Après la proclamation du Royaume de Roumanie le 14 mars 1881 et le couronnement du Roi Carol Ier et de la Reine Elisabeth le 10 mai, la décision fut prise de construire un palais en adéquation avec le nouveau statut du pays. Il fut inauguré quatre années plus tard, le 10 mai 1885.
Les plans, dans le style Ecole des Beaux-Arts, furent dessinés par Paul Gottereau (1843-1924), un architecte français établi à Bucarest, auteur de trois autres bâtiments emblématiques de la capitale : le palais de la Caisse de Dépôts et Consignations (1875-1900), le Palais Cotroceni (1888/1893-1895), résidence du couple princier héritier, actuellement musée, et la Bibliothèque de la Fondation Roi Carol Ier (1891-1893).
L’aménagement intérieur fut conçu par le même Gottereau. La disposition de la Salle du Trône, dont il montra à l’Exposition Universelle de 1889 deux aquarelles, non localisées à présent, nous est connue par plusieurs photos.
Ravagé par un incendie provoqué par un court-circuit électrique dans la nuit du 6 au 7 décembre 1926, le palais fut reconstruit entre 1928 et 1940 d’après les projets de style néo-classique moderniste par l’architecte du Ministère des Domaines de l’Etat, Nicolae Nenciulescu (1879-1973), avec la contribution pour les aménagements intérieurs de l’architecte de la Cour, Arthur H. Lorenz (1887-1947).
Dans sa dernière version inaugurée le 1er janvier 1935, la Salle du Trône de style néo-Adams, utilisée pendant le régime communiste comme Salle du Conseil d’Etat de la République Populaire puis Socialiste de Roumanie, est celle que l’on peut visiter aujourd’hui, soigneusement restaurée dans les années 2000 après avoir été lourdement endommagée par les événements du 22 décembre 1989.
Le mobilier, composé de deux Trônes utilisés entre 1885 et 1947, de plusieurs tabourets et d’une vitrine où étaient exposés les couronnes et les ordres chevaleresques, a été réalisé par la maison parisienne Damon, Krieger & C°, 74-76, rue du Faubourg Saint-Antoine, qui organisa en février 1885 une exposition dans ses locaux avant de les envoyer à Bucarest.
L’auteur des dessins de ce mobilier est vraisemblablement l’architecte de la Cour, un autre français, André Lecomte du Nouy (1844-1914), restaurateur de plusieurs édifices religieux en Roumanie, dont l’église épiscopale de Curtea de Argeș, nécropole royale.
De style néo-byzantin, librement inspirés par des éléments d’anciens sièges princiers d’églises de Valachie et Moldavie, les Trônes sont en bois doré ornés de pierres semi-précieuses, portant chacun sur le dossier une plaque en onyx algérien décorée du chiffre en bronze doré du roi et de la reine.
Les deux sièges sont garnis de velours rouge, ornés de deux larges bandes verticales de passementerie réalisée en fil d’or, les coussins d’assise et de pied ont à leurs angles des pompons réalisés dans le même fil ; les deux garnitures, légèrement râpées, sont celles d’origine.
C’est tout à fait par hasard que j’ai retrouvé en 2016 le Trône du Roi, épargné par l’incendie de 1926 et les bombardements allemands du 24-26 août 1944, bien que réputé pour avoir été détruit par les communistes.
Il se trouvait dans les réservés d’un petit musée de province, le Musée de la Viticulture et Pomiculture de Golești. Il avait été envoyé là, à une date inconnue, probablement dans les années 1950, et son identité avait été oubliée au point qu’il passait pour un siège religieux. Dans les inventaires du musée, il était estimé à l’équivalent de 40 dollars américains.
Il a fait un bref retour dans la Salle du Trône en 2021 lors du centenaire de la naissance du Roi Michel, occasion pour laquelle j’ai participé à une longue émission de la Télévision nationale roumaine consacré à son tortueux parcours.
Cette émission a été rediffusée à de nombreuses reprises, mais aujourd’hui encore, le Trône reste conservé dans le même petit musée peu visité, jusqu’à ce que les autorités politiques et culturelles roumaines se décident un jour de le ramener au Palais.
Du baldaquin qui surmontait le Trône dans sa présentation entre 1935 et 1944, il ne subsiste au Musée National d’Art de Roumanie que les quatre colonnes et les aigles qui le supportaient, tandis que de la broderie héraldique arrière qui alternait les armoiries des provinces roumaines avec celles de la famille régnante, les Hohenzollern-Sigmaringen, n’a elle conservé que sa partie centrale. Elle fut donnée au Roi Michel Ier par le patron des studios cinématographiques de Buftea dans les années 2000.
Le Trône de la Reine a perdu son usage après la mort du Roi Ferdinand Ier, car ni le Roi Carol II, ni le Roi Michel Ier n’étaient mariés pendant leur règne. Conservé dans les réserves du Palais, il a été envoyé à une date inconnue, sans doute dans les années 1950, aux studios cinématographiques de Buftea où il a servi de décor, il est d’ailleurs visible dans plusieurs films historiques très populaires des années 1970.
Il a ensuite été transféré, sans toutefois que l’on reconnaisse son identité, avec d’autres pièces provenant d’anciennes résidences royales, au nouvellement crée Musée National d’Histoire de Roumanie. Il a été conservé dans ses réserves pendant presque cinq décennies, sans avoir fait l’objet d’étude, passant pour un meuble historiste crée par la Reine Marie, car le chiffre E du dossier s’était dévissé devenant ainsi un M…
C’est là que je l’ai trouvé et identifié d’après des photos en 2017. Il n’a été exposé par le musée que sept ans plus tard, pendant l’été de 2024, lors d’une exposition consacrée aux pièces phares de son patrimoine. (Merci à Gabriel Badea Paun pour cet article)
Notices
Fig. 1 Le Palais Royal de Bucarest, carte postale, vers 1900, (collection de l’auteur)
Fig. 2 Franz Mandy, La Salle du Trône du Palais Royal, 1885, (collection de l’auteur)
Fig. 3 Franz Mandy, La Salle du Trône du Palais Royal pour le jubilé de 25 ans de règne du Roi Carol Ier, (Bucarest, Musée National Militaire « Roi Ferdinand Ier »)
Fig. 4 Damon & Krieger, Trône du Roi Carol Ier de Roumanie, vers 1885, (Golești, Musée de la Viticulture et Pomiculture)
Fig. 5 Photo de presse, Le Roi Michel Ier de Roumanie prononçant le message du Trône, 1941, (collection de l’auteur)
Fig. 6 Dans la Salle du Trône lors de l’émission consacrée par la Télévision nationale roumaine à l’odyssée des Trônes royaux
Fig. 7 Damon & Krieger, Trône de la Reine Elisabeth de Roumanie, vers 1885, (Bucarest, Musée National d’Histoire de Roumanie)
Pascal Hervé
24 décembre 2024 @ 07:00
Un article intéressant, merci Monsieur Badea-Paün .
Bambou
24 décembre 2024 @ 07:13
Ah le trône de Roumanie…!
Montferrat
24 décembre 2024 @ 07:26
Magnifique article ! Tellement intéressant à lire. Imaginez ne pas vous rendre compte qu’il s’agissait de vrais trônes !
Caroline
24 décembre 2024 @ 10:29
Très intéressant !
Joyeux Noël à notre Regine et à tout le monde ! 🎁🎊
Perlaine de Bretagne
24 décembre 2024 @ 10:30
Merci Monsieur Gabriel Badea-Paün vraiment très intéressant .
Trajan
24 décembre 2024 @ 11:17
J’ai toujours lu avec beaucoup d’intérêt les écrits de M. Gabriel Badea Paun, un très bon connaisseur de l’histoire de la royauté roumaine. Je me suis souvenu à cette occasion qu’il avait montré un intérêt particulier pour ce sujet depuis ses années d’étudiant, lorsqu’il organisait. une exposition ,en 1993,au musée de l’histoire de la ville de Bucarest dédiée à la première reine de Roumanie Elisabeta-Carmen Silva Merci M. Badea Paun, merci Mme Regine Salens!,Joyeux Noël=Craciun fericit!
IRis
24 décembre 2024 @ 11:46
La deuxième photo: on imagine parfaitement Tintin arrivant dans la salle du trône dans…. mais quel livre? ;-) Joyeux Noël
Pascal Hervé
24 décembre 2024 @ 12:37
Élémentaire ma chère Iris : Le sceptre d’Ottokar.
Joyeux Noël !
Caroline
24 décembre 2024 @ 14:21
Iris,
‘ Le sceptre d’ Ottokar ‘ ! 🤗
Mme Spock
24 décembre 2024 @ 17:43
Le sceptre d’Ottokar? 👑🛡️🏰😉
Pt’suisse
25 décembre 2024 @ 06:48
Le sceptre d’Ottokar, peut-être ?
Joyeux Noël
Will34
24 décembre 2024 @ 12:38
On parle beaucoup de l’origine étrangère de la dynastie grecque, mais la dynastie roumaine est d’origine allemande, aussi, la belge, la bulgare… toutes datant du XIXe siècle …
Jean Pierre
24 décembre 2024 @ 13:35
Un trône qui devient un décor de théâtre.
Comme si la boucle était bouclée.
À méditer.
Anna 1
24 décembre 2024 @ 14:08
Un grand merci pour cet article très intéressant qui donne tout son charme à ce site.
A tous et toutes ainsi qu’à R. Salons, je vous souhaite un joyeux Noël.
Patricio
24 décembre 2024 @ 14:48
Merci pour cet article très intéressant.
Bon noel à vous tous
Mademoiselle Heloïse
24 décembre 2024 @ 14:59
Merci Monsieur,
C’est le genre d’article que j’aime lire ici ,sur ce site .
Je suis ravie de sa publication ,m’interessant au trône de Roumanie (et au Pays en général.).
Lobre
24 décembre 2024 @ 23:37
Article passionnant merci à son auteur. Merci à vous Régine pour toutes ces publications historiques de faits ou de familles qui approfondissent ou complètent mes connaissances. Je vous souhaite un joyeux Noël et que 2025 vous apporte serenite dans ce monde si chaotique.