Le 19 novembre 1921, le dernier empereur d’Autriche et roi de Hongrie, Charles Ier, et son épouse, Zita de Bourbon-Parme, arrivent en vue des côtes de Madère. L’île portugaise, plantée dans l’Atlantique, à 500 kilomètres du continent africain, est réputée pour la douceur de son climat. Ce n’est pourtant pas un séjour d’agrément en vue d’y rechercher les douceurs de l’hiver, mais une terre d’exil, que les souverains viennent y trouver…

Répondant aux sollicitations de nombreux hommes politiques, de chefs militaires et aussi de simples citoyens, mais plus encore à celle de Benoît XV qui s’était prononcé à plusieurs reprises en faveur de la restauration de la monarchie en Hongrie, Charles avait tenté par deux fois, de remonter sur le trône, en mars et en octobre 1921. Mais il s’était heurté au régent du royaume, l’Amiral Horthy, qui ayant pris goût au pouvoir, préféra le garder et l’exercer de manière autoritaire, plutôt que de le rendre. Les puissances occidentales, alertées par ses soins, décident ainsi de déporter les derniers souverains d’Autriche-Hongrie à Madère.

En cet après-midi de novembre, le croiseur anglais « Cardiff », sur lequel Leurs Majestés avaient embarqué, contourne la presqu’île de Sao Lorenzo, puis, devant un arrière-plan de montagnes ondulantes, la ville et le port de Funchal apparaissent.

Le consul britannique monte à bord pour saluer les souverains qui sont accompagnés du comte et de la comtesse Hunyady. Charles porte un chapeau de feutre gris et un imperméable. Zita est vêtue d’un tailleur bleu marine et coiffée d’un chapeau de voyage. Une fois à quai, ils sont accueillis par le chanoine Honem de Gouveia, représentant l’évêque de Madère, qui salue le couple impérial avec le mot allemand « Willkommen ». Le maire est présent, ainsi qu’une foule nombreuse et compatissante.

Par l’intermédiaire de l’autorité britannique, il a été convenu que soit mise à la disposition des souverains, au tarif habituel de location, la Villa Victoria. C’est une annexe de l’hôtel Reid’s, le palace de l’île, qui est à l’époque, le premier du Portugal, et où le Gotha commence à affluer pour goûter à la douceur du climat de Madère. Antonio Vieira de Castro, financier et propriétaire de l’hôtel, attend le couple sur le quai avec sa voiture personnelle, pour les conduire à la villa.

La demeure est proche du centre de Funchal, et ceinturée par le chemin qui dessert à la fois le Reid’s Palace, et d’autres hôtels. Un grillage peu élevé la sépare de la route. C’est une bâtisse moderne, comprenant 20 chambres meublées en salon que le couple impérial est seul à habiter avec les Hunyady. Quelques jours plus tard, l’évêque de Funchal, Mgr Antonio Pereira de Ribeira, rend visite aux souverains et, à leur demande, les autorise à installer une chapelle dans la villa.

Coïncidence de l’Histoire, c’est dans la quinta Vigia, située à proximité, que l’impératrice Élisabeth, la grand-tante de Charles, était venue passer l’hiver 1860-1861. 60 ans plus tôt, c’est en plein âge d’or de l’histoire de la dynastie, que l’impératrice était venue soigner ses blessures de l’âme.

 

Une statue (la plus éloignée de Vienne, parmi toutes celles qui existent de l’impératrice), commémore aujourd’hui, le séjour de Sissi. Mais en cet automne 1921, la situation est catastrophique et l’empire a disparu dans le cataclysme de la Grande Guerre.

Dès le lendemain de leur arrivée, le dimanche 20 novembre, Charles et Zita se rendent à la messe à la cathédrale de Funchal, la capitale. La villa est située à 800 mètres du sanctuaire, et ils doivent pour s’y rendre, traverser le centre-ville. Tout au long du parcours, ce ne sont que des acclamations et des salutations sur leur passage, autant de signes de sympathie qui touchent le cœur des pauvres exilés. L’empereur fait, d’ailleurs, souvent le trajet pour aller s’y recueillir dans la chapelle du Saint-Sacrement.

La sympathie compatissante, que la population leur manifeste au début, se transforme très rapidement en réel enthousiasme. L’empereur fait remarquer un jour, en souriant « j’aimerais presque dire : ma fidèle ville Funchal depuis toujours ».

Le 8 décembre 1921, jour de la fête de l’Immaculée Conception, le couple se rend à la célébration présidée par l’évêque de Madère. A son arrivée, il est accueilli par divers ecclésiastiques et par les paroissiens avec beaucoup de déférence. Et c’est une véritable haie d’honneur qui se forme sur leur passage, à la sortie de la messe.

Mais très vite, Charles se préoccupe des frais de location de l’habitation qui leur a été destinée. La Conférence des Ambassadeurs des Nations Alliées a fixé sa dotation annuelle à 20000 livres, mais cette somme ne lui fut jamais versée, l’Italie et les autres pays ayant refusé de l’acquitter.

Il se met donc en quête d’un logement moins onéreux, et plus tranquille aussi. Il ne se sent pas en sécurité à la villa Victoria, proche de la route, et craint surtout, avec l’arrivée prochaine des enfants, un enlèvement possible de son fils aîné, Otto. Il apprend, en outre, que des curieux proposent de payer l’occasion de l’entrevoir. En effet, chaque paquebot amène de nombreux étrangers à Madère, et les curieux stationnent à proximité de la villa, cependant que les deux policiers chargés de la garde du souverain, ne se montrent que très rarement.

Bien vite, l’empereur et l’impératrice commencent à visiter la ville et les alentours. Le Comte et la Comtesse Hunyady, qui les avaient accompagnés dans leur voyage vers l’exil, restent longtemps leur seul entourage du pays natal. Dans les rues de Funchal, les habitants croisent une impératrice qui va faire elle-même ses courses, et un empereur qui achète son journal au kiosque du coin. Les Madériens connaissent tous le triste sort du souverain: ils l’aiment très sincèrement. Tous se découvrent devant lui qui leur répond par un sourire triste.

Le 31 décembre, Charles et Zita descendent au fort Saint-Jean Baptiste pour assister au feu d’artifice qui marque traditionnellement à Funchal, le passage d’une année à l’autre. Ils pourraient être comme deux amoureux, heureux et sans insouciance, mais cette nuit de la Saint-Sylvestre, ils sont encore séparés de leurs enfants restés en Suisse, et espèrent, sans nul doute, que l’année 1922 qui commence, leur sera plus favorable…

Début janvier, Zita a enfin obtenu des gouvernements alliés (au bout d’un mois d’attente), l’autorisation de se rendre à Zurich, au chevet de son fils, Robert, qui, à 6 ans et demi, a été hospitalisé à cause d’une crise d’appendicite. Elle retrouve ses autres enfants au château de Wartegg où réside sa mère, la duchesse de Parme.

Le 2 février 1922, Zita est enfin de retour à Madère avec ses enfants. Seul Robert est resté en convalescence en Suisse. Il est 7 heures du matin lorsque le navire est en vue du port de Funchal. L’empereur, trop impatient de retrouver ses enfants dont il était séparé depuis plus de trois mois, emprunte une navette pour aller à leur rencontre et monter à bord. Le paquebot arrivé à quai, il descend de la passerelle en les tenant par la main.

La voiture d’ Antonio Vieira de Castro attend toute la petite famille pour la ramener à la villa Victoria. Charles et Zita, dépourvus de tout moyen de locomotion, se déplacent le plus souvent à pied. Mais, par commodité et après un si long voyage, ils acceptent la proposition du propriétaire de l’hôtel Reid’s. Ceux qui voient l’empereur à ce moment diront plus tard avoir eu l’impression d’un homme brisé par la fatigue et l’émotion, amaigri, voûté, vieilli, aux cheveux grisonnants.

Durant l’absence de Zita, et en raison de sa situation financière difficile, il avait pris la décision d’emménager sans tarder dans une quinta à Monte, sur les hauteurs de Funchal. Elle appartient à un patricien de l’île, mais les hivers sur les hauteurs de Madère sont très humides, et les proches du couple impérial lui conseillent sagement d’attendre l’été pour s’y installer. Dépourvue de chauffage, elle n’était destinée et aménagée que pour des séjours estivaux. La situation financière du couple, qui maintenant doit subvenir aussi aux besoins des enfants, explique sa détermination à quitter la villa Victoria, beaucoup trop chère. L’impératrice profite donc des derniers jours au bord de l’océan pour se promener sur le port avec Otto, Adélaïde et Félix, avant le déménagement à Monte, prévu à la mi-février. (Merci à Francky pour cet article qui se déclinera en 4 parties – Copyright photos: Francky, Perestrellos photographos, Collections photographiques du Musée Vicentes (Funchal), et DR. – Bibliographie: Michel Dugast Rouillé, Charles de Habsbourg, Le dernier empereur (1887-1922), Editions Duculot, Paris, 1991/ Erich Feigl, Zita de Habsbourg, Mémoires d’un empire disparu, Criterion, Paris, 1991/ Jean Sévilla, Zita, Impératrice courage, Perrin, Paris, 1997/ Erik Cordfunke, Zita, La dernière impératrice, 1892-1989, Editions Duculot, Paris, 1990.)