Le Palais Episcopal de Szombathély, au sud-ouest de la Hongrie a été construit à la fin du XVIIIe siècle par l’évêque János Szily , lors la création, sur la demande de la reine Marie-Thérèse, du nouveau diocèse, pris en partie sur l’archidiocèse of Veszprém et partie sur l’archidiocèse de Zagreb, en Croatie, faisant partie à l’époque du royaume de Hongrie.
La nuit du 26 mars 1921, lors de la veillée pascale, deux hommes se présentèrent à la porte du palais et l’un d’eux, le comte Tamas Erdody demanda à voir l’évêque, comte János Mikes (ci-dessus), alors que l’autre se dissimulait. Lorsque l’évêque arriva, le comte Erdody lui demanda s’il reconnaissait son compagnon. A sa réponse négative, il lui dit qu’il avait devant lui Sa Majesté le roi de Hongrie, Charles IV.
Charles de Habsbourg, qui n’était plus empereur d’Autriche, ni roi de Bohême, était toujours le roi titulaire de Hongrie et il venait reprendre ses droits, momentanément confiés, selon lui, au Régent Horthy. Ancien aide de camp de François-Joseph, notamment lors du mariage du jeune archiduc Charles et de la princesse Zita de Bourbon-Parme en octobre 1911, l’amiral Horthy (ci-dessous) avait été élu, le 1er mars 1920, régent d’un royaume sans roi, par l’assemblée nationale hongroise, dans son ensemble légitimiste.
L’effet de surprise fut grand au palais épiscopal car chacun pensait le roi à Prangins en Suisse, lieu d’exil qui lui avait été assigné lors de son départ d’Autriche au printemps 1920. Il y avait également comme hôte de l’évêque, le Dr Vass, un prêtre faisant partie du nouveau gouvernement hongrois. Il prévint le roi Charles que, selon lui, le régent n’était pas prêt à lui remettre le pouvoir, se considérant comme le seul représentant de la Hongrie aux yeux des vainqueurs, la France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis.
Le premier ministre hongrois, le comte Teleki, qui se trouvait dans les parages de Szombathély pour une partie de chasse, fut appelé à rencontrer le souverain. Il le mit immédiatement en garde contre le fait que si le régent n’avait pas été prévenu de son arrivée, il risquait d’y avoir des difficultés. Il risquait aussi d’y avoir des difficultés avec les pays dit de la “Petite Entente”, c’est-à-dire les états qui s’étaient payés des dépouilles de l’ancien empire d’Autriche-Hongrie, comme la nouvelle Tchécoslovaquie, et les royaumes de Serbie et de Roumanie.
Charles ne crut pas un instant que Horthy, qui lui avait juré fidélité, lors de son avènement en novembre 1916, put se parjurer à partir du moment où lui, son souverain, lui demanderait de lui remettre le pouvoir.
La messe de Pâques entendue dans cette matinée du 27 mars 1921, le roi, accompagné de deux seuls officiers, partit immédiatement pour Budapest.
La réception que lui fit le régent fut conforme aux prévisions du comte Teleki. Il refusa de rendre le pouvoir au roi sous le prétexte que jamais les vainqueurs, ni la Petite Entente accepteraient le retour d’un Habsbourg sur le trône de Hongrie. Charles avoua alors que son retour était fait avec l’accord d’Aristide Briand. Horthy fit alors semblant de s’incliner, demandant trois semaines au souverain pour organiser la passation de pouvoir. Charles ,confiant en la parole de Horthy, repartit alors pour Szombathély avec l’assurance de remonter sur son trône le 17 avril.
Mais Horthy prévint immédiatement la France et ses alliés de la tentative de retour de Charles. “En cas d’échec, je démentirai vous avoir soutenu dans cette entreprise. » avait prévenu Briand.
Charles ne pouvait envisager la traîtrise et n’imaginait pas un seul instant que le régent ait voulu gagner du temps pour laisser agir les états de la Petite Entente, qui craignaient beaucoup plus une Hongrie forte de son Roi que ce royaume qui n’en était pas vraiment un. La haine que Benès, nouvel homme fort de la toute jeune Tchécoslovaquie, vouait aux Habsbourg était si tenace qu’on pouvait lui faire confiance pour rameuter tous ses amis de Paris contre la tentative de Charles. Quant au Roi de Serbie, il était hors de question pour lui de rendre quoi que ce soit des territoires, comme la Croatie et la Slovénie, que le Traité de Trianon devait lui attribuer. La Roumanie, de son côté, n’envisageait pas un seul instant de restituer la Transylvanie.
Tous refusaient de voir et de comprendre que Charles ne voulait rien de tout cela. Il désirait simplement rentrer chez lui pour aider, de son mieux, le peuple hongrois à trouver la voie de la justice et de la paix civile.
Le gouvernement français, questionné par Horthy, ne put donc que démentir avoir souhaité le retour sur son trône du souverain légitime.
Horthy appliqua alors la censure à la presse, interdisant de révéler où se trouvait Charles. Il fit isoler et garder le territoire de Szombathély. Autour du palais épiscopal même, on plaça des soldats avec mission de contrôler tous ceux qui voulaient approcher leur Roi. Il fallait l’expulser au plus vite.Mais Charles avait pris froid dans la voiture découverte qui l’avait ramené à Szombathély. Arrivé au palais épiscopal, atteint d’une congestion pulmonaire, il dut donc s’aliter.
Quand il fut mieux, la question se posa de savoir s’il devait rester ou partir. Le sentiment monarchiste était si fort dans le pays que Horthy craignait que le peuple ne se portât spontanément pour aller chercher son Roi et l’installer triomphalement à Budapest. L’aristocratie hongroise était partagée entre le loyalisme du à son souverain et le désir de voir les choses continuer avec Horthy, tant ils craignaient que ne reviennent les troubles connus du temps de Bela Kun. Ils étaient également reconnaissants à Horthy de ne pas avoir touché leurs immenses domaines, dont certains comptaient des dizaines, voire des centaines de milliers d’hectares. Et le roi Charles avait toujours professé des idées sociales, pas forcément de leur goût.
Le 5 avril 1921, le roi Charles IV de Hongrie, s’étant rendu à l’évidence de la trahison de Horthy et ayant compris que la France ne bougerait pas, acceptait de quitter la Hongrie.
Devant le palais épiscopal des milliers de personnes s’étaient rassemblées. Le roi parut sur le balcon pour un dernier salut. Quelques minutes après, deux voitures sortirent du palais, emmenant le souverain à la gare, où un train spécial avait été préparé. La foule cria “Vive le Roi”, en espérant qu’il reviendrait bientôt comme il le leur avait promis. Charles de Habsbourg, roi apostolique de Hongrie, était bien décidé à tenir sa promesse. Et il la tint quelques mois plus tard.
Après la seconde guerre mondiale, le palais fut fermé mais contrairement à beaucoup d’édifices du même type, il ne fut pas converti en casernes, orphelinats ou autres. Il resta tel qu’il était lorsque le roi Charles y résida. L’évêque, fervent monarchiste, garda les pièces occupées par le souverain, telles qu’on peut les voir sur les photos. (Merci à Cosmo pour cet article)
corentine
5 février 2015 @ 08:48
Excellent article, un article comme je les aime
je vous remercie beaucoup Cosmo, félicitations
j’ignorais cette tentative de retour de Charles d’Autriche en Hongrie; c’est très intéressant
merci Cosmo
mary 71
5 février 2015 @ 09:15
je ne connaissais pas cet épisode. Article très interessant. Merci à Cosmo
HRC
5 février 2015 @ 10:53
félicitation, cher Cosmo, pour ce tableau clair de la situation intérieure de la Hongrie et du contexte diplomatique général.
de mémoire, il y avait en 1921 un royaume « des Serbes et des Croates », mais je ne sais plus quand le nom de Yougoslavie fut choisi…
Cosmo
5 février 2015 @ 19:51
Chère HRC,
Il me semble que c’est en 1929 que le nom de Yougoslavie fut appliqué au Royaume des Serbes et des Croates.
En réalité, les Croates n’ont jamais voulu faire partie de ce royaume, car à peine l’annexion prononcée, les Croates se sont élevés contre le déni de leur droit à disposer d’eux-mêmes. Et leur choix aurait été de rester une couronne Habsbourg.
Amicalement
Cosmo
Mayg
5 février 2015 @ 11:54
Merci à Cosmo pour cet article.
J’aimerai bien savoir ce qui se passa lorsque Charles de Habsbourg, comme promis en 1921, retourna en Hongrie quelques mois plus tard ?
Cosmo
5 février 2015 @ 19:53
Mayg,
Je vais vous le raconter un peu plus tard mais il faut attendre un peu car je suis à l’étranger pour un mois et je n’ai pas mes photos sous la main.
Cordialement
Cosmo
Mayg
6 février 2015 @ 13:33
Bon et bien, je vais patienter alors.
Vincent
5 février 2015 @ 12:10
L’empereur Charles 1er d’Autriche-Hongrie a été doublement trahi à la fois par les Chrétiens-Démocrates en Autriche qui lui avait promis de garder la monarchie et ont voter pour l’instauration de la République. Et par l’Amiral Horthy qui a tout fait fait pour conserver le pouvoir qu’il avait usurpé.
Cosmo
5 février 2015 @ 19:55
Très vrai, Vincent ! Mais il est difficile que l’Amiral Horthy avait usurpé le pouvoir. On peut lui reprocher de ne pas avoir rendu le pouvoir au roi Charles. Mais tout était extrêmement compliqué à l’époque. Et surtout, personne ne voulait voir un Habsbourg sur un trône. Ce fut une attitude regrettable, que l’Europe paya fort cher.
Cordialement
Cosmo
Jean Pierre
6 février 2015 @ 13:58
Je vous rejoins Cosmo. Peut-être le roi et empereur Charles s’est-il senti trahi mais en aucun cas on ne peut qualifier de traitres ceux qui agirent ainsi.
Merci vraiment de nous avoir remis en mémoire cet épisode.
Vincent
7 février 2015 @ 20:29
Comment qualifier autrement que « traitre » quelqu’un qui trahit une parole donnée. Les Hongrois ont voté à l’époque pour un parlement monarchiste et favorable en majorité au retour du roi Charles IV. Horthy s’est comporté en son temps comme le fera, le Général Franco quelques années plus tard.
septentrion
5 février 2015 @ 12:46
Bonjour,
Si seulement l’Archiduc Rodolphe avait vécu plus longtemps…
Vincent
5 février 2015 @ 18:07
Ou si il avait eu un fils, celui-ci aurait été apparenté aux monarques belges, prussiens et anglais. Mais bon ça n’a pas empêché Guillaume II de faire la guerre à ses cousins.
septentrion
6 février 2015 @ 13:27
Bonjour Vincent,
En accord avec ce que vous dites.
Cdt,
Cosmo
5 février 2015 @ 19:59
Septentrion,
Il eut aussi fallu que l’archiduc François-Ferdinand vécut plus longtemps. Un destin terrible s’est acharné sur l’empire d’Autriche-Hongrie au début du XXème siècle, destin largement aidé par ses ennemis, l’Allemagne et la Russie.
Cordialement
Cosmo
septentrion
6 février 2015 @ 13:28
Bonjour Cosmo,
Tout à fait d’accord avec vous
Cdt,
COLETTE C.
5 février 2015 @ 13:18
Merci pour cette page de l’Histoire, et tous les détails que j’ignorais.
Francine du Canada
5 février 2015 @ 13:25
Merci à Régine et à Cosmo pour cet article et ces magnifiques photos. On ne peut pas dire que l’amiral Horthy était d’une grande transparence? Politique, quand tu nous tiens! Il règne une belle atmosphère à l’intérieur de ce palais; la bibliothèque, la chapelle, etc. Bonne journée à tous, FdC
Jean Pierre
5 février 2015 @ 15:40
Une autre « journée des dupes » ! Et aussi un bel exemple de naïveté dont n’auraient, à mon avis, pas fait preuve ses glorieux prédécesseurs.
Francky
5 février 2015 @ 17:22
Merci Cosmo de nous faire revivre la tentative de l’empereur Charles de restaurer la monarchie hongroise. C’est un travail très bien documenté et fort intéressant.
Ce félon d’Horthy ne méritait pas, à mon humble avis, son portrait ici… Outre sa traitrise et son parjure, il avait l’outrecuidance de garder le titre d’amiral d’un état sans flotte et régent d’un état sans monarchie… Le comble de l’imposture…!!!
Charles
5 février 2015 @ 17:42
Grand merci à Cosmo pour ce sujet fort interessant.
Figaro
5 février 2015 @ 17:46
La naïveté et la confiance en la parole donnée ne sont pas des qualités honorées en politique.
Xavier
5 février 2015 @ 19:02
Merci à vous, cher Cosmo, pour cet article richement illustré, qui nous remet en mémoire les circonstances exactes de l’échec de la restauration monarchique en Hongrie, plus précisément que l’amiral Horthy était loin d’être le seul responsable.
Amicalement.
Cosmo
5 février 2015 @ 19:48
Merci à tous pour vos compliments…La seconde tentative sera contée un peu plus tard.
Cosmo
5 février 2015 @ 19:48
Pardon…et à toutes…
Caroline
5 février 2015 @ 22:42
Cosmo,merci beaucoup pour votre article fort intéressant sur le roi Charles IV de Hongrie!
Bien que je ne connaisse presque pas l’Histoire de Hongrie sauf la chronologie de l’Empire austro-hongrois,l’amiral Horthy ne m’est pas inconnu à cause de sa coopération avec le nazisme!
flabemont8
6 février 2015 @ 13:02
Merci, Cosmo, pour cet article fort intéressant . Je ne connaissais pas les dessous de l’histoire . L’empereur Charles a fait confiance à la parole donnée et il a été trahi .
Corsica
7 février 2015 @ 00:16
Merci Cosmo pour cet article intéressant qui illustre encore une fois que nombreux sont ceux qui ont trahi pour conquérir ou garder le pouvoir . Bon séjour de l’autre côté de la Manche .
agnes
7 février 2015 @ 07:38
Sur la photo de l’amiral Horty, on devine l’ivresse du pouvoir qu’il a voulu garder.
aubert
7 février 2015 @ 12:10
Louis XVI, Nicolas II, Charles IV- I°, tous de la même veine, braves hommes, pauvres rois.
Stella
8 février 2015 @ 21:49
C’est surtout, Aubert, que la foi de l’empereur Charles était profonde et qu’il ne voyait pas la moindre turpitude autour de lui.
Dieu sonde les reins et les coeurs…Charles s’en était remis à Lui…
Joan-.Estades-de-Moncaira
19 août 2015 @ 20:21
Un article tout a fait bien documente. Je crois que Horty fervent monarchiste voulait inaugurer une nouvelle dynastie en´ Hongrie. D’ailleurs il avait designe vice-regent . D’accord avec la comparaison de. Vincent entre Horty et Franco, Les Bourbons ont du attendre la mort du caudillo pour remonter sur le trone d’ Espagne
Jean-Estades-de-Moncaire
22 août 2015 @ 18:41
Je crois que c’est peu avant son renversement par les croix fléchés que Horty nomme un de ses fils vice-régent.