C’est une véritable prouesse architecturale. Le château de Porgès, situé à Rochefort-en-Yvelines a la singulière particularité d’être une réplique partielle de l’hôtel de Salm à Paris, actuel Palais de la Légion d’honneur.
Mais détail important, niveau taille, il est deux fois plus grand ! C’est une commande du riche diamantaire autrichien Jules Porgès pour son épouse Rose Anna Wodianer à la fin du XIXe siècle. Les travaux ont été conduits par Charles-Frédéric Méwès et ont coûté au total près de 18 millions de francs or.
Le plus ancien seigneur de Rochefort connu fut Gui 1er le Rouge à cause de la couleur de ses cheveux. Né après 1040, fils de Guy 1er et de Hodierne de Montlhery (Gometz) fut le serviteur fidèle du roi Henri 1er puis de Philippe 1er, qui l’éleva à la dignité de sénéchal.
Il devint l’un des plus riches seigneurs d’Ile de France, plus puissant que le roi lui même. Il fut Seigneur de Gometz, de la Ferté Beaudoin et de Chateaufort par son père Guy 1er.
C’est Guy de Monthléry qui au XIe siècle construit le château et probablement les fortifications du village. Membre de l’armée de Croisés, il fit un assaut victorieux à Jérusalem en 1099. Ce premier château fut dévasté au XVIe siècle.
Après Gui, Rochefort passa dans la famille de Montfort par le jeu de mariage, puis dans la maison de Dreux, enfin chez les Rohan. Au XVIIe siècle, entre 1596 et 1623, Hercule de Rohan, duc de Montbazon et nouveau propriétaire des lieux, fit construire une demeure seigneuriale.
Hercule de Rohan, lui aussi très proche du pouvoir royal, accueille Henri IV et sa favorite Gabrielle d’Estrées dans son manoir de la Cense.
Le dernier à posséder la terre de Rochefort fut Charles de Rohan. En 1781, l’architecte Archangé construit un troisième château pour Charles Louis Gaspard de Rohan.
La principauté de Rochefort resta la propriété des Rohan jusqu’à la révolution. La branche de Rochefort, seule subsistante, porte encore le titre de « prince de Rochefort« . Le château encore reconstruit au XVIIIs fut alors démoli.
Ce château fort, dont les vestiges témoignent de l’importance du pouvoir des seigneurs locaux, a probablement été l’un des plus grands du sud de la région parisienne.
Le domaine est alors cédé en 1830 à Aimé de Pierre, Marquis de Bernis, membre éloigné de la famille de Rohan, dont le fils hérite en 1846 avant de le revendre neuf ans plus tard à Monsieur Porgès.
Issu d’une famille de joailliers tchèques et appartenant à la grande bourgeoisie juive austro-hongroise de Prague, Jules Porgès rejoint son frère à Paris dès 1857.
Âgé d’à peine 18 ans, il est à la tête de sa propre société de diamants, et sa réputation est déjà au summum. Très vite, il possède de nombreuses mines en Afrique du Sud, notamment sur le site de Kimberley, connu pour ses diamants, comme le joyau Eureka, découvert par un enfant en 1867 un peu plus au sud de la ville.
Certains rendements n’étant pas assez conséquents, Jules Porgès revendra quelques-unes de ses mines, pour investir à Johannesburg avec le soutien de la famille Rothschild qui entre dans le capital de ses affaires.
À 52 ans, Jules Porgès se retire de l’Afrique et s’intéresse à l’immobilier parisien. Pour des millions de francs il fait construire un hôtel avenue Montaigne à Paris. Cette demeure abrite de célèbres toiles allant de Rubens à Rembrandt en passant par Van Dyck. Son plus grand investissement immobilier, il le fera pour sa femme : Anna Wodianer, d’origine autrichienne.
Ainsi, au début du XIXe siècle, un quatrième château de style Louis XIII est construit, avec le portail du premier château comme vestige des anciens communs.
Le 5 juillet 1899 fut posée la première pierre du château. Il a fallu attendre 5 ans, en 1904, pour que la dernière soit posée. Les travaux furent confiés à des hommes ayant marqué l’histoire de l’architecture et de l’art décoratif : Charles Mewes, Georges Hoentschel, qui fut membre fondateur du Golf de Saint-Cloud, Paul Cottancin, en charge de la toiture ou encore Émile Devilette.
Tous se sont attachés à satisfaire les exigences de leurs richissimes commanditaires. De fait, l’édifice est probablement le plus audacieux jamais construit en Île-de-France entre la guerre de 1870 et celle de 1914. Avant de franchir le somptueux perron, on découvre les jardins imaginés par le paysagiste Verharghe au centre desquels règne une pièce d’eau d’un hectare. Verharghe fut également chargé de la réalisation de la magnifique cascade.
On fit appel au sculpteur marseillais Ferdinand Faivre à qui les façades des immeubles parisiens doivent quelques uns de leurs décors. Les œuvres de cet élève des Beaux-Arts de Paris sont visibles à Zurich, à Londres ou encore au Caire.
L’intérieur du château stigmatise « l’art de la copie », très en vogue auprès du gotha mondain à cette époque. Ainsi, on retrouve de nombreux éléments reproduits d’après les édifices remarquables des XVIIème et XVIIIème siècles dans la réalisation des pièces principales et plus particulièrement dans l’architecture de l’escalier d’apparat. Les volumes intérieurs et les immenses terrasses sont à la mesure de son “extravagance ».
La décoration intérieure était le domaine privilégié de Madame Porgès. Son goût fort prononcé pour les créations du XVIIIème siècle, fit de son château un véritable musée. Ses invités pouvaient à loisir admirer nombre de tableaux, meubles rares, bronzes et autres dentelles et ivoires
Pendant dix ans, de nombreuses et fastueuses réceptions furent organisées par le couple dans ce château, véritable repère visuel visible à plusieurs kilomètres à la ronde. Jules Porgès est issu de la grande bourgeoisie juive austro-hongroise. Il fera fortune dans le commerce de diamants et sera, avec son épouse, une figure emblématique de la vie parisienne. Les aristocrates parisiens se pressèrent pour participer aux magnifiques fêtes. Tout cela durera jusqu’au début de la première guerre mondiale.
En 1914, le château se transforme alors en hôpital. Dans « Journal d’un attaché d’ambassade », Paul Morand raconte qu’un soldat français, blessé et sortant du coma, se trouvait avec Madame Porgès, née Anna Wodianer en Autriche, à son chevet. En entendant son accent, il s’écria : «Ciel, je suis toujours prisonnier !»
Quelques années plus tard, en 1921, Jules Porgès meurt. Il est inhumé dans le cimetière de Rochefort, derrière l’église, où sont également enterrés les seigneurs de Rohan et de Bernis.
Peu après la guerre, dans les années 1920-1930, des films y furent même réalisés. Le réalisateur André-Antoine y fit par exemple le lieu de tournage de son film “Mademoiselle de la Seiglière”.
En 1924, alors que son mari est décédé trois ans plus tôt, Madame Porgès décide de vendre le domaine de 800 hectares à M. Duplain, propriétaire du château Gué d’Aulne. Du fait de l’immense superficie, il décide de séparer le domaine en deux parties : le château avec son parc d’un côté, et le domaine des Tourelles de l’autre.
En 1939, le lycée Stanislas s’y réfugie, les Allemands y séjournent durant la Seconde Guerre mondiale puis les Américains y installent 4000 hommes qui restèrent jusqu’en 1945.
Vers 1946, un nouveau propriétaire, Monsieur Chatard, essaye de lui redonner vie, mais après sa mort accidentelle en 1955, le château est à nouveau vendu. Il fut acheté quelques années plus tard à la société nippone Chisan, qui le transforma et en fit principalement un parcours de golf réputé, “le Chisan Country Club”.
Au début des années 2000, le domaine est à nouveau racheté, cette fois par Patrick Wallaert, président du groupe Albatros et en 2007, la société Chateauform y lance un vaste projet de rénovation : aujourd’hui, le domaine abrite un parcours de golf privé de 18 trous et accueille les entreprises pour des séminaires.
Le bâtiment Louis XIII et les ruines de la tour sont inscrits aux titre des Monuments Historique par arrêté du 7 octobre 1931.
En se promenant dans les rues, on aperçoit des témoignages manifestes du passé féodal de Rochefort-en-Yvelines: maisons anciennes accompagnées de tours ou marquées d’un blason, remparts et même un ancien bailliage aujourd’hui aménagé en mairie. C’est vers 1853, que la mairie s’installe dans le bâtiment du bailliage qui servit autrefois de tribunal et de prison. Il fut légué à la commune en 1831 par la famille Rohan.
L’église Saint-Gilles-et-de-l’Assomption est un édifice en pierre de style roman des XI et XIIème siècle avec son chœur roman appuyé de contreforts et voûté d’ogives, l’ abside flanquée d’une tour massive carrée coiffée en bâtière, l’absidiole greffée sur cette tour, le portail roman surmonté de 2 voussures est aussi un témoin du passé féodal .
La « chapelle des Princes » abrite les sépultures de la famille de Rohan. Les ruelles pavées de grès et fleuries de rosiers et de chèvrefeuille, les petites places au mobilier pittoresque et plantées de tilleuls procurent à Rochefort tout son charme. (merci à Guizmo)
Alice
15 novembre 2021 @ 02:57
Merci pour cet article très intéressant.
Bambou
15 novembre 2021 @ 06:18
Mais quel magnifique et immense château ! Je n’en avais jamais entendu parler.
Merci pour cet article fort intéressant et très complet.
MartineR
15 novembre 2021 @ 13:35
On le voit très bien de l autoroute A10 à l entree de Dourdan, vers Paris.
MartineR
15 novembre 2021 @ 06:53
Le film Yoyo de Pierre Etaix y fut aussi tourné
Actarus
15 novembre 2021 @ 06:57
Quelle histoire !
Avec la dernière pierre posée en 1904, s’agit-il du dernier château construit en France ?
DIBS
15 novembre 2021 @ 20:55
Le château d’Artigny a été construit par François Coty entre 1912 et 1932 ; peut-être d’autres châteaux ont été construits plus tard encore
Aldona
15 novembre 2021 @ 08:59
Merci Guizmo, passionnant à lire, et impressionnante la construction de ce château
JAusten
15 novembre 2021 @ 09:06
Sympathique demeure
Jean Pierre
15 novembre 2021 @ 09:53
Je me suis toujours demandé si Porgès n’a pas servi pour les personnages de Bernard Nissim et de Bloch dans la Recherche.
Dans mes souvenirs Bloch est un juif antisémite, ce que fût Porgès au moment de l’affaire Dreyfus.
Beque
16 novembre 2021 @ 10:34
Jean Pierre, sa fille, Henriette de La Ferte-Meun, a été nominée en 2005 Juste de France pour ses actions justes pendant la Seconde Guerre mondiale.
Jean Pierre
16 novembre 2021 @ 13:37
Oui chère Becque je savais. Il ne fait jamais désespérer de ses enfants.
Beque
15 novembre 2021 @ 10:53
Merci, Guizmo, magnifique découverte.
Hercule de Rohan-Montbazon 1568-1654), troisième fils de Louis VI de Rohan-Guéménée, était comte de Rochefort puis deuxième duc de Montbazon, et pair de France. Il prit part à la bataille d’Arques. Il fut lieutenant général de Bretagne, puis de Picardie et d’Ile de France, gouverneur de Nantes, puis d’Amiens, de Paris, Soisson, Noyon, Coucy et Chauny. Il était aussi grand Veneur de France. Il se trouvait dans le carrosse d’Henri IV lorsque celui-ci fut assassiné.
Jules Porges et Anna Wodianer ont eu une fille, Henriette Hélène (1878-1946) mariée à René, marquis de La Ferte-Meun (1870-1946) dont Antoinette mariée à Arnaud de Gontaut-Biron, marquis de Saint Blancard dont postérité ; et François marié à Huguette de Pontac dont postérité.
Danielle
15 novembre 2021 @ 11:47
Très belle histoire mais que de mouvement pour ce château !!
Merci Guizmo.
Caroline
15 novembre 2021 @ 12:05
Stupéfiant et très intéressant !
Jamais entendu parler de ce beau château , pourtant situé dans l’ Ile- de- France ‘ !!!
MartineR
15 novembre 2021 @ 13:36
Très près de chez moi.
Rochefort est un joli village et de magnifiques forêts.
Ciboulette
15 novembre 2021 @ 16:24
Je ne connaissais pas ce château , merci Guizmo pour cette découverte intéressante .
Marie-Saintonge
15 novembre 2021 @ 13:09
Merci pour cet article passionnant je ne connaissais pas ce château.
Enrique
15 novembre 2021 @ 19:24
Article magnifique et des superbes photos !! Merçi á N&R.
Laurent F
15 novembre 2021 @ 20:57
On l’aperçoit (l’arrière) sur l’autoroute A10 après le péage de Saint-Arnoult en direction de Paris
Carole 007 - Carolus
15 novembre 2021 @ 21:01
Très intéressant reportage.
Mum
16 novembre 2021 @ 01:00
Merci pour cette histoire.
Ne serait-ce pas M. Duplan et non Duplain?
Manel
16 novembre 2021 @ 02:26
Bel et intéressant article ! Merci
Mireille
16 novembre 2021 @ 12:07
Ce château m’était inconnu (ce qui me vexe un peu, je l’avoue). Grand merci et bravo pour votre article étonnant
Cosmo
16 novembre 2021 @ 12:10
Bel article ! Mais quelle mégalomanie de la part de ces nouveaux riches de l’ancien ou du nouveau monde. Seuls les Rothschild surent créer un style, chargé certes, mais reconnaissable. Les autres firent dans pastiche, de luxe, voire de très grand luxe, mais pastiche tout de même. Les aristocrates européens, qui épousèrent de riches américaines, eurent de meilleures idées car leur argent servit à restaurer et conserver d’authentiques demeures du passé. Comme Blenheim Palace avec l’argent de Consuleo Vanderbilt, le château du Marais avec l’argent d’Anna Gould, le Palazzo Contarini Polignac, avec l’argent de Winneretta Singer etc…
Mais cela n’empêcha pas Boni de Castellane de faire plus que tous les autres réunis…
Pistounette
16 novembre 2021 @ 13:16
Je n’ai lu ce reportage que tardivement… car pour ce type de sujet de Guizmo j’aime être au calme et « concentrée ». Très intéressant, comme toujours.
Ode
16 novembre 2021 @ 13:18
D’accord avec vous !
luigi
17 novembre 2021 @ 11:21
Merci Guizmo pour cet article passionnant !
Porgès
5 décembre 2021 @ 21:39
Voir également http://www.porges.net/FamilyTreesBiographies/JulesPorgesAssets.html#chateau