Dimanche 18 janvier 2015, avait lieu à l’Ateneul Roman de Bucarest un concert à l’occasion du 25ème anniversaire du retour des premiers membres de la famille royale de Roumanie depuis le départ en exil du roi Michel en 1948. A la chute du régime de Ceaucescu, le roi Michel voulut être au plus vite auprès de son peuple. Deux de ses filles la Princesse Héritière Margareta et la Princesse Sophie obtinrent les autorisations requises. La Princesse Sophie de Roumanie qui vit en Bretagne où elle exerce avec talent le métier de photographe (Noblesse et Royautés a déjà présenté plusieurs de ses photographies de paysages ainsi qu’un entretien sur son parcours professionnel et artistique) a bien aimablement voulu confier ses impressions sur ce moment historique et sur cette journée du souvenir 25 ans plus tard à Bucarest et sur le programme des commémorations (réception au musée national du village avec toutes les personnes ayant aidé la Fondation princesse Margareta ou ayant bénéficié de son aide; visite de la télévision roumaine, concert à l’Ateneul roman et dîner de gala à la Savings Bank
Noblesse et Royautés : Votre Altesse Royale, pouvez-vous nous expliquer comment se décida et s’organisa ce voyage en Roumanie après la chute du régime de Ceaucescu et le refus des autorités roumaines de l’époque quant à un retour de votre père Sa Majesté le Roi Michel ?
Princesse Sophie de Roumanie : Cette question est en fait deux questions qui nécessitent deux réponses séparées. La première concerne le voyage, et la deuxième concerne le retour de mon père.
A la révolution, nous avons été surpris par la rapidité des évènements. On sentait que les choses changeaient et ma sœur Margareta a décidé d’y aller et je l’ai accompagnée. Il ne semblait pas qu’il y avait opposition à ce voyage.
Nous ne savions pas ce que nous allions trouver une fois arrivées. Soit il y aurait de l’indifférence, soit de l’intérêt, et à l’aéroport nous avons été reçues par la presse internationale. La révolution avait eu lieu trois semaines auparavant donc un sujet nouveau. La presse locale était peu informée de l’existence de mon père.
Quant au voyage de mon père, bien qu’en discussion, la question ne se posait pas encore. C’était à lui de voir le moment propice. Effectivement il y a eu deux tentatives, l’une à Pâques puis le 25 décembre de la même année.
Noblesse et Royautés : Comment vos parents le Roi Michel et la Reine Anne ont vécu ce premier retour de membres de la Famille Royale en Roumanie alors qu’eux-mêmes étaient en attente de pouvoir le faire ?
Princesse Sophie de Roumanie : Mes parents ont vécu ce premier retour entrepris par ma sœur et moi-même avec beaucoup d’émotion. Frédéric Mitterrand a d’ailleurs consacré une page entière dans le Paris Match de l’époque car il était dans l’avion avec nous au départ de Genève.
Noblesse et Royautés : Etant née en exil comme vos sœurs, vous ne connaissiez donc pas la Roumanie. Quelle fut votre premier sentiment en foulant le sol roumain ?
Princesse Sophie de Roumanie : Lorsque j’ai vu la Roumanie du hublot de l’avion pour la toute première fois, recouverte de neige, l’émotion a été très forte. La rencontre avec mon pays que j’aimais depuis toujours mais que je ne connaissais pas en personne, a été d’un côté très violent, et de l’autre d’une tendresse infinie. Ce fut douloureux par l’absence des années d’exil et la connaissance de la souffrance du pays, mais joyeux aussi de pouvoir enfin fouler le sol roumain.
Ensuite, ce fut la cohue à l’aéroport, puis le choc de se trouver en face de notre pays à genoux, en ruines, où les gens ne souriaient pas, où le physique même de Bucarest était déchiqueté, un pays où les infrastructures étaient quasi inexistants. Il y avait tant de souffrance !
Noblesse et Royautés : Vous avez accompagné votre sœur dans le cadre des projets de la Fondation Princesse Margareta qui est encore aujourd’hui très active sur le terrain que ce soit au niveau du bien-être des enfants, des personnes âgées ou des jeunes artistes. Pouvez-vous nous parler des débuts de vos actions en Roumanie ?
Princesse Sophie de Roumanie : Au début, tout était à faire ! La tâche n’était pas moins que monumentale et titanesque.
Il était très important d’aider les Roumains à s’aider eux-mêmes et non de les assister, car sur le long terme cela ne les aiderait pas, et cela a été fait à travers des projets pilotes dans différents domaines, notamment dans le domaine de la santé qui était tout simplement dans un état catastrophique.
Dans un premier temps j’ai participé à l’organisation de la distribution d’aide humanitaire, car il n’y avait rien. Par exemple, les médecins utilisaient du carburant pour désinfecter les plaies car il n’y avait pas de désinfectant. Les bandages étaient des chiffons. Les seringues étaient d’un autre âge, et nous en avons amené des milliers, ainsi que des gants et des masques chirurgicaux. J’ai également contribué à trouver du personnel pour gérer la Fondation en Roumanie, à créer des brochures d’informations de nos actions, etc.
Pendant les cinq ans qui suivirent notre premier voyage, j’ai sillonné la Roumanie de fond en comble. Il m’est arrivé de loger chez des particuliers afin de discuter avec eux et de comprendre leurs problèmes au jour le jour. Je me suis rendue dans des orphelinats, des établissements pour les « irrécupérables », des maisons pour personnes âgées, des hôpitaux, J’ai découvert un hameau où l’on avait isolé des personnes atteintes de la lèpre dans un endroit très reculé, j’ai visité des écoles, des universités, des villages. Je me suis rendue dans le Delta du Danube – un des joyaux de la Roumanie, désigné aujourd’hui zone protégé par UNESCO – afin constater les dégâts écologiques. Et je ne vous cite que quelques exemples de mes actions en Roumanie.
Ces missions d’enquêtes ont contribué à l’accomplissement et à l’approfondissement des informations que ma sœur récoltait afin d’identifier des projets ciblés. La Fondation Princesse Margareta de Roumanie pouvait ainsi participer d’une manière très efficace à la reconstruction du pays et à aider nos compatriotes à récupérer leur identité après des décennies de tyrannie.
En tant que vice présidente de la Fondation à l’époque, j’ai également participé à la récolte de fonds ainsi qu’à la promotion des intérêts de la Fondation sur le plan international.
En 1995, j’ai fait publier à Bucarest un recueil d’histoires pour enfants que j’ai écrit. Le tirage fut de 10’000 exemplaires et tout à vendu. J’ai donné les bénéfices des ventes à la Fondation pour aider les enfants.
Je suis fière d’avoir pu contribuer à la Fondation à ses débuts, d’avoir pu épauler ma sœur dans son engagement dont le travail continue sans relâche aujourd’hui, et de voir que la Fondation a une place significative et très respectée dans la Roumanie d’aujourd’hui.
Noblesse et Royautés : Vous résidez à présent en Bretagne et n’étiez plus retournée en Roumanie depuis 17 ans. Comment avez-vous ressenti ce « retour » en 2015 ?
Princesse Sophie de Roumanie : Je l’ai ressenti tout simplement par l’amour profond que je porte à mon pays, et une grande joie de m’y retrouver comme si les années ne s’étaient pas écoulées.
Noblesse et Royautés : Avez-vous trouvé la capitale roumaine changée depuis votre dernière visite ?
Princesse Sophie de Roumanie : En effet, Bucarest a changé. Les magasins ont de belles vitrines illuminées, il y a des restaurants nouveaux partout, de la publicité sur les bâtiments, dont certains sont tous nouveaux, et d’autres rénovés. Les rues et les boulevards sont réparés. Cela m’a beaucoup plu de la retrouver plus belle et grouillante de vie.
Noblesse et Royautés : Comment se sont déroulées ces journées de cet anniversaire de ce retour historique des premiers membres de la famille royale voici 25 ans ?
Princesse Sophie de Roumanie : Tout d’abord, j’aimerai dire que ces journées ont été magnifiques, particulièrement en voyant le chemin parcouru en 25 ans. Revoir tous ceux, Roumains et autres, dont l’engagement et l’aide pendant toutes ces années ont donnés des résultats extraordinaires, a été une grande joie et j’ai été très émue aussi. Les journées de cet anniversaire se sont déroulées sous la forme d’une série d’événements.
Le 17 janvier, en compagnie de mes sœurs les Princesses Margareta et Marie, nous sommes réunis avec toutes les personnes, volontaires et autres qui travaillent, qui ont travaillé, et qui ont bénéficié de la Fondation, Princesse Margareta de Roumanie dans la salle « Georghe Focsa » du « Dimitrie Gusti », Musée National du Village.
Le matin du 18 janvier, nous avons été reçus, avec des personnalités venues des Etats-Unis, la Suisse, la France, la Russie, les Pays-Bas, la Suède et l’Espagne, à la télévision roumaine qui avait retransmis les événements historiques de décembre 1989.
Le dimanche soir, nous avons assisté à un concert sublime à l’Athénée Roumain. La Camerata Regala a été fantastique, le violoniste Remus Azoitei extraordinaire, et le cœur de la philharmonique « George Enescu » sous la direction du Maestro Horia Andreescu fut particulièrement émouvant.
La soirée se poursuivit par un diner officiel où nous avons été les hôtes de la Savings Bank Palace (le Palais de la Banque d’Epargne), en présence de la Famille Royale, le Prince Lorenz de Belgique, S.E. Victor Ponta le Premier Ministre, S.E. Calin Popescu-Tariceanu, Président du Sénat, S.E. Emil Constantinescu ancien président (1996-2000), M. Dorin Chirtoaca maire de la ville de Kishinev (République de Moldavie), ainsi que 200 convives dont des personnalités étrangères, et des représentants de la société roumaine qui ont soutenu ma famille durant les derniers 25 ans.
Noblesse et Royautés : Avez-vous des projets artistiques sur place dans le cadre des expositions que vous réalisez régulièrement en France avec vos photographies ?
Princesse Sophie de Roumanie : J’ai été reçue par une maison d’édition roumaine à Bucarest tout récemment. Nous avons un projet de livre de photos de Roumanie qui devrait aboutir d’ici 2016.
Je me réjouis à l’idée de retourner en Roumanie pour prendre les photos, un rêve que je chéri depuis fort longtemps, et de continuer ainsi à promouvoir, d’une façon très personnelle en tant qu’artiste photographe, mon beau pays qui a encore tant à offrir.
Noblesse et Royautés : Vos sœurs les Princesses Margareta et Marie ainsi que votre neveu le Prince Nicolas sont établis à Bucarest, est-ce que cela peut laisser entrevoir des perspectives de revenir désormais plus régulièrement en Roumanie ?
Princesse Sophie de Roumanie : L’avenir le dira.
Noblesse et Royautés remercie la princesse Sophie de Roumanie pour sa disponibilité renouvelée ainsi que Monsieur Traian Sarca du secrétariat royal à Bucarest.
JAY
9 février 2015 @ 15:32
Pourquoi ne vient elle pas en Roumanie ?
Anastasie
9 février 2015 @ 18:52
Quelle chance vous avez eue, chère Régine, d’avoir eu cet entretien avec la Princesse Sophie qui nous a fait partagé ses impressions sur son arrivée en Roumanie il y a vingt-cinq ans, des débuts de la Fondation Princesse Margareta et de la situation actuelle.
J’espère que le projet de livre sur la Roumanie de la Princesse Sophie pourra se concrétiser car je suis sûre qu’elle arrivera à capter l’esprit de ce pays si attachant.
Francine du Canada
9 février 2015 @ 23:37
Oh oui Anastasie; je suis charmée par cet entretien. FdC
Damien B.
9 février 2015 @ 19:27
Merci Régine pour cette interview très intéressante de la princesse Sophie de Roumanie, laquelle descend de ces princes de Hohenzollern-Sigmaringen que j’aime tant.
Le roi Charles I de Roumanie avait accepté en 1866 le considérable défi de devenir prince-souverain des principautés roumaines alors déchirées entre les intérêts de deux puissantes voisines : la Russie et la Turquie.
Ses descendants actuels peuvent être fiers du parcours accompli par leur aïeul et je suis très curieux de savoir si un jour la Roumanie redeviendra un royaume, ce que j’espère vivement.
Laurent F
10 février 2015 @ 09:13
Vous aimez les Hohenzollern Sigmaringen ? quelle drôle d’idée !
Damien B.
10 février 2015 @ 13:00
Les princes de Hohenzollern-Sigamringen sont en effet peu connus dans les pays francophones.
Pourtant certains d’entre eux ont joué un rôle clef dans l’histoire : je songe notamment au prince Charles-Antoine, père de la comtesse de Flandre et bien entendu au premier roi de Roumanie.
Si à cela on ajoute le rôle de mécènes qu’ils ont aimé jouer au fil des siècles (Léopold à Benrath par exemple) et leur personnalité sans compromission, alors oui je nourris à leur égard un vif intérêt.
C’est peut-être rassurant de s’attacher à des figures connues de l’Histoire, mais cela devient vite lassant et donne l’impression de stagner avec les mêmes histoires, de ne pas avancer et de se priver de choses plus riches, plus inédites.
Charles
10 février 2015 @ 11:41
Moi également, j’ai de l’affection pour les membres de la Maison de Roumanie.
aubert
9 février 2015 @ 19:41
Entretien intéressant qui apporte des informations sur le rôle des princesses en Roumanie et sur l’état dans lequel le régime communiste a laissé le pays.
COLETTE C.
9 février 2015 @ 20:09
Qui finance ces « festivités » (concert, repas…), le gouvernement ou les membres de la famille royale ?
otma
10 février 2015 @ 06:56
Posez les mêmes questions pour les Serbes et leur « modeste » complexe Royal de Belgrade ! Toute famille de cinq personnes à forcément besoin d’une brigade dans ses cuisines…….
Figaro
10 février 2015 @ 23:25
Une brigade de cuisine obligatoire pour une famille de cinq personnes ? Bigre, vous avez la folie des grandeurs pour une famille non régnante ! Un cuisinier devrait suffire .
Xavier
9 février 2015 @ 22:28
Merci pour ce témoignage!
Nous sommes loin, très loin même, d’une famille royale vivant uniquement en représentation, et se prélassant dans un luxe indécent, comme certains commentateurs s’obstinent à le dire.
patricio
10 février 2015 @ 11:28
Entièrement d’accord avec vous Xavier
amitiés
patricio
Charles
9 février 2015 @ 22:35
Merci à la princesse Sophie d’avoir eu le gentillesse de répondre à Noblesse et Royautés.
Cet entretien est intéressant et je souhaite le meilleur à la Maison de Roumanie, une Famille royale que j’apprécie pour son courage, son attachement à son pays et sa simplicité.
Les filles du roi Michel ont vécu une enfance quelquefois difficile sur le plan financier mais riche sur le plan familial et humain.
Dame Tartine
11 février 2015 @ 11:10
Quand on a beaucoup d’enfants (parce qu’on espère un fils) et qu’on vit d’un seul salaire, celui du père qui travaille, ce qui est très honorable, il est difficile de ne pas avoir des fins de mois difficiles.
Michel Lacroix
10 février 2015 @ 06:00
J’aurais aimé savoir son impression sur l’hypothétique retour de la monarchie en Roumanie.
Claudia
10 février 2015 @ 08:25
Cet entretien est très intéressant, merci Régine ; j’avais fait un voyage en Roumanie dans les années 80, j’avais été frappée par le dénuement qui y existait (par contre le portrait de Caucescu était partout…) et par la pauvreté de ce pays ; les communistes ont fait tellement de mal partout, que la tâche du roi Michel et de sa famille, même si la royauté n’est pas restaurée dans ce pays, est bien rude.
Clara
10 février 2015 @ 10:52
Merci pour cet entretien très intéressant.
La princesse Sophie d’après son récit était très impliquée les premières années aussi dans la fondation que sur place en Roumanie, savons nous pour quelle raison elle n’est pas retournée en Roumanie depuis 17 ans ?
Caroline
10 février 2015 @ 20:38
Merci pour cet entretien sympathique !
Ce serait intéressant de connaitre la seconde soeur de Margareta de Roumanie,la princesse Elena de Roumanie elle-meme mère du futur prince héritier Nicolas de Roumanie!