Dans les années 1880, le tourisme est de nouveau florissant dans le Midi de la France, après les années creuses au lendemain de la guerre contre la Prusse.
Le littoral d’une beauté exceptionnelle entre Marseille et Gênes est désormais baptisé Côte d’Azur dans un guide de voyage du même nom, publié en 1887 par l’écrivain et poète dijonnais Stéphen Liégeard.
Les liaisons ferroviaires s’améliorent, attirant un nombre croissant de visiteurs. Au début des années 1860, il y a environ 4.000 « hivernants » à Nice, à la fin du siècle ils sont quelque 100.000.
En cinquante ans, de 1861 à 1911, la fin de la Belle Epoque, le population des Alpes Maritimes augmente de de 83% à comparer aux 5,9% pour l’ensemble de la France
Comme Villemessant l’a pressenti, Antibes et ses environs attirent artistes et hommes de lettres qui cherchent la paix et l’inspiration dans les paysages méridionaux… Picasso, Bonnard, Chagall…
Il y a un nouvel afflux d’aristocrates britanniques, dont beaucoup font partie de l’entourage de la famille royale britannique, à l’exemple de la reine Victoria (pour la première fois en 1882) et du prince de Galles. Le prince Léopold meurt à Cannes en 1884.
En 1886, on crée le Calais-Méditerranée Express, rebaptisé Méditerranée Express en 1889-1890.
Le roi des Belges Léopold II achète la villa Les Cèdres au Cap-Ferrat et l’impératrice Eugénie séjourne au cap Martin, où elle fait de longues promenades avec l’impératrice Elisabeth d’Autriche.
L’impératrice Eugénie, l’impératrice Elisabeth d’Autriche et l’empereur François Joseph au Cap Martin. Années 1890 – auteur inconnu
Le Grand Hôtel du Cap à Antibes est connu bien au-delà des confins de la Côte d’Azur, mais il lui manque une direction de premier ordre.
Quand Antoine Sella fait voile vers Gênes, il est plein d’espoir et d’enthousiasme à la perspective de voir de ses propres yeux ce trésor négligé.
La famille Sella a ses racines dans la petite ville de Biella, près de la frontière suisse, dans les contreforts des Alpes italiennes : c’est une importante tribu, qui connait la réussite et la prospérité dans différents domaines.
Antoine Sella et son fils, André Sella, © 1928; Riva yachts à l’Hôtel du Cap-Eden-Roc
Les propriétaires l’engagent comme directeur, avec un contrat qui lui offre 10% des recettes en commissions. Il se consacre entièrement à la tâche et, en l’espace de deux ans, en janvier 1889, le Grand Hôtel du Cap rénové rouvre ses portes au public.
Le 31 mars, l’Avenir d’Antibes note que l’hôtel est complet grâce à l’excellente gestion de Sella. Les améliorations se poursuivent quand l’hôtel ferme pour la saison estivale.
Alors que ses finances sont au plus bas, la chance sourit à Sella. Il organise une somptueuse réception pour le grand-duc de Mecklembourg-Schwerin quand l’un des invités, James Gordon Bennett Jr, l’immensément riche éditeur du New York Herald reçoit un câble de sa soeur, Madame Isaac Bell, veuve depuis peu, qui cherche un endroit pour un long séjour avec sa famille et ses domestiques, en tout 14 personnes.
James Gordon Bennett Jr – Photo domaine public
Il se fait montrer les trois plus belles chambres par Sella lui-même, déclare qu’il les prendra toutes et verse un acompte de 10.000 francs.
Quand sa soeur arrive, elle est ravie des jardins et de l’emplacement au bord de mer : ne « voulant pas être importunée par des notes à régler », elle remet encore 30.000 francs, en lui demandant de la prévenir quand l’argent viendrait à manquer. Sella a son premier client prestigieux.
En 1902-1903, il achète les actions des propriétaires français. Les clients sont encouragés à revenir, mais l’hôtel a besoin d’être modernisé.
Un jour de 1903 que Sella discute sur le quai de la gare d’Antibes avec un riche client, le quatrième comte William d’Onslow, il soupire : « Quel dommage que, n’étant pas propriétaire de l’hôtel, je ne sois pas en mesure d’installer le chauffage central, des salles de bains, un ascenseur… Toutes ces choses qui sont indispensables de nos jours ! »
« Pourquoi ne l’achetez-vous pas ? lui demande Lord Onslow
-Malheureusement, je n’ai pas le demi-million nécessaire pour le faire ! » répond Sella
Aussitôt, le comte sort son carnet de chèques, griffonne le montant requis, signe et tend à Sella ce dont il avait besoin. « Maintenant, allez l’acheter. Nous nous mettrons d’accord sur le remboursement plus tard ! »
Quatrième comte William d’Onslow – Photo domaine public
Ce geste exceptionnel change du jour au lendemain la destinée de l’hôtel, dont Sella est désormais le seul propriétaire ainsi que huit hectares de terrain.
Il lance un programme de modernisation de l’hôtel qui est achevé en 1911. Une réclame se targue de 100 chambres, dont 25 avec salle de bains attenante. Il expérimente la saison d’été à Antibes.
En 1909, Antibes inaugure son propre casino, et le succès est immédiat.
Les compétitions sportives connaissent alors une grande vogue : le premier rallye de Monte-Carlo a lieu en janvier 1911, des golfs sont créés
Rallye Monte Carlo 1911 – la Gobron-Brillié 40Hp de J. de Aspiagu – Domaine public
L’une des dernière choses que fait Sella avant la guerre de 1914-1918 est de faire construire le pavillon Eden-Roc, dont le but est de créer une annexe au bord de l’eau qui puisse recevoir plus de clients. (Merci à Pistounette – Source : Livre Hôtel du Cap Eden Roc par Alexandra Campbell – A suivre…)
Régine ⋅ Actualité 2022, France, Hôtels de légende 12 Comments
Cosmo
19 avril 2022 @ 07:01
C’est en signant un chèque à la fin repas que Mr Varsano acheta le château de Madrid, alors un hôtel restaurant à Beaulieu sur mer, pour son épouse Lydia. Il devint alors un haut lieu de la vie mondaine sur la Côte d’Azur. Comme quoi, avoir de l’argent, beaucoup d’argent, cela aide à s’offrir des caprices.
Baboula
19 avril 2022 @ 07:04
Je ne vais pas chicaner mais je ne crois pas que les artistes cités soient venus si tôt sur la Côte d’Azur ,ils n’ont pas été les précurseurs .
Pistounette
19 avril 2022 @ 20:36
Sans chicaner, Baboula… Villemessant ne donnait pas de date précise pour que les artistes soient attirés par la région, et je n’utilise pas le mot « précurseur »
Bonnard : bien que partagé entre la Normandie et Paris, fait de fréquents séjours sur la Côte au début du 20è s, attiré par sa lumière avant de s’établier au Cannet en 1922
Matisse : après être venu plusieurs fois, s’établit à Nice en 1916-1917
Renoir : en 1903 s’installe à Cagnes-sur-Mer où il reçoit souvent pour de longs séjours Matisse ainsi que plusieurs autres artistes, dont Modigliani, Bonnard, Rodin… Il fait l’acquisition du domaine des Collettes en 1907
Picasso : fait de longs séjours en 1923 au Cap d’Antibes et en 1924 à Juan-les-Pins (villa La Vigie) avant de s’y installer des années plus tard
Signac : achète à Saint-Tropez la villa La Hune en 1897
Et n’oublions pas bien sûr Cocteau, Chagall, Nicolas de Staël, Fernand Léger…
Baboula
20 avril 2022 @ 01:57
Pour venir de visionner le film ‘Renoir ‘ je peux dire que l’artiste s’est installé en 1903 à Cagnes s/ mer, y est décédé en décembre 1919 dans la maison du domaine des Collettes qu’il avait faite construire .
Agnese
19 avril 2022 @ 08:46
Merci Pistounette de nous raconter l’histoire de ce bel hôtel mythique.
Aldona
19 avril 2022 @ 10:17
Merci Pistounette pour cette 2ème partie, la chance est omniprésente dans la vie de Mr Sella
Pierre-Yves
19 avril 2022 @ 13:21
Ce qui est bien, lorsqu’on connaît un peu les lieux (je parle du Cap d’Antibes plus que de l’hôtel lui-même), c’est qu’on peut aisément tout visualiser en même temps qu’on lit le très intéressant récit de Pistounette.
berton
19 avril 2022 @ 15:05
Merci beaucoup, toujours intéressant ! J’aime bien , il sort son chéquier , signe un chèque et on verra après …. Je pense que de nos jours cela serait impensable !
Trianon
19 avril 2022 @ 15:44
Merci beaucoup ! Aussi plaisant qu’instructif !
Ciboulette
19 avril 2022 @ 18:13
Cela continue comme un conte de fées . . .
Dom
19 avril 2022 @ 19:35
Très instructif
Merci beaucoup
Lunaforever
19 avril 2022 @ 23:00
J’ai un copain détective privé qui y va régulièrement,défrayé de tout, pour faire d’intéressants reportages photos😉 qui mènent à des divorces lucratifs💵! Il ne dit jamais le nom de ses clients mais raconte toujours plein d’anecdotes !