Le 12 décembre 1791, naquit à Vienne, au Palais de la Hofburg, Maria Ludovica Leopoldina Francisca Theresa Josepha Lucia de Habsbourg-Lorraine, archiduchesse d’Autriche, princesse royale de Bohême et de Hongrie.
Ce même jour à Paris, Maximilien de Robespierre, fait un discours enflammé au Club des Jacobins, hostile à la guerre. Depuis deux mois, Louis XVI est roi constitutionnel. Il est désormais roi des Français mais son épouse, Marie-Antoinette, grand-tante du bébé, n’est plus reine de France.
Marie-Antoinette en 1791 -Gravure de Louis-Charles Ruotte
Marie-Louise, nous l’appellerons ainsi, car c’est celui qu’elle garde devant l’Histoire, sa famille toutefois l’appelant Louise, naquit donc sous le signe de la paix.
Mais le 20 avril 1792, la France ayant déclaré la guerre à l’Autriche, pendant vingt-trois ans Marie-Louise ne connut que la guerre. La généalogie de la jeune archiduchesse est simple.
François II en 1792 par Johann Baptist von Lampi
Son père, François de Habsbourg-Lorraine (1768-1835), à sa naissance n’est qu’archiduc d’Autriche, prince royal de Bohême et de Hongrie, mais le 5 juillet 1792, il est élu empereur du Saint Empire Romain Germanique, désormais François II, roi de Bohême, de Hongrie, de Croatie, de Galicie, de Jérusalem etc…sa titulaire complète serait fastidieuse à rappeler.
Il succédait à son père Léopold II qui fut une grande partie de sa vie Grand-duc de Toscane et pour moins de deux ans empereur. Neveu de Joseph II, il partageait ses idées libérales, qu’il mit en pratique par la promulgation d’un code pénal et 1803 et un code civil en 1811.
Les guerres auxquelles il eut à faire face, puis la politique ultra conservatrice de son chancelier, le prince Metternich, effacèrent tout idée de libéralisme politique, voire civil. Et c’est l’aspect quasi-despotique de son règne que l’histoire a retenue. Il conserva toutefois l’amour de son peuple jusqu’à sa mort en 1835.
Marie-Thérèse de Bourbon de Naples par Elisabeth Vigée-Lebrun en 1790
Sa mère est Marie-Thérèse de Bourbon de Naples (1772-1807), princesse royale de Sicile, devenue archiduchesse d’Autriche, par son mariage le 15 septembre 1790, avec son double cousin germain. Marie-Louise est la fille aînée du couple.
Léopold II en 1790 par Josef Kiss
Marie-Louise de Bourbon d’Espagne par Josef Grassi en 1789
Les grands-parents paternels de la petite archiduchesse sont donc, Léopold II (1747-1792) , archiduc d’Autriche, grand-duc de Toscane et empereur romain germanique et Marie-Louise de Bourbon (1745-1792), princesse de Naples et de Sicile, infante d’Espagne.
Ferdinand IV de Naples et Marie-Caroline de Habsbourg-Loraine
par Angelika Kauffman en 1783
Ses grands-parents maternels sont Ferdinand IV de Bourbon (1751-1825) roi de Naples et de Sicile, puis Ferdinand Ier des Deux-Siciles, en 1816; et Marie-Caroline de Habsbourg-Lorraine (1752-1814), archiduchesse d’Autriche.
Sœur de Marie-Antoinette, elle laisse dans l’histoire, outre sa haine de la Révolution française et de Napoléon Bonaparte, le souvenir d’une souveraine autoritaire, ballotée par les guerres napoléoniennes, aux mœurs légères, épouse malheureuse d’un souverain faible et laid.
Par le double cousinage de ses parents, Marie-Louise n’a donc que quatre arrière-grands-parents au lieu de huit. François I Etienne de Lorraine (1708-1765), empereur romain germanique, Marie-Thérèse de Habsbourg (1717-1780), archiduchesse d’Autriche, reine de Bohême et de Hongrie, Charles III de Bourbon (1716-1788) duc de Parme puis roi de Naples et d’Espagne et Marie-Amélie Wettin (1724-1760) princesse royale de Saxe et de Pologne.
François I et sa famille en 1808 par Josef Kreutzinger
L’archiduchesse Marie-Louise est l’aînée d’un fratrie de douze enfants, dont Ferdinand (1793-1875) futur empereur, Marie-Léopoldine (1797-1826) future impératrice du Brésil, Marie-Clémentine (1798-1881) future princesse de Salerne, Caroline (1801-1832) future reine de Saxe, François-Charles (1802-1878), père de François-Joseph, Marie-Anne (1804-1858) future abbesse du Couvent des Dames Nobles du palais royal de Prague.
Sa mère, dont sa correspondance avec sa propre mère, la reine Marie-Caroline, révèle une épouse et une mère tendre mais distante, portant une affection constante à sa famille, meurt le 13 avril 1807.
Toutes ces maternités, tous ces voyages à suivre son mari, l’avaient épuisée.
Comme tous les enfants impériaux, Marie-Louise reçut une maison, composée d’une aja ( gouvernante ou grande-maîtresse) qui a la haute autorité sur la vie de l’enfant, tant au physique qu’au moral ou au développement intellectuel.
Successivement, elle eut la comtesse Maria-Anna de Wrbna, née comtesse Auersperg, puis en 1794, la comtesse Josepha de Chanclos et en 1799 la comtesse Colloredo-Walsee (1766-1845).
Ce dernier choix est surprenant car née Victorine Folliot de Crenneville, d’origine française de petite noblesse, de nature intrigante, elle accéda par mariage à l’aristocratie la plus haute en Autriche.
Mais le choix fut bon. Non seulement elle remplit ses devoirs mais elle sut être une confidente et amie intime de l’archiduchesse. “Ma chère Colloredo, ma petite maman Colloredo” dit d’elle Marie-Louise. Et encore ; “ je voudrais être ta fille, car tu est une si bonne mère que je voudrais t’appeler maman, car je voudrais être comme ta fille Victoire.”
La comtesse Colloredo en 1800
Marie-Louise a aussi une femme de chambre, deux femmes de la garde-robe, une chambrière, un fourrier en charge de l’intendance, quatre laquais, une blanchisseuse une femme en extra et un homme de peine.
Victoire de Poutet (1789-1887), fille du premier mariage de la comtesse Colloredo, devint aussi son amie intime. Elle lui donne tout ce qu’elle a ; elle la prie sans cesse de demander ce qui lui fait plaisir. “Ne te gène pas, lui écrit-elle, ne pense pas que tu pourrais me priver d’une chose ou l’autre. J’aimerais t’envoyer tout ce que j’ai et je suis sûre que tu ferais de même pour moi.”
C’est une des caractéristiques de Marie-Louise. Elle a besoin d’amitié, d’affection. En échange, elle donne tout ce qu’elle a, avec joie, mais sans jamais oublier qui elle est, une archiduchesse d’Autriche.
Marie-Louise est une enfant primesautière, câline, débordante de vitalité, à la grande joie de son père qui l’appelle Luiserl et n’hésite pas à la pousser dans une brouette, organiser des parties de colin-maillard avec ses frères et sœurs, ou les enfants des domestiques.
Son éducation est soignée avec une abondance de leçons. Elle doit savoir parler les langues de l’Empire, mais elle étudie aussi l’anglais, l’espagnol et le français. Quant à l’italien, elle est la langue maternelle de son père qu’il avait apprise dans son enfance à Florence.
Toutes ces langues devaient lui permettre de pouvoir converser aisément avec celui qui serait son mari, choisi dans le cercle limité des familles royales européennes, sans encore savoir qui serait l’élu. Il y a un peu de turc et un peu de latin pour parfaire son éducation.
Bien entendu les arts en font partie intégrante. Elle prend des leçons de piano avec Léopold Kozeluch (1747-1818) compositeur viennois d’origine tchèque, à l’œuvre prolifique, aujourd’hui un peu oublié, Maître de chapelle de la Chambre et compositeur de la Cour impériale d’Autriche, successeur de Salieri. Il fut celui qui permit de remplacer le clavecin par le piano-forte. Elle joue aussi de la harpe.
Léopold Kozeluch en 1797
Elle suit des cours complets d’histoire ancienne et contemporaine, de géographie, de législation.
C’est donc une excellent éducation que reçut la jeune archiduchesse. Le reproche que l’on put y faire est de ne pas lui avoir enseigné au-delà des faits, l’histoire des idées reliant entre elles les toutes ses lectures.
Bien entendu toutes ses lecture sont surveillées. Comme elle est une gentille petite fille, à l’intelligence normale, elle se plie volontiers à cette éducation qui sans avoir été parfaite, fut excellente.
Elle passe son temps entre la Hofburg, Schönbrunn et Laxenburg. Elle a, comme les petites filles de son milieu, ses poulets, ses oies, ses tourterelles, ses lapins, son chien Tisbé.
Marie-Louise est une enfant heureuse, comme le sont également ses frères et sœurs. La jeune archiduchesse se promène dans les rues de Vienne avec son père, et joue avec les enfants des domestiques. On la vit danser avec le fils d’une cuisinière le jours de l’anniversaire de son père.
Avec son amie Victoire de Poutet, l’été, elle passe son temps à gambader sous les charmilles de Schönbrunn ou Laxenburg. Elle est d’une nature simple.
Parc de Laxenburg
Schönbrunn
Elle adore son père qu’elle appelle “mon bon papa”. Elle lui écrit : “ Je voudrais aller vers vous, cher papa, et que ma bouche vous dise ce que ma plume ne sait exprimer. Je voudrais vous dire combien je vous aime et vous vénère.”
Quant à sa mère, elle dit d’elle “ Si elle voulait seulement m’embrasser, mais je n’ose espérer cette faveur.”
Elle ne paraît pas aux grandes soirées de la Cour, ni aux grands dîners familiaux, à l’époque aucun enfant n’était admis à table des grands. Mais elle se sent entourée d’affection.
Le 10 décembre 1803, elle fait sa première communion à laquelle assistent ses parents, sa gouvernante, ses amies, sa maison.
Elle apprend très tôt les malheurs dont sa famille a été accablée à cause de la Révolution française et de l’aventurier Bonaparte.
Sa grand-mère, la reine de Naples, chassée par les Français lui raconte les supplices subis par sa chère sœur, Marie-Antoinette. Elle sait combien son père, sa famille, son pays ont eu à souffrir de la France et de son nouvel empereur.
Avec ses frères, le jeu habituel est de faire manœuvrer des petits soldats en cire : le plus laid, le plus noir, le plus farouche, ils le baptisent Bonaparte, ils le criblent de piqûres d’épingles et le chargent de malédictions.
Caricature de Napoléon
Quand Madame de Colloredo lui fait lire “Le Plutarque de la Jeunesse”, elle écrit : “C’est la vie des hommes illustres depuis Homère jusqu’à Bonaparte. Ce nom ternit son ouvrage et j’aurais mieux aimé qu’il eût terminé par François II, qui a aussi fait des actions remarquables en rétablissant le Theresianum, etc., tandis que l’autre n’a commis que des injustices en ôtant à quelques-uns leurs pays… Maman (c’est ici Mme de Colloredo) m’a raconté une drôle de chose à présent : que M. Bonaparte étant en Egypte s’est sauvé, quand toute l’armée a été ruinée, avec seulement deux, trois personnes, et qu’il s’est fait Turc, c’est-à-dire qu’il leur a dit : moi je suis un musulman, je reconnais pour prophète le grand Mahomet, et puis, en revenant en France, il a fait le catholique, alors seulement il a été élevé à la dignité de consul.” Elle l’appelle le Corsicain.
Elle lui doit toutefois des changements dans sa vie d’enfant, dont elle n’a peut-être pas été fâchée.
Fin novembre 1805, l’impératrice, ses enfants, ses dames d’honneur, leurs gouvernantes s’entassent dans des berlines et quittent Vienne.
Marie-Louise a quatorze ans. Il faut fuir Vienne devant l’envahisseur. Commence alors pour elle, la vie dans des auberges envahies de punaises, des logements qu’elle n’aurait pas imaginés ou des châteaux comme chez les Esterházy.
C’est somme toute une distraction dans sa vie de petite archiduchesse sage, confinée dans des palais et soumise à la routine. Bonaparte, c’est aussi l’aventure, une aventure entre le confinement moite des voitures et le froid des auberges. Elle durera trois mois.
Une cour d’auberge afin XVIIIe
En 1805, la gouvernante et son mari, ne sont plus en cour à Vienne. Le comte Colloredo-Walsee, ministre d’Etat, de Conférence et de Cabinet, chef de la Chancellerie de l’Empire et de la Cour, grand maître de la cour de l’Empereur, porte la responsabilité aux yeux de son maître des défaites subies par l’Autriche.
Veuve en 1806, Victorine de Colloredo se remarie en 1816 avec Charles-Eugène de Lorraine (1751-1825), prince de Lambesc, un lointain cousin de la famille impériale.
Les années 1805 et 1806 sont difficiles pour l’empereur François. Le 13 novembre 1805, Napoléon recevait les clés de Vienne.
Après la bataille d’Austerlitz, le 2 décembre 1805, et l’occupation de Vienne par Napoléon, ses armes et celles de ses alliés, François II du Saint Empire abdique la dignité impériale allemande pour devenir empereur d’Autriche, le 6 août 1806. Le 13 mai 1809, Napoléon occupera Vienne à nouveau.
Après Austerlitz, elle avait écrit à son père : “Il me parait impossible que ces tristes nouvelles soient vraies; il me semble que je rêve; je ne puis croire qu’une semblable calamité nous arrive, mais il le faut cependant. Je ne veux pas encore croire que Dieu ne nous accorde la victoire sur ce Napoléon abhorré et l’achève.”
L’empereur François, toutefois, reste populaire auprès de ses populations et aussi au sein de sa famille. Nul ne songe à lui reprocher la politique désastreuse qui a mené l’Autriche à être vaincue, ses enfants encore moins que les autres.
Les victoires successives de l’empereur des Français désespèrent la jeune Marie-Louise, les quelques victoires des armées alliées la remplissent de joie.
Après Essling (22 mai 1809) , elle écrit : “Que Dieu conserve cet excellent père qui s’est aussi exposé plusieurs fois, ce qui m’a fait frémir quand je l’ai entendu raconter”. Quelques jours après : “Il me semble que notre famille n’est pas faite pour avoir des jours heureux et pourtant il les méritait tant.”
L’archiduc Charles , frère de l’empereur, à la bataille d’Aspern-Essling
par Johann Peter Krafft
Elle écrit à sa grande amie, Victoire de Poulet, fille de la comtesse Colloredo, toujours après Essling, Aspern pour les Autrichiens : “Le 22 matin, Napoléon, à la tête de sa cavalerie, fit une nouvelle attaque et nous repoussa encore, mais, à ce moment, l’archiduc Charles harangua les grenadiers, prit le drapeau en main, après être descendu de cheval, et les mena ainsi contre les Français qui prirent la fuite et abandonnèrent Napoléon qui leur cria qu’il les ferait brûler avec le pont et tua de sa propre main deux généraux…
C’est la première fois que Napoléon a été battu en personne… Qu’il faut remercier Dieu de cette victoire, c’est ce qui a été mon premier mouvement ; il ne faut pourtant pas s’enorgueillir de cette victoire et j’avoue que je suis déjà si accoutumée à de grands chagrins que je n’ose pas encore espérer trop de bien.”
Après la bataille de Raab (14 juin 1809) : “Priez bien Dieu de nous accorder plus de bonheur, mon père le mérite !” Plus tard : “Je voudrais que l’Insurrection et l’armée de mon oncle Jean délivrassent Vienne ; j’en aurais une extrême joie : ce serait un emplâtre pour toutes les afflictions que mon papa a souffertes et son âme y trouverait sa plus douce récompense.”
Marie-Louise vibre avec le peuple de Vienne et l’empire d’Autriche toute entier, tout au long des conflits l’opposant à la France.
La lecture de ses lettres montre combien la jeune archiduchesse se tient au courant de la situation militaire de son pays.
Ses rapports avec sa mère, s’ils étaient bons, n’étaient pas très affectueux. C’est sa gouvernante, Madame de Colloredo qui est sa “maman”, l’Impératrice n’est que sa “mère”..
La comtesse Colloredo partie, l’impératrice prend en main l’éducation de sa fille, la soumettant à une discipline sévère. A chaque fois qu’elle écrit, elle doit lui demander permission et les réponses à ses lettres sont d’abord lues par sa mère.
Les lectures sont surveillées de bien plus près et on ne tolère plus de ces livres français qui instruisaient en amusant et par qui, tout de même, un peu de la fatigue de retenir des dates se trouvait allégé par des anecdotes et quelques idées générales ; les leçons ne sont plus distraites par d’aimables remarques ; la journée, réglée avec minutie, comporte des heures longues de silencieux travail à l’aiguille, de broderie et de tricot, des heures pour chaque professeur d’histoire ou de littérature, des heures de dessin et d’enluminure, des heures de piano.
Point de compagne pour les récréations solitaires, nulle amie. Mais à tout, Marie-Louise se soumet sans se plaindre même si probablement elle regrette les affectueuses leçons de la comtesse Colloredo.
Il lui est constituée une nouvelle maison avec comme Grande-Maîtresse la comtesse Lazansky et comme Grand-Maître le comte Edling.
L’archiduchesse a 16 ans, elle n’est plus une enfant. Mais sa mère meurt en couches le 13 avril 1807. Marie-Louise en est affectée mais sans plus.
Car son père adoré lui reste et durant son deuil se fait encore plus présent auprès d’elle. Elle l’accompagne même dans ses voyages en Hongrie et en Croatie.
Les choses vont, hélas, bientôt changer. François Ier d’Autriche n’est pas un veuf inconsolable. Il est poussé au mariage par son entourage et se laisse d’autant plus faire qu’il a du tempérament et l’empereur à Vienne ne saurait rester célibataire. Sa droiture morale et son respect pour son peuple l’empêchent de prendre une maîtresse.
Cependant, vaincu par la France et isolé en Europe, il redoute l’humiliation d’un refus des autres maisons souveraines alliées de gré ou de force à Napoléon.
Il demande donc la main de Maria-Ludovica, cette jeune cousine de 20 ans sa cadette, orpheline de père, maladive, exilée et sans dot et qui, ayant dépassé l’âge de 20 ans, peut craindre de rester célibataire mais qui lui plaît beaucoup.
Il l’a effectivement rencontrée au cours de la visite qu’il a rendue à sa tante l’archiduchesse Marie-Béatrix, après le décès de l’archiduc Ferdinand.
Maria-Ludovica d’Autriche-Este par Johann-Baptist von Lampi
Le 6 janvier 1808, il épouse donc sa cousine germaine, Maria-Ludovica de Habsbourg-Lorraine-Este. Née à Monza, le 14 décembre 1787, elle est le neuvième enfant de l’archiduc Ferdinand, l’un des derniers nés de Marie-Thérèse, et de Maria-Beatrix d’Este-Modène, dernière descendante à la fois de la maison d’Este par son père et de la maison Cibo-Malaspina par sa mère.
Elle n’appartient pas au premier cercle Habsbourg, le duché de son père étant considéré comme modeste et sans grande importance. Elle est orpheline, sans dot, maladive.
Mais cela n’arrête pas l’empereur amoureux de cette jeune fille, réfugiée en Autriche après la perte par son père des Etats de Modène. Jeune, jolie, intelligente, voire intrigante, la jeune archiduchesse se rendit compte rapidement de l’attrait qu’elle exerçait sur François. Sa santé ne lui permet pas d’avoir d’enfants, elle adopte ceux de son mari.
Elle se fait rapidement une amie de Marie-Louise, qu’elle envisage de marier à son frère aîné François. Marie-Louise est avide d’affection et celle prodiguée par sa belle-mère vient à point. Elles n’ont que quatre ans de différence mais elle l’appelle “sa chère Maman”.
Violemment anti-française, la nouvelle impératrice acquiert rapidement une grande influence sur son mari, sans aller toutefois jusqu’à le faire dévier de son objectif politique, la temporisation, faute de mieux. En secret, malgré tout, on prépare tout pour la revanche, mais, en même temps, pour détourner l’attention des agents français, la Cour se rajeunit et se met en fête.
Pour la première fois, Marie-Louise, à qui est faite une vie plus gaie et plus libre, profite de ses leçons de danse et ne manque pas une valse, une écossaise ou un quadrille.
La valse à ses débuts
La direction d’éducation est changée ; si l’on continue les leçons d’histoire, si l’archiduchesse doit se perfectionner en italien et apprendre le hongrois, c’est aux arts d’agrément que le plus de temps est consacré; et Marie-Louise, fort éprise de musique, y devient assez forte pour être au piano la maîtresse de sa belle-mère et de sa petite sœur Léopoldine. Elle compose des valses.
De même pour le dessin où bientôt elle va, de son chef, aborder la peinture à l’huile.
Dans cette intimité établie entre la belle-fille et la belle-mère, il est impossible que, par son intelligence, son charme, sa qualité même et son rang de famille, l’impératrice ne prenne point l’avantage, n’établisse point sur la jeune archiduchesse la domination de ses idées et, dans la mesure où l’autre s’y prête, ne lui fasse partager ses rêves.
Maria-Ludovica est amoureuse de son mari, l’empereur et l’homme. Il n’en est pas fâché, bien au contraire, son veuvage lui ayant imposé l’abstinence. Cet amour aussi sentimental que charnel lui pèse parfois car il se dit à Vienne que la nouvelle impératrice est insatiable.
L’empereur François Ier peut-être vers 1810
La fièvre patriotique qui s’empare de la famille impériale, à commencer par Marie-Louise, reçoit une douche froide. Napoléon quitte Paris le 13 mars 1809.
Les différentes batailles de la campagne, dont celle d’Eckmühl le 21 avril 1809, menées par l’archiduc Charles, le frère de l’empereur, semblent donner un avantage à l’Autriche.
Aussi écrit-elle à son père : “Nous avons appris avec joie que Napoléon était présent à la grande bataille qu’il a perdue. Puisse-t-il aussi perdre la tête ! On fait ici beaucoup de prophéties sur sa fin prochaine et l’on dit que c’est à lui que s’applique l’Apocalypse. On affirme qu’il doit mourir celle année, à Cologne, dans une auberge appelée A l’Écrevisse rouge. Je n’attache pas grande importance à toutes ces prédictions, mais comme je serais heureuse de les voir se réaliser !”
Au lieu des triomphes escomptés, c’est encore la fuite. Le 5 mai, Napoléon est à Ems, quand l’impératrice se décide à quitter Vienne qui veut se défendre. Elle emmène avec elle Marie-Louise, amie, compagne, garde-malade ; car la défaite plus encore que la souffrance a brisé ses nerfs fragiles et, sur les roules défoncées, sous la pluie qui tombe sans arrêt, seule presque avec sa belle-fille, elle s’accroche à elle en criant, à chaque cahot de la voilure.
On arrive enfin à Buda où les professeurs rejoignent et où, bientôt, les bonnes nouvelles arrivent, attestées de façon qu’on n’en puisse douter. Mais en réalité, c’est la fuite à nouveau.
Dans cette fuite, Marie-Louise reste encore une adolescente. Ses frères et sœurs les ont rejointes et ce sont des parties de campagne, des goûters, des illuminations, des soirées à jouer aux cartes ou bien à faire de la musique.
Peu à peu, toute la famille se groupe à Buda, et c’est une vie d’intimité qui semble très douce après toutes les épreuves qu’on vient de traverser. Avec les oncles, dont plusieurs tout jeunes — l’archiduc Antoine a trente ans, Jean vingt-sept, Rainier vingt-six, Louis vingt-cinq, Rodolphe vingt et un — ce sont de petits bals, de la musique à deux pianos et à quatre mains, d’agréables leçons de peinture où Marie-Louise s’essaie tantôt à un paysage, tantôt à un portrait.
Pour le dessein qu’elle poursuit, l‘impératrice n’a pas manqué d’appeler à Buda son frère François, le nouveau duc de Modène sans territoire, et de le mêler naturellement à cette existence bien plus libre qu’à Vienne et où les occasions se présentent à chaque instant.
En effet, ce François est agréable chanteur et Marie-Louise se plaît à l’accompagner au clavecin; Une idylle semble s’ébaucher entre les jeunes gens. En le nommant gouverneur de Galicie, l’empereur éloigne ce prétendant de sa fille, qui, en tant qu’aînée peut prétendre à mieux qu’un obscur cousin.
Le 5 juillet 1809, c’est la bataille de Wagram, victoire en demie-teinte pour Napoléon, mais décisive pour le futur de l’Autriche. Les portes de Vienne lui ont été ouvertes à nouveau. Il s’est installé à Schönbrunn, et en a fait son quartier général.
Salon Napoléon à Schönbrunn
Il y restera de mai à octobre 1809. Le 14 octobre 1809, il y signe le traité qui porte le nom du château. L’Autriche doit reconnaître les conquêtes de Napoléon sur les autres nations, accepter Joseph Bonaparte comme roi d’Espagne.
Elle doit également rejoindre le blocus continental contre l’Angleterre. Le Tyrol et Salzbourg sont cédés à l’allié de Napoléon, le roi de Bavière.
Le royaume de Galicie est cédé au duché de Varsovie. Trieste et la Dalmatie sont cédées à la France. L’Autriche doit verser en plus une lourde indemnité à la France, quatre-vingt-cinq millions de francs, et son armée doit être réduite à 150 000 hommes. Elle a perdu 300 00 kms2, trois millions de sujets et l’accès à la mer.
Pour François Ier c’est la déroute totale. Mais cette situation ne diminue en rien l’amour, voire la vénération, que Marie-Louise porte à son père. “Je vous assure, écrit-elle le 24 décembre, que, si j’étais une simple particulière, je me ferais gloire d’être une Autrichienne, car c’est sûrement le peuple qui, par son attachement inviolable à son souverain, mérite sur cet article le premier rang dans les peuples d’Europe. En lisant vos descriptions, je me sentis attristée en pensant que je ne pouvais partager le bonheur des Viennois et être en même temps qu’eux aux pieds du meilleur des pères. J’ai déjà fait tant de sacrifices que si celui-ci peut contribuer au bonheur de ses sujets, je le fait volontiers.”
Le 10 janvier, elle écrit à Victoire de Poulet : “Je vois Kozeluch (son professeur de piano) parler de la séparation de Napoléon avec son épouse ; je crois même qu’il me nomme pour celle qui la remplacera, mais dans cela il se trompe, car Napoléon a trop peur d’un refus et trop envie de nous faire encore du mal pour faire une pareille demande, et papa est trop bon pour me contraindre sur un point d’une telle importance”.
Le même jour, elle écrit à à Mme de Colloredo : “ Buda est comme Vienne et l’on ne parle que du divorce de Napoléon. Je laisse parler tout le monde et ne m’en inquiète pas du tout. Je plains seulement la pauvre princesse qu’il choisira, car je suis sûre que ce ne sera pas moi qui deviendrai la victime de la politique.
Divorce de Napoléon et Joséphine le 16 décembre 1809
par Frédéric Henri Schopin
Le 22-23 janvier, elle lui écrit encore: “ Depuis le divorce de Napoléon, j’ouvre chaque gazette de Francfort dans l’idée d’y trouver la nomination de la nouvelle épouse et j’avoue que ce retard me cause des inquiétudes involontaires. Je remets mon sort entre les mains de la divine Providence.
Elle seule sait ce qui peut nous rendre heureux. Mais, si le malheur voulait, je suis prête à sacrifier mon bonheur particulier au bien de l’Etat, persuadée que l’on ne trouve la vraie félicité que dans l’accomplissement de ses devoirs, même au préjudice de ses inclinations. Je ne veux plus y penser, mais ma résolution est prise, quoique ce serait un douloureux et bien pénible sacrifice. Priez pour que cela ne soit pas.”
Comment décrire celle qui va bientôt être sacrifiée sur l’autel de la politique ? Nature sensible et généreuse, elle est une gentille fille, blonde, très fraîche, avec de belles couleurs, une peau rose et blanche, des yeux d’un bleu de faïence claire, le nez droit, une légère lippe, caractéristique de sa famille, le front haut et large.
Elle est bien charpentée avec de fines attaches. Elle mesure1,67 mètre.
Sans être très intelligente, mais suffisamment pour avoir bien appris ce qui lui a été enseigné et en tirer le meilleur, elle devrait faire une excellente épouse. Elle aime être aimée.
Marie-Louise à l’âge de 18 ans par le baron Gérard
L’archiduchesse Marie-Louise, image même de la Viennoise idéalisée, dans peu de mois, va devenir impératrice des Français, passant d’une vie de cour familiale et simple aux fastes prétentieux et aux intrigues de la cour impériale de France. (Merci à Patrick Germain pour cette première partie). A suivre…
Baboula
4 novembre 2024 @ 07:26
Quelle belle écriture . Un grand plaisir de découvrir la jeune archi duchesse.
Charlotte (de Brie)
4 novembre 2024 @ 07:34
Une semaine qui commence bien !
Comme toujours avec Patrick Germain, l’iconographie « colle » parfaitement à l’écrit.
Cette première partie permet déjà un nouveau regard sur cette jeune archiduchesse souvent présentée comme parfaitement insignifiante, sans culture ni relief.
Bien sur nous connaissons les grandes lignes de la suite, mais le souci du détail de l’auteur nous permettra sans nul doute de voir plus loin que les clichés habituels collant à la peau de Marie Louise.
Merci à vous, ami !
Robespierre
4 novembre 2024 @ 08:35
Quand on achète une biographie d’un personnage connu on ne se trouve pas comblé comme ici par une iconographie abondante et parfois rare. Ces illustrations sont un vrai régal.
Patrick Germain dans ce travail fait une bonne synthèse de tout ce qui concerne la femme de Napoléon. Lui, il souligne un aspect passé sous silence mais qui devait être explicité . L’éducation de très haut niveau de Marie-Louise. Elle était polyglotte, instruite, et avait une formation artistique non négligeable. Avec ce genre d’éducation, elle ne pouvait être une épouse futile et tous les matins aux Tuileries elle lisait ou prenait des leçons d’art, et continuait à se cultiver l’esprit. Rien à voir avec Josephine qui passait des heures avec ses fournisseurs et achetait des vêtements et colifichets à tout va.
Quand je vois un portrait de Marie-Louise impératrice, je regarde toujours ses vêtements et pense à Madame de Montebello sa dame d’honneur qui se chargeait de ces achats. Marie-Louise lui donnait carte blanche pour cela et quand on compare avec Joséphine, on sourit.
mousseline
4 novembre 2024 @ 08:49
Très bel article, bien documenté. Marie Louise d’ Autriche, sacrifiée sur l’ autel de la politique, fût toutefois une mère assez lointaine pour l’ aiglon. Triste pour cet enfant, puis jeune homme, qui vivait à Vienne à la cour de son grand père.
Cosmo
4 novembre 2024 @ 09:40
La suite vous montrera que Marie-Louise n’était pas la mère indigne de la légende française. Son fils et elle n’ont eu aucun mot à dire sur l’organisation de leurs rapports. Ils furent, tous deux, victimes d’une situation politique qui les dépassait. Le fils était assigné à Vienne, la mère à Parme. Aucun des deux ne pouvait se déplacer sans l’autorisation de Metternich.
Robespierre
4 novembre 2024 @ 09:53
Oui, c’est une vue très superficielle, la mauvaise mère. Heureusement, P. Germain remettra les pendules à l’heure. Metternich lui a fait du chantage, et l’a bernée. A propos du futur duc de Reichstadt
Baboula
4 novembre 2024 @ 10:26
Voyons Mousseline ! Pourquoi déflorer la suite de l’histoire ?
Pierre-Yves
4 novembre 2024 @ 09:38
Merci pour ce récit qui ne démarre pas mal pour la future impératrice. Exception faite d’une mère assez froide, elle était aimée et entourée, ce qui aide beaucoup dans la vie. L’ironie presque cynique de son destin, c’est d’avoir été élevée dans la haine de Napoléon pour se retrouver ensuite mariée à lui.
Trianon
4 novembre 2024 @ 10:09
Comme toujours , c’est un régal! Si agréable à lire, si joliment documenté !
Mille mercis cher Cosmo
Erato deux
4 novembre 2024 @ 10:18
Merci. Mille fois. Cet récit est vivant . Vivement la suite.