L’histoire de l’archiduc Maximilien d’Autriche et de la princesse Charlotte de Belgique, empereur et impératrice du Mexique, repose sur une série de malentendus. Ils avaient tout pour être heureux et leurs vies finirent dans le drame. Récit sous la plume de Patrick Germain.
Ferdinand Maximilien de Habsbourg-Lorraine est né le 6 juillet 1832, second fils du couple formé par Sophie, princesse royale de Bavière, et l’archiduc François-Charles, second fils de l’empereur François Ier. Ci-dessus, Maximilien par Joseph Karl Stieler (1838)
Il fut dit, mais sans aucune preuve, qu’il était le fils du duc de Reichstadt, le fils de Napoléon et de Marie-Louise. Cela est plus qu’improbable mais il est certain qu’à sa naissance sa mère était dans l’angoisse et la tristesse de voir mourir Reichstadt, dont elle était très proche.
Maximilien fut un enfant turbulent, indiscipliné, causant beaucoup de souci à sa mère, mais intelligent et doué, plus que son frère aîné probablement. Il en avait conscience et souffrait du complexe du cadet.
Mais il avait du charme et savait en jouer. Le moment venu, il ne sera pas difficile de lui trouver une épouse qui convienne à tout le monde.
Charlotte par Winterhalter en 1848 – Collection de SM la reine Elizabeth II
Charlotte de Saxe-Cobourg-Gotha, princesse royale de Belgique, est née le 7 juin 1840. Son père, Léopold est le premier roi des Belges depuis 1830. Sa mère, Louise d’Orléans, est la fille du roi des Français, Louis-Philippe, et de Marie-Amélie princesse des Deux-Siciles. Elle est la seule fille du couple.
Enfant vive et turbulente, elle changea complètement de caractère à la mort de sa mère en 1850. Elle se renferma, devint taciturne et se réfugia dans l’étude. Une aristocrate française, la comtesse d’Hulst fut sa gouvernante et resta son amie tout au long de sa vie.
Quand il rencontra Charlotte, Maximilien n’en était pas à ses premières amours. Il avait été amoureux d’une jeune fille de la noblesse allemande, Paula von Linden. Toute union entre eux était impossible, Maximilien étant l’héritier du trône d’Autriche. Nommé lieutenant de vaisseau, il était promis à une carrière navale. “Je vais accomplir mon rêve le plus cher : un voyage en mer. Nanti de quelques connaissances, je quitte la chère et aimée terre autrichienne. Ce moment est source de grande excitation pour moi.”
Maximilien et François-Joseph, bien qu’élevés de façon identiques, et très proches l’un de l’autre, étaient de caractères opposés. Cette opposition a été vue dans les pages précédentes. Pour Sophie, Maximilien représentait un enfant difficile, capable des pires bêtises mais affectueux. Il a beaucoup été écrit sur son caractère et il a été difficile de discerner le bon côté du mauvais. Intelligent, cultivé, plein de bonne volonté, il est aussi faible et entêté.
On lui a supposé de jalousie envers son frère aîné. Cela n’est pas certain car Maximilien a toujours montré de la loyauté envers lui et envers son pays, qu’il désirait servir au mieux, ce qui ne lui a pas été permis.
Lors de son voyage, il fait connaissance de la princesse Marie-Amélie de Bragance, fille de Pedro Ier, empereur du Brésil, et d’Amélie de Leuchtenberg, elle-même fille du prince Eugène de Beauharnais et d’Auguste de Bavière, la demie-sœur aîné de l’archiduchesse Sophie. Elle était la fille d’une cousine germaine qu’il avait déjà rencontrée lors de séjours de la princesse dans sa famille bavaroise.
Fille d’empereur, sœur de reine, belle, intelligente, cultivée et distinguée, elle a tout pour séduire Maximilien et convenir à son frère et à sa mère, malgré le sang Beauharnais. Dans ses mémoires, il décrit la princesse lorsqu’il la revoit à Lisbonne “ aimable, distinguée, une princesse parfaite telle qu’on en rencontre rarement.”
Marie-Amélie de Bragance, princesse impériale du Brésil par Friedrich Düruck (Musée impérial du Brésil)
Elle mourut à Funchal le 4 février 1853. Atteinte de tuberculose, elle y était venue avec sa mère pour guérir. Dans son journal, Sophie ne mentionne pas la mort de la jeune princesse qui avait failli être sa belle-fille.
Il est probable que sachant son état depuis plusieurs mois, elle avait éloigné cette petite-nièce de ses préoccupations. La vie continuait à la cour entre, bals, dîners et soirées à l’opéra. La grand affaire était de marier François-Joseph et non Maximilien.
Ce dernier finit par l’oublier malgré le chagrin qu’il ressentit. Et sa nouvelle fiancée avait tout pour séduire sa future belle-mère. Fille de roi, petite-fille de roi, cousine germaine de la reine d’Angleterre, elle apportait une alliance importante avec un pays, né certes des anciens Pays-Bas autrichiens, mais étoile montante de l’échiquier européen.
Son père, Léopold Ier, était un homme de première importance. Il aurait pu être roi consort d’Angleterre, si sa femme, Charlotte princesse de Galles, n’était pas décédée en 1817.
Charlotte était une enfant quand elle perdit sa mère, la reine Louise le 11 octobre 1850. “La sensibilité, la gaieté, la douceur que sa mère notait avec ravissement semblent disparaître tout de suite et pour jamais. Au lieu de la petite fille turbulente et expansive, nous retrouvons une adolescente pensive, sérieuse, raisonneuse, fermée et repliée sur elle-même, d’un esprit souvent chagrin.”
Charlotte vers 1850, peut-être après la mort de sa mère par Winterhalter
Charlotte trouvera en Angleterre chez sa cousine germaine, la reine Victoria, plus âgée qu’elle, et chez sa grand-mère la reine des Français, Marie-Amélie, l’affection féminine qu’elle n’a pas à Bruxelles.
Elle espérait beaucoup du mariage de son frère, Léopold, le futur Léopold II, avec Marie-Henriette d’Autriche, fille du Palatin de Hongrie, Joseph, célébré en 1853.
Mais cette dernière est qualifiée de palefrenier par la princesse de Metternich car elle aimait plus les chevaux que les hommes. C’est dire que Charlotte ne trouva pas près d’elle l’affection dont elle avait besoin, au sein de sa famille.
La princesse est mystique mais qui ne l’était pas à son âge. Elle est sérieuse passant beaucoup de temps à lire dans la bibliothèque du palais, et des ouvrages sérieux.
Elle sait aussi qu’elle doit se marier suivant les conventions de son monde, c’est-à-dire suivant l’intérêt politique de son père et non suivant son cœur. Elle sait que deux prétendants sont sur les rangs, le prince Georges de Saxe, le futur roi Georges Ier, et le roi Pierre V du Portugal. L’un a la faveur de la reine Victoria, l’autre ne plait pas à la reine Marie Amélie.
Charlotte est, sûre de ses connaissances et consciente de sa naissance, fière et distante. Pourtant, elle refuse d’épouser don Pedro roi du Portugal, déclarant : “Pedro, c’est un trône, il est vrai, je serais Reine et Majesté mais qu’est-ce que cela, les couronnes de nos jours sont de lourds fardeaux et comme on regrette plus tard d’avoir cédé à de si folles considérations.”
Pedro V roi du Portugal ( 1837-1861)
Mais c’est l’archiduc Maximilien qui emportera ses suffrages, alors qu’il n’était pas sur la liste des prétendants possibles. Le premier est appelé à régner et l’autre règne déjà. Maximilien est certes l’héritier présomptif du trône d’Autriche, mais François-Joseph peut encore espérer un héritier direct.
Maximilien n’est pas un parti pour une fille de roi, qui est en plus est une lointaine cousine. Charles-Louis n’était pas non plus un bon parti pour Marguerite, fille de roi, mais elle était une cousine germaine.
Charlotte en 1857
Charlotte est belle. Tous ses portraits le prouvent. Mais elle est froide. Après l’avoir rencontré, tout d’abord dans l’intimité, puis lors d’un bal donné en son honneur, elle est séduite par le bel archiduc.
De son côté Max écrit dans son journal, le 19 mai 1856 : “ Seize ans, cheveux châtains. Une majesté extraordinaire pour son âge. Le cou long. Des yeux inimaginables, verts à pupille noire. Suivant les rumeurs de Londres, fiancée au roi du Portugal. Pas officiel encore.”
Maximilien en 1853
De son côté, Charlotte s’emballe : “Il va partir demain, il me l’a dit. Je veux tout faire pour l’en empêcher. Mon Dieu, donnez moi la force et la volonté suffisante pour retenir cet archange prêt à me quitter.”
Lorsqu’on lui raconte sa triste histoire d’amour avec Marie-Amélie du Portugal, et son désir d’oubli en voyageant, elle en est émue. On s’est rapidement rendu compte de ce qui se passait à Bruxelles et bien qu’il eût préféré un roi pour gendre, Leopold Ier laisse à sa fille le choix de son époux, en accord avec sa grand-mère, la reine Marie-Amélie.
Au mois de septembre, Charlotte écrit à sa grand-mère : “ Il paraît que j’ai été demandée en mariage d’abord par l’Archiduc Max puis par le roi de Portugal. Il faut que je choisisse entre les deux.
Cher Papa a été d’une bonté extrême, il m’a écrit la lettre la plus impartiale, me mettant sous les yeux les avantages de l’un et de l’autre sans vouloir en rien m’influencer…J’avoue que je penche beaucoup pour l’archiduc Max, j’apprécie la noblesse de son esprit, je sais qu’il est chevaleresque, rempli de talent et d’instruction surtout ce qui est bien important et bien sûr dans sa position, animé de véritables sentiments religieux, en un mot c’est le prince le plus distingué d’Europe.
Quant à sa naissance, elle est des plus illustres, il est pour le moment l’héritier d’un des plus grands empires du globe, je sais en outre que ce n’est pas une demande faite dans un but politique que celle qu’il a adressée à cher Papa. C’est une garantie de bonheur…
Avec l’Archiduc, j’aurais beaucoup plus d’indépendance; mes belles-sœurs seraient mariées : l’une, l’Impératrice, est, dit-on, gentille et sans prétention; l’autre Marguerite de Saxe, qui va épouser l’Archiduc Charles-Louis est de mon âge et, dit-on, bien élevée. Et puis si comme il en est question, l’Archiduc était investi de la vice-royauté en Italie, ce serait charmant, c’est tout ce que je désire que le séjour d’Italie, et dans ce beau climat.”
Le jeune couple en 1857
Lorsque Max est informé, par les voies diplomatiques, des dispositions de la jeune princesse à son endroit et de l’absence d’obstacle de la part de son frère l’empereur, il écrit “ Elle est petite, je suis grand, ce qui doit être. Elle est brune, je suis blond, ce qui est bien aussi. Elle est très intelligente, ce qui est un peu ennuyeux, mais sans doute en viendrai-je à bout.” Ce n’est pas vraiment ce que l’on appelle un langage d’amoureux.
L’archiduchesse Sophie en 1858 par Franz Schroyzberg
L’archiduchesse Sophie ne pouvait pas ne pas être au fait de ce qui se passait. Il semble que la comtesse d’Hulst, la gouvernante de Charlotte, l’ait informée des sentiments de la princesse, au début de l’été. Sophie lui répondit : “Votre lettre m’a causé un contentement profond. Je parlerai à l’empereur dès demain. L’Archiduc, mon deuxième fils qui vient de passer quelques jours à la cour de Prusse arrive ce soir à Schönbrunn.
Votre lettre ne pouvait me parvenir à un meilleur moment. Je le questionnerai sur sa visite à Laeken. Il n’y a pas de doutes que si les sentiments de la princesse sont ceux que vous me décrivez, Max n’y réponde puisque le ciel a doué Charlotte de toutes les grâces les mieux faites pour séduire mon fils.…J’ai confiance en vous : vos qualités de cœur et d’esprit me sont connues de longue date. Je vois dans votre présence constante auprès de la princesses, destinée, Dieu aidant, à devenir ma fille, la preuve certaine que la providence est avec nous dans ce projet.”
Un mariage était rarement une affaire sentimentale à cette époque et encore moins dans les milieux royaux. Charlotte est amoureuse ou du moins séduite par ce prétendant. Ce dernier reste fidèle aux principes de son siècle; un mariage est aussi et surtout une affaire de raison.
A se marier, autant avec qu’elle qu’avec une autre, mais il n’est pas question de se laisser entraîner dans une aventure uniquement sentimentale. Fin octobre Léopold Ier répondait favorablement à la demande de mariage autrichienne et ce avec le consentement de sa fille.
Léopold Ier, à la période du mariage, par Nadar
Maximilien quitta Vienne le 18 décembre pour arriver à Bruxelles le 22. A la fin du mois, les fiançailles sont célébrées officiellement à Bruxelles avec tout l’apparat nécessaire, dîner de gala, opéra, grand bal.
Charlotte ignore certainement que pour en arriver là, il a fallu à son père de mettre dans la corbeille de noces, plus qu’il ne comptait. Il avait prévu trois millions de francs-or, soit entre quarante-cinq et soixante millions d’euros.
Après d’après discussions de la part du fiancé, il fut convenu que la Belgique, rajouterai cent mille florins, le roi des Belges, vingt mille florins, François-Joseph cent trente mille florins, soit à peu près dix millions d’euros supplémentaires. Les revenus annuels du couple versés par François-Joseph seraient de cent cinquante mille florins, soit environs six millions d’euros avec des espoirs de revenus supplémentaires grâce à la vice-royauté lombardo-vénitienne.
Le fiancé, loin d’être transi, savait calculer. Il faut dire qu’il avait des projets personnels, notamment la construction d’une résidence privée, bien à lui, le château de Miramar à Trieste, dont la construction, de 1856 à 1871, aurait coûté 600 000 florins, soit 24 millions d’euros.
L’archiduchesse Sophie ne devait pas ignorer les détails pécuniaires de la transaction matrimoniale. Elle a peut-être été surprise par les montants, mais elle n’en parle pas, alors que parler d’argent ne lui a jamais fait peur. Elle ne cessera de tarir plus tard d’éloges sur Charlotte. ““Le 20 juillet (1857)…thé avec Maxi auquel nous donnâmes notre bénédiction, son père et moi avant qu’il nous quitte à 7h 1/2”
Le cortège nuptial
Le 23 juillet, Maximilien arrive à Bruxelles et le 27 juillet le mariage est célébré au palais royal. La reine Marie-Amélie et le prince consort Albert de Saxe-Cobourg-Gotha ont fait le déplacement depuis l’Angleterre.
Du côté du marié, la famille est représentée par son frère l’archiduc Charles-Louis et sa jeune épouse, Marguerite de Saxe. Le ban et l’arrière ban de l’aristocratie belge sont présents. Beaucoup ne sont-ils pas du Saint-Empire et n’ont-ils pas servi les Habsbourg pendant des siècles ?
Comparution dans l’acte de mariage
“Je reçus un télégramme de Max qui demandait pour lui et Charlotte notre bénédiction et disait que le mariage se faisait à 11 heures.” écrivit Sophie ce jour-là en précisant qu’à l’heure de la célébration, elle leur a envoyé sa bénédiction par télégramme.
Signature de l’acte de mariage
Le 3 août, Sophie se leva à quatre heures du matin, à cinq heures et demie, elle monta en calèche et une heure plus tard, monta à bord du yacht impérial “L’Aigle” pour rejoindre Linz où elle vint accueillir Charlotte et Maximilien. Le 4 août au matin “A 6h 1/2, mes chers enfants, Max et Charlotte, me demandaient quand ils pourraient venir. Ils vinrent vers 8h. Grande joie de nous voir. Charlotte est charmante, belle, attirante, caressante et tendre avec moi. Il me semblait l’avoir toujours aimée…A 9h beaucoup de monde à l’église Je remerciais profondément Dieu de la charmante femme charmante qu’il a donné à Maxi et de l’enfant de plus qu’il nous a accordés…”
Le soir même, ils arrivaient à Vienne où ils furent reçus au débarcadère par François-Charles et la mission de Belgique. François-Joseph, Elisabeth, toute la famille et les grandes charges de la cour les attendaient sur le perron de Schönbrunn.
Charlotte est donc accueillie avec tout le protocole obligatoire et toute l’affection de la famille. Elle est arrivée à Vienne au moment où on avait le plus besoin d’elle.
Cela faisait à peine deux mois que la petite archiduchesse Sophie était morte et, au-delà du divertissement au chagrin que constituait l’arrivée d’une nouvelle venue, la famille avait besoin d’avoir quelqu’un à aimer. L’archiduchesse Sophie avait-elle conscience qu’en mettant en avant les qualités de sa nouvelle belle-fille, elle offensait la première ?
L’impératrice Elisabeth, probablement à la même époque
Dès le début s’installa l’hostilité entre Charlotte et Elisabeth. Le journal de Sophie fait bien souvent allusion à la présence de Sissi aux réunions de famille mais ne révèle pas l’antagonisme entre les deux femmes.
François-Joseph, conscient de la difficulté de l’Autriche à conserver ses possessions italiennes, relève le maréchal Radetzky de ses fonctions. Il est âgé et son nom est honni en Lombardie et en Vénétie depuis les répressions de 1848.
Palais Royal de Milan
Quand Maximilien, nommé vice-roi de Lombardie-Vénétie à sa place, essaie de faire prendre conscience, à François-Joseph, qu’il faut changer de politique et tenir compte des nouvelles aspirations des classes moyennes et supérieures à Milan, comme à Venise, il reçoit une mercuriale de son frère, le 17 juillet 1858 : “Il ne peut absolument pas être question et il ne sera jamais question d’un gouvernement italien qui serait indépendant des administrations centrales de Vienne…”
Le 10 avril 1859, Maximilien sera relevé de ses fonctions. Et lorsqu’il s’en plaignit à sa mère, elle lui rappellera le devoir d’obéissance qu’il a vis-à-vis de son frère, l’empereur. Mais dans son journal, elle ne parle pas de leurs dissensions.
Le 15 juillet 1859, Charlotte écrivit à son père : “Je me trouve enfin réunie pour de bon à Max à mon grand bonheur quoique cette réunion tant désirée ait été amenée par une profonde humiliation…Le pauvre Max en est navré car il sent tout le poids de la honte qui retombe sur notre famille et sur la monarchie…”
Cette vice-royauté avait été pour Charlotte un moment de gloire. Elle était la première dame de Milan. Elle tenta de tenir une cour brillante mais malgré ne put réussir car l’aristocratie, meurtrie par la politique autrichienne, boudait ses salons. Le pire fut quand elle eût à fuir le palais royal dans la précipitation après les défaites subies par l’Autriche
François-Joseph était tombé dans le piège qui lui avait été tendu par Napoléon III, Cavour et Victor-Emmanuel. Cavour déclarera : “en Lombardie, notre ennemi le plus terrible … était l’archiduc Maximilien, jeune, actif, entreprenant, qui se donnait tout entier à la tâche difficile de gagner les Milanais et qui allait réussir. Déjà, sa persévérance, sa manière d’agir, son esprit juste et libéral nous avaient ôté beaucoup de partisans ; jamais les provinces lombardes n’avaient été si prospères, si bien administrées. Grâce à Dieu, le bon gouvernement de Vienne intervint et, selon son habitude, saisit au vol l’occasion de faire une sottise, un acte impolitique, le plus funeste à l’Autriche, le plus avantageux au Piémont …. La Lombardie ne pouvait plus nous échapper…”
A peine la Lombardie perdue, à l’automne 1859, peut-être pour fuir Vienne et sa famille, Maximilien décide d’entreprendre un long voyage, en compagnie de Charlotte. La mer l’a toujours attiré et début décembre 1859, ils s’embarquent pour Madère. Sophie reçoit un télégramme de Max arrivé à Gibraltar le 5, après une traversée orageuse.
“La Fantaisie”, yacht de l’archiduc Maximilien
Le château de Miramar était en construction mais peu importait, le couple avait besoin de fuir la désillusion qu’a été la vice-royauté et surtout celle de l’ambiguïté de leur position à la cour.
Il s’estimait aussi capable que son frère à gérer les affaires de l’empire, et il l’avait prouvé à Milan, mais il avait été remercié. Elle avait épousé un archiduc d’Autriche, presque roi dans le nord de l’ Italie, et elle se retrouvait archiduchesse sans grand chose à faire, même si elle occupe une place particulière dans le cœur de sa belle-mère.
La morosité et l’ennui les guettent. Le duc de Brabant, frère de Charlotte, écrit de sa situation “ Ma pauvre sœur : la reine si brillante de Venise et de Milan où elle se croyait aimée, obligée de fuir à la hâte après avoir successivement et en personne évacué son argenterie et ses bijoux pour devenir à Trieste, au milieu de l’été, garde-malade, puis enfin pour s’exiler à Madère afin de ne plus être aussi près de ce beau royaume qu’on avait perdu. Comme c’est triste, comme c’est peu mérité.”
Charlotte en 1859 par Isidore Pils
Tout laisse aussi à penser que le couple n’est pas aussi uni qu’il le paraît. Charlotte semble continuer à croire au grand amour qui est le leur, mais fut-il si grand. Maximilien a de l’affection pour elle mais pas d’attrait.
Ils font chambre à part, à sa demande à lui. Charlotte est une enfant blessée depuis la mort de sa mère, la reine Louise. Maximilien est un frère cadet frustré. Elle a besoin d’être aimé, pas lui. Ils se rejoignent toutefois sur le besoin d’une vie active.
Leur périple les emmènera ensemble jusqu’à Madère, où Charlotte s’installe seule, avant Elisabeth donc. Elle ne supporte pas le voyage en mer. Maximilien continue vers le Brésil. Sur ce voyage pèse l’ombre de la fiancée de Maximilien, Marie-Amélie de Bragance, princesse impériale du Brésil. “Fidèle à ma parole, je reviens chercher sur les flots de l’océan un repos que l’Europe chancelante ne peut plus donner à mon âme agitée. Mais une mélancolie profonde me saisit quand je compare les deux époques. Il y a sept ans je m’éveillais à la vie, et je marchais allègrement vers l’avenir ; aujourd’hui je ressens déjà la fatigue ; mes épaules ne sont plus libres et légères, elles ont à porter le fardeau d’un amer passé… C’est ici que mourut la fille unique de l’impératrice du Brésil: créature accomplie, elle a quitté ce monde imparfait, comme un pur ange de lumière, pour remonter au ciel, sa vraie patrie. De l’hôpital fondé par une mère infortunée en souvenir de sa fille, je me rendis non loin de là, à la maison où l’ange amèrement pleuré a quitté la terre, et je demeurais longtemps abîmé dans des pensées de tristesse et de deuil”.
Il est marié depuis à peine deux ans mais Marie-Amélie de Bragance est morte depuis six ans. Il n’est pas certain que Charlotte ait eu conscience de l’état d’âme de son mari. Elle est enchantée par l’île de Madère.
Alors qu’ils continuent leur voyage vers le Brésil, une violent tempête assaille le navire avant d’arriver aux Canaries et s’abriter dans le port de Ténériffe.
Le 19 décembre ils doivent retourner à Funchal, où Charlotte décide de ne pas continuer le voyage. “Je continue à trouver le séjour à Madère très agréable, Max n’est pas encore de retour de ses excursions mais moi j’en fais assez souvent dans l’île.”
En effet, Max est reparti à destination de Rio, probablement perdu dans ses rêves. Il laissera Charlotte sans nouvelles pendant deux mois. Il ne lui écrira que deux lettres.
Cette séparation semble bien étrange aux yeux de leurs familles. Il est heureux au Brésil, il s’intéresse à tout, il s’y sent libre et ne manque pas une visite à l’empereur Pierre II, frère de Marie-Amélie. Elle est heureuse à Madère, du moins le dit-elle, car sa pudeur et son orgueil ne lui permettent pas d’avouer qu’elle aurait pu souffrir. A la différence de sa belle-sœur, elle sait cacher ses blessures et ses sentiments depuis l’enfance.
Funchal en 1865
Maximilien revient vers la mi-mars et le couple repart pour l’Europe.
Le 10 avril Sophie note dans son journal : “ Mon cher enfant Max arriva de Trieste après 6h. L’Empereur se rendit chez lui et à 7h 1/4 Max vint auprès de mon lit. Grande joie de nous revoir. Max a une mine parfaite.”
On apprend que Max a apporté des cadeaux pour tout le monde et raconte son voyage avec plaisir au point d’en faire rire son frère, l’empereur. Mais il n’est pas parlé de Charlotte, probablement restée à Trieste. Et en retournant à Trieste, “il emporte les cadeaux de Noël pour Charlotte et Maxi. Nous avons donné une partie de l’ameublement de Miramar.” (Merci à Patrick Germain – A suivre…)
Régine ⋅ Actualité 2022, Autriche, Belgique, Portraits 38 Comments
Benoite
8 mars 2022 @ 06:53
Le récit est fort bien relaté, et complet.. photos, et documents. Merci à l’auteur qui commence ici une histoire illustre, combien révélatrice de l’époque, des dynasties en question, et des envies de conquête de territoires
Pistounette
8 mars 2022 @ 07:13
Passionnant, merci.
J’attends la suite avec impatience.
Charlotte (de Brie)
8 mars 2022 @ 07:15
Quel plaisir le matin en ouvrant le site de découvrir ce sujet !
Je n’ai pas le temps de lire attentivement ce matin, mais ce sera un grand bonheur ce soir. D’autant qu’en ayant parcouru cette première partie, l’iconographie est comme toujours avec Patrick Germain, riche et parfaitement en accord avec le texte.
Merci à vous, de nous faire ainsi voyager dans le temps.
Severina
8 mars 2022 @ 08:16
Magnifique, Patrick Germain, merci. Étant née à Trieste je connais bien l’histoire de Maximilian et Charlotte et j’ai fait beaucoup de promenades dans les magnifiques jardins de Miramare, mais votre écrit si riche et documenté et si moins romantique qu’on le raconte normalement est vraiment captivant et très interessant. J’attends la suite.
josaint vic
8 mars 2022 @ 08:55
Lire ou relire l’excellent livre de Michel de Grèce « l’impératrice des adieux »
Robespierre
8 mars 2022 @ 08:55
Très intéressant et iconographie remarquable. La photo des fiancés m’a bcp intéressé, et je ne l’avais jamais vue. J’ai appris pas mal de choses. J’ignorais que Maximilien avait bien géré sa période milanaise, au grand déplaisir des patriotes italiens. Et que le fameux journal de Sophie ne dit pas tout. Ne traduit pas ses sentiments intimes. Pour qui alors ces dames écrivaient-elles leur journal ? pour la postérité je suppose. Patrick Germain a heureusement d’autres sources .
Le mariage de Charlotte comme plus tard celui de la fille unique de Stéphanie montre que les mariages d’inclination ne sont pas toujours heureux dans les milieux royaux. Il faut la réciprocité et l’auteur de l’article montre la tiédeur du mari de Charlotte. En général dans ces familles dans l’année qui suit, ou les deux années, un héritier montre le bout de son nez. Le seul enfant que leur mariage ait généré c’est l’ambition. Elle n’est pas bonne conseillère.
J’ignorais tout des premières années du couple, mais elles sont assez révélatrices. Et l’épisode milanais est consternant, François Joseph décevant. Je pense que c’est le turning point dans le triste destin d’un couple qui avait tout pour lui.
ABER
9 mars 2022 @ 13:03
Toute la politique de François Joseph a été un désastre qui a mené à la 1ère guerre mondiale. Aucune vision d’avenir, une autocratie totale…Résultat, une vie familiale désastreuse et un empire qui s’effondre peu de temps après sa mort.
Cosmo
9 mars 2022 @ 17:05
En effet, Robespierre, le journal de l’archiduchesse Sophie ne dit pas tout. Les sujets intimes sont invoqués dans sa correspondance avec sa mère et dans son journal. Mais l’archiduchesse se garde bien d’évoquer la politique des différents empereurs, dont son fils, sauf pour la louange.
Il ne semble pas que le journal ait été écrit pour la postérité mais plutôt comme un exercice auquel se livraient beaucoup de grandes dames au XIXe siècle. Toutefois, on ne sait jamais. Toujours est-il qu’il y a des manques dans l’analyse alors que la relation de la vie quotidienne est très précise, au quart d’heure près. On y connait aussi de façon exacte les personnes qui faisaient partie de l’entourage immédiat de la famille impériale. Tous les grands noms de l’empire sont cités des centaines de fois.
Aldona
8 mars 2022 @ 09:12
Merci à Patrick Germain, c’est une histoire prenante, passionnante, et j’attends la suite avec une grande impatience. Votre style est clair, limpide, très accessible pour moi qui ne maîtrise pas toujours le français
DEB
8 mars 2022 @ 09:24
Félicitations, le texte est très clair et agréable à lire.
Je n’avais jamais ce portrait du roi Léopold 1er vieillissant.
Ghislaine
8 mars 2022 @ 09:27
Merci Patrick Germain pour ce passionnant récit .
Baboula
8 mars 2022 @ 09:46
Texte fluide,si bien documenté, un plaisir de le lire .Merci à vous cher Patrick Germain .
Beque
8 mars 2022 @ 10:02
Passionnant, merci Patrick Germain.
Après la mort de Marie-Amélie, sa mère et Maximilien sont restés très proches. Amélie de Leuchtenberg avait même prévu de léguer ses propriétés bavaroises à Maximilien, qu’elle aurait été heureuses d’avoir comme gendre, si Dieu lui avait conservé sa fille bien aimée, avait-elle confié.
Pascal avec un champignon
8 mars 2022 @ 10:06
Le texte est dense il faudra que je le lise au calme mais quel intéressant choix de portraits et photographies (celle du roi Léopold 1er est fascinante ) , je croyais Maximilien plus beau que cela , sur la photo de 1857 il ressemble un peu à Louis Victor ? , et ce portrait de l’archiduchesse Sophie est très beau , il en donne une image un peu éloignée de la photographie de la famille impériale sur le divan qu’on trouve un peu partout (où l’archiduc François Charles a ce vertigineux haut de forme ) .
L’arbre a très loin poussé ses racines et donne de magnifiques fruits.
Menthe
8 mars 2022 @ 11:04
« Elle est très intelligente, ce qui est un peu ennuyeux.. » non, je n’ai pas retenu que ces mots, mais en cette journée du 8 mars ce sont ceux que je souhaite souligner. Les femmes intelligentes ont fait et font encore peur à certaine catégorie d’hommes, ceux qui ne se sentent pas suffisamment armés pour faire face. C’est dommage.
Récit très intéressant. Toujours facile à lire, sans phrases alambiquées, M. Patrick Germain.
Jean Pierre
8 mars 2022 @ 10:49
Les sources de Cosmo se référent souvent à l’archiduchesse Sophie, le père ne dit jamais rien, ne laisse pas de traces. Pour moi l’archiduc Franz est une énigme.
Cosmo
8 mars 2022 @ 11:53
Jean-Pierre,
L’archiduc François-Charles ne disait rien parce qu’il n’avait rien à dire et son intelligence résida dans ce silence. L’archiduchesse Sophie, au début de leur mariage, essaya de l’intéresser à d’autres choses qu’au ballet de l’opéra. Elle réussit un peu mais chacun savait à la cour que ce n’était pas sur lui qu’il fallait compter pour prendre des décisions.
C’est pour cette raison qu’en 1848, il fut contraint, mais ce ne fut pas difficile, de s’effacer devant son fils.
Il était aimé des Viennois et de son entourage.
Bonne semaine
Cosmo
Pascal avec un champignon
8 mars 2022 @ 12:16
Oui on en entend guère parler , il faut dire qu’il ne semble jamais avoir recherché la première place.
On dit qu’il s’intéressa surtout à ses chevaux ce qui le rapprochait de sa bru Elisabeth.
Robespierre
8 mars 2022 @ 13:10
il était limite débile, mais cela ne l’empêcha pas de procréer abondamment. Sophie fit un mariage de devoir, poussée par l’empereur d’Autriche qui la sollicita pour son fils.
Beque
8 mars 2022 @ 14:00
Jean Pierre, si vous parlez du duc de Reichstadt, savez-vous que Laetitia de Witt, descendante de Jérôme Napoléon, a écrit une biographie bien documentée sur « L’Aiglon » (chez Tallandier) ? Il était très proche de sa jeune tante par alliance Sophie, mère de Maximilien.
A moins que vous ne parliez de l’archiduc François-Charles, l’époux de Sophie ?
Beque
8 mars 2022 @ 14:43
Jérôme Bonaparte et non Jérôme Napoléon
mousseline
8 mars 2022 @ 10:56
Merci Patrick Germain, pour ce récit très intéressant et bien illustré
Antoine
8 mars 2022 @ 12:04
Un vrai bonheur de lecture, comme toujours.
Erato deux
8 mars 2022 @ 12:17
Récit passionnant d’un couple et sourtour d’ une vie celle de Charlotte, romantique et malerehuse archiduchesse , puis infortunée imperatrice
Pastelin
8 mars 2022 @ 13:34
Merci P Germain pour ce récit très agréable.J’ai eu plaisir à le lire et à retrouver Max et Charlotte auxquels je m’étais déjà intéressé par le biais de Sophie. Belle iconographie ; je ne connaissais pas le portrait, que j’ai trouvé impressionnant, du roi Léopold Ier. J’ai aimé aussi pouvoir regarder les signatures du contrat de mariage. Vivement la suite !
Gérard
8 mars 2022 @ 13:48
Merci cher Patrick.
Mayg
8 mars 2022 @ 14:44
Merci pour cet article très intéressant. J’attends la suite avec impatience.
Sinon je trouve la princesse Marie-Amélie de Bragance beaucoup plus jolie que Charlotte. On se demande si Maximilien n s’est pas marié par dépit ?
Vieillebranche
8 mars 2022 @ 14:47
Quels éléments pour affirmer que cet archiduc était plus doué que le frère aîné future Empereur FJ ? Des mémoires de précepteurs ? Des correspondances? Merci à l’ auteur
Cosmo
9 mars 2022 @ 17:45
Il est très difficile de répondre à votre question. Je ne peux que vous livrer mon ressenti à partir de mes recherches.
L’archiduchesse Sophie le laisse entendre, sans jamais l’écrire. Maximilien fut un enfant difficile et sa mère n’hésitait pas à le punir. François-Joseph fut un enfant facile qui apprenait tout et ne causait pas de souci à sa mère. Mais il y a dans sa manière de parler d’eux, enfants, une légère différence. Du respect pour l’héritier du trône et une certaine indulgence, malgré ses bêtises, pour le second.
Il semble que Maximilien ait eu une intelligence plus habile que celle de son frère et une culture plus large.
Ses précepteurs se plaignaient de son caractère, orgueilleux et entêté, mais pas de son inaptitude à apprendre. François-Joseph est toujours présenté comme voulant bien faire et y réussissant alors que Maximilien est présenté comme un dilettante gâchant ses talents.
Une chose est certaine. Son analyse de la situation à Milan a montré qu’il avait su comprendre ce qui se passait et comment y remédier alors que son frère le refusait obstinément et l’empêcha de réaliser son programme. Maximilien sut aussi organiser la marine autrichienne et était respectée par elle. Quand François-Joseph prit la tête de ses armées en Italie, ce fut un désastre.
Dans l’aventure mexicaine, Maximilien avait de grands doutes et ce fut son inaction, imposée par son frère, qui le décida à faire quelque chose, poussé bien sûr par l’ambition.
L’empereur François, leur grand-père, avait su utiliser les compétences de ses frères, chacun dans son domaine. François-Joseph n’avait qu’un frère qui pouvait le seconder, Charles-Louis et Louis-Victor n’ayant aucune consistance, et il l’écarta.
C’est peut-être là aussi que réside l’idée que l’un était plus intelligent que l’autre.
COLETTE C.
8 mars 2022 @ 14:49
Merci pour cet intéressant récit.
beji
8 mars 2022 @ 15:18
Très intéressant.Il me tarde de lire quelle importance vous donnez à Charlotte
dans la décision de son époux d’accepter le trône du Mexique et à l’attitude de Napoléon III dans toute « l’aventure du Mexique ».
agnes
8 mars 2022 @ 15:59
Passionnant, merci.
Bambou
8 mars 2022 @ 18:47
Rien à rajouter en effet. Merci monsieur Germain de nous faire (re)découvrir le destin tragique de ce couple.
Pierre-Yves
8 mars 2022 @ 19:08
Merci Patrick de ce récit. Je vais prendre le temps qu’ll faut pour le lire attentivement, bien que n’ayant jamais trouvé ce couple attachant et intéressant. Mais je ne demande qu’à changer d’avis !
Cosmo
9 mars 2022 @ 17:48
Pierre-Yves, Je ne suis pas certain que vous changiez d’avis car si leur destin peut émouvoir et intéresser, il est difficile de les trouver attachants.
GENSE Frédéric
8 mars 2022 @ 20:15
Merci pour ce passionnant récit ! Meilleures salutations !
YOM
8 mars 2022 @ 23:44
Merci, très intéressant.
HRC
9 mars 2022 @ 00:55
François-Joseph n’était pas fin politique, et Cavour lui aurait damé le pion de toutes façons…