Après sa tentative de retour en Hongrie au printemps 1921, la famille impériale se vit assigner à résidence au château d’Hertenstein, au bord du lac des Quatre-Cantons, en plein cœur de la Suisse, en réalité un grand hôtel à l’allure néo-romantique, nouveau lieu de séjour de la Cour en exil. Ici, l’empereur Charles et l’impératrice Zita.
Le Conseil fédéral helvétique était pris dans le feu croisé des partis politiques. Les socialistes s’indignaient de l’attitude de Charles qui, pour eux, avait trahi l’hospitalité qui lui avait été accordée. Les conservateurs catholiques, de leur côté, ne comprenaient pas pourquoi on créait tant de difficultés à Charles de Habsbourg. Il n’avait fait que son devoir en essayant de récupérer son trône. La Suisse avait autrefois donné un large asile à des fauteurs de troubles comme Masaryk ou Lénine, qui avaient pu tranquillement préparer la révolution dans leur pays, sans pour autant émouvoir l’opinion publique.
A Budapest, Horthy ne décolérait pas. Il avait convoqué le comte Bethlen pour lui proposer le poste de président du Conseil.
- Vous comprenez la situation, cher comte. Ce n’est pas que je sois opposé au retour du roi, mais actuellement ce n’est pas possible.
- Votre Altesse a raison, répondit le comte. Tant que les problèmes de frontières entre l’Autriche et la Hongrie ne seront pas réglés, il est hors de question de restaurer le pouvoir du roi.
- Je crains tout de même qu’il ne le comprenne pas, ajouta Horthy, et ne fasse une nouvelle tentative.
- Peut-être conviendrait-il de placer auprès de lui, ou à proximité, un agent chargé de le surveiller, suggéra Bethlen.
- Je vous laisse le soin de vous en occuper avec le capitaine Gômbos, dit le régent. Je compte sur vous pour que ces manifestations royalistes n’aient plus lieu. Voyons maintenant votre nomination, mon cher comte.
Horthy venait de faire une recrue de choix. Le comte Bethlen, appartenant à la plus haute aristocratie, pouvait passer pour légitimiste et calmer les craintes des partisans du Roi, tout en agissant en sous-main pour contrer leur influence. Horthy, Gômbos et Bethlen constituaient une équipe dont l’efficacité ne tarda pas à se faire sentir.
Photo Gyula Gombös, chef des fascistes hongrois. A Prague, devant le Sénat, Edouard Benès, ministre des Affaires étrangères de la jeune république tchécoslovaque, n’avait pas hésité à déclaré lors de la tentative de Charles :
– La Tchécoslovaquie fera tous ses efforts pour que l’on en finisse avec la légende habsbourgeoise. Le gouvernement ne négligera rien pour résoudre, d’accord avec les alliés, la question de la Hongrie occidentale, le problème habsbourgeois, les questions afférentes au désarmement et à
l’établissement du régime démocratique en Hongrie.
Le régent Horthy s’étant appuyé sur lui pour faire échouer la tentative de Charles, il lui fallait continuer à pousser ses pions contre la dynastie. En faisant entrer la Roumanie dans la Petite Entente le 23 avril 1921, il encerclait la Hongrie. Mais comme cela ne lui suffisait pas, il invita des hommes d’état hongrois à venir le voir à Marienbad et, parmi eux, le ministre des Affaires étrangères, Banffy.
– Une restauration de l’ex-empereur Charles en Hongrie est exclue, lui avait-il dit. Je ne le supporterai pas. Et si d’aventure cela se produisait, je vous préviens que les plus grands malheurs en résulteraient pour votre pays.
– Mais, monsieur le ministre, le régent partage tout à fait votre point de vue, répondit Banffy. La question n’est pas à l’ordre du jour.
– Je me suis pourtant laissé dire, ajouta Benès, que le parti de l’ex-empereur est encore très influent dans l’armée et dans l’administration.
– Rassurez-vous, le Premier ministre fait le nécessaire pour diminuer leur influence.
- Tant mieux ! conclut Benès. De mon côté, je vais intervenir auprès de l’Entente pour circonvenir toute tentative de séduction de l’ex-empereur. Si je puis me permettre également un conseil, rapprochez-vous de l’Italie. Elle n’a pas plus que nous envie de voir un Habsbourg monter de nouveau sur un trône.
Edvard Beneš, président du gouvernement tchécoslovaque. Au Traité de Trianon, qui avait été signé le 4 juin 1920, l’ancien empire des Habsbourg avait été dépecé. De la grande unité danubienne, il ne restait rien car tous les territoires avaient été répartis entre un nouvel état, la Tchécoslovaquie, et d’autres plus anciens comme les royaumes de Serbie et de Roumanie. La Hongrie avait été amputée des deux tiers de son territoire et l’Autriche n’était plus qu’un appendice.
Charles souffrait de voir que le rapiéçage de son Empire continuait. Le problème de la frontière entre l’Autriche et la Hongrie n’avait pas été réglé lors des traités de paix. La Hongrie occidentale étant peuplée d’Allemands, les diplomates en conférence à Paris s’imaginèrent qu’il convenait d’attribuer ces territoires à l’Autriche, toujours en application du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Mais les peuples en question ne voulaient pas devenir autrichiens, ils préféraient rester hongrois.
Charles avait espéré qu’on les consultât par référendum. Mais comme pour les autres territoires de l‘ancienne Monarchie, cela ne fut pas fait. Les Croates et les Slovènes étaient devenus Yougoslaves, les Slovaques étaient devenus Tchécoslovaques, les Tyroliens étaient devenus Italiens, tout cela sans l’avis des populations, alors des Hongrois pouvaient bien devenir Autrichiens, toujours selon le même principe.
– Je veux que vous le sachiez, dit-il un jour au baron Werkmann, son secrétaire particulier. Je vais retourner en Hongrie. La Hongrie ne saurait ni panser ses plaies, ni se relever, tant qu’il y aura des partis pour ou contre le Roi. Si vous aviez vécu comme moi, vu ce que j’ai vu et entendu ce que j’ai entendu, vous comprendriez qu’il est du devoir du souverain de sauver son peuple, de mettre fin à ces conflits.
Mais toute tentative de restauration ne pouvait à nouveau se faire qu’avec l’accord de la France. Aristide Briand avait été ulcéré d’apprendre que Charles avait donné son nom ; mais quand l’émissaire de l’empereur lui eut expliqué que c’était Horthy qui s’était parjuré, Briand se calma et renouvela sa proposition : la France accepterait le fait accompli. Beaucoup d’hommes politiques français avaient compris enfin quelle avait été l’erreur de Clemenceau d’imposer le démembrement de l’Empire. De ce fait, le président du Conseil n’aurait pas beaucoup de difficultés à leur expliquer que Charles, à la tête de la Hongrie, ne pouvait qu’être un élément pondérateur dans cette nouvelle Europe centrale devenue une boîte de Pandore.
Comme signe encourageant, Briand, en qualité de ministre des Affaires étrangères, rappela Fouchet, représentant de la France à Budapest, pour le remplacer par Doulcet, ancien ministre plénipotentiaire auprès du Saint-Siège. Un autre signe encourageant était venu, toujours du ministère français des Affaires étrangères : Philippe Berthelot, Secrétaire Général du Quai d’Orsay, ennemi acharné de la dynastie bien que proche de Briand, avait quitté sa fonction. Son remplaçant, Maurice Paléologue, ancien ambassadeur à Saint Petersbourg, connaissait la vie des Cours et s’accommodait fort bien de la monarchie. Enfin, dernier signe encourageant venu de Briand lui-même : il fit demander à Charles, par l’intermédiaire du secrétaire de Paul Deschanel, venu spécialement à Hertenstein, de désigner un homme sûr pour le représenter à Paris et de garder un contact permanent avec le chef du gouvernement français. Charles choisit un ancien diplomate hongrois, Oskar von Charmant.
Mais à la différence de la première fois, Briand ne donna ni consigne, ni impératif de temps. Il lui fallait avant tout tenter d’inverser l’opinion de la Conférence des ambassadeurs, laquelle avait déclaré, sous l’influence directe de Benès qui tenait le jeu de main de maître, que la restauration des Habsbourg mettrait en péril les bases mêmes de la paix. Horthy, de son côté, en sous-main, tentait d’infléchir la conférence en obtenant une interdiction formelle de la restauration monarchique en Hongrie, agissant ainsi, sans aucune vergogne, en contradiction avec la constitution hongroise.
Horthy osa se manifester encore auprès de Charles. Aucune pensée ne lui était plus étrangère que celle de vouloir se cramponner au poste qu’il occupait, écrivit-il le 4 septembre. Il attendait avec impatience le moment où il lui serait permis de quitter ce poste si plein de soucis et de responsabilités. Mais le temps n’était pas encore venu, trop d’obstacles, à ses yeux, s’opposant encore à la restauration.
Charles fut écœuré par tant d’hypocrisie. Tout l’été 1921, la situation politique dans son pays se dégrada chaque jour un peu plus. La révélation des atrocités commises par l’entourage immédiat du régent durant la terreur blanche, l’accusation de gaspillages des fonds publics par les mêmes, alors que le gouvernement avait du mal à payer les fonctionnaires, les menaces contre certaines personnalités juives, renforçaient Charles dans l’idée qu’il lui fallait revenir au plus tôt pour rétablir une vie publique normale, ce dont Horthy, prisonnier des factions, se révélait incapable.
Un événement heureux éclaira pendant quelques jours la vie du château d’Hertenstein. Aladar von Borovicze, aide de camp de l’empereur, avait demandé la main d’Agnès Schönborn, dame d’honneur de l’impératrice, et les noces avaient été célébrées dans l’intimité, à la fin du mois de juillet. Il avait imité en cela le comte Josef Hunyadi qui avait épousé la comtesse Bellegarde, l’autre dame d’honneur de Zita.
La famille impériale à Hertenstein.
A peine était-il revenu de voyage de noces qu’il fut convoqué par Charles.
– J’ignore quand va s’effectuer notre retour, dit Charles, mais il faut dès à présent nous préparer et l’organiser.
Zita assistait à l’entretien.
- La route et le chemin de fer me paraissent désormais impossibles, continua Charles. Sous n’importe quel déguisement, je crois que le plus stupide des douaniers me reconnaîtrait.
- Une solution serait peut-être de franchir clandestinement la frontière avec l’Allemagne et d’emprunter le Danube, suggéra Zita. Avec quelques précautions, une barque peut passer inaperçue. Et puis, qui pourrait se douter de quoi que ce soit ?
- La traversée de Vienne, et surtout de la frontière à Presbourg, risque d’être problématique, objecta Charles.
- Mais pourquoi pas la voie des airs ? suggéra Boroviczeny.
- En avion ? s’étonna Charles. Mais c’est une excellente idée.
- Ce sera la première fois que nous le prenons, dit Zita, elle aussi séduite par la proposition.
- Mais Votre Majesté ne songe pas sérieusement à venir avec nous, s’insurgea Boroviczeny. Dans son état, c’est beaucoup trop risqué.
Zita, en effet, attendait son huitième enfant, mais elle en était au début de sa grossesse.
- Et puis, il y a les enfants, dit Charles. Nous ne pouvons pas les laisser seuls ici.
- N’essayez pas de me faire changer d’avis, répliqua-t-elle. Je suis décidée à partir. Ici, rien ne peut arriver aux enfants. Ils sont sous la garde de la comtesse Kerssenbrock et de leurs grands-mères. L’empereur doit affronter un danger et mon devoir d’épouse exige que je fasse abstraction de mon devoir de mère.
- Mais Majesté, les risques ? se hasarda Boroviczeny.
- Ne me parlez pas des risques de l’expédition, dit Zita. Cela ne fait que renforcer ma détermination. Si risque il y a, je dois le partager. Je suis reine de Hongrie et si le Roi retourne là-bas, ma place est à ses côtés.
Les deux hommes, comprenant que rien ne la ferait changer d’avis, s’appliquèrent alors à exploiter l’idée du retour par la voie des airs.
- Il est important, dit Charles, que seuls des Hongrois prennent part aux préparatifs. Personne, ici à Hertenstein, ne doit y être mêlé. Je redoute trop les conséquence que cela aurait.
Le 20 octobre 1921 à midi, ce fut le cœur léger et plein d’espoir que Charles et Zita montèrent dans l’avion, au camp d’aviation de Dûbendorf, près de Zurich, avec trois pilotes et Boroviczeny. L’avion s’éleva lentement vers les Alpes bavaroises. Impressionnés, Charles et Zita n’osèrent pas regarder par le hublot pendant les premières minutes du vol. Puis, rassérénés par la décontraction des autres, ils se détendirent eux aussi et admirèrent le somptueux décor qui se déroulait sous leurs yeux. Ce fut un instant à la fois magique et tragique que de passer ainsi au-dessus de l’Autriche, d’apercevoir les murailles de la forteresse de Salzbourg, de passer au-dessus du château de Persenbeug où Charles était né, de voler au-dessus de la plaine du Danube.
– Je n’aurais jamais cru qu’une vaste étendue de champs moissonnés puisse être aussi belle, s’extasia Charles. Les impressions du vol faisaient oublier les moments difficiles qu’il avait fallu affronter les semaines auparavant.
Boroviczeny avait fait preuve d’un sens de l’organisation tout à fait extraordinaire entre Hertenstein et Sopron. Il avait su recruter deux pilotes hongrois, Fekete-Farkas et Alexy, qui avaient été des as de l’aviation austro-hongroise pendant la guerre. Il avait loué l’appareil dans lequel ils se trouvaient, un Junker monomoteur à six places flambant neuf. Et enfin, il avait convenu avec le colonel Lehar de la manière dont tout devait se dérouler à leur arrivée en Hongrie.
Zita pensait avec émotion aux enfants qu’ils avaient dû laisser à Hertenstein. Quand ils les avaient quittés, ils leur avaient dit dans un demi-mensonge : Papa et Maman seront ce soir à la maison !
Satisfaits de cette réponse, ils les avaient accompagnés jusqu’à la grille, gambadant autour de la voiture en leur criant « au revoir ! ».
Puis il leur avait fallu, à quelques kilomètres de là, pour déjouer les soupçons des détectives tant suisses que hongrois, changer de voiture pour une autre Daimler achetée à Zurich, laquelle les avait emmenés jusqu’à l’aéroport. Le pauvre Ledochowski était resté muet de surprise quant ils lui avaient appris qu’ils n’allaient pas en promenade, pour fêter tous deux seuls leurs dix ans de mariage, mais qu’ils partaient pour la Hongrie. Ils l’avaient chargé de continuer à tromper les policiers hongrois et suisses chargés de les surveiller, en téléphonant d’endroits différents de la Suisse, le soir même et le lendemain, pour faire croire qu’ils étaient encore sur le territoire helvétique.
Charles avait bien été obligé de prévenir Werkmann de leur départ et de lui donner toutes les consignes nécessaires. Il l’avait chargé aussi d’une mission délicate : prévenir l’archiduc Max, qui était l’hôte du château, du départ de son frère. La décision du retour en Hongrie avait été prise à la mi-octobre, car les nouvelles qui arrivaient de Budapest laissaient supposer que le régent s’attendait au retour imminent de Charles ; pour le priver de tout appui militaire, il avait rappelé pour la fin du mois les régiments de Lehar et d’Ostenburg dans la capitale, afin de procéder à leur dissolution. A Hertenstein, tout était organisé depuis le mois d’août. Il suffisait d’envoyer le message convenu pour que Lehar se mît à la disposition de son Roi et organisât son entrée dans Budapest. Un train spécial devait être préparé, à bord duquel le Roi prendrait place incognito au milieu de ses troupes fidèles ; une fois à Budapest, il prendrait la tête du régiment, investirait le Palais Royal et obtiendrait, par la force si besoin était, la remise du pouvoir par Horthy.
« Le col doit être recousu le 20 octobre », le message codé pour Lehar avait été envoyé.
Le vol se déroulait sans problèmes, après une petite frayeur due à un arrêt du moteur. Mais le pilote principal, Zimmermann, qui avait l’avion en charge, sut le faire repartir. Baden, où avait été installé le Grand Quartier Général autrichien, puis Wiener Neustadt, furent survolés. Que de souvenirs ces villes évoquaient au jeune couple ! Puis l’avion amorça sa descente vers la terre hongroise. Apercevant des feux balisant ce qui semblait être une piste, le pilote s’y engagea et atterrit dans un champ de chaumes. Mais il y avait erreur. Les feux n’étaient que des brûlots d’herbes mortes allumés par des paysans. Une fois passée la stupeur de voir le Junker atterrir à quelques mètres d’eux, ils s’approchèrent.
– Non, ce n’est pas Dénesfa ici, répondit l’un d’eux au pilote. Il faut encore deux heures de marche pour y arriver.
Et de la main il indiqua la direction de l’est. L’avion décolla à nouveau et après quelques minutes, les pilotes hongrois reconnurent enfin le champ de la propriété du comte Csiraky, qu’ils avaient choisie un mois auparavant en faisant la reconnaissance du terrain. Mais là, il n’y avait pas de feux pour baliser la piste d’atterrissage.
– On y va ! dit Zimmermann après avoir fait le tour de la piste improvisée.
L’avion se présenta dans l’alignement du champ et, après quelques rebonds, finit par s’immobiliser. Mais personne n’attendait les passagers. Charles, inquiet, interrogea Boroviczeny du regard.
– Je ne comprends pas, dit celui-ci. Lehar et ses hommes auraient dû être là. Tout avait été convenu. (Merci à Cosmo pour ce dossier)
Demain : Un accueil gêné
Anne-Cécile
2 juin 2015 @ 06:25
Merci Cosmo!
Il eut mieux fait d’y renoncer. Il aurait peut-être vécu plus longtemps pour sa famille. Tout cela pour un trône cassé et dans un contexte de radicalisation d’un peuple où haines internes régnaient. Que pouvait-il faire au milieu de ce désastre?. La bataille était perdue d’avance. Ou alors en secret c’était pour la cuisine de Budapest où l’on mange toujours divinement bien. Et un très beau pays à visiter.
La révolution bolchévique, qui fut ubuesque, caricaturale, en Hongrie, trouva un terrain favorable au milieu d’une population dont le traitement se rapprochait du servage sauce russe.
La Contre-révolution, menée entre autre d’une main de aître par Horthy, fut d’une férocité sans nom. Une des mes ascendantes directes était hongroise et la manière qu’elle avait de se comporter face à son personnel de maison était révoltant et reste légendaire dans sa famille française par alliance encore scandalisée par ses mœurs.
Elle était proche aussi de l’épouse de Louis Cartier, elle aussi comtesse hongroise redoutable, qui aimait se pavaner jusque dans le lit du Roi d’Espagne, totalement en décalage de ses compatriotes, et inconsciente ou indifférente plus sûrement de la misère de son pays. Quelques charités, tapes sur la tête aux enfants de ses paysans, maternalisme affligeant, et aussitôt repartie compter ses bijoux et chasser en Espagne.
Les Hongrois qui avaient obtenu bien des avantages lors du Compromis austro-hongrois étaient peu appréciés du reste des peuples jaloux de leur traitement et surtout car ils jouaient dans plusieurs provinces le rôle de gendarme.
JAY
2 juin 2015 @ 08:24
Cet Empereur éphémère n’était pas un meneur d’homme. On voit bien que ni le peuple et encore moins les politiques ne le respectaient !
Cosmo
2 juin 2015 @ 12:25
Anne-Cécile,
Vous avez raison de souligner le caractère anachronique de l’attitude de la haute société hongroise. Il se trouve que c’est un milieu que je connais bien et encore aujourd’hui, ils n’ont rien appris ni rien oublié.
L’empereur Charles n’a pas réalisé que toute tentative était vouée d’avance à l’échec tant il était obnubilé par le sens de son devoir souverain protecteur des peuples.
Cordialement
Cosmo
Anne-Cécile
3 juin 2015 @ 04:57
Je plussoie Cosmo.
Certains de nos cousins hongrois sont en effet dans la droite ligne de mon aïeule. J’ai malheureusement beaucoup d’a priori sur cette noblesse d’Europe centrale et leur « bonté très catholique » dont je m’en méfie désormais comme de la peste, leurs discours spontanément géniaux sur la liberté occidentale, leur anti-communisme et leur amour du libéralisme, que j’ai applaudi spontanément avant de comprendre les raisons moins avouables de leur enthousiasme, leur véritable égoïsme mortifère et une soif de revanche qu’en Europe on sous estime et juge à tort superficielle.
Cosmo
3 juin 2015 @ 08:48
Anne-Cécile,
J’ai en mémoire un dialogue avec le fils d’un ami, de la grande aristocratie hongroise. Nous parlions de la problématique du Traité de Trianon et je lui disais que je le trouvais injuste mais qu’il y avait une explication du fait de la domination magyare sur l’ensemble du territoire hongrois aux dépens des autre populations ( 99% des sièges au Parlement de Budapest étaient occupés par des Magyars alors que la population magyare n’était que de 48%). L’oppression des minorités slaves et autres avait conduit à une situation explosive. Réponse de ce jeune aristocrate : « C’était tout à fait normal car les Slaves sont incapables de gouverner et c’est à l’aristocratie magyare de diriger le pays. »
Une de mes lointaines cousines roumaines parlant des domestiques… »C’est gens là, ça n’existe pas… » voulant dire par là qu’ils n’avaient aucun droit.
Bref, une mentalité même pas féodale, tout simplement arriérée.
Et que dire de l’antisémitisme viscéral d’une certaine partie de la population ?
Je pourrais vous en raconter beaucoup, comme vous pourriez certainement m’en raconter aussi. Je partage totalement votre analyse.
Amicalement
Cosmo
Cosmo
2 juin 2015 @ 12:30
Jay,
Détrompez-vous ! L’empereur Charles était unanimement respecté mais n’oubliez pas qu’il était dans le camp des vaincus et que les vainqueurs ne voulaient plus des Habsbourg en Europe mais ils n’en faisaient pas une affaire de personne.
Les peuples n’ont pas été consultés lors du remodelage du paysage politique de l’ancienne monarchie car ils souhaitaient, dans leur ensemble, rester au sein de la monarchie danubienne mais avec des modifications constitutionnelles, qui consistaient en fait à enlever aux Hongrois le pouvoir de domination et de contrôle de la Monarchie, en établissant un vrai fédéralisme à la place du dualisme.
Cosmo
Charles
2 juin 2015 @ 08:29
Merci Cosmo d’élever le débat, une fois de plus, sur Noblesse et Royautés.
C’est un plaisir de vous lire.
Bien à vous,
Charles
Pierre-Yves
2 juin 2015 @ 09:05
Quelle épopée !
On est quand même tenté de dire aujourd’hui que cette tentative de retour était des plus hasardeuses, qu’elle ne pouvait quasiment pas réussir.
Il me manque des bases, sans aucun doute, et les subtilités de l’histoire diplomatique sont pour moi difficiles à suivre, mais je ne saisis pas bien en quoi l’appui de Briand était si nécessaire dans cette affaire ?
En tout cas, merci à vous Cosmo pour ce récit dont on va lire la suite avec intérêt.
Cosmo
2 juin 2015 @ 12:20
Pierre-Yves,
La France et le Royaume-Uni, et dans une certaine mesure les USA, ont été les artisans de le recomposition du paysage politique européen après la guerre. Aristide Briand, président du Conseil et ministre des Affaires étrangères, a été un des grands organisateurs de ce nouvel espace, à travers la SDN notamment et le pacte Briand-Kellog. Il avait été contre les Traités de Versailles et de Trianon, organisés en partie par son vieil ennemi, Clemenceau. Briand n’a d’ailleurs pas assisté à leur signature, les considérant, avec raison, comme porteurs de troubles futurs. Il était un ami de l’Autriche impériale. Son appui était nécessaire car une reconnaissance de sa part valait une acceptation par la communauté internationale. Mais il avait posé les mêmes conditions qu’en 1917, au moment de la tentative de paix séparée, et en avril 1921, à la première tentative de restauration. « Réussissez et je vous soutiendrai. » Briand considérait que l’empereur Charles sur le trône de Hongrie serait un élément en faveur de la paix en Europe. Il ne pouvait toutefois pas être vu comme l’inspirateur.
Amicalement
Cosmo
Pierre-Yves
3 juin 2015 @ 15:35
Mais alors, Cosmo, si Briand croyait au bien fondé du retour de Charles, et si son discernement était tel qu’il avait des chances d’être suivi, pourquoi n’a t-il pas appuyé franchement cette solution ?
Cosmo
3 juin 2015 @ 21:31
Pierre-Yves,
Vous savez, comme moi, que les choses ne sont pas si simples. Membre, éminent certes, d’un gouvernement républicain qui venait de gagner la guerre contre « l’obscurantisme » austro-allemande, Briand avait les mains liés.
La France est une démocratie parlementaire et le pouvoir résidait, à l’époque, au Parlement qui faisait et défaisait les ministères.
Briand voulait certes aider, mais pas au détriment de sa situation politique.
Tous les grands hommes ont leur faiblesse.
Amicalement
Cosmo
Marie Ch
2 juin 2015 @ 09:06
Passionnant ce dossier Cosmo , merci et vivement demain !
Claude-Patricia
2 juin 2015 @ 09:26
Bonjour à tous,
Je vais vous proposer, grâce à l’Illustration, et pour faire suite à ce texte et qui le complètera le « Récit d’un témoin » datant du 16 avril 1921.
La tentative de Charles de Hasbourg. Le roi de Szombathely. 16 avril 1921
J’ai quitté paris le samedi 2 avril à cinq heures et demies du soir, par l’Orient-Express. Peut-être est-il temps encore de rejoindre à Szombathely-le Steinamanger des Allemands, Charles de Hasbourg. Le souci de mes passeports a absorbé ma journée. Je n’ai pas eu le temps de lire les journaux du soir. Je les ouvre dans le train. La première nouvelle que j’y trouve, c’est que l’ex-roi, prétendant d’aujourd’hui, a quitté la Hongrie! La nouvelle, après tout n’est peut-être pas exacte…J’arrive à Salzbourg, à la frontière autrichienne, le dimanche 3 à quatre heures du soir. Les journaux confirment que Charles de Hasbourg a repris, depuis le matin, le chemin de la Suisse. Je suis en retard de vingt-quatre heures: Tant pis…Sans grand espoir, je poursuis ma route sur Vienne, à l’aventure. Il est minuit quand je descend du train. Je cours vers une marchande de journaux. Toutes les dépêches précédentes étaient inexactes. Charles est encore à Steinamanger Il a même des chances d’y rester quelques temps. Il est malade, je respire.
Une nuit rapide, à l’hôtel. Pour passer en Hongrie, il me faut des papiers, beaucoup de papiers, avec des cachets, des visas, des tampons humides.Non, la France n’est pas le seul pays des formalités administratives. Mais il n’y a pas de train. Je me mets à la recherche d’une automobile, je débats le prix : 32.000 couronnes. La couronne, heureusement ne vaut pas quatre centimes.
Il y a 175 kilomètres de Vienne à Szombathely : rendons-lui son nom hongrois puisque me voici à la frontière. Le dernier poste autrichien est à Wienerneustadt. Quelques soldats. Un sous-officier jette un œil nonchalant sur mon passeport et me fait signe de poursuivre ma route, droit devant moi. Je traverse la zone neutre. Mais à la frontière hongroise, les détachements militaires se multiplient. On me laisse néanmoins parvenir sans encombre jusqu’à Oedenbourg. Là je suis soumis à un inventaire minutieux. On sent que des ordres de sévérité ont été donnés. Ils sont exécutés strictement. On examine un à un mes papiers, on fouille mon automobile. Je suis étrangers, mon chauffeur est autrichien: je sens qu’on nous considère un peu comme deux suspects. Nous sommes entrés dans ce que j’appellerai la zone nerveuse.
A Szombathely (Steinamanger)
Nous traversons des villages. Les habitants sont aux portes des maisons. Ils forment des groupes animés. On devine que les conversations ont trait à l' »évènement ». Pourtant, tout est calme. L’atmosphère, seule, a quelque chose de mystérieux. Beaucoup de troupes : c’est le régime de l’occupation militaire. Une panne nous fait perdre deux grandes heures. La nuit tombe. Notre marche est ralentie, nous allumons les phares. A leur lueur, j’aperçois, barrant la route, un groupe de cinq ou six soldats. L’auto stoppe. Interrogatoire. Une fois de plus j’exhibe mes papiers. Deux soldats en armes se juchent sur le marchepied, à chaque portière et nous pénétrons dans la ville.
On nous a conduits dans le quartier de cavalerie. Un capitaine est mandé. Il sort, accompagné d’un sous-officier et nous soumet à un nouvel examen. Le chauffeur, particulièrement, est en but à ses questions. Finalement le capitaine nous achemine vers la kommandantur de police. Les formalités de contrôle recommencent. On nous délivre un permis de séjour, pour vingt-quatre heures seulement, et l’on m’adjoint un compagnon, aussi courtois que peu loquace en qui j’ai tôt fait de reconnaître un inspecteur de police. Il ne me quittera plus d’une semelle. L’hôtel, que son obligeance m’indique, est au complet. Mais,- est-ce par ordre ou par cordialité? – Une chambre se trouve soudainement vacante. On me l’offre. Je n’ai pas le choix. En gravissant l’escalier, je croise un domestique qui descend, avec précaution, tenant en chaque main un objet ovale. Ce sont deux grenades à main que l’on vient de découvrir…Un soldat peut-être les a oubliées. Curieux spectacle que celui de cet hôtel. Dans la salle commune, il y a un orchestre. Il joue notamment des fragments de la Veuve Joyeuse, la fameuse opérette dont l’auteur n’est autre que le frère du colonel Lehar, le chef militaire qui est passé à la cause royale. Un grand mouvement règne. Beaucoup d’officiers hongrois, des journalistes venus de Budapest, de Vienne, de Munich, de Berlin, parmi lesquels des représentants d’agence ou de journaux américains et anglais mais, sauf moi, pas un correspondant français. J’apprécie comme il convient la qualité de la nourriture. Le pain est blanc, il y a du sucre, de la crème fraîche: cette abondance fait contraste avec la tristesse des menus autrichiens.
Je vais à la chasse aux nouvelles. Il est très difficile d’en obtenir de sérieuses. Les bruits les plus fantaisistes circulent. Les uns affirment que Charles va partir, les autres qu’il ne partira pas. A onze heures, au moment de la fermeture du café de l’hôtel-la ville, en effet, connait à nouveau le régime de l’état de siège-un correspondant américain me confie, en grand mystère, qu’il a appris de source certaine le départ de l’ex-roi pour le lendemain matin.
Claude-Patricia
2 juin 2015 @ 09:48
…Devant l’évêché.
Mardi, dès l’aube, je suis dans la rue. Le ciel est couvert. Une pluie fine tombera par intermittences pendant toute cette matinée d’adieux. C’est un va et vient incessant de troupes. Les officiers sont tous en grande tenue. Je retrouve le groupe des journalistes. Nous nous rendons ensemble au palais épiscopal. C’est un bel édifice, de style classique, dont la porte monumentale est dominée par un balcon de pierre, soutenu par quatre colonne. Les fenêtres du rez-de-chaussée sont grillées, celles du premier étage masquées par des rideaux. Sur la place qui est devant le palais, il y a déjà beaucoup de monde. La police armée a établi un service d’ordre. On nous laisse passer néanmoins. Nous profitons de ce que la porte -de chaque côté de laquelle deux soldats casqués, montent la garde- est entre-bâillée pour pénétrer d’autorité dans l’intérieur. Nous sommes accueillis par un officier supérieur, qui sans aménité et même avec une certaine brutalité, nous met dehors. Nous n’avons d’autres ressource que d’attendre avec la foule. Le « compagnon » que la sollicitude policière m’a affecté la veille ne m’a pas quitté. Il surveille surtout mon appareil photographique. J’observe que les reporters cinématographiques-il y en a quelques-uns parmi nous -sont l’objet d’une particulière attention de la part de surveillants analogues au mien. Toutes les fois qu’ils ont voulu opérer, on les en a empêchés, parfois même rudement. La consigne doit-être formelle. Pas de photographies, pas de films. Les quelques clichés que j’ai pu prendre m’ont coûté
Claude-Patricia
2 juin 2015 @ 09:59
…bien des efforts et bien des ruses. Les difficultés n’ont pas été moindres pour les chercheurs d’interviews. Ils ont pourtant été reçus avec amabilité par le comte Erdoedy, qui a excusé son souverain de ne pouvoir se prêter à aucun entretien avec la presse. « Sa Majesté ne parlera qu’après son retour en Suisse. », déclara-t-il. Une exception fut faite en faveur d’un journaliste hongrois, auquel Charles de Hasbsourg accorda une audience de quelques minutes. Il est neuf heures. La foule est de plus en plus dense. Je l’évalue à 6.000 ou 7.000 personnes. Elle est pour l’instant, composée surtout de gens âgés, de petits bourgeois et de paysans, venus des villages voisins. Le service d’ordre maintient, par un cordon de troupes, la voie libre devant la porte du palais.
Claude-Patricia
2 juin 2015 @ 10:10
Merci Cosmo!!
COLETTE C.
2 juin 2015 @ 10:23
Récit très complet de cette 2e tentative, dont j’ignorais les détails. Palpitant !
FILOSIN
2 juin 2015 @ 10:27
BRAVO! déjà pour ça!
J’attends la suite, merci.
septentrion
2 juin 2015 @ 11:46
Bonjour,
Merci Régine et Cosmo pour cette lecture très intéressante.
Cdt,
Gustave de Montréal
2 juin 2015 @ 11:47
J’ai presque fait une crise de panique en lisant l’épisode du vol du Junker.
flabemont8
2 juin 2015 @ 12:18
Merci, Cosmo . Je me rends compte à quel point tout était difficile pour l’empereur Charles, surtout à cause de la mauvaise volonté de certains !
corentine
2 juin 2015 @ 12:56
Cosmo, je vous remercie beaucoup, c’est vraiment intéressant
j’attends la suite
et merci aussi à Claude-Patricia
le mire
2 juin 2015 @ 14:25
A risque d’être à contre-courant et à condition que ce commentaire soit accepté:
Ce récit illustre l’extrême arrogance, mais aussi la très grande ignorance et la naïveté du
couple impéro-royal déchu. Peut-on leur en vouloir?
Un peu plus d’humilité eût été préférable chez ces deux catholiques.
Rappelez-vous que c’est l’Empereur-Roi Franz Josef de Habsbourg qui déclencha la première guerre mondial.
Le fils aîné de Charles et Zita, l’archiduc Otto, a fait une carrière
irréprochable comme homme d’état européen.
Pour la petite histoire, je suis cousin par alliance d’un descendant d’un Bourbon de Parme et cousin par le sang d’autres.
DEB
2 juin 2015 @ 16:21
Le mire,
Je pense que l’inexpérience de sa jeunesse et son sens profond du devoir ont créé ses illusions.
Arrogant, je ne crois pas.
Aveuglé, certainement.
Cosmo
2 juin 2015 @ 17:59
Le mire,
Arrogance ? Certainement pas. Naïveté ? Probablement dans le nouveau contexte de la géopolitique européenne après la guerre.
Le déclenchement de la Première Guerre Mondiale peut être techniquement imputable à François-Joseph, ou du moins au Conseil de la Couronne qui a précédé la guerre et à l’intransigeance du comte Berchtold face à la Serbie.
Mais voulue par tous, la guerre aurait été déclarée sous un autre prétexte. Elle avait faillé éclater par deux fois auparavant. L’assassinat de Sarajevo fut le déclencheur souhaité pas tous, sauf François-Joseph qui savait n’avoir jamais gagné aucune guerre.
Puisque vous êtes apparenté aux Bourbons de Parme, vous devez savoir que l’humilité n’est pas leur vertu première. Par contre, il n’est pas possible d’en faire le grief à l’Empereur Charles, qui était humble de coeur et d’esprit.
Quelle que soit l’opinion que l’on ait sur sa béatification, le procès a révélé les qualités humaines de l’empereur et son absence totale d’orgueil.
Cordialement
Cosmo
Nania
2 juin 2015 @ 15:52
Merci, Cosmo!!
J’ai appris beaucoup de choses intéressantes….J’attends la suite……
patricio
2 juin 2015 @ 15:57
Merci Cosmo, votrd reçit est passionnant.
J attends avec impatience la suite.
Amitiés
Patricio
jo de st vic
2 juin 2015 @ 17:57
Le mire, encore un qui nous devoile son pédigree, bravo a vous d être cousin d un Bourbon Parme, famille d ailleurs extremement nombreuse
Claude-Patricia
2 juin 2015 @ 19:08
« Vive notre roi »
Soudain, de cette foule, des chants s’élèvent. Ils sont graves et lents. Ce sont, me dit-on des hymnes religieux et patriotiques. De temps à autre, une délégation se présente à l’évêché. Elle est aussitôt introduite auprès du monarque auquel elle vient présenter ses vœux et rendre un hommage de fidélité. Les fonctionnaires, les corps constitués, le clergé arrivent tour à tour. A leur sortie du palais, ils se massent sur la place. Voici maintenant les enfants des écoles, amenés par des instituteurs et des ecclésiastiques et les boy-scouts.
a l’horloge de l’église voisine, 10 heures sonnent. Une longue rumeur se propage. C’est l’heure officielle du départ. A une des fenêtres du premier étage, un rideau se soulève. Un visage apparaît derrière la vitre. Alors de milliers de bouches, un cri s’élève indéfiniment répété : « Notre roi! Vive notre roi!! » Ce n’est pas une manifestation tumultueuse, mais une ovation respectueuse. Tous les regards sont tendus vers cette fenêtre encore fermée. Un orchestre sur la place joue l’hymne hongrois. A peine a-t-il fini que la fenêtre s’ouvre. Charles de Hasbourg seul, en uniforme de feld-maréchal, se dresse sur le balcon. La minute est solennelle, les acclamations retentissent. Toutes les têtes sont découvertes, les chapeaux et les mouchoirs s’agitent. Des bras tendent des gerbes de fleurs. Beaucoup de femmes pleurent, des hommes aussi. D’un pas rapide, Charles de Hasbourg parcourt, d’une extrémité à l’autre, le balcon. Il multiplie les saluts militaires. C’est par ce geste qu’il veut prendre congé de « son peuple ». Mais voici que ce peuple a entonné, de ses milliers de voix, l’hymne national. Immobile, la main droite à son képi, Charles chante, lui aussi.
L’hymne s’éteint. Charles a disparu à l’intérieur du palais. La fenêtre se referme. Quelques minutes s’écoulent. De nouveau la fenêtre s’ouvre. Une quarantaine de personnes envahissent le balcon. Je distingue la soutane de l’évêque. Il y a quelques officiers, des hommes en redingote, plusieurs femmes en toilettes claires. Presqu’au même instant, la porte du palais s’ouvre à deux battants pour laisser le passage à une automobile découverte, montée par des officiers supérieurs. Une seconde voiture, découverte également suit. A l’avant deux civils, tête nue. Celui qui est au volant, c’est le comte Sigray, gouverneur civil de la Hongrie occidentale. A côté de lui, le comte Erdoedy. A l’arrière, Charles de Hasbourg ayant à sa gauche le colonel Lehar. Les automobiles ont démarré en vitesse. Ce départ brusque a surpris la foule. Elle a portant reconnu son ancien roi. Alors elle acclame de nouveau et lance des bouquets de fleurs, vers la voiture que, du balcon, les personnages officiels et les familiers suivent des yeux. Deux ou trois autres automobiles sortent encore du palais épiscopal. Elles emmenèrent le personnel et les bagages. je me précipite à leur suite. J’ai du mal à retrouver ma propre voiture. mais je dis au chauffeur de me conduire à la gare. Mais à peine avons nous parcouru quelques centaines de mètres, que nous nous heurtons à un cordon de troupes. On ne passe pas. J’essaye de parlementer. c’est inutile. Je retourne à mon hôtel. Mais n’ai-je pas vu la scène la plus émouvante?.
Texte de G. Ercole.
Le retour en Suisse.
Après l’échec de sa tentative à Budapest, le jour de Pâques, Charles de Hasbourg était revenu à Szombathely. Ce ne devait être qu’une halte sur le chemin de la Suisse. Il y passa néanmoins une semaine entière. Son état de santé fut d’abord le prétexte de ce séjour : il avait en effet pris froid en automobile et il eut un peu de fièvre. Il fallut également négocier avec le gouvernement de Vienne et la Confédération Helvétique, les conditions du retour. Mais la raison véritable, c’est que le colonel Lehar, le comte Sigray, gouverneur de la Hongrie occidentale, les populations de la province et, à Budapest même, un grand nombre de personnalités avaient embrassé la cause de l’ancien roi. Pendant quelques jours, Charles de Hasbourg put caresser l’espoir de rentrer dans sa capitale, à la tête d’une armée.
Szombathely avait pris un air de fête. Les monuments publics et les maisons étaient pavoisées. A l’évêché étaient accourus tous les éléments de l’ancienne cour. Le colonel Lehar adressait à ses troupes un ordre du jour leur commandant de se rallier à leur souverain légitime. Des volontaires s’enrôlaient. Une quarantaine de mille hommes étaient prêts à marcher sur Budapest. Charles les passait en revue et déchaînait leur enthousiasme.
Cependant, l’amiral Horthy, faisait peut-être violence à ses sentiments monarchiques, se montrait juste soucieux des complications internationales auxquelles une restauration des Hasbourg pouvait entraîner la Hongrie. La petite Entente-Pologne, Tchéco-Slovaquie, Roumanie, Yougo-Slavie, avait nettement fait connaître son véto et prenait déjà les dispositions militaires. A Paris, la conférence des ambassadeurs rappellait au gouvernement hongrois les termes formels de la déclaration du quatre février 1920, prononçant l’exclusive contre l’ancienne dynastie. L’Assemblée nationale magyare, convoquée en session extraordinaire, le premier avril, votait elle-même un ordre du jour de protestation contre toute subversion du régime établi.
Malgré les conseils de résistance que lui donnait son entourage, Charles eut la sagesse de ne pas s’obstiner dans son entreprise, et quand l’Assemblée nationale magyare se réunit à nouveau le cinq avril, le comte Téléky, président du conseil put lui annoncer officiellement que l’ex-roi avait quitté le matin même le sol hongrois.
On a lu ci-dessus le récit de ce départ. A la gare de Szombathely, un train spécial était préparé. Les adieux furent émouvants.
vieillebranche
2 juin 2015 @ 20:08
bravo aux savantes révélations ou rappels de ces évènements; y compris le côté anecdotique.. l’histoire comme on la pratiquait il y a longtemps! ces récits participent de la légende des Habsbourg , de la « KaKanie « prolongée par les romans de Joseph Roth. Le roi Charles ne fut pas un personnage historique de poids, mais un personnage romanesque, devenu « saint » officiel de l’Eglise: à tout prendre, une bien plus belle façon de survivre.
j’ai hâte de lire la suite.
Francky
2 juin 2015 @ 21:54
Bravo Cosmo, pour cette série d’articles qui font revivre la tentative de restauration de Charles et Zita…
Et même si l’on connait déjà la fin, c’est un plaisir de lire votre plume !
Bien à vous.
Francky
Cosmo
4 juin 2015 @ 19:21
Cher Francky,
Je vous remercie pour votre compliment.
Je recommande aux lecteurs de N&R de relire les articles que vous avez écrits sur le séjour de la famille impériale à Madère et sur la mort de l’empereur. Ils étaient remarquables.
Amicalement
Cosmo
Caroline
2 juin 2015 @ 22:26
Fortement influencée par les récits de ma belle-fille italo-autrichienne,je suis heureuse d’apprendre de nouveaux détails sur les Habsbourg!
Un grand merci à Cosmo!
Claude-Patricia
3 juin 2015 @ 11:43
Bonjour à tous,
…Charles était déjà dans son wagon-salon quand on vint lui apporter le texte de l’amnistie générale accordée par le régent à tous ceux qui-civiles ou militaires-avaient pris une part quelconque à son aventure. De son côté, Charles avait adressé un message au peuple hongrois, dans lequel il disait que le moment n’était pas encore venu pour lui de reprendre le pouvoir, mais qu’il demeurait « roi couronné de Hongrie ».
Le voyage de retour fut marqué par un incident. A Bruck an der Mur, dans la province autrichienne de Styrie, un millier de cheminots et d’ouvriers socialistes se portèrent au devant du train et voulurent faire recevoir par l’ex-empereur une délégation qui lui aurait fait jurer solennellement de ne jamais revenir en Autriche. Les officiers de l’Entente, qui depuis la frontière hongroise, avaient pris Charles sous leur garde, s’opposèrent à cette prétention. De longs pourparlers s’ensuivirent, qui durèrent plusieurs heures. Finalement le chef socialiste Frédéric Adler obtint des ouvriers qu’ils laissassent continuer le voyage, mais en arrivant à Buchs, à la frontière suisse, le train avait six heures de retard.
Le conseil fédéral n’a pas consenti à ce que Charles de Hasbourg retournât à Prangins et il lui a assigné Lucerne comme résidence provisoire, en attendant qu’il fût statué sur son compte. Charles occupe actuellement à l’hôtel national l’appartement qui fut celui du roi Contantin. L’ex-impératrice Zita est venue l’y retrouver.
La nouvelle tentative de Charles IV (article daté du 29 octobre 1921)
Le roi Charles IV vient de renouveler la tentative qu’il avait faite, au mois d’avril dernier pour remonter sur le trône de Hongrie, auquel il n’avait jamais renoncé.
C’est à Hertenstein, sur le lac des Quatre-Cantons, que depuis avril, le roi était fixé. Il y avait loué en totalité un vaste et riant hôtel, enfoui dans la verdure, où il tenait une sorte de petite cour. Il y menait une vie simple, détachée en apparence de la politique, consacrant à ses enfants, dont le plus jeune n’a que quelques mois, plusieurs heures par jour. Déjà, au mois d’août, pour la fête nationale hongroise, le bruit de son retour avait couru. Ces jours derniers, le commandant Oesztenburg , qui avait sous ses ordres les troupes hongroises dans les comitats occidentaux, envoyait à Hertenstein un courrier pour annoncer que tout était prêt. Charles IV décida de partir au plus tôt. Pour ne point risquer d’être arrêter en route, il choisit la voie des airs.
Deux aviateurs hongrois, les capitaines Alsay et Fekete, lui avaient précisément été dépêchés. Avec l’aide du conseiller d’ambassade baron Borovicinny, ils découvrirent à l’aéroport de Dübendorf, près de Zurich, un grand monoplan Junker, appartenant à un hollandais, capable de faire du 170 kilomètres à l’heure.
Laissant leurs enfants Charles IV et la reine Zita quittèrent en automobile leur résidence, et par Zurich gagnèrent Dübendorf, d’où l’avion, piloté par le capitaine alsay, les emportait le vingt octobre à 14 heures.
Il traversa le lac de Constance, les Alpes bavaroises, mais entre Kempten et Fussen, il eut une panne de moteur qui put être réparée sans atterrir. Il passa au dessus de l’Autriche à 3.500 mètres d’altitude et à 170 kilomètres/heures. et touchait le sol à 16h10 à la frontière austro-hongroise à cinq kilomètres du château d’Oedenbourg, propriété du comte Csiraky. Le colonel Lehar, qui avait déjà joué un rôle dans la première tentative, venait prendre le roi en automobile, au milieu de la nuit suivante, et le conduisait auprès du commandant Oesztenburg (en hongrois Sopron ou Sopronyi).
Après avoir passé en revue les troupes qui lui avaient prêté serment, le roi partit en chemin de fer en direction de Budapest. Trois trains militaires le suivaient Mais l’amiral Horty, résolu à défendre la Constitution, avait envoyé des troupes régulières contre celles de Charles IV. Une rencontre eut lieu à environ vingt-cinq kilomètres de Budapest. Bien qu’elle ne semble pas avoir été fort meurtrière, elle tourna au désavantage des carlistes. De nombreuses défections se produisirent parmi eux, et ils prirent l’initiative de pourparler, qui eurent lieu le 24 à 8 heures du matin près du village de Toerokbalint. L’amiral Horty exigeait l’abdication sans conditions du souverain. Les carlistes refusèrent et battirent en retraite. Mais au cours de cette retraite, le roi et la reine furent faits prisonniers le même jour à Papatovaros, à 60 kilomètres à l’ouest de Budapest. Ils furent d’abord gardés à vue au château de Totis puis au couvent de Thiany, sur le lac Balatos. Le gouvernement suisse, indigné de ce que le roi ait manqué à sa parole, a décidé d’expulser sa suite demeurés à Hertenstein.
Claude-Patricia
3 juin 2015 @ 11:44
Il y aura encore des textes à vous faire partager!!
Francine du Canada
3 juin 2015 @ 11:46
Cosmo, ce récit est passionnant; j’attends la suite avec impatience. Bonne journée, FdC