Voici la carte postale de la Villa Cavrois par Benoît-Henri. « Majestueusement posée au-devant de son miroir d’eau, la Villa Cavrois fête cette année ses 90 ans.
Une vieille dame d’une surprenante modernité que les habitants de Croix, dans le nord de la France, regardent aujourd’hui avec un œil bien différent de celui de leurs grands-parents.
Portrait de Robert Mallet-Stevens par Jacques-Emile Blanche
Dans le Nord, les grandes familles d’industriels du textile, à quelques brillantes exceptions près, n’avaient pas la réputation de frayer avec l’avant-garde artistique.
C’est pourtant à un acteur de la modernité d’entre-deux-guerres, Mallet-Stevens, que Paul Cavrois fit appel pour la construction de sa demeure familiale.
Les deux hommes s’étaient probablement rencontrés à l’Exposition des Arts Décoratifs de 1925 où l’architecte avait travaillé activement.
Deux ans plus tard, l’inauguration en grande pompe de la rue Mallet-Stevens, dans le XVIe arrondissement de Paris, acheva de convaincre Paul Cavrois. Sa maison ne ressemblerait pas aux cottages normands ou aux castels néogothiques de ses voisins. Elle serait résolument moderne !
Vue aérienne de la Villa Cavrois en 1934
Une villa ? Un château plutôt, avec ses axes de symétrie, son entrée monumentale, ses terrasses, son miroir d’eau, le tout entouré d’un parc de trois hectares.
Il s’agissait d’abriter, avec tout le confort moderne (téléphone, postes de radio, ascenseur), une famille de sept enfants ainsi qu’une domesticité adaptée à un train de vie luxueux.
La Villa Cavrois fut inaugurée en 1932, alors que l’on se relevait à peine de la grande crise. Position dominante, architecture ostentatoire, luxe de la décoration intérieure, toutes les conditions étaient réunies pour susciter des réactions contrastées chez les habitants de Croix.
Comme bien d’autres, ma grand-mère, originaire de cette commune proche de Roubaix, la surnommait la “folie Cavrois” ou encore “le péril jaune” : on raillait ainsi l’emploi d’une couleur si éloignée du traditionnel habillage de brique rouge des maisons du Nord.
Mes oncles et mon père m’ont raconté une anecdote qui m’a été confirmée par d’autres sources : scolarisés dans la même institution que les garçons de ma famille, les fils Cavrois étaient ostracisés dans la cour de récréation en raison de l’étrangeté absolue de leur maison !
Décor du film Le Vertige de Marcel Lherbier, 1926
Vestibule de la Villa Cavrois
Robert Mallet-Stevens ne dissociait nullement architecture, aménagement de l’espace, décoration intérieure et mobilier. Même si le concept d’œuvre d’art totale est bien galvaudé aujourd’hui, il illustre parfaitement la démarche du créateur.
Dans les décors des films de Marcel Lherbier comme dans ceux de ses maisons, Mallet-Stevens cherchait à mettre en scène les personnages et à révéler leur psychologie au travers des meubles et objets qui les entouraient.
Observons les portes vitrées éclairées à l’arrière-plan du décor du Vertige de Marcel Lherbier : elles annoncent les “boîtes à lumière” du vestibule et du grand hall de la Villa Cavrois.
Hall-Salon de la Villa Cavrois
Pièce maîtresse de la maison, accessible depuis le vestibule par quelques marches qui en accentuent le caractère scénographique, le hall-salon se développe sur une double hauteur, et jouit d’une luminosité exceptionnelle grâce à ses gigantesques baies vitrées. Les souhaits des Cavrois, profiter au mieux de l’air, de la lumière, de la nature, étaient exaucés.
Certaines pièces peuvent paraître bien vides aux yeux du visiteur. C’est que la Villa Cavrois revient de loin.
Vendue en 1987, elle tombe entre les mains de figures bien connues du monde des affaires (on ne donnera ici que leur surnom fort évocateur de “Frères Dalton”). Leur objectif : lotir le parc et sacrifier la maison.
Le funeste projet est bloqué, des squatters s’installent, l’état de la maison se dégrade de jour en jour. Malgré la mobilisation de nombreux défenseurs du patrimoine et le classement monument historique de la villa en 1990, la situation semble désespérée.
Le salut vient de l’Etat français qui décide d’acquérir en 2001 la propriété en partie morcelée et de restaurer la maison afin de l’ouvrir au public. Entretemps, hélas, le décor intérieur a été saccagé et le mobilier dispersé. Seule la table de la cuisine reste à demeure !
Ce qui ne valait rien dans les années 1990 atteint aujourd’hui des sommes astronomiques. On ne pourra donc jamais remettre à leur place tous les meubles de Mallet-Stevens, même si des efforts considérables sont faits pour racheter quelques éléments.
Boudoir de Lucie Cavrois
Chambre de jeune homme
Ces deux pièces prouvent que l’ambition de redonner à la villa son pouvoir d’évocation n’était pas une vue de l’esprit. Les meubles (étonnante coiffeuse de Madame Cavrois) tout comme l’orthogonalité et la palette vive de la chambre de jeune homme rappellent l’admiration de Robert Mallet-Stevens pour le mouvement néerlandais De Stijl.
La piscine
La pratique du sport, signe de distinction sociale dans les années d’entre-deux-guerres ? Il est vrai que Mallet-Stevens, adepte de la culture physique et des bienfaits du soleil, partageait les aspirations de ses clients : les Cavrois comme les Noailles. Charles et Marie-Laure de Noailles, à Hyères, n’avaient-ils pas envisagé leur villa comme une gigantesque salle de gymnastique-solarium ?
Une autre référence, dans l’air du temps, saute aux yeux : celle des grands paquebots transatlantiques, avec leurs coursives, leurs bastingages, leurs hublots et leur vigie, ici réinterprétée par Mallet-Stevens dans le grand belvédère.
Quoi que l’on pense de l’architecture moderne, cette étonnante villa en représente le meilleur. Si vos pas vous conduisent à Croix, courez-y, vous y recevrez un excellent accueil ! »
Régine ⋅ Actualité 2022, Cartes postales, France 45 Comments
Mimine
25 juillet 2022 @ 02:31
Merci Benoît – Henri pour votre carte postale. J’aime les grandes fênetres de cette immense villa, et la piscine.
Pistounette
25 juillet 2022 @ 05:40
Récit très intéressant, merci Benoît-Henri.
Je connaissais l’existence de cette villa, mais pas son histoire détaillée.
Je retrouve dans le boudoir de Lucie Cavrois les fauteuils identiques à certains de l’Hôtel Belles Rives (Juan-les-Pins), qui fut la villa de Scott Fitzgerald en 1925/26 (elle s’appelait alors Villa Saint-Louis).
Ghislaine
25 juillet 2022 @ 13:41
et qui n’existent plus hélas car les Belles-Rives qui me plaisaient tant sous ce style unique ont été modernisées . Un véritable sacrilège .
Bambou
25 juillet 2022 @ 06:12
Quelle merveilleuse maison. Comme j’aimerai y demeurer…..
Baboula
25 juillet 2022 @ 06:23
Merci Benoit Henri pour cette carte postale colorée de souvenirs familiaux et d’appréciations personnelles .
Ludovina
25 juillet 2022 @ 06:32
Grand merci, Benoît-Henry, votre reportage m’a enchantée.
Grace à vous je n’oublierai pas de visiter cette magnifique demeure si mes pas me conduisent dans le nord de notre beau pays.
JAusten
25 juillet 2022 @ 07:01
Merci pour ce petit reportage ! Superbe villa. Aucun des 7 enfants et leurs descendants n’ont eu les moyens de l’entretenir ou ont-ils préférer s’installer sous d’autres cieux ?
Beque
25 juillet 2022 @ 08:10
JAusten, je n’ai pas la réponse pour la descendance Cavrois. J’ai connu probablement un de ses petits-fils (il s’appelait Cavrois et m’avait parlé de la villa) mais que je ne vois plus, ce qui fait que je ne peux lui poser la question. Les Cavrois étaient (sont) alliés aux grandes familles du Nord.
Reportage passionnant, Benoît-Henri.
Actarus
25 juillet 2022 @ 12:25
J’ai habité à 3,2 km de là et suis parti moi-même sous d’autres cieux…
JAusten
26 juillet 2022 @ 11:21
Devant l’immensité de la mission dont on doit se sentir investi quand on habite une maison pareille … je peux les comprendre ;)
En ce qui vous concerne cher Acta, je ne peux pas dire que c’est à cause de la météo :)
Mimine
26 juillet 2022 @ 15:01
Actarus vous devez vous ennuyer de la belle France, parfois, hein?
Actarus
28 juillet 2022 @ 12:23
Oui et non.
L’éloignement me donne la nostalgie, ainsi qu’un sens de la perspective, mais je ne me vois pas y revenir dans un futur proche, à moins de gagner à l’euromillions.
La « belle France » est un monstre administratif, et en qualité d’ancien fonctionnaire, je sais de quoi je parle. Après quinze ans en Amérique du Nord, je trouve que tout y est quand même beaucoup plus simple.
Une anecdote révélatrice : je viens de vendre ma maison (celle qui était à 3,2 km de la Villa Cavrois), et j’ai encore des effets personnels en France. Je loue donc un box pour les entreposer en attendant de les faire traverser l’Atlantique. Pour louer le box, il faut une pièce d’identité (logique), un relevé bancaire (logique), mais aussi… un JUSTIFICATIF DE DOMICILE !!!
J’en parlais à une amie avant-hier, tout en sirotant du champagne dans sa piscine aux dimensions hollywoodiennes. Elle me dit : « Mais pourquoi un justificatif de domicile ? ».
Eh oui, je me le demande ! Et cette dame fut il y a quelques années la présidente du conseil économique de la province.
Par conséquent, quand je me prélasse au bord d’une piscine qui renvoie le bleu du ciel estival, en buvant du champagne (français), et que je songe à toutes les difficultés que les citoyens rencontrent quotidiennement en France, je ne m’ennuie pas du tout de mon pays natal. 😎
JAusten
28 juillet 2022 @ 15:02
comme je vous comprends et vous envie Acta ! Buvez à ma santé la prochaine fois :)
Mimine
28 juillet 2022 @ 15:09
He bien Actarus d’après ce que je sais de vous, nous pouvons être contents et honorés de votre présence chez nous. 🥰
Pascal HERVE
30 juillet 2022 @ 10:07
Actarus ,
Vous devez être quelqu’un de très généreux , la plupart des Français qui gagneraient à l’euromillion en profiteraient sans doute pour s’expatrier vers la Suisse , le Portugal ou Saint Barth .
Votre témoignage est simple et instructif .
plume
25 juillet 2022 @ 07:07
Il faut aimer.
Jeanne
25 juillet 2022 @ 07:11
Une merveille.!
Je recommande chaudement cette visite.
J’ai largement dépassé les 2h prévues. J’y aurais passe la journée.
La salle de bain est complètement dingue par ses dimensions et le confort moderne pour son époque.
Ghislaine
25 juillet 2022 @ 07:13
Magnifique votre reportage émaillé de souvenirs familiaux – C’est toujours impressionnant de constater qu’il y a des personnes tellement en avance sur leur temps qu’ils ne sont consacrés que des décennies après leur audace.
Vraiment , un grand merci pour cette page de grande qualité .
MCB
25 juillet 2022 @ 07:17
Je pense beaucoup de mal de l’architecture moderne lorsqu’elle est bas de gamme, ostentatoire ou laide (à mon avis) pour faire original. Pour tout dire je préfère le XVII et le XVIIIème siècle en architecture, mobilier et décoration.
Mais là j’adore cette maison (et son parc) qui n’a pas pris une ride et est bien plus moderne que nos constructions actuelles si chères soient-elles. Bon mais c’est Mallet-Stevens, c’est tout dire…
Un seul bémol, l’ameublement ou ce qu’il en reste est évidemment en parfait accord avec la maison mais pas du tout à mon goût si je devais y vivre, la chambre de jeune homme exceptée.
Florence-Marie
25 juillet 2022 @ 07:20
Merci pour cet article, Benoit-Henri. La villa Cavrois est un lieu qui mérite assurément une visite. La salle de bain m’avait particulièrement intéressée; l’ensemble de la maison témoigne aussi du talent actuel des restaurateurs et la pièce témoin laissée en l’état en est la preuve.
Katellen🐈
25 juillet 2022 @ 07:20
Merci Benoît-Henri pour cette carte postale ! J’ai déjà lu des articles sur cette magnifique villa dans diverses revues et je suis en admiration totale devant les photos. C’est un rêve de pouvoir un jour la visiter et d’admirer cette architecture. Votre article est très complet, merci.
Laurent
25 juillet 2022 @ 07:44
Une merveille Art Déco
Ce style rappelle par sa sobriété le style Directoire et en partie le style Louis XVI dont il s’est inspiré
J’aime beaucoup
Miss Libellule
25 juillet 2022 @ 07:56
J’ai eu l’occasion de visiter cette villa j’ai beaucoup aimé! Très intéressant et tout a été très bien reconstitué!!
Aldona
25 juillet 2022 @ 08:18
Merci pour cette visite, pour moi c’est une découverte
Antoine BP
25 juillet 2022 @ 08:35
Au-delà de la villa que j’ai adoré visiter, c’est tout le quartier qui vaut le détour. Le quartier de Beaumont, méconnu du grand public, est parmi les plus riches de France et laisse entrevoir de magnifiques propriétés : https://www.lavoixdunord.fr/1188459/article/2022-06-03/croix-beaumont-en-tete-des-quartiers-de-province-ou-vivent-les-plus-riches
Actarus
25 juillet 2022 @ 12:28
Il est vrai que c’est un peu Bel-Air (Californie) de ce côté-là. 😉
Agnese
25 juillet 2022 @ 09:06
Vous avez raison Pistounette, nous retrouvons un peu le mobilier de l’hôtel Belles-Rives à. Juan-les-Pins, très Art Deco également et dont je garde de très beaux souvenirs.
La propriétaire a eu l’intelligence et le bon goût de tout laisser intact depuis les Fitzgerald.
Ghislaine
25 juillet 2022 @ 13:44
Non Agnese les Belles-Rives viennent encore une fois je dis hélas d’être modernisées :
Perceval
25 juillet 2022 @ 09:32
MERCI MERCI MERCI.
J’adore ces reportages .
Dès la 1ère photo on sent le Bauhaus
JAusten
25 juillet 2022 @ 20:14
L’office est les cuisines sont extraordinaires ! ça me fait penser à la villa dans le film de Tati « Mon Oncle ».
Guizmo
25 juillet 2022 @ 10:04
Merci Benoît-Henri pour cette carte postale. Je connaissais l’existence de cette villa pour l’avoir abordée en cours d’histoire de l’art mais pas son histoire détaillée.
Menthe
25 juillet 2022 @ 10:45
Merci immensément Benoît-Henri, je ne connaissais pas du tout et suis ravie d’avoir pu découvrir cette merveille. J’adore.
Cosmo
25 juillet 2022 @ 12:13
Superbe maison ! Excellent article. Merci
Bastide.
25 juillet 2022 @ 12:40
J’aime autant l’extérieur que l’intérieur.
Merci, lecture bien agréable ce matin.
Baboula
25 juillet 2022 @ 13:52
Le miroir d’eau porte bien son nom .
Pascal HERVE
25 juillet 2022 @ 14:10
C’est superbe !
Cela me fait un peu penser au ajrdin et à la maison que l’on voit dans le film » Mon Oncle » de Jacque Tati , s’en serait-il inspiré?
Ce Robert Mallet-Stevens a-t’il un lien avec le parc des Moutiers à Varengeville sur Mer ?
JAusten
26 juillet 2022 @ 12:31
Lol !! Nous avons eu la même référence !
Pascal HERVE
26 juillet 2022 @ 16:39
😉
Pascal-Jean
25 juillet 2022 @ 14:41
Bravo Benoît-Henri pour ce passionnant article et sa magnifique iconographie, en particulier le portrait de Mallet-Stevens par Jacques-Emile Blanche, que je ne connaissais pas. J’ai visité la villa Cavroix il y a six ans, peu après sa réouverture, c’est effectivement une véritable résurrection ! On peut simplement regretter que l’Etat ne s’y soit pas intéressé plus tôt, à la fin des années 80, où la restauration et le remeublement auraient coûté beaucoup moins cher !
Charlotte (de Brie)
26 juillet 2022 @ 07:28
Merci beaucoup Benoît – Henri pour cette vivante carte postale qui évoque des souvenirs familiaux, précieux appuis pour une visite d’un lieu.
Le Tour de France qui vient de s’achever est passé à proximité de la Villa et Franck Ferrand qui commentait le côté culturel de la grande boucle avait dit que le cahier des charges imposé à Mallet Stevens était : « Air, lumière, travail, sports, hygiène, confort et économie »
« économie » je n’en suis pas convaincue, mais les autres conditions me semblent remplies.
A noter puisque vous évoquez Marcel Lherbier que Robert Mallet-Stevens a également réalisé les décors du film » L’inhumaine » en 1924 et que l’on y retrouve les mêmes lignes que dans « Vertige » ou dans la Villa.
Encore un grand merci.
Laurent F
26 juillet 2022 @ 08:29
Magnifique villa, encore plus que la villa Noailles à Hyères ou la villa Paul Poiret !
Agnese
26 juillet 2022 @ 08:56
Ghislaine, vous m’apprenez cette modernisation et cela m’attriste.
Je ne préfère pas voir….comme la Voile d’Or à St Jean Cap Ferrat vendu à un russe qui veut en faire un palace bling.
Ghislaine
26 juillet 2022 @ 13:31
Comme vous Agnese c’était tout le charme de cet hôtel ! Tout passe ,hélas. Oui beaucoup de beaux hôtels se transforment ainsi . J’ai eu l’occasion il y a 3 ans de retourner dans un hôtel porte Champerret , je me suis crue à Abu Dhabi.
Patrick JACQUES
26 juillet 2022 @ 12:53
Un « must » de l’art-déco.
Danielle
26 juillet 2022 @ 17:53
Merci Benoit Henri.
Dans cette villa, j’aime le hall-salon, la chambre de jeune homme et la piscine.