Dimanche 13 novembre à Bruxelles, à la maison de la Culture belgo-roumaine, Gabriel Badea-Päun, auteur de la biographie « La reine Elisabeth de Roumanie, Carmen Sylva » a donné une conférence sur le sujet. Passionnant et passionné, l’auteur qui est docteur en Histoire de l’Art de l’université de Paris IV-Sorbonne, a évoqué les raisons qui l’ont poussé à se lancer dans cette aventure biographie aux multiples recherches. Né près de Sinaïa, Gabriel Badea-Päun a grandi aux abords des majestueux châteaux de la famille royale de Roumanie, sa grand-mère lui racontant l’histoire royale et évoquant souvent les poêmes de la reine Elisabeth, de son nom d’artiste Carmen Sylva.

Née princesse Elisabeth de Wied, la future reine de Roumanie, a connu une enfance marquée par les décès de son père et de son frère cadet et par la présence d’une mère très autoritaire. La jeune princesse se renferme alors sur elle-même et se plonge dans la poésie et la littérature. Jugée trop intellectuelle pour l’époque, des projets de mariage avec les fils de la reine Victoria n’aboutissent pas. Elle épouse finalement -tardivement pour l’époque- à l’âge de 27 ans le prince Charles de Hohenzollern qui deviendra le roi Carol Ier de Roumanie.

Ne souhaitant pas mélanger sa vie à la Cour avec sa vie littéraire, la reine Elisabeth opte pour un pseudonyme qu’elle souhaite à consonance latine et en lien avec la forêt qui a tant marqué sa jeunesse et que lui rappelle le vaste domaine de Sinaia. C’est ainsi que Carmen Sylva voit le jour.

Fin des années 1800, Carmen Sylva fait la Une de plusieurs journaux comme « Je suis tout ». On donne son nom à des plats culinaires, à des valses, à un orchestre tsigane,… Personnalité aux multiples facettes parfois très contradictoires, elle a un profond regard bleu vif teinté de nostalgie et d’un sens tragique.

Après un exposé agrémenté de nombreuses anecdotes, Gabriel Badea-Päun a détaillé différentes diapositives montrant la reine immortalisée selon une mise en scène très théâtrale comme ici dans la salle du trône. On distingue à l’arrière-plan un évangile qui a été déposé conformément à ses dernières volontés dans un coffret dans la crypte de Curtea de Arges où la reine repose avec son époux et leur fille décédée en bas âge.

Voici un autre portrait allégorique de la reine Elisabeth de Roumanie. On distingue aussi les portraits du roi et de leur fillette sur le tableau. Il est actuellement au château de Pelesh.

Le château de Sinaïa fut vidé de tous ces objets dans les années 50 afin de créer le Musée National d’Art de Roumanie à Bucarest. Tout le mobilier, les œuvres, les sculptures,… existent encore à ce jour mais n’ont pas été replacés dans leurs châteaux d’origine. A noter que le drapé qui se trouvait dans la salle du trône du Palais royal de Bucarest (que l’on peut aujourd’hui louer pour des banquets) fut donné à un studio cinématographie. Le drapé qui comporte les écussons des différentes régions du pays, a finalement été rendu au roi Michel de Roumanie et se trouve à ce jour au Palais Elisabeta de Bucarest.

Gabriel Badea-Päun nous a annoncé que l’année prochaine, « Pensées d’une reine » écrit en 1888 par Carmen Sylva serait republié avec le texte original et complété par le manuscrit avec les retouches de Pierre Loti dont la reine était très proche artistiquement. Polyglotte (anglais, français, allemand et roumain), Elisabeth de Roumanie a fréquenté de nombreux artistes parisiens mais n’est paradoxalement jamais venue en France. Vincent Van Gogh dans ses lettres à son frère Théo fait référence aux écrits de Carmen Sylva qui, dit-il, le soulage moralement. Plus de 30 biographies, des centaines d’articles lui ont été consacrés. La dernière biographie remonte à 1939 mais le mythe « Carmen Sylva » avait déjà été englouti depuis longtemps, la Deuxième Guerre Mondiale l’effacera. Après la guerre, son image est associée à un romantisme totalement dépassé, ses ouvrages ne sont plus accessibles en Roumanie, ses bustes et autres toiles la représentant sont enfouis au fond des musées.

 

Après la révolution de 1989, Carmen Sylva est progressivement remise à l’honneur. On se rappelle alors qu’elle a fait soufflé en vent de modernisme, qu’elle s’était bien adaptée à son nouveau pays dont elle parlait couramment la langue, et qu’elle avait surtout revendiqué au 19ème siècle l’égalité des sexes au niveau de la création artistique.

Protectrice des artistes, la reine Elisabeth de Roumanie était une personne extrêmement généreuse. Sur sa cassette personnelle, elle n’hésitait pas à soutenir l’un ou l’autre talent. Elle est également à la base de la création du Foyer lumineux, un projet totalement inouï pour l’époque. En effet, dans la Roumanie du début du 20ème siècle, être pauvre et aveugle, vous condamnait inexorablement à la mendicité. La reine, grâce à l’héritage reçu de sa mère, fait construire une école et des pavillons qui abritent des ateliers afin que les personnes aveugles puissent y apprendre un métier manuel. Plus de 40 pavillons seront ainsi créés près de Bucarest. La vente de cartes postales avec ses pensées, permettait aussi d’imprimer en braille pour ses protégés. L’école porte aujourd’hui à nouveau son nom.

Pour l’écriture de cette biographie, Gabriel Badea-Päun a eu accès à de nombreuses archives dont celles de la famille princière de Wied, berceau familial de la reine Elisabeth. Près de 700 ans d’Histoire de la famille sont entreposés dans une aile du château à Neuwied sans classement précis. Toutefois grâce à l’aide de l’archiviste de la famille princière de Wied, l’auteur a eu la possibilité de découvrir de nombreux documents dont des photos. Ceux-ci illustrent la version allemande de la biographie qui vient de paraître.

« Carmen Sylva, reine Elisabeth de Roumanie », Gabreil Badea-Päun, Via Romana, 2011, 213 p. et en version allemande « Carmen Sylva, Köningin Elisaeth von Rumänien -Eine rheinische Prinzessin auf Rumäniens Thron », Gabriel Badea-Päun, Ibidem, 2011, 298 p.