Au début du XXème siècle le Berliner Zeitung décrivait par ces mots le Prince de Schwarzbourg-Rudolstadt : « Le Prince Gonthier est le plus chaleureux et le plus courtois des hommes que l’on puisse connaître, mais hélas, on n’apprend pas à la connaître. Le nombre de ceux, qui ont seulement pu voir leur Prince dans le pays, est très réduit, car il fuit toute la pompe extérieure. »

Aujourd’hui, la Maison de Schwarzbourg est éteinte et la Principauté n’existe plus, mais le souvenir de ces bons princes, particulièrement des derniers n’a pas disparu et mériterait d’être rappelé. Son histoire rend compte à elle-seule des goûts, du style de vie et de l’ambiance que les grands seigneurs allemands et scandinaves ont su cultiver aux XIXème et XXème siècle.

La Principauté de Schwarzbourg-Rudolstadt était un ancien Etat allemand, enclavé dans la mosaïque des duchés de la branche ernestine de la Maison de Saxe, dans l’actuel Land de Thuringe (en rose sur la carte). Elle correspondait à différents territoires acquis au gré des successions et des achats, par les descendants d’une lignée de Comtes connue dès le Haut Moyen. Les biens de la Maison avaient été partagés à plusieurs reprises au cours de l’époque médiévale et au début de l’époque moderne entre plusieurs frères, comme c’était la coutume.

A la fin du XVIIème siècle, les membres des deux lignées subsistantes de Schwarzbourg-Sondershausen et Schwarzbourg-Rudolstadt furent élevés au rang de Princes.

Chacune était en possession de portions de la Haute-Seigneurie (dans les montagnes et vallées de Thuringe) et de la Basse-Seigneurie (autour du petit massif de la Hainleite et dans la plaine saxonne plus au nord).

Celle de Schwarzbourg-Rudolstadt avait reçu les trois-quarts du Comté de Schwarzbourg (Schwarzbourg, Rudolstadt, Blankenbourg, Stadtilm, Koenigsee), la Seigneurie de Leutenberg (séparée du reste du territoire par le Duché de Saxe-Saalfeld), l’abbaye de Paulinzella dont s’étaient emparé les Schwarzbourg au moment de la Réforme, ainsi que de la Seigneurie de Frankenhausen, plus quelques petites enclaves. En 1875, la population s’élevait à 75 000 habitants et en 1900 à 100 000.

Le Prince Gonthier Victor de Schwarzbourg-Rudolstadt naquit le 21 Août 1852 au Château de Heidecksbourg, l’imposante résidence princière dominant la petite capitale. Son père, le Prince Adolphe (né en 1801) était âgé de cinquante ans au moment de la naissance de son premier fils. Il avait servi de longues années l’Autriche, en tant qu’officier des hussards et était demeuré célibataire jusqu’à ce que le Prince régnant Frédéric Gonthier (Friedrich Günther, 1793-1867 photo suivante), son cousin, dévasté par le chagrin suite à la disparition de ses trois fils, lui ordonnât de convoler en justes noces.

Ce grand seigneur, très aimé du peuple pour son abord facile et ses goûts simples qui compatissait à ses peines, s’était réfugié dans ses loisirs pour retrouver goût à la vie : la chasse, les promenades en traineau, la luge, la nage dans la Saale, les bains de vapeur d’épines de pin. Il partait souvent de la Résidence sans informer personne pour des semaines entières, abandonnant les affaires de l’Etat.

Ce comportement provoquait une certaine exaspération de son frère, le Prince Albert (1798-1869, photo suivante). Celui-ci avait un tempérament différent, forgé par sa carrière militaire et la fréquentation des cours royales de Berlin, Hanovre et Londres, auxquelles était apparentée son épouse, une fille de la Reine Frédérique de Hanovre (qui avait eu 13 enfants de ses trois mariages successifs).

Le Prince Adolphe n’avait pas eu l’embarras du choix vu sa position de cadet et son âge. Il trouva cependant l’épouse adéquate en la personne de la Princesse Mathilde de Schoenbourg-Waldenbourg (née en 1825), la fille et de sa cousine Thècle de Schwarzbourg-Rudolstadt (1795-1861, la propre sœur du Prince et du Prince Albert) et du Prince Othon Victor I. de Schoenbourg-Waldenbourg (1785-1859). Photo suivante : Mathilde de Schoenbourg-Waldenbourg

Lors de son baptême, leur fils reçut les noms de Gonthier, en l’honneur du Prince son cousin et grand-oncle, tandis que le prénom Victor faisait référence à son grand-père maternel.

Gonthier Victor fut une des dernières joies de sa grand-mère paternelle et arrière-grand-tante maternelle, la « Princesse Charles » de Schwarzbourg-Rudolstadt, une Landgravine de Hesse-Hombourg (1772-1854) qui demeurait auprès de son fils et de sa belle-fille en raison de son grand âge. Cette Princesse avait eu la douleur de perdre son fils cadet Guillaume -assassiné en 1849 dans un hôtel de Dresde où il effectuait une cure- et ses filles Caroline et Marie mortes toutes deux à l’âge de vingt-quatre ans, après avoir été mariées respectivement à leurs cousins d’Anhalt-Dessau et de Schwarzbourg-Sondershausen.

Se pencha encore sur le berceau du petit Prince, son arrière-grand-mère maternelle et grande-tante paternelle, la Princesse douairière de Schwarzbourg-Rudolstadt, sœur de la précédente, dont les défunts époux étaient frères. Cette grande dame, correspondante de Goethe, Schiller et Humboldt, s’était consacrée durant le règne de son mari, sa Régence et sa retraite, à l’amélioration des conditions de vie de leurs sujets. Elle avait notamment soutenu un enfant du pays, le pédagogue Frédéric Fröbel et contribué à la fondation de plusieurs jardins d’enfants et petites écoles, avec sa sœur et ses belles-filles.

Ces deux vertueuses dames de l’ancien temps avaient une grande autorité au sein de la famille. Conformément aux habitudes, les différents ménages de la famille qui résidaient au Château se rassemblaient à la même table pour le repas de midi. La Princesse Elisabeth de Lippe-Detmold (1833-1896), fille du Prince Albert confia dans ses souvenirs que les avis clairs, pertinents et droits qu’elles exprimaient sur la plupart des sujets, gagnaient les cœurs de leurs enfants et petits-enfants, qui les acceptaient avec respect comme des sentences fermes et définitives.

On peut aisément imaginer l’impression que dut produire sur le petit Prince ses rares intrusions dans le cercle de ces grandes personnes et personnes âgées. Malheureusement il n’eut pas le temps de les connaître assez, car elles s’éteignirent toutes deux la même année, en 1854. Mais les repas pris en commun perdurèrent toujours sous la présidence de ses grands-oncles, puis sous la sienne, avec son épouse, sa mère, sa sœur, ses cousins et ses neveux. Photos suivantes : vues du château de Heidecksbourg, à Rudolstadt en Thuringe.

Le petit Prince grandit à Rudolstadt, sous la surveillance des serviteurs de la Cour et de sa gouvernante suisse Clémentine Matthey-Doret. Le Prince Adolphe était un père affectueux et patient. Il enseigna lui-même à son fils la lecture, l’écriture et le calcul ainsi que des rudiments dans la plupart des autres matières. Parents et enfants s’écrivaient beaucoup lorsqu’ils étaient en voyage et les lettres échangées entre Gonthier et ses parents témoignent de son enfance heureuse.

Gonthier y apparaît comme un enfant plutôt introverti. Il était cependant proche de sa sœur aînée Marie (née en 1850), qui était réputée vive et téméraire. Il partageait avec elle l’avancement de sa collection d’insectes et chassaient ensemble les papillons. Gonthier avait beaucoup plus de mal à supporter les colères de sa sœur Thècle, de sept ans sa cadette. Souvent malade durant son enfance et son adolescence, Gonthier dut être soigné à plusieurs reprises dans différents centres médicaux et stations thermales.

Ses vacances au Château de Schwarzbourg, dans les montagnes de Thuringe, furent des souvenirs inoubliables. Tous les membres de la famille partaient en même temps, quand les fenaisons sur les grands prés de Rudolstadt étaient terminées. A l’âge de six ans, Gonthier Victor y fut initié à la chasse au coq de bruyère, par les hommes de la famille. Quant à l’équitation, il débuta sur des poneys au manège princier de la résidence.

Comme les autres membres de la famille, la chasse et l’équitation allaient devenir ses grandes passions. Il se perfectionna encore lors de ses vacances annuelles auprès de ses oncles maternels, qui élevaient des chevaux dans leurs domaines de Droyssig en Saxe et Hermsdorf en Silésie (Royaume de Prusse). L’un de ces séjours estivaux schoenbourgeois fut malheureusement endeuillé en 1867, lorsque sa petite sœur Louise, de 10 ans sa cadette, mourut à l’âge de 6 ans. Le Prince Gonthier était très attaché à elle, et ressentit douloureusement cette perte.

Entre 1863 et 1868, le jeune Prince avait eu pour précepteur un étudiant en théologie –depuis pasteur- Paul Leo. L’année suivante, le Prince donna son accord au souhait de ses parents qui voulaient l’envoyer au Vizthumsches Gymnasium, un lycée prestigieux de Dresde. Le Prince et la Princesse Adolphe souhaitaient que leur fils côtoie des jeunes gens de son âge. Photo suivante : la Grande Duchesse Marie.

La providence affermit ensuite la position de la branche cadette de la Maison de Schwarzbourg. Le Grand-Duc Frédéric François II de Mecklenburg-Schwerin (né en 1823), dont le pays se situait dans les plaines lacustres du Nord de l’Allemagne au bord de la Mer Baltique, endeuillé par deux veuvages successifs et chargé de cinq enfants mineurs, désirait contracter un nouveau mariage. Il trouva l’élue de son cœur dans la paisible Thuringe, en la personne de la Princesse Marie, de vingt-sept ans sa cadette.

Ils se marièrent le 4 Juillet 1868 à Rudolstadt et quatre enfants complétèrent leur foyer : la Duchesse Elisabeth et les Ducs Frédéric Guillaume, Adolphe Frédéric et Henri, dont nous reparlerons plus loin. Photo suivante : Frédéric François II

La faveur de la Cour de Schwerin rejaillit sur la fratrie de la nouvelle Grande-Duchesse. Le Prince Gonthier reçut de son beau-frère un instructeur militaire mecklembourgeois dès l’Automne 1868. Il s’agissait d’un l’Officier d’artillerie nommé Hirschfeld. Celui-ci fut également chargé d’accompagner son élève dans plusieurs voyages, comme c’était l’habitude dans les Maisons princières allemandes depuis le XVIIème siècle, à travers la Belgique, la France et l’Angleterre ainsi que dans des visites à Hermsdorf en Silésie, chez ses oncles maternels.

Lorsqu’éclata la guerre franco-allemande de 1870, Frédéric François II permit à son jeune beau-frère, qui était encore lycéen, de s’engager dans un Régiment de Dragons mecklembourgeois et il put ainsi connaître son baptême du feu. Il le promut sous-lieutenant deux mois plus tard puis servit comme officier d’ordonnance du 13ème corps d’armée jusqu’en Février 1871. Le jeune homme passa ensuite l’Eté 1871 à Hermsdorf dans le foyer de son oncle le Prince Georges de Schoenbourg-Waldenbourg (1828-1900) et de son épouse Louise de Bentheim-Tecklenbourg (1844-1922). Durant ce séjour, Gonthier choya sa jeune cousine de sept mois, prénommée Anne Louise.

A la rentrée, le Prince Gonthier commença ses études de droit et de sciences politiques à l’Université de Leipzig, tout en assistant assidument à des conférences d’histoire de l’Art, sa matière préférée. Il voyagea au cours des Printemps et Etés suivants en Italie, en Grèce et en Turquie pour approfondir ses connaissances.

En 1874, il reprit son service militaire actif. Il reçut une commission d’officier de cavalerie du Roi de Prusse et rejoignit son régiment à Hanovre. Mais le Prince Gonthier avait souvent la nostalgie de son pays natal, notamment des paysages de la vallée de la Schwarza, une petite rivière qui s’écoulait en amont de Rudolstadt et Blankenbourg, dans la Haute-Seigneurie de la Principauté. Portrait du Prince Gonthier en uniforme des Cuirassiers de la garde du Roi de Prusse.

En 1875 mourut le Prince Adolphe. Son fils unique le remplaça alors dans la position d’héritier présomptif de leur cousin le Prince régnant Georges. A la mort de ce dernier le 20 Janvier 1890, Gonthier monta sur le trône.

La Maison de Schwarzbourg était alors en grand danger d’extinction. Elle ne comptait dans ses rangs plus que trois agnats : le Prince régnant à Rudolstadt, âgé de trente-huit ans, le Prince régnant à Sondershausen Charles Gonthier, son cousin, qui avait soixante ans et dont le mariage avec la Princesse Marie de Saxe-Altenbourg était demeuré stérile, et le frère de ce dernier, le Prince Léopold de Schwarzbourg-Sondershausen, âgé de 58 ans, célibataire.

Il y avait certes le Prince Sizzo de Leutenberg (1860), mais il était né du second mariage du Prince Frédéric Gonthier qui n’avait reçu le plein-consentement des princes de la famille qu’à la condition que les enfants à naître soient placés en dernier dans l’ordre de succession. La raison était que la Comtesse Helene de Raina -par ailleurs nièce de la première épouse- était née du mariage inégal du Prince Georges d’Anhalt-Dessau avec une Demoiselle d’Erdmannsdorf (il était en plus veuf de la tante de Gonthier)

Ne pouvant donner le rang de Prince et Princesse de Schwarzbourg-Rudolstadt à ses jumeaux Hélène et Sizzo, le Prince leur donna le nom de Leutenberg, d’après une petite Seigneurie et une bourgade de la Principauté. Leur mère mourut quatre jours après les avoir mis au monde et ils furent élevés sous la garde la troisième épouse de leur père, une bourgeoise du nom de Marie Schultze, fille d’un médecin d’Insterburg, originaire de Prusse Orientale. Elle fut anoblie par son mari sous le nom de Baronne de Brockenbourg et, à l’occasion du jubilée de d’or du Prince, fut élevée au rang de Comtesse.

Le devoir commanda donc au Prince Gonthier de prendre femme pour produire les agnats supplémentaires tant désirés. Il se rapprocha de la Cour d’Altenbourg pour mieux connaître la fille cadette du Prince et de la Princesse Maurice, laquelle se prénommait Louise et était alors âgée de dix-huit ans. Les tractations aboutirent et leurs fiançailles furent annoncées aux Schwarzbourgeois le 25 Décembre 1890. Elles furent cependant rompues dès le mois de Mars de l’année suivante. Plusieurs explications furent avancées dans la presse locale : « la vérité est que les deux fiancés princiers, après avoir appris à se connaître, se sont rendus compte que leurs tempéraments ne s’accordaient pas ensemble (…). Le Prince Gonthier est d’une nature sérieuse et posée, quelque peu philosophe, ayant de l’intérêt pour de nombreux domaines intellectuels et artistiques, qui contraste trop avec le tempérament gai et enjoué d’une princesse de vingt ans sa cadette. »

Le Prince Gonthier ne désespéra pas de trouver une compagne princière. Il était devenu, au fil des années, le confident de sa cousine, la Princesse Anne Louise de Schoenburg-Waldenbourg, qu’il avait connue quand il était un jeune officier alors qu’elle n’était qu’un poupon. N’ayant peut-être pas osé au départ, en raison de leur différence d’âge (dix-neuf ans), il demanda finalement sa main, et, l’ayant obtenue, ils se fiancèrent à Hermsdorf le 8 Novembre 1891. Photo suivante : portrait d’Anne Louise

 

 

La Grande-Duchesse de Mecklembourg-Schwerin était enchantée de ce choix. Elle écrivait qu’Anne Louise était idéale pour Gonthier et qu’elle était convaincue qu’elle saurait s’habituer à sa position immédiatement.

 

Un mois plus tard, le 9 Décembre 1891, la Princesse Anne Louise fut accueillie dans la joie à la gare de la petite capitale. Le mariage fut célébré l’après-midi même dans le salon rouge du Château de Heidecksbourg et à quinze heures, dans l’église du château, en présence de cent-vingt invités. Les alliances furent réalisées, comme c’était la tradition dans la Maison du marié, avec de l’or tiré de la Schwarza.

Les mariés passèrent leur lune de miel au château de Schwarzbourg, sur les hauteurs de la vallée de cette rivière, qui devint avec le pavillon de chasse de Rathsfeld près de Frankenhausen, leurs destinations préférées.

Six mois après leur mariage, la Cour rendit publique la nouvelle de la grossesse de la Princesse. L’espoir pour la dynastie se raviva, mais hélas, lors du septième mois, la Princesse mit au monde un fils mort né. C’était un enfant robuste et vigoureux, qui aurait pu vivre, précisa la Grande Duchesse de Mecklembourg-Schwerin dans les lettres qu’elle écrivit à ses parents.

La Princesse endura encore plusieurs jours de fièvre puerpérale, de graves infections et des difficultés cardiaques. Toutes ces maladies et leurs complications ainsi que l’effroyable souvenir de toutes les jeunes princesses qui avaient disparu résolurent les époux à prévenir toute nouvelle grossesse. Le Prince était dévasté. Sa sœur aînée confia qu’il [Gonthier] ne parlait (…) et ne dormait presque plus. Mais cette catastrophe pour la dynastie ne l’a pas été un pour le mariage du Prince et de la Princesse, bien au contraire, Marie témoigna qu’il avait été alors cimenté par à une plus grande affection encore, qui ne s’est jamais démentie au fil des années. Photo suivante : le Prince et la Princesse de Schwarzbourg-Rudolstadt

Dans les temps qui suivirent, après avoir retrouvé des forces, la Princesse se dévoua au service du public, tandis que le Prince se mit semble-t-il de plus en plus en retrait. Ainsi la Princesse inaugura en 1894 les nouveaux bâtiment du Gymnase (collège) de Rudolstadt, s’occupa du foyer-école pour enfants handicapés qu’elle avait fondé dans la petite ville de Blankenbourg, de l’école ménagère et du foyer des enfants de Rudolstadt, des Cuisines populaires qui préparaient des repas chauds pour les indigents, tout en s’acquittant fidèlement de ses propres tâches domestiques avec l’aide du Maréchal de la Cour de Priem et des quatre-vingt serviteurs que comptait à elle seule la Résidence.

Ses loisirs préférés étaient le tennis, le billard, faire du vélo, la photographie mais surtout les excursions dans les forêts et les bois. Son ami, l’artiste belge Henry van der Velde, a fait part de ses impressions dans Histoire de ma vie paru en 1962. « Dans mes conversations avec la princesse, me demandant les raisons qui m’avaient conduit dans cette région solitaire, loin de la vie mondaine, il n’était pratiquement question que de la force d’attraction de la forêt produite sur moi. (…) La princesse se proposa de me montrer les plus beaux endroits de la région (…). J’approuvai volontiers et ne cacherai pas combien j’étais heureux d’être en compagnie de cette femme sérieuse, charmante, indépendante et pourtant si féminine ».

Le couple princier voyageait fréquemment à l’extérieur de ses Etats, pour rendre visite aux membres de leur famille, dans des stations thermales ou en Italie, en France, en Angleterre. Ils prenaient alors les noms de Seigneur et Dame de Blankenbourg.

Sur la photo suivante, on peut voir la Princesse de Schwarzbourg-Rudolstadt (en blanc), sa belle-sœur la Princesse Thècle et les deux dames de leur Cour lors d’une inspection ecclésiastique à Frankenhausen en 1910, avec (de gauche à droite) M. le Superintendant Braune, le Maire Sternberg, le Baron de Ketelhodt, le Conseiller ecclésiastique Hesse, le Pasteur Bloß, l’Archidiacre Rößler et le Directeur de la Poste Lipski. Le Superintendant Braune, qui avait été le professeur de religion de la Princesse lorsqu’elle était enfant, fut choisi par le Prince comme Prédicateur de la Cour, pour administrer son Eglise et les petites écoles de ses Etats.

Gonthier, lui, chasseur passionné de tous les gibiers, suivant de près les aménagements de son Tiergarten de 1100 hectares dans sa chère vallée. Le Prince conviait chaque année de nombreux représentants de la haute noblesse d’Allemagne aux chasses qu’il organisait : le Coq de Bruyère à Paulinzella, le Gibier noir (surtout le sanglier) au dessus de Leutenberg, le Gibier rouge (le cerf) près du Kyffhäuser.

La Princesse avait commandé à l’artiste Othon Thiem un ensemble de dix-huit pièces de porcelaine, figurant les moments et êtres chers à son époux. Elles lui furent offertes pour son soixantième anniversaire en 1912.

Les quatre pièces présentées sur la photo suivante retracent une scène de chasse dans le massif du Kyffhäuser, près de Rathsfeld. On reconnait le Prince débout au centre, s’entretenant avec le Garde-Chasse Helke, la Princesse Thècle, assistant le Garde-Gibier Schneppe, agenouillé auprès du cerf, et le Duc Adolphe Frédéric de Mecklembourg-Schwerin, à gauche.

 

Le Prince aimait également visiter incognito les expositions d’artistes ou d’artisans et admirer les collections des musées. Le gouvernement, conformément aux instructions princières, utilisait l’argent public pour moderniser la principauté et sa petite capitale et accroître le bien-être de ses habitants. Passionné d’architecture, il appréciait les visites de chantiers lors desquelles il faisait des recommandations aux maîtres d’œuvres comme pour le bâtiment ministériel (1902), le Landgericht (tribunal de grande instance) (1905), la Lutherkirche (l’église du nouveau quartier, 1906), la nouvelle Mairie (1912). Il inaugura le monument en l’honneur de l’Empereur Guillaume Ier sur le sommet du Kyffhäuser en 1896.

Le Prince Gonthier s’investit également dans la protection du patrimoine. Il fit financer les travaux de restauration de deux châteaux forts ruinés, du cloître de Paulinzella, ainsi que de sa Faisanderie à Schwarzbourg. Il s’acquitta également de la rénovation de plusieurs églises. Durant les années 1890, le Prince entreprit d’importants travaux (notamment l’électricité et le gaz) dans ses châteaux. Au début de son mariage, il avait chargé les meilleurs artistes munichois de redécorer les chambres de son épouse.

Il accorda un soin particulier aux collections princières de peintures, de textiles, de porcelaine, mais abandonna le projet de reconstruction du Théâtre sur lequel il travaillait depuis 1894, pour investir plutôt dans l’hôpital, dont la détresse l’avait émue.

Le Prince Gonthier gouverna sa principauté en suivant l’exemple des grand-oncles ses prédécesseurs, avec les enseignements de Jésus Christ et de Luther comme seule ligne de conduite, tout en acceptant quelques concessions démocratiques. Ainsi il n’autorisa les partis politiques et associations en dehors de l’Eglise qu’en 1908.

Le 1er Juin 1896 les trois derniers mâles, reconnurent leur cousin Sizzo de Leutenberg comme un membre de rang égal de la souche princière de leur Maison et l’autorisèrent à prendre les noms et armes d’un Prince de Schwarzbourg-Rudolstadt afin de pouvoir contracter une union égale et fournir de nouveaux héritiers. Il choisit une Princesse de la Maison d’Anhalt, pays dans lequel les Schwarzbourg avaient trouvé de nombreux consorts dans les siècles passés.

Les relations du Prince Gonthier et du Prince Sizzo n’étaient pas bonnes. Celui-ci demeurait à Grosshartau dans le Royaume de Saxe, un domaine qu’avait acheté pour lui son père le Prince Frédéric Gonthier, le seul qu’il avait pu lui transmettre, car toutes les possessions princières étaient protégées par le Fidéicommis. Il était souvent en difficultés financière en dépit de l’important apanage que lui versait son cousin (10 000 puis 18 000 marks), ce qui n’était jamais assez pour Sizzo. Il perdit 100 000 Mark en voulant transformer le parc de son château en un parc d’attraction et de détente pour les habitants de Dresde, entreprise qu’avait désapprouvé le Prince régnant. Par la suite Sizzo donna plusieurs entretiens à des journalistes et fit étalage de ses reproches à l’encontre du Prince. Le conflit perdura après 1918 et se poursuivit en Justice dans les années 1920. Photo suivante : le Prince et la Princesse Sizzo de Schwarzbourg et leurs trois enfants : Irène, Frédéric Gonthier et Marie Antoinette

Le Prince Gonthier était beaucoup plus proche de ses neveux mecklembourgeois, dont il était très fier. Après la mort de son beau-frère en 1883, il s’efforça de s’occuper d’eux et fut sans doute à l’origine de leur inscription dans le même collège de Dresde qu’il avait fréquenté durant sa jeunesse. Il fut attentif à leur service militaire et à la poursuite des carrières que feu le Grand-Duc avait prévues pour chacun d’eux. Le Duc Frédéric Guillame (né en 1871- photo suivante), son filleul, devint cadet dans la marine allemande en 1888. Hélas, lors d’une de ses premières missions comme Lieutenant de Vaisseau, en 1897, son petit torpilleur chavira après une tempête en Mer du Nord, et il perdit la vie avec ses sept hommes

Le Duc Adolphe Frédéric (1873-1969), après sa scolarité à Dresde poursuivit ses études à l’Université de Leipzig, comme son oncle. Il était passionné de géographie, d’anthropologie et d’histoire ancienne. Il voyagea dans toute l’Afrique au début du XXème siècle après son service militaire dans un Régiment de Cuirassiers (unités chères aux Schwarzbourg-Rudolstadt). En 1912 Guillaume II le nomma Gouverneur du Togo. En 1917, il épousa à Gera, une princesse thuringienne, Victoire Feodore Reuss (de la jeune Lignée de cette Maison). Lors de la Première Guerre mondiale, il servit dans l’armée bulgare et fut envoyé en mission diplomatique dans l’Empire Ottoman. Il fut encore Président du Comité olympique allemand de 1949 et 1951. Ayant laissé un bon souvenir de son gouvernement, il fut même invité par le gouvernement togolais, aux festivités de l’indépendance du pays en 1960.

Enfin, le Duc Henri (1876-1934) étudia à l’académie militaire de Metz et intégra un Régiment de chasseurs prussiens. La Reine Wilhelmine des Pays-Bas (1880-1962) lui demanda sa main et ils se marièrent en 1901. L’héritier présomptif de la couronne était alors le Prince Henri XXXII Reuss (jeune Lignée). Après avoir perdu hélas trois petits en huit ans de mariage, la Reine et le Prince des Pays-Bas eurent l’enfant qu’ils désiraient tant, la Princesse Juliana en 1909, que son père tient fièrement sur la photo suivante. A l’annonce de cet heureux évènement dans le foyer de son petit-fils, la Princesse Adolphe de Schwarzbourg-Rudolstadt rejoignit sa fille la Grande-Duchesse de Mecklembourg-Schwerin pour le baptême où elles assumèrent le rôle de marraines.

En 1909, s’éteignit le Prince Charles Gonthier de Schwarzbourg-Sondershausen, après plusieurs mois de convalescence à Dresde, suite à de graves blessures provoquées par un sanglier lors d’une chasse. Gonthier, son cousin, comme nouvel aîné, régna dès lors sur les deux Etats en union personnelle. Tout en conservant Schwarzbourg comme demeure estivale, il choisit Sondershausen comme séjour hivernal.

En 1914 s’éteignit, à l’âge de 89 ans, sa mère Mathilde de Schoenbourg-Waldenbourg. On peut la revoir sur la photo suivante, dans son grand âge avec sa fille Marie (assise à droite), sa petite fille Elisabeth de Mecklembourg-Schwerin, Grande-Duchesse d’Oldenbourg (debout) et ses arrières-petits-enfants le Grand-Duc héritier Nicolas (1897-1970) et les Duchesses Ingeborg (1901-1996) et Altburg d’Oldenbourg (1903-2001), futures Princesses Stephan de Schaumburg-Lippe et de Waldeck-Pyrmont.

 

Lors du déclenchement du premier conflit mondial, le Prince Gonthier souffrait déjà de plusieurs maladies, notamment une insuffisance cardiaque, ce qui l’empêcha de prendre la part qu’il voulait à la guerre. Il présida cependant aux festivités de départ du troisième bataillon du 7ème Régiment d’Infanterie thuringien sur la Place du Marché. Les travaux du Château de Sondershausen lui offrirent une occupation. En raison de la guerre, Il décida renoncer à de grandes festivités pour ses noces d’argent avec la Princesse mais convia toutefois quelques proches et loyaux serviteurs à un petit-déjeuner pour ses 25 ans de règne.

Le Prince de Schwarzbourg-Rudolstadt et Sondershausen fut le dernier des princes allemands à abdiquer le 23 novembre 1918 pour la première principauté et le 25 pour la seconde. Un accord passé avec le gouvernement lui confirma les possessions de nombreux domaines du Fidéicommis, à l’exception des châteaux de Rudolstadt et Sondershausen, dans lesquels il conservait toutefois un droit de résidence viager. Le gouvernement de la République consentit même à verser au Prince une pension de retraite équivalent à moitié de l’ancienne Liste civile. Pour protéger tous les biens privés de sa maison, comme ses collections, Son Altesse Sérénissime institua la fondation qui porte son nom.

La Princesse héritière de Prusse, Cécile de Mecklembourg-Schwerin confia dans son autobiographie que l’abdication fut une délivrance et un grand soulagement pour la plupart des Princes qu’elle avait connu. C’était le cas du Prince de Schwarzbourg, qui, bien avant la Révolution, ne s’intéressait déjà plus à la politique, préférant depuis toujours une vie simple à la gloire et au pouvoir.

Malgré la réduction de leurs revenus, Gonthier et Anne Louise continuèrent à mener une vie paisible, toujours reconnus comme le père et la mère du pays par les Schwarzbourgeois, comme le relatent les anecdotes consignées par la Princesse dans ses carnets. Mais hélas, la santé de Gonthier déclina fortement durant les années 1920, au point qu’il ne puisse plus assister comme avant aux fêtes de famille et évènements princiers.

Après une vie bien remplie, il s’éteignit le 16 Avril 1925 au Château de Sondershausen, à l’âge de soixante-douze ans. Son cercueil fut placé dans la crypte de l’église de la ville à Rudolstadt. Sa sœur la Princesse Thècle mourut en 1939. Elle fut la dernière résidente du Château de Heidecksbourg.

La Princesse Anne Louise, quant à elle avait choisi le château de Schwarzbourg comme résidence pour son veuvage. C’était la tradition depuis le Moyen Age pour les Princesses douairières des Maisons allemandes de recevoir un château après la mort de leurs époux. Mais en 1940, les nazis projetèrent de le transformer en auberge et la Princesse elle fut contrainte de déménager. Elle élit alors domicile au Château de Sondershausen.

Elle consacra son énergie à s’occuper de la promotion du Loh-Orchesters avec son maître de chapelle Artz, un orchestre réputé fondé par ses prédécesseurs ainsi que de l’Académie Luther, fondée en 1932. L’Académie Luther acquit rapidement une haute renommée grâce aux rencontres annuelles entre scientifiques et spécialistes du protestantisme qu’elle organisait. La Princesse Anne Louise, premier membre de l’Académie, lui avait accordé de spacieux locaux dans le château. L’Académie Luther compta parmi ses membres le prix Nobel Max Planck (1858-1947), et le méthodique évangéliste luthérien Ernst Sommerlath (1889-1983). Le Docteur Sommerlath, professeur de Théologie, était l’oncle de Silvia Sommerlath dont il co-célébra le mariage avec le Roi Charles XVI Gustave de Suède en 1976.

Au temps de l’occupation soviétique et des débuts de la RDA, tous les princes et seigneurs d’Allemagne de l’est fuirent à l’ouest, en raison de la réforme agraire, mais la Princesse Anne Louise ne put s’y résoudre tant elle était attachée au pays de son défunt mari et au peuple qui l’avait si bien accueillis et auprès desquels elle avait si bien vécu. Le gouvernement avait supprimé sa dotation et elle devait, comme toute citoyenne socialiste, se contenter d’une rente équivalente à celles des autres femmes retraitées.

Cette grande dame qui avait vécu l’empire wilhelminien, l’abdication de son mari en 1918, la République de Weimar, le troisième Reich, deux guerres mondiales et les débuts de la RDA s’éteignit le 7 Novembre 1951, à l’âge de quatre-vingts ans.

A l’annonce de cette nouvelle, les habitants de Rudolstadt se pressèrent dans les rues, et remplirent l’église de la ville. De nombreux Schwarzbourgeois, qui n’avaient pas eu de place à l’intérieur, attendirent sur le parvis, défiant ainsi la police politique de la RDA.

On assista à Sondershausen à une scène similaire, au matin du 10 Novembre, l’église du château était pleine pour la cérémonie funèbre. Des milliers d’habitants se hâtèrent dans les rues pour suivre le cortège qui rejoignait la gare, pour être transporté à Rudolstadt. Les habitants sentaient qu’ils avaient perdu un morceau de leur identité lorsque mourut la mère de leur pays. (Un grand merci à Jul pour cet article et ses recherches – Article dédié à Charlanges -Copyright photos : DR)