui de Bagatelle.
Merci Guizmo pour ce reportage qui m’a captivée et je suis ravie que des propriétaires ait pris ce bâtiment en mains pour lui redonner vie.