Le voyage de retour vers la France, sans avoir été une promenade, fut toutefois parsemé de haltes. La première fut une déception. Elle espérait pouvoir présenter ses hommages à la duchesse d’Angoulême au château de Mittau, en Courlande où résidaient Louis XVIII et sa famille.
Marie-Thérèse de France, la fille de Marie-Antoinette, avait épousé le 10 juin 1799 son cousin germain, Louis Antoine d’Artois.
Au début de l’année 1800, Elisabeth Vigée-Lebrun avait fait un portait posthume de Marie-Antoinette que le comte de Cossé-Brissac s’était chargé d’apporter à la princesse qui lui écrivit le 15 avril 1800 :
Portrait posthume de Marie-Antoinette – Collection Wildenstein New-York
“Le comte de Cossé m’a remis, madame, le portrait de la ma mère que vous l’aviez chargé de m’apporter. Vous me procurez la double satisfaction de voir, dans un de vos plus beaux ouvrages, une image bien chère à mon cœur. Jugez donc du gré que je vous ai d’avoir employé vos rares talents à me donner cette preuve de vos sentiments ; soyez persuadée que j’y suis plus sensible que je ne puis vous l’exprimer. Comptez également, madame, sur mes sentiments pour vous.”
Signature de la duchesse d’Angoulême
Mais le 20 janvier 1801, à la veille du terrible anniversaire, la famille royale de France reçut l’ordre de l’empereur Paul Ier de quitter Mittau. Le 23 janvier, elle partit à nouveau sur le chemin de l’exil qui durera quatorze ans.
La duchesse d’Angoulême partie, sans qu’elle ait pu la voir, Elisabeth décida alors de se rendre à Berlin où elle arriva fin juillet 1801, après un voyage éprouvant en Prusse Orientale.
Une fois de plus, les tracasseries administrative et douanières passées, elle reçut le meilleur accueil. Arrivée à peine depuis trois jours, elle reçut une invitation de la reine Louise de Prusse, de se rendre à Potsdam pour y faire son portrait. “
La plume est impuissante pour peindre l’impression que j’éprouvais la première fois que je vis cette princesse. Le charme de son céleste visage, qui exprimait la bienveillance, la bonté, et dont les traits étaient si réguliers et si fins ; la beauté de sa taille, de son cou, de ses bras, l’éblouissante fraîcheur, tout enfin sur passait en elle ce qu’on peut imaginer de plus ravissant.”
Louise de Prusse – 1801 – Musée du Palais de Charlottenburg
Elisabeth Vigée-Lebrun redevenait portraitiste de reine. Louise de Mecklenburg-Strelitz ( 1776-1810) était la fille du duc de Mecklenburg-Strelitz et de Frédérique de Hesse-Darmstadt.
En 1793, elle épousa le prince Frédéric-Guillaume de Hohenzollern, héritier du trône de Prusse. Quand Elisabeth fit son premier portrait, elle était reine depuis 1797 et elle n’avait que 25 ans.
Devant l’invasion de la Prusse par Napoléon, elle devint une ardente patriote, anti-française, l’âme de la résistance prussienne. Elle ne vécut pas assez longtemps pour voir la victoire des Alliés, parmi lesquels, la Prusse, en 1815, la fin de l’empire français et son mari triompher au Congrès de Vienne.
Louise de Prusse – 1802 -Collection du Prince Georges de Hohenzollern
Comme l’avait fait Marie-Antoinette, la reine Louise traite Elisabeth en amie. Elle s’occupe de son confort et la couvre de cadeaux. L’artiste est bien entendu dans la meilleure société et elle peint la princesse Louise de Hohenzollern, épouse du prince Antoine Radziwill.
Princesse Louise Radziwill ( 1770-1836) née princesse de Prusse – 1801
Metropolitan Museum – New York
Mais il lui fallait quitter Berlin. “Depuis que j’ai quitté la Russie, on me demande à Vienne, à Brunswick, à Munich et à Londres, sans parler de Saint-Petersbourg où l’on me rappelle avec instance.”
Sa route passe par Dresde, puis Weimar et Francfort mais elle n’est séduite par aucune de ces villes. Elle a hâte d’arriver à Paris.
“ Je n’essaierai pas de peindre ce qui se passa en moi lorsque je touchai cette terre de France que j’avais quittée depuis douze ans ; l”effroi, la douleur, la joie qui m’agitaient tour à tour ( car il y avait de tout cela dans les mille sensations qui me bouleversaient l’âme). Je pleurais les amis que j’avais perdus sur l’échafaud ; mais j’allais revoir ceux qui me restaient encore. Cette France dans laquelle je rentrais, avait été le théâtre de crimes atroces ; mais cette France était ma patrie.”
Arrivée à Paris, elle s’installa dans sa maison de la rue du Gros-Chenet. “M. Le Brun, mon frère, ma belle-sœur et sa fille, vinrent me recevoir à ma descente de voiture, pleurant tous de joie de me revoir, et j’étais moi-même bien attendrie.”
Le soir même elle fut conduite dans une grande salle de la maison “…et dès que je fus entrée, tout le monde se tourna vers moi, les spectateurs battant des mains, et les musiciens en frappant de leur archet sur leur violon. Je fus tellement sensible à un accueil si flatteur, que je fondis en larmes. Je me souviens que Mme Tallien était à ce concert, éclatante de beauté.” Une des reines du nouveau Paris et de la nouvelle France était donc là pour l’accueillir.
Madame Tallien, née Teresia Cabarrus -« Notre Dame de Thermidor »
Future princesse de Chimay
A cet automne 1801, depuis le 9 novembre 1799, la France était sous le régime du Consulat, avec à sa tête le général Bonaparte. L’objectif du nouveau gouvernement est de rétablir la paix, la paix à l’intérieur avec la pacification de l’Ouest royaliste et l’abolition des sanctions contre les émigrés et la paix à l’extérieur avec le Traité de Lunéville signé avec l’Autriche, le 9 février 1801.
Il n’est pas nécessaire de dire ici toutes les mesures imposées par le Premier Consul et adoptées par la population française. L’établissement d’une société hiérarchisée non en fonction des ordres, comme sous l’Ancien Régime, mais en fonction de la fortune et de la notabilité, base de l’édifice politique.
Elisabeth Vigée-Lebrun est rapidement prise par le tourbillon mondain. Elle retrouve avec bonheur ses amis artistes, Greuze, Robert, Brongniart, mais aussi ses amies aristocrates, la marquise de Grollier, Mme de Verdun, la comtesse d’Andlau, la comtesse de Ségur et bien d’autres.
Les bals et soupers se succèdent. Madame Récamier, Madame Tallien la charment. Elle fait connaissance de Mr de Metternich. Madame Campan, première femme de chambre de Marie-Antoinette, a ouvert un pensionnat où les jeunes filles de la bonne société viennent apprendre les usages du monde, avec l’approbation voire l’encouragement de Bonaparte.
Princesse Ekaterina Dolgorouki (1769-1849 ) née princesse Bariatinskaïa – 1797 -Musée d’état – Palais Vorontzov Palace – Alupka, Crimée
Elle voit aussi les Russes et les Allemands qui l’ont soutenue lors de son exil et qui se trouvent à Paris. La princesse Dolgorouki est de ceux-là. Elle lui dira plus à propos de la Cour du Premier Consul : “ Ce n’est point une cour mais une puissance.”
Enfin, elle été présentée au général Bonaparte. “ Il m’arrivait ici, comme pour l’impératrice Catherine, II de m’être peint en imagination un homme si célèbre sous la figure d’une homme colossal.” Mais elle est surprise de constater qu’il était petit et mince.
Elle est donc fêtée mais elle a le cœur gros. Ne pas retrouver sa mère décédée un an auparavant, traverser l’ancienne Place Louis XV, lieu du martyre de sa chère Marie-Antoinette, sont des épreuves qu’elle surmonte difficilement. Elle souhaite la solitude et la trouve dans une petite maison, au milieu des bois, près de Paris. “ Cela me convenait à merveille ; car ma mélancolie était si grande que je ne pouvais voir personne…pour mettre fin à un état d’esprit aussi pénible, je me décidai à faire un voyage.”
Le 15 avril 1802, elle partait pour Londres. Son installation la déçoit. Elle doit déménager trois fois et finit par s’installer dans l’élégant quartier de Mayfair, près de Hanover Square.
L
a ville aussi la déçoit, même si “les rues de Londres sont belles et propres.”. Il n’y a pas de musée. “ Les dimanches à Londres sont aussi tristes que le climat.” La ville est sans cesse dans le brouillard et la fumée.
Portman Square, un des lieux de résidence d’Elisabeth à Londres
Les réceptions auxquelles elle est conviée, les “routs”, sont ennuyeuses car personne n’y parle. Les cercles tenus par les dames sont muets. Il n’est pas de bon ton de faire la conversation. “ Au dîner les femmes sortaient de table avant le dessert, les hommes restaient pour boire et pour parler politique…Après le dîner on se réunissait dans une belle galerie, où les femmes sont à part, occupées à broder, faire de la tapisserie et sans dire un mot. De leur côté, les hommes prennent des livres et gardent le même silence.”
Elle évoque la “morgue gothique de très laides et très vieilles anglaises de province » alors que “les grandes dames de Londres et les Anglaises qui ont voyagé sont aimables et polies…”
“ Quoique le bon accueil que l’on voulait bien me faire m’ait engagée à rester près de trois ans à Londres, que je ne comptais d’abord y passer que trois mois, le climat de cette ville me semblait fort triste.”`
Mais il n’y a pas que des inconvénients en Angleterre. La campagne est belle. “La ville de Bath…est bien certainement la plus belle du royaume, je l’aime d’autant plus que c’est une cité bâtie à la campagne ; aussi l’air qu’on y respire est-il parfumé.”
Jane Austen qui est à Bath durant la même période n’en donne pas une vision aussi idyllique. Il y a aussi Mat-Lock” qui “offre tout-à-fait l’aspect d’un paysage suisse…
Tumbridge-Well, où l’on prend des bains, est de même un endroit fort pittoresque. Il est vrai qu’on s’y délecte le matin en parcourant ses beaux environs…Brighton…où le prince de Galles avait alors fixé sa résidence est une assez jolie ville située en face de Dieppe, et de laquelle on peut voir les côtes de la France.” Ce qui est assez étonnant…
Rapidement Elisabeth a donc gravité dans le premier cercle. Dans sa maison où elle donne des concerts, elle reçoit le prince de Galles (1762-1830 ), le futur George IV, qui luit dit “ Je voltige dans toutes les soirées mais ici je reste.”
Le prince de Galles peint en 1805 – miniature d’après le portait d’Elisabethe Vigée-Lebrun
Elle rencontre lady Herdford, la maîtresse du prince, lady Monk et bien d’autres. A ces concerts elle a Madame Grassini (1773-1850), la cantatrice italienne, à la voix de contralto, au début de sa brillante carrière
Giuseppa Grassini – 1803 -Musée Calvet Avignon
“ La femme de Londres la plus à la mode à cette époque était la duchesse de Devonshire. J’avais souvent entendu parler de sa beauté et de son caractère influent en politique, et, lorsque j’aillais lui faire visite, elle me reçut de la manière la plus aimable.”
Giorgiana Cavendish, née Spencer, duchesse de Devonshire par Angelica Kaufman vers 1800 – Collection Standsted Park – Surrey
Il y a autour de Giorgiana Spencer (1757-1806) comme un air de Versailles car elle a connu la reine Marie-Antoinette lors de ses séjours en France. Elle va à Knowles – château où fut élevée Vita Sackville-West – et y est reçue par la duchesse de Dorset qui lui dit “ Vous allez bien vous ennuyer ; car nous ne parlons pas à table.” Elle put toutefois admirer la belle collection de tableaux, comme elle put le faire aussi dans les grandes demeures de Londres ou de la campagne.
Arabella Diana Cope (1767-1825), duchesse de Dorset – 1803 -National Trust
“Je prenais mon parti sur cette monotonie de cette vie anglaise, qui ne pouvait être de mon goût après avoir habité si longtemps Paris et Petersbourg. Je passai quelques temps à Stowe, chez le marquis de Buckingham. Le château était magnifique et rempli de tableaux des plus grands âtres. je me souviens surtout d’un portait de Van Dyck où je revois encore une main tellement belle, et tellement en relief, qu’elle faisait illusion…Le marquis et la marquise de Buckingham recevaient les Français avec infiniment de grâce et de bonté.”
Elle fait le portait de lady Elisabeth Berkeley (1750-1828), épouse du dernier margrave de Brandebourg-Anspach, une grande dame à la réputation sulfureuse, dont Elisabeth reçut l’hospitalité.
Elle fit aussi celui de Jane Wilson, épouse de Spencer Perceval, Procureur Général du Royaume, futur Chancelier de l’Echiquier.
Mrs. Spencer Perceval, née Jane Wilson (1769-1844) – 1804
Collection privée
Elle est reçue par Margaret Chinnery (1765-1840), dont le mari était Directeur du Trésor, qui lui fait une superbe réception dans sa propriété de Gillwell. Elle patronnait les arts. “Mme de Chinnery était une très belle femme, dont l’esprit avait beaucoup de finesse et de charmes.” Elle entretenait une correspondance avec Mme de Genlis dont elle suivait les méthodes d’éducation. Elisabeth la peint lisant une lettre de Mme de Genlis.
Margaret Chinnery – 1803 -Eskenazi Museum of Art, Indiana University
Mais elle ne voit pas que des Anglais. Elle retrouve son ami le prince Baryatinski. Il y a le comte d’Artois, il y a aussi le duc d’Orléans et son frère le duc de Montpensier. Elle revoit le comte de Vaudreuil. Elle est en pays connu.
“ Le Traité d’Amiens a été rompu (17 mai 1803), et tous les Français qui ne résidaient pont en Angleterre depuis plus d’une année furent obligés de partir aussitôt. Le prince de Galles, auquel je fus présentée, m’assura que je ne devais pas être comprise dans cet arrêté, qu’il s’y opposait et allait demander tout de suite au rois son père une permission pour moi.” C’est peu dire qu’Elisabeth Vigée Lebrun, comme à Saint-Petersbourg, était en cour mais en juillet 1805, elle rentre à Paris.
Elle aura revu lady Hamilton, à l’époque maîtresse de lord Nelson, rencontré en société lord Byron. Elle a connu Benjamin West (1738-1820) le portraitiste du roi George III (1738-1820) et pu admirer l’œuvre de Reynolds, l’autre grand portraitiste de la deuxième moitié du XVIIIème siècle.
Lord Byron -Collection privée
Sa période anglaise ne fut pas la plus féconde. Elle ne compte que vingt-cinq portraits, selon elle, auxquels il faut ajouter des pastels. Mais la société anglaise ne manquait pas de grands portraitistes.
Mais sa fille, Julie, accompagnée de son mari est à Paris. Il est chargé par Mr Naryschkine de recruter des artistes pour Saint-Petersbourg.
Après un voyage mouvementée, elle a été consignée huit jours à Rotterdam, pour un passeport périmé. Il faut dire que la très royaliste, Elisabeth Vigée-Lebrun, liée aux milieu des émigrés encore en exil, ne peut qu’inquiéter. Et si elle était une espionne envoyée en France pour servir leur cause ?
La réalité est plus prosaïque. Elle rentre chez elle heureuse de revoir ses amis et surtout sa fille. Sa seule consolation avec elle est de la voir tous les jours mais Julie n’est plus une oie blanche.
Mal mariée, elle aime la mauvaise compagnie, à laquelle elle est encouragée par son père. Le mari reparti, son mariage étant un naufrage, Julie “resta en France en France à ma grande satisfaction. Pour son malheur et pour le mien, ma pauvre enfant avait une tête extrêmement vive ; de plus, je n’étais point parvenue à lui donner complètement lé dégoût que je ressentais pour la mauvaise compagnie…l’on concevra que parfois elle ait pu me faire verser quelques larmes amères.”
Angélica Catalani – 1806 -Kimbel Art Museum Fot Worth – Texas
Mais pour Elisabeth, la mondaine non avouée, il y a des compensations. Elle fait la connaissance d’Angélica Catalani (1780-1849), cantatrice qui début en 1795, à la Fenice, à seize ans, puis poursuivit sa carrière à l’Opéra de Paris et enfin à Londres.
Ayant amassé une immense fortune, elle se retire en 1830 à Florence où elle fonde une école gratuite de chant, qu’elle dirige elle-même. Elisabeth eu le plaisir de l’avoir à ses soirées musicales. Le monde du théâtre l’attire aussi et les plus grands acteurs et actrice fréquentent son salon.
Si son voyage en Angleterre a déplu à l’empereur, “ Madame Lebrun est allée voir ses amis”, comme le lui a rapporté le comte de Ségur, fervent de Napoléon. Mais cela n’empêche pas ce dernier de lui commander le portrait de sa sœur, Caroline (1782-1839), en 1807, à l’époque grande-duchesse de Berg, puis reine de Naples de 1808 à 1815.
“ Il est impossible de décrire toutes les contraints, tous les tourments qu’il m’a fallu endurer pendant que je faisais ce portrait…Enfin tous les ennuis que Mme Murat me fit éprouver finirent par me donner tant d’humeur, qu’un jour, comme elle se trouvait dans mon atelier, je dis à Mr Denon assez haut pour qu’elle pût l’entendre : “ J’ai peint de véritables princesses qui ne m’ont jamais tourmentée et ne m’ont jamais fait attendre.” Le fait est que Mme Murat ignorait parfaitement que l’exactitude est la politesse des rois…”
Caroline Murat et sa fille – 1807 -Musée du Château de Versailles
Cette corvée terminée, la revoilà sur les routes, “ en 1808, pour aller courir les montagnes.”
Elle peindra quelques scène de fêtes en montagne, comme “La Fête des Bergers” à Unspunnen, dans l’Oberland Bernois.
Dans ses Mémoires, elle s’étend longuement sur son voyage des les Alpes, françaises, suisses et savoyardes. Elle séjourne à Chamonix mais est loin d’être enchantée du site.
La Fête des Berges à Unspunnen (Suisse) – 1808 -Musée des Beaux-Arts de Berne
Le Dôme du Mont-Blanc et l’Aiguille du Gouté, près de la Vallée de Chamounix – Pastel – 1807-1809 – Musée des Beaux-Arts de Chambéry
Mais le grand moment de ce voyage est sa rencontre avec Germaine de Staël (1766-1817). Elle passe huit jours à Coppet où elle est avec Juliette Récamier, le comte de Sabran, Benjamin Constant et le prince Auguste-Ferdinand de Prusse.
“La société se renouvelait sans cesse ; on venait visiter l’illustre exilée, celle que l’empereur poursuivait de ses rancunes…Madame de Staël recevait avec grâce et sans affectation”. Cette société aristocratique, artiste et intellectuelle était celle qui lui convenait. Elle ne put pas ne pas peindre le portait de Corinne. A Genève, elle fut reçue membre de l’Académie.
Germaine de Staël – 1809 -Musée d’Art et d’Histoire de Genève
A Paris, elle avait eu toutefois le plaisir de revoir la comtesse Hélène Potocki (1763-1815), petite nièce du dernier roi de Pologne, Stanislas Poniatowski.
Ardente patriote polonaise, elle voyait en Napoléon le libérateur de son pays. Elisabeth ne lui en voulait pas de cette admiration et c’est à elle qu’elle écrit les lettres racontant son voyage. Née princesse Massalka, puis princesse de Ligne et enfin princesse Potocki, elle une femme de culture européenne, là aussi pour le plus grand bonheur d’Elisabeth Vigée-Lebrun.
Hélène Massalka, princesse Potocki – 1808 -Musée National de Varsovie
De retour à Paris, elle décide de s’installer à la campagne, à Louveciennes, si riche en souvenirs de la gentille comtesse du Barry, dont le pavillon si charmant a été démeublé et pillé. Elle y vit si retirée qu’elle est surprise des évènements de 1814 qui ouvrent les portes de Paris aux Alliés, dont Alexandre Ier de Russie.
Elle vit l’entrée du comte d’Artois, alors Lieutenant Général du Royaume, puis enfin celle de Louis XVIII “ apportant le pardon et l’oubli pour tous. J’allai le voir passer Quai des Orfèvres; il était dans une calèche, assis à côté de Mme la duchesse d’Angoulême ; la Charte qu’il venait de faire proclamer ayant été reçue avec des acclamations de joie, l’ivresse des foules était grande et générale….Les cris “ Vive le Roi” s’élevaient jusqu’au ciel.”
Château de Louveciennes où elle vécut les trente dernières années de sa vie
Les Bourbons sont revenus en France. Si Elisabeth n’a jamais inquiétée par l’empereur et sa police, car elle vivait retirée, elle peut désormais laisser éclater sa joie et sa fidélité. Elle vit confortablement car elle très bien gagné sa vie. Elle peint à son rythme et pour son plaisir. Ce portait d’une jeune femme en Flora en est un exemple.
Jeune Dame en Flora – 1811 – Musée National de Suède.
Elisabeth n’est pas jalouse des succès de ses nouveaux confrères, comme Gérard ou David. Bien au contraire ils entretiennent d’excellentes relations. Gérard écrira d’elle “ C’est le beau rêve d’une belle âme, rendue par un beau talent.”
Son grand tableau de Marie-Antoinette avec ses enfants, après avoir été caché, est enfin offert à nouveau aux yeux du public. Elle en tire joie et fierté.
Mais arrive le temps des chagrins. En 1813, elle perd Mr Lebrun, qui n’était plus son mari. Elle n’avait plus de relations avec lui mais sa mort la peine.
En 1819, Julie meurt. Elle vient d’avoir 40 ans. “ Je la revoyais, je la revois encore aux jours heureux de son enfance…Hélas, elle était si jeune ! Ne devait-elle pas me survivre ?” Julie est morte dans la misère, couverte de dettes. La mère n’a-t-elle pas voulu l’aider, la fille n’a-t-elle pas demandé son aide ? En 1820, c’est son frère bien-aimé qui disparait. Elle a encore vingt deux ans à vivre.
La famille royale est là. Sans en être proche, elle est malgré tout de leur monde, celui des temps heureux avant la catastrophe de 1789. En 1819, elle a accepté de céder au duc de Berry sa “Sybille”, le portrait de lady Hamilton peint à Naples en 1792, qui ne l’avait quittée.
Elle admire ce prince sur qui repose l’espoir de la dynastie. Il semble avoir les qualités pour la continuer heureusement. Hélas, le 14 février 1820, il est assassiné. Son veuvage achevée, Marie-Caroline de Bourbon des Deux-Siciles, sa veuve, fera appel à elle pour deux portraits. En 1824, elle la peint en robe de velours bleu. En 1828, elle fera un portrait presqu’identique en robe rouge.
La duchesse de Berry (1798-1870) – 1824 -Collection privée
Après la mort de Julie et de son frère, elle est partie en voyage vers le sud-ouest de la France. Orléans, Blois, Chambord, la pagode de Chanteloup vestige du domaine du duc de Choiseul, sont ses étapes avant d’arriver à Bordeaux. Elle admire tout lors de ce voyage qui sera le dernier qu’elle entreprendra.
La baronne de Thelusson ( 1769- 1852) – 1814 -Localisation inconnue
Elisabeth vieillit entourée de ses amis qui lui prodiguent des marques d’affection. Les chagrins se sont estompés mais les souvenirs des temps heureux sont représentés par le marquis de Cubières, la marquise de Boufflers, le comte de Sabran auxquels se sont joints de nouveaux amis, la baronne de Thélusson, d’une grande famille noble d’amateurs d’art anglais et genevois, les peintres Gérard et Gros et leurs familles et bien d’autres.
Princesse Tatiana Borisovna Potemkine (1797-1869) née Galitzine – 1820
Collection privée
Elle ne manque pas de peindre l’aristocratie russe si chère à son cœur, comme la princesse Potemkine.
Sans petits-enfants, ce sont ses nièces qui l’entourent de leurs attention et de leur affection. Tout d’abord il y a Caroline Vigée (1791-1864), la fille de son frère, qui a épousé un de ses cousins, Louis baron de Rivière, secrétaire de la légation de Saxe à Paris, officier d’artillerie,.
Caroline de Rivière, née Vigée
Et il y a surtout Eugénie Lebrun (1797-1872) , la nièce de son mari qui a épousé Justin Tripier Lefranc, un historien d’art.
Eugénie Tripier Lefranc, née Lebrun – Autoportrait 1820
Musée de Brooklyn
Elles ont, toutes les deux, contribué à l’établissement de ses Mémoires, à la publication desquelles le mari d’Eugénie prit une part active. Le 29 février 1835, Elisabeth Vigée-Lebrun signera avec l’éditeur Hippolyte Fournier l’autorisation d’imprimer fin cents exemplaires de ses souvenirs. Une deuxième édition parut en 1869 à Paris.
A partir de 1838, sa santé décline. A la suite d’attaques cérébrales, elle perd la vue. Le 30 mars 1842, elle meurt à Paris, dans son domicile rue Saint-Lazare. Elle sera enterrée à Louveciennes, selon son désir. Elle avait mené une belle vie, fidèle à ses amis, à sa famille et à ses principes.
Léontine de Rivière – 1831 Nièce de Suzanne de Rivière, belle-sœur d’Elisabeth Vigée-Lebrun – Musée de l’Ermitage Saint-Pétersbourg
Didier Masseau dans son introduction aux Mémoires (Editions Taillandier -2009 et 2015) a écrit : “Il est vrai que la mémorialiste n’est ni une intellectuelle, comme Mme de Staël, ni même une analyste désireuse d’esquisser une réflexion véritable sur les très nombreux événements politiques auxquels il lui a été donné d’assister. Son attachement à la royauté est le principe fondateur qui accompagne sa pratique de peintre, sans qu’il soit même nécessaire de le justifier…. Mme Vigée-Lebrun demeure inconditionnellement fidèle aux pratiques et aux valeurs d’un temps pour lequel elle se sent faite et qui est à l’origine de son extraordinaire succès.”
Ses Mémoires n’ont peut-être pas la qualité littéraire de celles de la baronne d’Oberkirch, ou de la comtesse de Boigne mais elles témoignent d’une femme qui sut vivre de son art, saisir toutes opportunités et faire face aux chagrins.
Indépendante, Elisabeth Vigée-Lebrun ne compta jamais sur les autres. Elle gagna très bien sa vie grâce à son talent. Si quelques-unes de ses œuvres sont aujourd’hui dans des collections particulières, la plupart sont dans les plus grands musées du monde.
Laissons les derniers mots à son amie la princesse Kourakine : “Je rencontre toujours chez elle quelqu’un ou quelque chose qui me plait. Je n’ai de ma vie vu une femme plus aimable dans l’étendue du terme. Mais elle l’est surtout en voulant faire paraître les autres, en s’oubliant elle-même, puis la grande sûreté de son commerce la rend vraiment précieuse.”
Cette amabilité et son empathie se retrouvent dans les six cents soixante portraits qu’elle a peints. Les regarder est non seulement un plaisir des yeux mais un voyage dans le temps de la douceur de vivre, de la grâce et des manières d’une société, qui ne sont plus, désormais, qu’un souvenir.
La tombe d’Elisabeth Vigée-Lebrun à Louveciennes où elle a fait inscrire “ Ici enfin, je repose.”
Un grand merci réitéré à Patrick Germain pour nous avoir retracé la vie d’Elisabeth Vigée-Lebrun.
prince de Galles
Régine ⋅ Actualité 2025, Angleterre, Chimay, France, Pologne, Portraits, Prusse, Radziwill, Russie 12 Comments
14 mars 2025 @ 05:14
Excellents moments ,que ces lectures , merci à PGermain !
14 mars 2025 @ 07:20
Grand merci pour cette si intéressante biographie !
14 mars 2025 @ 07:21
Merci infiniment pour ce récit. Maintenant je regarderais les œuvres de madame Lebrun en y voyant aussi la femme passionnée qui animait l’artiste de talent.
14 mars 2025 @ 08:04
Cinq très beaux articles !
Je connaissais quelques tableaux de l’artiste et très peu sa vie.
Vous avez très agréablement comblé cette lacune.
Est-ce abuser d’en attendre d’autres sur le personnage de votre choix 😃?
Merci encore Patrick Germain.
14 mars 2025 @ 08:30
Merci pour ce partage si riche et passionnant !
14 mars 2025 @ 09:00
Merci à Cosmo de nous avoir fait connaître en détail la vie de cette femme libre et indépendante.
Elle aurait plu à Simone de B.
Sa vie nous montre aussi que sans indépendance financière, qui plus est quand celle-ci est acquise par son propre travail il ne saurait y avoir d’indépendance féminine.
14 mars 2025 @ 09:16
En fait Madame Vigée-Lebrun ne connut pas le château de Louveciennes ici montré, qui date de Napoléon III, construit à l’emplacement de la maison qu’elle y avait acquise.
14 mars 2025 @ 09:26
Caroline Murat manquait aux rendez-vous qu’elle donnait à sa portraitiste, changeait de coiffure et de bijoux, ainsi que de robes.
14 mars 2025 @ 09:41
Cosmo a mis son talent de conteur au service d’ une femme talentueuse. C’ est un régal!
De manière anecdotique: une portraitiste qui s’ essaie au paysage, c’ est … comique!
14 mars 2025 @ 09:51
Lecture passionnante ! Merci pour ces articles !
14 mars 2025 @ 09:57
Portraits magnifiques mais, en particulier, de la reine Louise de Prusse. Elle était arrivée à Tilsitt, le 6 juillet 1807, et n’avait pas obtenu de Napoléon la restitution de Magdebourg. Pour marquer le centenaire de la Paix de Tilsitt, un pont avait été construit en l’honneur de la reine Louise. Il a été détruit en 1944 et restauré dans un style banal. C’est un pont transfrontalier entre l’actuelle Lituanie et la Russie.
14 mars 2025 @ 10:00
Passionnant partage et très complet. Merci beaucoup Cosmo