Le 9 mars, veille du quatrième anniversaire de l’archiduc Charles-Louis, l’empereur part à vélo avec ses deux aînés pour Funchal où il doit procéder à quelques achats. Il y fait chaud et l’empereur prend froid, probablement lors du retour à travers la région brumeuse de Monte qui est plus froide. Charles ressent la forte différence de température.

Le lendemain, on fête l’anniversaire de l’archiduc Charles-Louis. Ce fut la dernière fête familiale, à laquelle l’empereur Charles participa. Mais le petit Charles-Louis malade, doit s’aliter. C’est d’ailleurs au lit qu’il reçoit son gâteau d’anniversaire et ses cadeaux, des meubles miniatures en bois.

Le 14 mars, l’empereur sort pour la dernière fois faire des achats. A peine rentré, il est saisi de frissons. Des quintes de toux et d’autres problèmes respiratoires le forcent à garder le lit. Le jour de la Saint-Joseph, on lui fait le plaisir d’installer un autel dans sa chambre et de dire la messe. Mais la maladie empire. Afin de réaliser des économies, l’empereur ne veut d’abord pas faire appel à un médecin et n’accepte qu’une semaine plus tard de se faire examiner par le Dr Monteiro. Le Dr Monteiro juge la situation critique. Il estime que les poumons sont atteints et exige l’avis d’un deuxième médecin. Le Dr Porto de Vasconcellos arrive le lendemain et confirme l’extension de la maladie dans le poumon droit.

Entre-temps, le comte hongrois Josef Károly arrive à Funchal avec des nouvelles de la patrie. Il est introduit immédiatement. C’est le tout dernier visiteur que l’empereur pu recevoir.

Le 23 mars, on décide de transporter le malade de sa petite chambre exiguë du premier étage vers une chambre plus grande et plus ensoleillée au rez-de-chaussée, que l’archiduchesse Marie-Thérèse occupait jusqu’alors. D’abord, l’empereur Charles refusa cette offre « pour ne pas chasser grand-maman de sa chambre ». On devine les chambres mansardées du premier étage sur la photo, et les fenêtres du rez-de-chaussée de la chambre où fut certainement transporté l’empereur.

Le 25 mars, la fièvre monte à 40°. Toute la nuit, le malade est gêné par des quintes de toux qui se répètent toutes les trois à cinq minutes, mais rien n’est capable d’ébranler la patience et la gentillesse naturelle de l’empereur. Au début, l’impératrice lui donne tous les soins et effectue toutes les gardes de nuit et ce n’est que bien plus tard qu’elle accepte l’aide de la Comtesse Mensdorff, qui est une infirmière professionnelle.

Le dimanche 26 mars, on célèbre la messe dans le salon à côté de la chambre du malade avec la porte entrouverte.

La température ne baissant pas, on lui fait, dans la jambe droite, une injection de térébenthine, très douloureuse, en vue de faire naître une tumeur et absorber l’infection des poumons. Au début, une bonne réaction s’en suivit, et le malade se montre très content et apaisé. Plus tard cependant, toute la jambe enfle et devient extrêmement sensible.

Ce jour là, le quatrième dimanche du carême, les habitants de Funchal organisent, comme chaque année, leur procession vers l’église de Monte en l’honneur du Sauveur portant la croix. La participation à celle-ci était cette fois consacrée à « la guérison du bon Roi Charles ». Après la procession, beaucoup de gens vinrent à la villa pour s’enquérir de la santé du malade.

Par la fenêtre de sa chambre, l’empereur peut entendre ses enfants jouer et l’appeler ce qui est pour lui une grande joie. Le 27 mars, les crises d’étouffements deviennent insupportables. Il faut administrer de l’oxygène. L’après-midi, on diagnostique une double pneumonie, affection très sérieuse à une époque où n’existent pas les antibiotiques. Les médecins ont recours aux injections de camphre et de caféine et décident que l’un d’eux restera de garde dans une maison voisine. 

Les derniers jours de l’empereur sont ceux d’un saint. Très conscient, il demande à recevoir l’extrême-onction, se fait lire par son épouse les prières liturgiques, et demande à se confesser: « j’ai fait une confession générale, déclare-t-il en souriant, je pardonne à tous mes ennemis, à tous ceux qui m’ont offensé, et à tous ceux qui ont travaillé contre moi. »

Selon son souhait, on fait venir Otto: « ce sera un exemple pour toute sa vie: il faut qu’il sache ce que doit faire en pareil cas un roi, un catholique, un homme. »

Le 29 mars, puis le lendemain à nouveau, l’empereur est victime d’une crise cardiaque. Les médecins pratiquent aussitôt une injection de caféine. « Je dois beaucoup souffrir, dit-il, afin que mes peuples puissent se retrouver tous ensemble. »

Durant l’après-midi du 31 mars, son état s’aggrave, et les médecins savent que son état est perdu. Le docteur Machado dos Santos, appelé en renfort, pratique pour la première fois à Madère, des injections intradermiques et sous-cutanées d’oxygène pour aider le malade à respirer. Le père Zsambóki apporte la communion à Charles, puis laisse le Saint-Sacrement exposé sur le petit autel dressé dans le grand salon. Le souverain regarde fixement l’hostie et dit: « j’offre ma vie en sacrifice pour mon peuple », puis: « mon Sauveur, que Votre volonté soit faite ».

 

Il demande ensuite à faire venir le prince héritier, âgé de neuf ans, pour qu’il voit « comment un chrétien retourne à son Créateur ». Se souvenant de sa mère à cet instant présent, Otto dira: « ce fut la dernière fois que je la vis dans un vêtement de couleur ». A 12 heures 23 minutes, le 1er avril 1922, s’éteint le dernier empereur d’Autriche et roi de Hongrie, en tenant un crucifix à la main et murmurant le nom de Jésus. Il avait 34 ans.

La comtesse Kerssenbrock se charge de la toilette funèbre. Le soir, le corps est embaumé afin de le conserver pour une durée de trois ans minimum. Le cœur est prélevé par le docteur Machado dos Santos et déposé dans un vase de verre et dans un coffret d’argent: il accompagnera l’impératrice sur les routes de l’exil, jusqu’à ce qu’elle le confie au monastère de Muri en Suisse, en 1975. L’empereur est revêtu de son uniforme de maréchal, qu’un tailleur, appelé en toute hâte, a ajusté à partir d’anciens vêtements du souverain. On lui met un crucifix dans la main, et on lui épingle l’ordre de la Toison d’Or sur la poitrine.

Des fleurs ne cessent d’arriver en l’honneur de Charles: elles sont déposées autour du lit, dans des récipients très ordinaires. Les enfants tressent des couronnes de branches de chêne et de sapin, et les ceinturent de banderoles en papier qui portent leur nom. L’évêque de Funchal est l’un des premiers à venir s’incliner devant la dépouille mortelle et propose l’église de Monte comme lieu de sépulture.

Les obsèques sont fixées au 5 avril. Dès 7 heures, le père Zsambóki célèbre une première messe devant la dépouille du souverain. Peu après 10 heures a lieu la mise en bière: cercueil d’acajou, cercueil de cuivre, cercueil de plomb. Ces trois cercueils ont été prévus pour rendre plus facile un éventuel rapatriement. Le corps est transporté, par le jardin, dans la chapelle de la villa. C’est le couple impérial qui avait transformé le vaste hall d’entrée en chapelle, car la quinta en était dépourvue. Charles y est exposé jusqu’à 14 heures 30, entouré d’un drapeau vert-blanc-rouge de Hongrie, à la lumière des candélabres d’argent prêtés par la cathédrale. Un très nombreux public défile, se recueille et pleure « il rei santo », selon l’expression locale.

Un masque mortuaire est moulé avant la fermeture du cercueil. Zita emportera avec elle ce cher souvenir de celui qu’elle aimait tant depuis 11 ans.

L’un des médecins qui a soigné Charles est bouleversé: « devant cette mort édifiante, dit-il, on est obligé de retrouver la foi perdue. »

Mgr Antoine de Ribeira, escorté de 40 prêtres, vient présider à la levée du corps à 16 heures. Une petite procession se forme pour emmener l’empereur vers sa dernière demeure. Le cercueil est porté par des proches du souverain: le comte Almeida, le comte hongrois Joseph Karoly, le père Zsambóki, le curé de Monte, et deux serviteurs. Il est transporté sur les chemins tortueux des jardins luxuriants de la quinta. Charles, qui s’y était promené si souvent et y avait joué avec les enfants, les traverse une dernière fois.

Derrière le cercueil, en tête du cortège, l’impératrice Zita, très digne, et en grand deuil, tient la main de celui qu’elle vient de reconnaître comme Sa Majesté Otto II de Hongrie, puisque la monarchie n’y est pas encore abolie. Derrière-elle, l’archiduchesse Marie-Thérèse est entourée de l’archiduchesse Adélaïde et du petit Robert qui tient la traîne de sa mère. Suivent la comtesse Mensdorff et la comtesse Kerssenbrock, puis les domestiques portant des couronnes de fleurs.

Arrivé à la sortie du jardin, devant le portail de la quinta, le cercueil est placé sur le corbillard du village: un char noir à deux roues, surmonté d’un petit baldaquin. Quelques 30000 personnes (soit le tiers de la population de l’île à l’époque) attendent là, pour accompagner ce souverain venu d’Europe et que tous estimaient. Le cortège se forme donc à nouveau: les écoliers portent des drapeaux en berne, puis viennent les étudiants de Funchal, les scouts, les dames de Saint Vincent de Paul, les séminaristes… et l’immense foule qui vient lui rendre un dernier hommage. Des forts de l’île, sont tirés 101 coups de canon.

 

 Le cortège serpente sur le flanc de la montagne. Trois quarts d’heure sont nécessaires (au lieu d’un habituellement), pour parvenir à l’église Nossa Senhora, où va être célébrée la messe de funérailles. Auparavant, sur la place de la fontaine, en contrebas, Otto, un bouquet de fleurs dans les bras, rend les derniers honneurs à son père. Les autorités portugaises avaient proposé à Zita que l’armée rende les honneurs dus à un souverain. Mais elle avait poliment refusé: si le roi ne reçoit pas ceux de sa propre armée, il était impossible d’accepter ceux d’une armée étrangère.

Le cercueil arrive enfin aux portes de l’église: venant juste derrière, le comte Károly porte sur un coussin, l’ordre de la Toison d’Or dont Charles était le grand maître. C’est le seul signe de sa grandeur passée.

L’impératrice et Otto, l’archiduchesse Marie-Thérèse et les autres enfants attendent qu’il soit entré, pour pénétrer à leur tour dans l’église. 

Le cercueil est déposé devant le maître autel, sur un petit catafalque. Devant celui-ci, deux couronnes: l’une d’Autriche, l’autre de Hongrie. Une autre figure en bonne place: celle que, par télégramme, le général von Straussenburg, dernier chef de l’état major, a demandé au comte Károly « au nom des officiers, sous-officiers et soldats de l’armée impériale et royale ».

La cérémonie se déroule devant une assistance fervente présidée par l’évêque de Funchal. Mais l’immense majorité des fidèles doit rester à l’extérieur, groupée autour de l’église, et sur la volée d’escalier qui y conduit. 

L’église est ensuite fermée pour permettre la soudure du sarcophage. La translation de la dépouille de l’empereur dans la chapelle de l’Immaculée Conception, a lieu en présence de Zita, d’Otto, de l’archiduchesse Marie-Thérèse, du comte Karoly, et du comte Almeida. Les restes du roi y reposeront jusqu’à ce que soit prêt le mausolée prévu.

Sur le sarcophage de plomb sont sculptées les armes impériales d’Autriche et royales de Hongrie.

En dessous, on peut lire: IV . K . I . Imperator et Rex et sous la croix: 17-8-1887 1-4-1922 Fiat voluntas tuas

Au bas du sarcophage, est représentée une couronne d’épine.

Une plaque de marbre surmonte le tombeau, portant cette inscription en lettres d’or:

Carolus I.D.G. Austriae Imperator, Bohemia Rex, etc…, Apostolicus Rex Ungariae, nomine IV, Natus Persenbeug, XVII-VIII-MDCCCLXXXVII, Mortuus Madeira, I-IV-MDCMXXII, Adorans S.S.Sacramentum praesens Dicens: « Fiat voluntas tuas »

Ce qui signifie: Charles Ier, par la grâce de dieu, Empereur d’Autriche, Roi de Bohême, etc…, Roi Apostolique de Hongrie, quatrième du nom, Né à Persenbeug le 17-8-1887, Mort à Madère le 1-4-1922, En adorant le Saint Sacrement présent Et en disant: « Que votre volonté soit faite ».

A la sortie, la famille impériale est acclamée par la foule, et Zita reçoit les condoléances des personnalités officielles. Puis, elle est reconduite en voiture, avec ses proches, à la quinta do Monte. Le 7 avril, arrivent à Madère sa mère, la duchesse de Parme, sa sœur Isabelle et ses frères, Félix, Sixte, René et Xavier.

Le jeudi de Pâques, 27 avril, un service solennel est célébré à la cathédrale de Funchal pour le repos de l’âme de l’empereur, en présence de toute la famille impériale, des autorités civiles de Madère et des consuls des nations représentées dans l’île.

Un impressionnant cénotaphe, ponctué à ses angles de quatre statues d’anges, a été érigé à la croisée du transept, devant l’autel. Des drapeaux de l’Autriche et de la Hongrie y ont été déposés.

En signe de gratitude pour son dévouement, l’impératrice offre au docteur Nuno de Vasconcelos Porto, la montre en or de l’empereur. Sa famille est de vieille noblesse portugaise et son père avait été le médecin de la famille royale du Portugal.

Cette montre porte le monogramme de l’empereur: un K incrusté de diamants et surmonté de la couronne de Saint-Étienne, elle aussi incrustée de diamants. Elle fut réalisée au début du XXe siècle par la maison Bréguet, fondée à Paris en 1775. Héritée par la fille aînée du médecin, celle-ci la lègue ensuite, à sa mort en 2009, à la Région autonome de Madère « car ce cadeau original était non seulement un geste de gratitude, mais également un hommage à la terre qui l’a tendrement aimé dans l’heure amère de son exil », précise-t-elle dans la lettre de donation.

Son époux étant décédé, l’impératrice prend conscience que l’exil à Madère n’est plus nécessaire.

Le 19 mai, elle fait une dernière visite à l’église de Monte avec ses enfants, comme elle le faisait tous les jours depuis les obsèques de Charles. Puis, elle descend au port de Funchal et embarque à bord d’un bateau en partance pour l’Espagne. Si elle emporte le cœur de son cher défunt, elle a demandé à l’évêque de Funchal d’accepter la garde des restes de l’empereur. Celui-ci accepte la charge pour lui, et pour ses successeurs.

Arrivée au terme de sa grossesse, elle a accepté l’offre du roi Alphonse XIII qui propose de recueillir la jeune veuve et ses 7 orphelins et met le palais du Pardo à leur disposition. C’est là qu’elle donne naissance à son huitième enfant, la petite Élisabeth, le 31 mai 1922, deux mois après la mort de l’empereur.

(Un grand merci à Francky – Photos: Francky, Perestrellos photographos: Collections photographiques du Musée Vicentes (Funchal), et DR. / Bibliographie: Michel Dugast Rouillé, Charles de Habsbourg, Le dernier empereur (1887-1922), Editions Duculot, Paris, 1991/Erich Feigl, Zita de Habsbourg, Mémoires d’un empire disparu, Criterion, Paris, 1991/ Jean Sévilla, Zita, Impératrice courage, Perrin, Paris, 1997/ Erik Cordfunke, Zita, La dernière impératrice, 1892-1989, Editions Duculot, Paris, 1990.)