Une impératrice qui n’était plus impératrice, encore Majesté, et bientôt duchesse de Parme, Plaisance et Guastalla, telle était la situation de Marie-Louise en ce début d’été 1814. Si sa position était difficile aux yeux de la Cour de Vienne, elle était impossible pour elle.
Ci-dessus, Schönbrunn tel que l’a connu Marie-Louise.
Son oncle, l’archiduc Charles, duc de Teschen, représentant Napoléon, l’avait conduite à l’autel lors du mariage par procuration. C’est lui qui lui offrit son bras pour la conduire dans ses appartements à son arrivée à Schönbrunn.
C’est à ce moment là qu’intervint le rôle de Metternich. Afin de la persuader, alors qu’elle était encore en France de rentrer en Autriche et trouver refuge auprès de son père, il lui écrivit : “ Madame…J’aurai l’honneur de fournir demain à Votre Majesté impériale de nouvelles preuves de la sollicitude de l’Empereur pour Elle et son fils…Je puis toutefois Lui donner d’avance la certitude que l’on réserve à Votre Majesté impériale une existence indépendante qui passera à Son Auguste fils. Il serait superflu que j’assurasse Votre Majesté que l’Empereur lui voue le plus vif intérêt. Avec quelle satisfaction il la recevrait chez lui !
Le prince de Metternich lithographie de Aubert Junca Julien
L’arrangement le plus convenable sans doute serait celui qu’Elle se rendît momentanément en Autriche avec Son enfant en attendant qu’Elle ait le choix entre les lieux où se trouve l’empereur Napoléon et son propre établissement.
L’Empereur aurait de cette manière le bonheur d’aider de son mieux à sécher les larmes que vous n’avez que trop de motifs de répandre Madame ! Votre Majesté serait tranquille pour le moment et libre de sa volonté pour l’avenir.
Elle amènerait avec Elle les personnes auxquelles elle voue le plus de confiance. Je ne puis pas assez supplier Votre Majesté d’être parfaitement tranquille sur sa sûreté et celle de tout ce qui lui appartient. Elle a souvent daigné me vouer de la confiance; qu’Elle ne le fasse pas moins quand, dans l’immense crise du moment, je lui donne une assurance fondée sur la connaissance plénière des choses.”
Sur ces belles paroles rassurantes, Marie-Louise entreprit donc le retour vers Vienne.
L’empereur François en 1815 par Daffinger
Napoléon était à l’île d’Elbe, souverain d’un confetti méditerranéen et Marie-Louise à Schönbrunn où elle avait repris les habitudes de son enfance et du commencement de sa jeunesse.
Après tant de mois d’anxiété, tant d’années d’avoir à se maîtriser pour jouer le rôle d’impératrice des Français, Marie-Louise pouvait enfin mener une vie paisible. Elle en était heureuse. Elle pouvait enfin se consacrer à son fils dont l’appartement communiquait avec le sien par un cabinet de toilette.
A ses activités habituelles, musique, peinture, équitation, elle avait ajouté l’étude de la langue italienne car son destin parmesan se dessinait avec plus de précision. Elle voulait parler la langue de ses sujets, qui était aussi celle de son père.
L’archiduchesse Léopoldine en 1815 par Joseph Kreutzinger
La famille avait repris ses droits. Ses sœurs, Léopoldine, Marie-Clémentine, Caroline, Marie-Anne étaient ses compagnes. Elle voyait aussi ses frères, Ferdinand et François-Charles qui à peine plus âgés que le roi de Rome, désormais prince de Parme, en étaient les compagnons de jeux.. Cette aimable atmosphère la changeait des coups bas de la Cour de France et de la famille de son mari.
L’archiduchesse Marie-Clémentine en 1816
L’archiduchesse Caroline par Natale Schiavoni
L’archiduchesse Marie-Anne
Elle était aussi devenue un objet de curiosité. Elle ne pouvait se déplacer sans attirer une foule désireuse de la voir, respectueusement, ainsi que son bel enfant.
Marie-Louise et son fils
Si l’impératrice Joséphine, morte le 29 mai 1814, soutenue par l’amitié du tsar Alexandre avait dit, selon la légende : “Ah! maintenant qu’il est malheureux ce pauvre Napoléon, comme j’irais m’enfermer avec lui dans son île, si sa seconde femme n’existait pas !”, il n’en fut pas de même de Marie-Louise, qui s’était laissée adorer et combler de cadeaux, mais qui au fond n’était pas mécontente de la situation présente, dégagée de tout souci.
Dans son entourage, il y avait sa grand-mère, la reine Marie-Caroline de Naples, sœur de Marie-Antoinette, ses parents, ses oncles et tout l’aréopage de la Cour de Vienne, les Metternich, les Kinsky, les Dietrichstein, le Trauttmansdorf, et bien d’autres. Elle avait aussi retrouvé sa chère comtesse Colloredo.
La comtesse de Brignole-Sale, née Anna Maria Gaspara Vincenza Pieri (1765-1815)
Le baron de Méneval raconte dans ses mémoire que Marie-Louise, dès le lendemain de son arrivée à Schönbrunn, avait établi l’ordre de service de sa maison, sans avoir prescrit une règle particulière.
Elle voulut même bannir toute étiquette et réaliser son rêve favori de la vie privée. Elle refusait de vivre avec sa famille, conservant ainsi son indépendance domestique.
Elle déjeunait et dînait à ses heures ordinaires, à 11 heures du matin et à 7 heures du soir, avec ses familiers français, la comtesse de Brignole, qui avait remplacé la duchesse de Montebello sur l’ordre de la Cour de Vienne, M. de Bausset et le baron de Méneval.
Elle invitait alternativement un petit nombre de personnes de sa famille, des ministres et leurs femmes, des officiers et des dames de la Cour de l’empereur d’Autriche, et quelques personnages que recommandaient leurs dignités ou leur rang dont le prince de Ligne, le grand esprit du XVIIIe siècle, qui mourra quelques mois plus tard.
Le prince de Ligne en 1807
Monsieur de Bausset raconte dans ses mémoires : “ Très souvent, l’empereur François ou l’un des archiducs venait déjeuner avec Marie-Louise, l’archiduc Charles et son frère Rodolphe plus fréquemment que les autres.
L’étiquette se ressentait de l’heureux caractère de l’Impératrice et de la bienveillance facile de la maison d’Autriche: Mme de Brignole, M. de Méneval et moi, constamment admis à ces banquets de famille, n’étions assujettis ni le matin, ni le soir, au sérieux de l’uniforme, quel que fût le rang des personnages qui venaient augmenter le nombre des convives.”
L’impératrice Marie-Ludovica
Elle écrit à Napoléon fin mai 1814 : “J’ai été reçue ici à merveille j’ai été bien touchée de la manière dont ma belle-mère et toute ma famille ont bien voulu me recevoir, mais j’ai été mécontente moi; je n’ai pas eu de plaisir à les revoir; je deviens indifférente à tout; je voudrais que cela puisse me rendre insensible, j’en aurais bien besoin.”
Le 5 juin, elle lui écrivait : “ Je me console à l’idée que tu penses quelques fois à moi mais ne devrais-je pas te souhaiter de pouvoir m’oublier; tu n’aurais pas d’inquiétude, tandis que moi, tourmentée, t’aimant plus tendrement que jamais, je passe des journées entières à me désespérer de ne pas te voir.”
L’île d’Elbe, un rocher entre la Corse et la Toscane
Disait-elle la vérité ou voulait-elle faire plaisir à Napoléon dont elle recevait encore la correspondance non ouverte ?
Marie-Louise souhaitait surtout aller prendre les eaux à Aix en Savoie. Mais le gouvernement autrichien, le prince de Metternich ne voyait pas la chose d’un bon œil.
Il craignait qu’elle en s’échappât pour aller rejoindre Napoléon à l’île d’Elbe, suivant ainsi les conseils de sa grand-mère de Naples qui lui suggérait d’aller rejoindre son mari, que personnellement elle détestait pour bien des raisons mais qu’elle admirait aussi pour bien d’autres raisons.
Marie-Caroline de Habsbourg-Loraine, indomptable grand-mère, reine de Naples
Elle ne pouvait retenir son indignation devant les manœuvres employées pour arracher sa petite-fille à des liens qui faisaient sa gloire, et pour priver l’Empereur de la consolation d’avoir sa femme avec lui.
Elle ajoutait que si l’on s’opposait à leur réunion, il fallait que Marie-Louise attachât les draps de son lit à sa fenêtre et s’échappât sous un déguisement: “Voilà, répétait-elle, ce que je ferais à sa place; car quand on est mariée, c’est pour la vie!” Mais ce côté rocambolesque n’était pas dans l’esprit de sa petite-fille. Marie-Caroline mourra le 8 septembre 1814.
On lui suggéra d’autres lieux de cure, dont Carlsbad en Bohême. Non elle tenait à Aix et faisait savoir qu’elle ne se rendrait à Parme qu’après et ensuite à l’île d’Elbe. Elle suivait le conseil de la reine de Naples mais en conservant la dignité de son rang, sans courir les routes sous un déguisement.
Retour triomphal de l’empereur François à Vienne le 15 juin 1814
par Johann Peter Krafft
Le 15 juin 1814, l’empereur François revint à Vienne et accorda à sa fille chérie ce qu’elle demandait. Le 29 juin, jour fixé pour son départ, Marie-Louise reçoit dans la journée sa grand-mère la reine Marie-Caroline, plusieurs de ses oncles, ses deux frères, leurs gouverneurs et le médecin de l’empereur François.
A 6 heures du soir, elle va prendre également congé de ses sœurs. Au moment du départ elle promet à sa belle-mère de revenir après avoir pris deux saisons d’eaux.
Elle n’était pas fâchée de partir car, malgré tout, elle était dans une position fausse à Vienne où elle était revenue déchue du haut rang auquel l’avait placée la politique matrimoniale de sa famille, dont la devise n’était-elle pas : “Tu felix Austria, Nubes.”
Mais elle part sans son fils que Vienne garde en otage pour être certaine de son retour. Durant son voyage et son séjour à Aix, elle sera la duchesse de Colorno. A l’époque, en application du Traité de Paris, une partie de la Savoie, dont Chambéry et Aix, sont encore françaises.
Elle passe par Munich où elle est accueillie par le prince Eugène et son épouse la princesse Auguste de Bavière. Elle y rencontra Caroline Augusta de Bavière, à l’époque princesse royale de Wurtemberg, qui après son divorce le 31 août 1814, deviendra la dernière épouse de son père.
Le 10 juillet elle passe la journée à Allaman, près de Lausanne, chez son beau-frère, Joseph Bonaparte, ex-roi d’Espagne, heureux de se revoir.
Enfin le 17 juillet à 6 heures du soir, elle arriva à Aix où elle séjournera jusqu’au 4 septembre, le temps de voir son destin basculer à nouveau. Elle avait voyagé en impératrice des Français, épouse de Napoléon. Elle allait bientôt l’oublier en trouvant un nouvel amour.
Sa première entrevue avec le général comte Neipperg ne fut pas un succès. Elle lui fut même désagréable. Mais qui était ce Neipperg et que faisait-il là ? Marie-Louise n’avait-elle pas déjà une suite ?
Villa Chevalley où résida Marie-Louise à Aix
Frédéric Masson, dans son ouvrage en dresse un portrait peu flatteur. Après avoir cité les paroles du maréchal Davout à son propos : “un des intrigants les plus effrontés que l’on puisse rencontrer” et celles de Napoléon : “M. de Neipperg est publiquement connu pour avoir été l’ennemi des Français”, Frédéric Masson continue : “Partout où il y a un ennemi à susciter à Napoléon, on le trouve ou on le soupçonne : car il échappe, ne se vante pas et agit. Dans la sphère où il évolue, nul ne contribue davantage à la chute ; nul ne semble en éprouver une telle joie, comme la revanche d’une haine privée. Et, en même temps, c’est un personnage de roman qui enlève des femmes partout où il passe et court à travers l’Europe les aventures galantes ; avec ses quarante-deux ans, son œil crevé et son bandeau noir, l’homme irrésistible, une façon de Don Juan à qui la pudique Autriche pardonne toutes ses fredaines, dont elle légitime les cinq enfants, dont elle accueille presque la femme, — celle-là, Thérèse Pola, qu’à Mantoue, en 1801, il a enlevée à son mari le sieur Remondini, de Brescia, et qu’il n’a épousée qu’en 1813. Tel est l’homme que la Chancellerie désigne à l‘Archiduchesse-Impératrice, fille aînée de Sa Sacrée Majesté Impériale, pour guide, pour chevalier, pour compagnon. Avant six mois, dit Neipperg à sa maîtresse en quittant Milan, je serai son amant et bientôt son mari.”
Le général comte Neipperg en 1820
Neipperg n’était peut-être pas aussi noir que Frédéric Masson l’écrit mais il est certain qu’il avait eu une carrière jusque là plutôt aventureuse.
Il est né à Vienne le 8 avril 1775 ; il a donc près de 40 ans quand il est envoyé en service auprès de Marie-Louise. Il appartient à une famille de la grande noblesse du Saint Empire Romain Germanique, le comté de Neipperg, situé entre Stuttgart et Heidelberg, étant devenu en 1760, un état d’empire.
Il fut médiatisé en 1806 dans le royaume de Wurtemberg. Au début de la Révolution française, il en rejoint les troupes, mais en 1791, il se rallie à l’Autriche. Il fut de beaucoup de batailles entre la France et les Coalisés entre 1791 et 1814, dont Marengo et Leipzig.
Son grade était “Feldmarschall-Leutnant”, on pourrait dire général de brigade.
En 1809, il fut nommé ambassadeur d’Autriche en Suède où il encouragea Bernadotte à entrer dans la coalition contre Napoléon en 1813. En 1814, Metternich l’envoya à Naples auprès de Murat pour le rallier, avec succès. Il échoua, dans sa tentative de ralliement du Prince Eugène.
Contrairement à ce qu’écrit Masson, ce n’est pas en 1813 qu’il épousa Thérèse, comtesse de Pola, mais en 1806, et leur premier enfant naîtra en 1807.
Neipperg, son épouse et leur fils en 1810
Le baron de Méneval, qui le connut un peu au moment où Neipperg prenait ses fonctions à Aix, en dresse un portrait plus précis et un peu plus flatteur : “ Le comte de Neipperg n’était pas doué d’avantages extérieurs remarquables. Un bandeau noir cachait la cicatrice profonde d’une blessure qui l’avait privé d’un œil; mais cet inconvénient disparaissait quand on le considérait avec quelque attention.
Cette blessure allait même assez bien avec l’ensemble de sa figure qui avait un caractère martial; il avait des cheveux d’un blond clair peu fournis et crépus. Son regard était vif et pénétrant.
Ses traits n’étaient ni vulgaires, ni distingués; leur ensemble annonçait un homme délié et subtil. Son teint, dont le ton général était coloré, manquait de fraîcheur; l’altération causée par les fatigues de la guerre et de nombreuses blessures s’y faisait sentir.
Il était d’une taille moyenne mais bien prise, et l’élégance de sa tournure était relevée par la coupe dégagée de l’uniforme hongrois.
Le général Neipperg avait alors quarante-deux ans environ. L’abord du comte Neipperg était celui d’un homme circonspect. Son air habituel était bienveillant, mêlé d’empressement et de gravité.
Ses manières étaient polies, insinuantes et flatteuses. Il possédait des talents agréables; il était bon musicien. Actif, adroit, peu scrupuleux, il savait cacher sa finesse sous les dehors de la simplicité; il s’exprimait avec grâce et écrivait de même.
Il joignait à beaucoup de tact l’esprit d’observation; il avait le talent d’écouter et prêtait une attention réfléchie aux paroles de son interlocuteur. Tantôt sa physionomie prenait une expression caressante, tantôt son regard cherchait à surprendre la pensée. Autant il était habile à pénétrer les desseins des autres, autant il était prudent dans la conduite des siens.
Joignant les apparences de la modestie à un grand fond de vanité et d’ambition, il ne parlait jamais de lui. Il était brave à la guerre; ses nombreuses blessures prouvaient qu’il ne s’y était pas épargné.”
Une chose est certaine, Neipperg avait du courage et du caractère. Il occupait une place importante dans la stratégie de Metternich qui ne se trompa pas en l’envoyant à Aix.
Sa mission était d’observer Marie-Louise, sans l’importuner, de faire des rapports à Vienne sur son attitude et l’empêcher de rejoindre Napoléon.
Après la deuxième rencontre, Marie-Louise écrivit à Napoléon : “ Mon père m’a envoyé le général Neipperg, il est bien., il parle bien de toi.” Puis, quelques jours après elle écrivit à Vienne : “Le comte est plein d’attentions pour moi; nous avons fait connaissance de manière satisfaisante et sa manière me plait très fort.”
Le 17 juillet 1814, la nouvelle duchesse de Parme faisait connaissance du général comte Neipperg. L’été passé ensemble sur les bords du lac du Bourget, les attentions dont elle était l’objet, les promenades, les soirées de musique les avaient rapprochés.
Rejoindre son duché au plus tôt était l’objectif de Marie-Louise et Neipperg savait se faire son interprète auprès de l’empereur François et de Metternich. Napoléon de son côté espérait la venue de sa femme. “Ton logement est prêt et je t’attends en septembre pour faire les vendanges. Personne n’a le droit de s’opposer à ton voyage. Viens donc, je t’attends avec impatience.” écrivit-il le 18 août.
La résidence de Napoléon à l’île d’Elbe
La chambre de Napoléon
Un salon
Le 15, pour son anniversaire, il avait reçu d’elle une mèche de ses cheveux. “ Je t’envoie une mèche de mes cheveux, je suis bien fâchée de ne pouvoir t’offrir quelque chose de mieux, mais tu y reconnaîtras l’intention..”
Mais, malgré tout, Marie-Louise tergiverse. Elle ne se plaint pas de son séjour à Aix, loin de là. « Ma santé est assez bonne. Je suis à mon dixième bain: ils me feraient du bien si j’avais l’esprit assez tranquille; mais je ne puis être contente avant d’être sortie de ce funeste état d’incertitude.” écrit-elle au baron de Méneval le 9 août 1814.
Certes, elle serait heureuse de rejoindre son mari, mais le Congrès de Vienne qui se prépare ne saurait se faire sans elle et elle doit veiller à ses intérêts. Elle se dit sous surveillance, ce qui est vrai “le général Neipperg m’a dit avoir dans sa poche l’ordre d’intercepter toutes les lettres que je pourrais t’écrire.”
Elle est donc partagée entre le désir d’aller à Parme où elle souhaite régner et être libre, et la velléité de rejoindre l’Empereur à l’île d’Elbe. La vie à Aix est loin d’être désagréable.
Elle a une belle maison à l’écart de la ville, avec la vue sur le lac, qui avait été autrefois celle de la reine Hortense. Elle prend part tous les divertissements publics d’une ville d’eau et se conduit non comme une souveraine détrônée, loin de son mari et de son fils, mais à la façon, d’une jeune élégante qui s’émancipe et s’étourdit.
Au milieu de ce désastre de l’Empereur, de l’Empire et de la France, elle s’amuse. Dans ses voitures aux armoiries d’empire, aux laquais à livrée impériale, elle va, en compagnie de Madame de Montebello qui ne la quitte point, aux bals qu’on donne par souscription ; elle organise des excursions, elle reçoit et offre des fêtes champêtres.
A la fin, elle fait tant de bruit que, à Paris, le duc de Berry se fâche et que, le 9 août, Talleyrand écrit à Metternich que la saison des eaux ayant été bien complète pour Mme l’archiduchesse, il conviendrait que son séjour ne se prolongeât pas. C’est ainsi que Frédéric Masson décrit sa villégiature.
La vue sur le Lac du Bourget
Elle reçut alors, de Metternich, une lettre comminatoire : « Votre Majesté a l’intention de se rendre au commencement de septembre à Parme. L’Empereur, son auguste père, se propose de lui écrire pour la dissuader de ce voyage dans le moment actuel. Je prends la liberté respectueuse de lui en démontrer l’impossibilité.
La présence de Votre Majesté à Parme, avant la fin du congrès la mettrait dans un état de compromission perpétuelle. Il serait, d’après mon intime conviction, même possible qu’elle préjugeât l’état de possession même du Duché.
La branche de la Maison de Bourbon, anciennement en possession de Parme, se remue beaucoup; elle trouve un grand appui en France, en Espagne. Le moindre trouble en Italie pourrait même au delà de ce qu’il est possible de prévoir la favoriser, et la présence de Votre Majesté dans le moment actuel, et dans la proximité de provinces provisoirement administrées, peut contribuer à compliquer les questions d’une manière extrême.”
Cette lettre ne pouvait que conforter son nouveau état d’esprit. En réalité, elle se détache de Napoléon et ne supporte pas les reproches qu’il lui adresse, dont celui de l’abandonner lui à l’île d’Elbe et leur fils à Vienne.
Napoléon en est encore à son rêve de la voir venir le rejoindre. “…j’attends l’Impératrice à la fin d’août, je désire qu’elle fasse venir mon fils et qu’il est singulier que je ne reçoive pas de ses nouvelles, ce qui vient de ce qu’on retient les lettres ; celle mesure ridicule a lieu probablement par les ordres de quelque ministre subalterne et ne peut pas venir de son père ; toutefois, que personne n’a de droit sur l’Impératrice et son fils.”
Mais le 5 septembre, Marie-Louise part enfin pour Vienne. La duchesse de Montebello, qui était restée jusque là avec elle, repart pour Paris, inquiète de l’emprise grandissante de Neipperg. Marie-Louise finit par avouer qu’elle n’ira jamais à l’île d’Elbe. Elle était impératrice des Français, elle n’a aucune envie d’être reine d’Elbe. L’idée de régner sur le duché de Parme la séduit et elle doit tout faire pour se le voir attribué définitivement.
Les armes de Napoléon souverain de l’île d’Elbe qui ne seront jamais celles de Marie-Louise
Neipperg sut se montrer persuasif, probablement sur ordre de Metternich. Il lui fait miroiter tous les avantages qu’elle trouvera à Parme. Elle y sera souveraine, indépendante, vivant à sa guise.
Parme n’était pas un lot de consolation mais un état qui avait été compris dans le monde des Bourbons, qui par ailleurs n’y renonçaient pas. Qu’aurait-elle à gagner en rejoignant Napoléon à l’île d’Elbe ? Rien car elle serait jetée hors du cercle habsbourgeois voire de l’Europe entière qui avait vaincu Napoléon.
L’idée de retourner à Vienne, à laquelle elle s’opposait au début, fit son chemin. Le baron de Méneval n’était près d’elle que par intermittence et ne pouvait la maintenir dans son idée première de rejoindre Napoléon.
Il écrivit à sa femme le 23 septembre 1814 : “Sa tête n’est pas occupée comme je le voudrais. Tu connais mon tendre attachement pour Elle; il a redoublé depuis que je la vois dans un chemin qui la mène à sa perte. Je voudrais le cacher à toute la terre, à toi-même.
Garde donc pour toi ce que je te dis là. Quoi qu’il arrive d’Elle, Elle nous est respectable par son rang, ses rares qualités, et la reconnaissance que je dois à ses bontés. Elle est pleine de bons sentiments, mais elle est entourée d’écueils et sa jeunesse et son inexpérience ont tant besoin d’un guide et d’un protecteur!.”
Le voyage de retour se fait par la Suisse. Marie-Louise est accompagnée de Neipperg, de son adjudant, de la comtesse de Brignole, de son médecin, le docteur Héraeu et son épouse qui était sa lectrice, et du baron de Méneval. Ce dernier constate un relâchement dans le protocole qui jusque là entourait l’Impératrice. Il voit s’installer une familiarité hors de mise même avec une archiduchesse d’Autriche.
A la suite d’une promenade en barque sur le lac des Quatre-Cantons, le couple, surpris par l’orage à Küsnacht, doit se réfugier à l’auberge du “Soleil d’Or”. Ce soir-là le 24 septembre 1814, ils devinrent amants.
L’auberge du “Soleil d’Or” à Küsnacht
Comment l’expliquer ? Elle avait été mariée de force à un homme qu’elle avait fini par aimer, elle était séparée de lui par la volonté des autres, à laquelle elle ne pouvait s’opposer si elle voulait enfin être tranquille et avoir son fils avec elle.
Marie-Louise est faible, elle ne sait pas vivre sans appui, elle ne sait pas prendre de décision radicale.
Neipperg était là, la protégeant, la courtisant. Elle avait besoin d’un homme sur lequel s’appuyer et elle céda. Probablement de bonne grâce. Metternich avait réussi au-delà de toute espérance.
Marie-Louise allait se conformer aux vœux de son père, rentrer dans le rang et servir les intérêts de l’Autriche en régnant à Parme. Le 2 octobre, il arrivait à Braunau, là-même où elle avait été remise à la France pour devenir impératrice des Français.
Comme Andromaque Marie-Louise aurait pu dire : “Puisqu’après tant d’efforts ma résistance est vaine, Je me livre en aveugle au destin qui m’entraîne.” (Merci à Patrick Germain pour cette 6ème partie. A suivre…)
Andromaque porte sur ses genoux Astyanax qui tend la main vers le panache du casque de son père Hector sur le point de partir au combat.
Cratère à colonne apulien à figures rouges, v. 370-360 av. J.-C
Régine ⋅ Actualité 2024, Autriche, Italie, Ligne, Napoléon, Neipperg, Portraits 14 Comments
Passiflore
9 novembre 2024 @ 10:21
La comtesse de Brignole était la mère d’Antoine de Brignole-Sale, préfet de Montenotte, que le Pape Pie VII, prisonnier à Savone, appela « mon bon geôlier ». Le pape lui rendra visite après la fin de l’épopée napoléonienne dans sa somptueuse villa Brignole-Sale de Voltri près de Gênes.
Kalistéa
9 novembre 2024 @ 10:39
Le portrait de Neiperg par Frédéric Masson est répugnant .
Robespierre
10 novembre 2024 @ 11:25
Biaisé en tout cas.
Marie-Caroline de Bretagne
9 novembre 2024 @ 10:46
J’ai toujours apprécié l’anecdote de la reine de Naples encourageant sa petite-fille à rejoindre son époux qu’elle-même détestait … Merci pour les miniatures qui me permettent de découvrir les visages de certaines des soeurs de Marie-Louise : si je connaissais celui de la future impératrice du Brésil, je n’avais jamais vu ceux de Caroline, Marie-Clémentine (morte à Chantilly, chez son gendre le duc d’Aumale, sous la IIIe république) et Marie-Anne. Vivement la huitième partie !
Jean Pierre
9 novembre 2024 @ 11:04
Pas le genre à jouer les « Pénélope » et elle a eu bien raison.
Robespierre
9 novembre 2024 @ 12:24
Metternich ont dirait une araignée qui tisse sa toile. Il veut entrainer ML là où il le désire et y réussira. Il lui fait miroiter pour son fils un destin qu’on lui refusera pas la suite. L’important pour Metternich est de séparer les époux. A mon avis, il savait ce qu’il faisait en choisissant Neypperg comme accompagnateur et plus si affinités. Contre ces deux hommes Marie Louise ne » faisait pas le poids ».
J’aime bien le portrait que Cosmo nous cite de Neipperg sous la plume de Meneval. On voit toute la complexité d’un homme et Meneval est plus nuancé que Masson.
Je suis encore une fois émerveillée par l’iconographie qu’on nous présente. Aucun livre, je le répète ne fait cela. Les détails de la résidence de l’Ile d’Elbe sont difficiles à trouver. J’ai regardé le prince de Ligne à la fin de sa vie, oui, celui qui disait qu’en amour les commencements étaient charmants. J’ai une anecdote à son sujet qui m’a fait réfléchir. Le prince de Ligne allait souvent passer ses soirées chez deux soeurs âgées et célibataires, nobles mais pauvres. Ils parlaient du bon temps jadis, qu’ils regrettaient. . Elle habitaient au 5e étage. Un jour, le pauvre prince, dans l’état où on le voit ci-dessus, leur écrivit qu’il était triste mais qu’il ne pourrait plus les fréquenter, car il ne pouvait plus monter cinq étages. Un monsieur que j’ai connu, moins âgé avait dit pareil à une dame qui s’intéressait à lui et ne vint plus la voir. Clémenceau, quand il disait « le meilleur moment de l’amour c’est quand on monte l’escalier » ne pensait ni à l’âge ni à l’étage.
Actarus
9 novembre 2024 @ 12:46
Quel destin romanesque en cette époque romantique ! Alors que Noël approche et que Sissi va revenir sur le petit écran, je me dis que la vie de la jeune Marie-Louise mériterait bien quelques films…
Anne-Laure
9 novembre 2024 @ 12:51
Cosmo, merci beaucoup pour cette série d’articles très bien écrits, et dont l’iconographie est un vrai plaisir !
plume
9 novembre 2024 @ 13:04
Marie Louise manipulée incapable de prendre une décision allant contre celle de sa famille et de Metternich aussi filou que Talleyrand.
Mary🐇
10 novembre 2024 @ 08:14
Merci Cosmo !
Absolument passionnant et instructif , avec un éclairage nouveau sur des personnages que l’on croyait connaître…
Mayg
10 novembre 2024 @ 13:01
Elle a vite fait d’oublier Napoléon. Je me demande ce qu’elle a bien pu trouver à Neiperg.
Mayg
10 novembre 2024 @ 15:12
* Neipperg
Cosmo
12 novembre 2024 @ 09:17
Sans être trivial, je pense que Marie-Louise avait besoin d’un homme dans son lit et dans sa vie. Son père, trois fois veuf, n’est jamais resté longtemps sans femme. Comme il ne pouvait concevoir d’avoir une maîtresse, il se remariait rapidement. Et ce n’était pas pour assurer la dynastie.
Robespierre
12 novembre 2024 @ 13:18
Les historiens pudibonds du 19e Siècle ont voulu faire passer ML pour une nymphomane. Ce qu’elle n’était pas. A notre époque on trouverait tout à fait normal qu’une femme entre un veuvage et un remariage, ou entre deux mariages ait des amants. Un intérim en quelque sorte.