Voici la carte postale de la Manufacture Royale de Bains-Les-Bains par Guizmo. « L’origine de la ville de Bains-les-Bains est de toute évidence liée à la découverte de sources d’eaux chaudes à l’époque gallo-romaine.
L’endroit prit le nom de sa raison d’être : Balnéum. C’est au cœur de la Vôge – haut bassin de la Saône naissante et son affluent le Coney -, sur les rives boisées du Bagnerot que se trouve la station thermale de Bains-les-Bains.
Située dans la plaine des Vosges, à Bains-les-Bains, station thermale bénéficiant de 11 sources d’eau chaude déjà utilisées par les Romains. La Manufacture Royale est le plus ancien site industriel de Lorraine et figure parmi les 50 sites de ce type inscrits à l’Inventaire Supplémentaire des Monuments Historiques.
Fondée en 1733 par ordonnance souveraine de François III de Lorraine (qui deviendra Empereur d’Autriche du fait de son mariage avec l’archiduchesse héritière Marie-Thérèse).
La ferblanterie est confiée aux bons soins de Georges Puton (1679-1737), ancien grand échevin de Remiremont, qui s’associe avec Villez et les frères Coste, négociants nancéiens.
La ferblanterie de Bains-les-Bains est installée sur le Côney, rivière de laquelle elle tire son énergie hydraulique. Les forêts environnantes lui fournissent le bois et le charbon nécessaire à ses activités, notamment celle des forges.
La régente Élisabeth-Charlotte d’Orléans, accorde au nom de son fils François III des avantages aux nouveaux propriétaires. Pour bâtir la forge, ils ont, entre autres, le droit d’user du bois des forêts ducales, obtiennent la franchise du droit d’eau sur la rivière Côney et ils obtiennent le titre de Manufacture royale.
La majorité des bâtiments furent construits entre 1733 et 1737 : la chapelle en 1735, un atelier d’étamage en 1736 (qui remplace celui de 1733), une halle au charbon (1779, reconstruite en 1859), des logements pour les ouvriers et les contremaîtres, un château pour le maître de forge (c’est le titre que porte alors Georges Puton) comptant trente-deux pièces, mais aussi toute une série de dépendance et d’étables ainsi que des bâtiments utilitaires comme une glacière qui permettait, par son enterrement, de conserver les glaces hivernales pendant plusieurs mois. La majorité des bâtiments est achevée avant le décès de Puton.
Un grand nombre de privilèges et d’exemptions furent octroyés à la Manufacture qui connut un essor exceptionnel et devint un exemple de puissance industrielle du royaume. La Manufacture Royale de Bains, industrie née du bois et de l’eau était la plus importante ferblanterie du Royaume à la fin du XVIII.
En 1777, Claude Thomas Falatieu rachète l’usine et ajoute le canal, la fonderie, les ateliers de fabrication et la nouvelle étamerie. En 1792, Joseph Falatieu donnera un essor important à la Manufacture de fer blanc.
Le site est fortement marqué par la personnalité d’un grand capitaine d’industrie du XIX° siècle : le baron Joseph Falatieu. Maître de forge, Joseph Falatieu protégea son outil de travail. Maire de Bains, député en 1815, il présida le Conseil Général des Vosges et rencontre de grands destins européens comme Camille de Cavour. L’homme le plus puissant des Vosges, était Seigneur en partie de Bains, Seigneurie acquise aux chanoinesses de Remiremont.
Joseph Falatieu, visionnaire, savait certainement que cette ancienne métallurgie allait être bouleversée. Il tente alors différentes diversifications : le thermalisme avec le rachat progressif de la station thermale de Bains, dont héritera sa fille, la générale Vilatte.
La nouvelle étamerie (1836) avec ses fenêtres plein cintre est le bâtiment le plus remarquable. Au XIX° on y travaille le fer blanc ainsi nommé par opposition au fer noir, brut de forge ou de fonderie. Le fer-blanc, un acier doux étamé, c’est-à-dire recouvert d’une fine couche d’étain. L’étain, très clair, donne une apparence « blanche » au fer, à l’opposé du fer brut, presque noir quand il n’est pas poli, d’où le nom de fer-blanc.
On y fabrique divers ustensiles ménagers (casseroles, lanternes, bassines, etc.) et des outils. Du fait de leur faible coût de production et de leur résistance certaine à l’usage (la couche d’étain empêche le fer de rouiller), les objets en fer-blanc connaissent un très grand succès. Ils ne furent détrônés qu’avec l’arrivée de l’inox.
A cette époque, la Manufacture Royale propriété de Joseph Falatieu, est à son apogée mais son avenir industriel est déjà menacé. Les bouleversements industriels qui se mettent en place vont progressivement déstabiliser ce qui fut le plus ancien site industriel paternaliste de Lorraine.
Société Falatieu et Cie, puis usine de quincaillerie dite Société des Clouteries de la Manufacture de Bains, puis usine liée au travail du bois (saboterie), la Manufacture Royale cessa son activité en 1951
La première bachelière de France, Julie Victoire Daubié est née sur le site en 1824, elle était la fille du caissier de la Manufacture Royale.Journaliste économique, elle décroche sa licence ès lettres en 1871, sans avoir assisté aux cours réservés aux hommes !
Ce fleuron de l’histoire de France serait tombé dans l’oubli sans Martine et François Cornevaux, passionnés par la réhabilitation et la sauvegarde du patrimoine historique qui se portent acquéreur de la Manufacture de Bains les Bains en octobre 2004, ‘un véritable « village-usine », comprenant des locaux de production, de stockage, d’un barrage hydraulique, de logements et d’une chapelle, l’ensemble représentant 17.000 mètres carrés bâtis sur 20 hectares. Ils transforment les anciens logements en gîtes meublés, maisons et chambres d’hôtes. « Nous avons deux cibles principales, les curistes, qui fréquentent la station thermale pendant trois semaines, et les touristes, notamment les amateurs de patrimoine, qui effectuent des séjours de différentes durées », précise François Cornevaux.
Ils ont à leur actif, la restauration exemplaire de la résidence d’été du Duc Léopold à Lunéville. C’est d’ailleurs Léopold, Duc de Lorraine, qui prit la Manufacture sous sa protection et permit qu’on y place ses armes sur la porte principale avec cette inscription : « Manufacture Royale le 18 juin 1733 ». Plusieurs prix et distinctions nationales du patrimoine ont été décernés à Martine et François Cornevaux qui font revivre la Manufacture Royale depuis plus d’une décennie.
Le château est occupé par les propriétaires du lieu, alors que les autres édifices ont été aménagés afin de permettre la location et l’accueil de curistes ou touristes. Édifié entre 1733 et 1737 selon un plan rectangulaire strict, le château s’élève sur trois niveaux d’habitation en prenant appui sur la pente de la rive gauche du vallon et, du fait de la déclivité, le pignon tourné vers le bas du vallon comporte quant à lui un niveau de soubassement dont la porte accède aux grandes pièces du sous-sol de l’édifice. Une grille de fer forgé entoure la cour d’honneur située devant le château, close d’un portail constitué de deux colonnes de pierre de granit taillées et surmontées d’un chapiteau coiffé d’une pierre sculptée en boule. Le château, couronné d’un toit à croupes, offre au regard des façades sobres d’aspect et qui sont heureusement animées par des baies aux linteaux en arc segmentaire et des chaînes d’angle. Les baies du niveau supérieur sont d’une hauteur plus réduite que celle des niveaux inférieurs ce qui apporte un effet d’élancement à l’édifice.
La Manufacture Royale est aujourd’hui un gîte du XVIIIe siècle implanté sur un domaine classé monument historique.
La chapelle castrale ferme la cour d’honneur sur son côté droit en retour d’équerre. L’intérieur, à un seul vaisseau, est illuminé par quatre hautes baies en plein-cintre dont les vitraux colorés figurent des scènes de la bible. La tribune d’orgue tout en bois et les grands tableaux aux murs achèvent de lui donner un décor à la fois simple et riche. Elle accueille conférenciers et concerts.
Dans la halle au charbon de la Manufacture, destinée au stockage du charbon de bois, on peut découvrir les expositions qui retracent l’histoire de la ferblanterie, l’histoire du fer blanc, de la métallurgie dans ce site industriel unique grâce aux recherches de Chantal Starck, Remi Ritter et Anny Thouvenin.
Dans le parc, on peut voir plusieurs éléments remarquables dont le parc aux arbres centenaires avec un hêtre tortillard, classé à l’UNESCO, les jardins en terrasses.
Le domaine sert également de cadre à des tournages de film (dont « Indigènes » de Rachid Bouchareb en 2005 ou la série « Les Combattantes » sur TF1). L’association organise des visites guidées de la Manufacture royale.
Régine ⋅ Actualité 2021, Cartes postales, France 19 Comments
Alice
25 juillet 2021 @ 05:14
Reportage passionnant! Merci !
Un nouveau site à découvrir en France.
Rose
25 juillet 2021 @ 07:27
Merci Guizmo d’avoir pris le temps de nous faire connaître cet endroit dont j’ignorais tout, même l’existence!
Cette explosion des forges et l’ascension de ces maîtres de forge est vraiment un phénomène économique et social marquant de la fin du XVIIIeme XIXeme siècle. Votre article est très intéressant !
Bonne fin de vacances
Rose
HRC
25 juillet 2021 @ 14:01
Tout à fait, Rose, même merci de ma part à Guizmo.
HRC
25 juillet 2021 @ 14:05
Je ne connaissais pas ce site, mais à Balleroy dans le Calvados, il y en un créé par le marquis (je crois) de Balleroy sur ses terres.
Beque
25 juillet 2021 @ 08:20
Merci, Guizmo, de nous faire connaître des lieux que vos reportages nous donnent envie de visiter. Je me permets de développer sur le sujet Julie-Victoire Daubié.
Napoléon crée le baccalauréat en 1808. La loi Guizot rend l’école obligatoire mais pas pour les jeunes filles considérées comme n’ayant pas les mêmes capacités que les hommes. Julie Daubié, née à Bains-les-Bains en 1824, étudie le latin, le grec, l’allemand, l’histoire et la géographie. Geoffroy Saint-Hilaire l’autorise à suivre ses cours au Museum. En 1844, elle obtient le Brevet d’Aptitude de l’Enseignement Supérieur qui lui permet d’enseigner le français aux Allemands. En 1859, elle s’inscrit au concours organisé par l’Académie des Sciences et Belles-Lettres de Lyon. Le sujet choisi par l’industriel François Arlès-Dufour est : « Rechercher, surtout au point de vue moral, les mesures les plus pratiques pour élever le salaire des femmes à l’égal de celui des hommes lorsqu’il y a égalité de service et de travail. » Par son essai « La femme pauvre au XIXe siècle », elle obtient le premier prix et s’inscrit au rectorat de Lyon, après le refus des rectorats de Paris et Aix. Elle devient, à 37 ans, la première bachelière « es-lettres » mais son diplôme n’est ratifié qu’en 1862 après intervention de François-Arlès Dufour près de l’Impératrice Eugénie. En 1871, elle deviendra la première femme licenciée ès lettres. Elle préparait son doctorat peu de temps avant sa mort en 1874.
La Manufacture de Bains-les-Bains me fait un peu penser au Familistère de Guise dans l’Aisne.
HRC
25 juillet 2021 @ 13:43
il me semble que le « brevet supérieur » était un examen proche du niveau du bac passé par les élèves des écoles normales d’instituteurs, mais sans latin et avec un contenu moindre en sciences et philosophie. Il a disparu quand les classes dites « modernes » donc sans latin sont apparues au lycée. D »après les souvenirs de mon lycée, nous les avons vu arriver vers… 1959 ? en 61 c’est sûr, il y avait les A, A¨’, B, C , (c’est à dire B latin plus maths), et des M1 ou M2 selon niveau de maths, (? )
en 1844, le brevet dont vous parlez marque la fin d’un enseignement dit « primaire supérieur » probablement. Logique que la jeune femme ait dû passer le bac après.
Gatienne
26 juillet 2021 @ 09:17
Petite information complémentaire concernant le Brevet Supérieur (ou Brevet de Capacité pour l’Enseignement Primaire.)
Le Brevet Supérieur (BS) sanctionnait la fin des études à l’Ecole Normale (EN), après trois années de cours, avant la formation pédagogique.
Mais les classes de BS fonctionnaient aussi dans les Ecoles Primaires Supérieures (EPS) pour les élèves qui, pour une raison ou pour une autre, ne fréquentaient pas l’Ecole Normale (EN).
Elles furent supprimées en 1941 par l’Etat Français. Les normaliens durent intégrer les lycées où, dans des sections spéciales, ils préparèrent le baccalauréat.
Le BS, devenu inutile, fut supprimé à son tour. Il continua à fonctionner jusqu’en 1945, pour ceux qui s’étaient engagés dans cette voie.
Je parle de cela parce que ce fut la formation de mes parents, bien que l’un comme l’autre bifurquèrent vers une autre voie lorsque la guerre fut terminée et que mon père pu enfin entamer les études supérieures auxquelles il avait renoncé suite à une « éclipse » de plusieurs mois dans le maquis…
HRC
26 juillet 2021 @ 11:34
j’ignorais ces dates, merci Gatienne.
Ciboulette
26 juillet 2021 @ 17:57
Tout à fait en accord avec vous , Mesdames , c’est le parcours qu’ont suivi mes tantes avant la guerre , elles n’étaient pas normaliennes et fréquentaient l’Ecole Supérieure .
HRC
25 juillet 2021 @ 13:55
je vois des gîtes touristiques très récents dans d’anciens bâtiments industriels mais aucun élément qui ressemble au familistère de Godin.
Le texte de Guizmo montre justement fort bien combien d’éléments résiduels du droit féodal ont dû être surmontés pour arriver à faire fonctionner les forges, et par là on voit les motivations d’une bourgeoisie qui a eu besoin de 1789 pour s’installer.
Pistounette
25 juillet 2021 @ 08:36
Merci Guizmo… reportage très instructif.
C’est bien que les « cartes postales » que nous faisons -vous, moi et d’autres- procurent un peu d’évasion à nos amis lecteurs… mais c’est un plus quand nous apprenons des choses. C’est le cas pour moi cette fois-ci.
Marie DM
25 juillet 2021 @ 09:27
Un grand merci de nous faire connaître des lieux cachés, c’est vraiment ce que j’apprécie le plus sur ce site car j’apprends. C’est tout de même plus intéressant que les poses » starlettes » des princesses … Bon dimanche
Claude patricia
25 juillet 2021 @ 10:12
Merci beaucoup Guizmo.
Très intéressant.
Danielle
25 juillet 2021 @ 11:58
Merci Guizmo de m’avoir fait découvrir une ville dont je ne connaissais pas l’existence.
Menthe
25 juillet 2021 @ 13:18
Merci Beque. Je ne connaissais Julie Daubié que comme la première femme bachelière en France. Je constate avec plaisir l’appui de l’impératrice Eugénie, qu’elle a aussi accordé à Madeleine Brès afin d’être « acceptée » en faculté de médecine et devenir la première femme médecin française.
Beque
25 juillet 2021 @ 14:32
Merci, Menthe, de vos toujours aimables propos.
Ciboulette
25 juillet 2021 @ 17:36
Merci , Guizmo , de mettre à l’honneur une ville , une Manufacture et la première bachelière de France , Julie Daubié .
Comme beaucoup de villes thermales , Bains le Bains a diversifié ses soins : à l’origine , c’était la station du coeur et des artères . Aujourd’hui on y soigne aussi l’arthrose .
Des quatre stations thermales vosgiennes ( avec Vittel , Contrexéville et Plombières ) c’est la moins connue et la plus proche d’Epinal . La Manufacture a servi de cadre à plusieurs films et séries.
Lolotte
26 juillet 2021 @ 11:23
Et à Rosa Bonheur et à George Sand et à Rachel.
L’impératrice n’était ni la « bigote » ni la « Madame Chiffon » images véhiculées par certains clichés du XXè siècle, mais une féministe.
C’est à elle que l’on doit le Fondation Eugène Napoléon, proche de la place de la Nation à Paris, pour y accueillir des jeunes filles en situation difficile, humaine, sociale, économique ou en situation de handicap. Et on ne leur enseignait pas que la couture ou la tenue d’une maison mais bien des « humanités »
Florence-Marie
26 juillet 2021 @ 11:00
Merci, Guizmo, pour la découverte fort intéressante de ce lieu.