Le musée Picasso à Antibes a accueilli jusqu’au 31 octobre dernier la collection Nahmad. Fondé sur l’ancienne acropole de la ville grecque d’Antipolis, castrum romain, résidence des évêques au Moyen-Âge, le château fut habité, de 1385 à 1608, par la famille monégasque qui lui donna son nom.
Le château est acheté en 1925 par la ville d’Antibes et devient le Musée Grimaldi. Trois ans plus tard, le bâtiment est classé monument historique.
Durant l’été et l’automne 1946, Michel Sima réalise des photos en noir et blanc de Picasso dans son atelier au château Grimaldi. De son vrai nom Michal Smajewski (1912-1987), sculpteur et photographe juif d’origine polonaise, élève à l’académie de la Grande Chaumière et assistant d’Ossip Zadkine en 1934, il avait fait la connaissance de Picasso.
L’été 1946, alors qu’il habite à Cannes chez Romuald Dor de la Souchère, après son retour de trois années de déportation à Auschwitz, Sima arrange une entrevue entre le conservateur du musée Grimaldi et Picasso, sur une plage de Golfe-Juan.
Pablo Picasso, à Golfe Juan avec Françoise Gilot en 1946, est séduit par la proposition de Romuald Dor de la Souchère, conservateur du musée, d’utiliser une partie du château comme atelier. L’artiste y séjourne deux mois et y réalise de nombreuses oeuvres, peintures et dessins.
Dor de la Souchère offre à Picasso, déçu de n’avoir jamais reçu de l’Etat de grandes surfaces à décorer, une pièce du château, pour y travailler de l’après-midi jusque tard dans la soirée.
Picasso se prête au jeu et pose régulièrement devant ses oeuvres, seul ou en compagnie de Françoise Gilot ou ses amis, fixant l’objectif, assis sur un matelas ou debout devant ses pots de peinture ou encore concentré sur son travail posé à même le sol.
1947 voit l’inauguration officielle d’une salle consacrée à Picasso, premier évènement qui célèbre le passage de l’artiste au musée.
En effet, à la suite de son séjour en 1946, Picasso laisse en dépôt au château Grimaldi : 23 peintures (peinture oléorésineuse, fusain, graphite sur fibrociment, bois ou toile réutilisée) et 44 dessins. En 1947, nouveau dépôt avec Ulysse et les sirènes, exécuté sur place à la demande de Dor de la Souchère.
Ulysse et les sirènes – Septembre 1947 – peinture oléorésineuse et graphite sur fibrociment
Ce lieu l’inspire… la mythologie grecque, profondément inscrite dans sa culture méditerranéenne… il dit « Lorsque je suis à Antibes, je suis toujours repris par le pou de l’Antiquité »… faunes, centaures, nymphes… ainsi s’exprime le bonheur de l’après-guerre en compagnie de Françoise et ses amis.
Satyre, faune et centaure au trident – 1946 – peinture laque oléorésineuse et fusain sur fibrociment
Captés par le regard de Picasso sur sa vie quotidienne à Antibes, pêcheurs attablés, pastèques ou raisins, oursins et poissons, peuplent ses peintures. Picasso a adopté une chouette qu’il a soignée et dessinée plusieurs fois
Nature morte à la chouette et aux trois oursins – 6 novembre 1946 – peinture oléorésineuse sur contreplaqué
Sa joie de vivre éclate dans ce tableau, cadeau au musée d’Antibes.
Joie de vivre – 1946 – peinture oléorésineuse et fusain sur fibrociment
En 1948, il donne 78 céramiques exécutées à Vallauris. Par décision du Maire, le château Grimaldi devient en 1966 « Musée Picasso« . La dation Jacqueline Picasso de 1990 autorise un nouvel enrichissement des collections Picasso.
Le musée Picasso a exposé la collection de Ezra et David Nahmad, une des plus importantes collections privées au monde : neuf célèbres peintures de Pablo Picasso, de 1905 à 1971, et une toile de 1954 de Mark Rothko, en vis-à-vis du Concert de Nicolas de Staël de 1955.
Mark Rothko – N°7 (Dark over light) – 1954
En 1954, à 51 ans, il est en pleine maturité de son art, dans ce qu’on appelle sa période classique. Depuis 1952, certains numéros viennent préciser les noms qu’il donne aux tableaux.
Sur la toile n°7, il a d’abord, à larges coups de brosse, posé un jus léger de rose orangé. Sur ce fond étalé rapidement, il crée ensuite deux grandes surfaces superposées, l’une, dans la partie inférieure, jaune pâle, et l’autre, plus haute et plus large, à base de noir. D’où le titre alternatif Dark over light, annonçant les peintures sombres qui apparaîtront en 1957
Nicolas de Stael – Le Concert (Le Grand Concert, L’Orchestre) – Mars 1955
Né à Saint-Pétersbourg en 1914, installé à Paris à partir de 1943, il dépasse l’antinomie entre abstraction et figuration par la réalisation d’une oeuvre qui chemine du trait à la couleur, en créant notamment des formes-couleurs. Le dessin, dans sa saisie immédiate, imprévue, propose les lignes de force et de tension qui réalisent le tableau.
En 1954 il s’installe à Antibes : il y travaille activement jusqu’à sa mort, le 16 mars 1955.
A la suite de l’exposition consacrée à l’artiste (1er juillet-15 août 1955), un premier don est consenti par sa veuve au musée Picasso ave la Nature morte sur fond bleu, datée de 1955 et réalisée à Antibes. A partir de 1982, la ville d’Antibes acquiert des oeuvres importantes de sa dernière période, comme Le Concert, son ultime tableau
Fillette au panier de fleurs – 1905
Cette toile est l’une des rares représentations monumentales d’un nu en pied, à taille réelle, dans toute l’oeuvre de Picasso. D’une beauté étrange, cette peinture fait le lien entre les période rose et bleu : sur un fond bleu gris, la jeune femme, au corps gracile, presque translucide, contraste avec le rouge vif des fleurs de pavot, à mi-corps. Si la scène offre une certaine poésie, c’est sans noter le regard dur de la fillette, son visage exprimant une maturité loin de l’enfance.
Picasso, qui vivait alors au Bateau-Lavoir avec Fernande Olivier, aurait réalisé ce portrait d’après modèle. Il s’agirait d’une petite fleuriste de la place du Tertre, qui vendait ses fleurs et ses charmes à l’extérieur du Moulin Rouge, pratique alors courante des kiosques à fleurs. Identifiée comme « Linda la bouquetière », elle posait également pour les artistes de Montmartre : Pablo Picasso mais aussi Krees van Dongen ou Amadeo Modigliani.
Picasso – L’artiste et son modèle – 28 mars-7mai 1963
Ce thème rythme chaque grande époque de la vie de Picasso. Dès 1914, l’artiste se représente face au modèle, laissant volontairement son portrait inachevé sur la toile (Musée Picasso-Paris) ou encore, en 1928, dans une version géométrisée où le profil du peintre surgit sur une toile, au centre de la peinture, telle une parfaite mise en abyme (Museum of Modern Art-New York)
Il faut attendre 1963 pour que le sujet du peintre et son modèle accapare entièrement Picasso. L’artiste réalise alors 280 peintures, dessins et gravures sur ce thème, tous construits de façon identique : le chevalet scande la scène avec l’artiste à gauche et le modèle à droite. La version du 28 mars se caractérise par le cadrage resserré sur les personnages, exit tout décor.
Picasso – Homme assis à l’épée et à la fleur – 2 août-27 septembre 1969
Entre 1969 et 1970, Picasso exécute plus de 200 peintures et 1000 dessins, dans une frénésie créative absolue contre le temps qui passe. Une large partie de cette production est consacrée aux mousquetaires en buste, avec barbiche, fine moustache et fine collerette, tour à tour fumant la pipe ou tenant une épée. Cette série est perçue aujourd’hui comme des autoportraits d’un artiste vieillissant enviant la virilité des mousquetaires – dès 1967 dans plusieurs dessins aux crayons de couleurs, il représentait clairement un peintre en tenue de mousquetaire face à son modèle.
Pendant l’été 1969, il caricature son propre double en peignant quatre portraits, dont l’Homme assis à l’épée et à la fleur, comme un rappel évident de l’influence de Diego Vélasquez
Picasso – Les femmes d’Alger (Version H) – 24 janvier 1955
Les Femmes d’Alger (Version H) fait partie d’une série majeure de 15 peintures réalisées dans l’atelier des Grands-Augustins entre le 13 décembre 1944 et 14 février 1955, le mois suivant le départ de l’insurrection nationaliste en Algérie. Ce thème, d’après la peinture éponyme d’Eugène Delacroix réalisée en 1934, apparaît dès 1940 dans plusieurs pages d’un carnet de dessin où Picasso esquisse les figures, entreprend des essais de couleurs et, fait assez rare pour être mentionné, écrit sur chaque page « Femmes d’Alger par Delacroix » (Musée Picasso-Paris)
Comme en témoigne Françoise Gilot, Picasso était fasciné par Delacroix et parlait souvent d’offrir sa propre vision des Femmes d’Alger, de se confronter au maître, mais le sujet des femmes dans un intérieur, et plus particulièrement la version H, est une référence directe aux odalisques de son ami Henri Matisse, mort en 1954.
Picasso – Le Baiser – 24 octobre 1969
« Les baisers avancent, s’enflent, se répandent, s’étendant jusqu’à emplir les pièces les plus vastes du Palais des Papes » (Alberti-Picasso en Avignon-1971)
Entre les mois d’octobre et décembre 1969, Picasso réalise 15 peintures sur le thème du baiser dont la totalité sera exposée au Palais des Papes en 1970. Parmi celles-ci figure la version du 24 octobre, soit exactement la veille des 88 ans de l’artiste, comme une ultime réminiscence des plaisirs charnels de la vie. Cependant la composition se démarque de la série par son caractère étrange, presque funèbre, la toile se déclinant de la lumière la plus intense au noir le plus profond, comme une évocation de la mort, sentiment renforcé par la forme spectrale qui épie le couple en pleine étreinte
Au rez-de-chaussée figure également une salle Hans Hartung-Anna Eva Bergman. Né en Allemagne en 1904, devenu français à partir de 1946, Hans Hartung est un des principaux acteurs de l’abstraction lyrique dès 1972. Dès 1968, il dirige la construction de la villa et des ateliers « Le Champ des Oliviers » à Antibes et, à partir de 1973, il s’y installe définitivement avec le peintre d’origine norvégienne Anna-Eva Bergman (1909-1987) dont le travail renouvelle le genre du paysage par une approche toute méditative. En 1989, Hans Hartung meurt à Antibes
Hans Hartung – T1976-R21 – 1976
1994 voit la création, dans leur maison, de la « Fondation Hans Hartung et Anna-Eva Bergman », dont la vocation est d’assurer, à partir d’une collection importante, le rayonnement de leurs oeuvres et de situer celles-ci dans l’histoire de l’art. En 2001, la fondation enrichit le musée Picasso d’une donation composée de 36 oeuvres (peintures, pastels et encres sur papier) de Hans Hartung et 8 peintures d’Anna-Eva Bergman, aujourd’hui exposées de façon permanente.
Germaine Richier – La Forêt – 1946 – Bronze, patine brune
Le rez-de-chaussée s’ouvre sur une large terrasse contenant quelques belles statues… et un panorama exceptionnel ! (Merci à Pistounette)
Bambou
3 novembre 2021 @ 06:45
Très bel endroit et très belle collection. Picasso, quoi !!!
JAusten
3 novembre 2021 @ 08:41
Merci pour cet article original. J’aime beaucoup la dernière photo ; j’aurais aimé être celle qui l’a prise.
Pistounette
4 novembre 2021 @ 11:51
C’est moi qui l’ai prise : j’ai attendu un instant avant que les bateaux de la régate soient juste entre les jambes de la statue 😜🤗
JAusten
7 novembre 2021 @ 11:01
Alors bravo !
Aldona
3 novembre 2021 @ 09:03
Merci Pistounette, une collection extraordinaire, j’aime les céramiques , le tableau de la fillette au panier est d’une tendresse
Baboula
3 novembre 2021 @ 09:31
Que bel article ! Bravo et merci à vous Pistounette .
PATRICIA
3 novembre 2021 @ 12:25
Bel écrin pour un grand artiste inépuisable.
Beque
3 novembre 2021 @ 13:56
Merci, Pistounette, je ne connais pas du tout ce musée Picasso, seulement celui de Barcelone qui possède une très importante collection sur les périodes de formation et de jeunesse de Picasso (scènes religieuses peintes à l’âge de 12 ans, période bleue…)
Romuald Dor de la Souchère (1888-1977), professeur de lettres au lycée Carnot de Cannes, fondateur et conservateur du musée du château d’Antibes, décida d’appeler Grimaldi le château d’Antibes pour une raison historique : « Le 18 mai 1385, Marie de Bretagne, reine de Sicile, comtesse de Provence, tutrice de son fils Louis II, donnait en fief le château […] d’Antibes à deux capitaines d’arbalétriers, Marc et Luc de Grimaldi, en qualité de « capitaines royaux », chargés d’un office précis : la garde du château avec ses entours et, au besoin, sa défense ». Cette branche des Grimaldi, détachée de la branche monégasque, a vécu dans cette bâtisse de 1385 à 1608. Jean-Henri Grimaldi s’installera au château de Cagnes, devenue un palais fastueux vers 1620. Sa famille y restera malgré de multiples invasions sous les règnes de Louis XIV et Louis XV. À la Révolution, la famille Grimaldi est chassée de la ville et se réfugie d’abord à Nice et le château est laissé à l’abandon. Sauveur Gaspard Grimaldi (1734-1816), fils d’Honoré IV Grimaldi (1701-1743), dernier seigneur de Cagnes, se réfugie à Gênes.
Beque
3 novembre 2021 @ 23:25
Constitué au début du Ve siècle, le diocèse d’Antibes est successivement suffragant (dépendant) d’Arles, Aix et Embrun à partir du XI e siècle. L’importance du conflit entre l’évêque et la ville d’Antibes se traduit par un transfert du siège épiscopal à Grasse, en 1244, par une bulle du Pape Innocent IV. Jean-André Grimaldi fut Abbé de Lérins et évêque de Grasse de 1483 à 1505.
La branche comtale de Puget (en italien, Poggetto) de la maison des Grimaldi, souveraine à Monaco, est issue du rameau d’Antibes dont la source est Antoine Grimaldi, amiral de la flotte génoise face à la République de Venise en 1353. Josué Grimaldi sera commandant de la forteresse de Pignerol. Philippe Grimaldi de Puget sera gouverneur chargé de l’éducation du prince de Carignan, le futur roi Charles Albert. Son fils Louis participera à la campagne de Russie de 1812 aux côtés de Napoléon. Les péripéties de la guerre d’indépendance italienne de 1848-1849 conduiront Eustache à l’exil en Belgique. Les Grimaldi de Puget résident aujourd’hui en France et en Belgique.
DENIS
3 novembre 2021 @ 22:39
Comme on dit, quand on déteste : » Il faut aimer » …
Caroline
3 novembre 2021 @ 23:19
Les céramiques sont très belles !
Gérard
4 novembre 2021 @ 00:25
Oui ce fut le château des Grimaldi.
Pascal🍄
5 novembre 2021 @ 08:50
Je prends le Nicolas de Stael , bien que ce ne soit pas le plus beau et je vous laisse le reste .
Nous avions une connaissance qui avait fait les beaux arts et qui lors d’un voyage avait visité l’atelier de Picasso à Vallauris avant qu’il ne devienne internationalement connu ; elle avait repéré une petite table qui lui plaisait beaucoup ,elle aurait pu se l’offrir mais le prix lui paraissait quand même déraisonnable et elle a renoncé.
Elle l’a un peu regretté par la suite…