La « guerre pour mettre fin à toutes les guerres » commence en 1914 dans le nord de la France, à 800km de la Côte d’Azur. Les hommes de tout le pays s’engagent pour défendre leur patrie. Les clients étrangers rentrent chez eux aussi vite que possible, les chemins de fer sont perturbés.
Les employés partis à l’armée sont remplacés par la famille. Les fils de Sella, André et Alfonso partent au combat, tandis que leurs filles, Irène et Adrienne, se consacrent à l’hôtel.
Avec l’effondrement de l’industrie touristique, beaucoup d’hôtels cherchent un autre usage et, pour soutenir l’effort de guerre, deviennent des centres de soins pour soldats blessés.
Le Grand Hôtel du Cap devient la « Maison de convalescence n°11 de la Croix-Rouge américaine », gérée comme une maison de convalescence pour les infirmières et le personnel féminin de l’armée (plus d’une centaine de personnes), qui la surnomment Le Paradis. Elles aiment se rafraîchir dans le bassin d’eau de mer du pavillon Eden-Roc, creusé à même la roche.
Sella a la chance de voir ses fils revenir indemnes du combat. La décennie qui suit la guerre est une période où l’on aspire profondément à la liberté d’expression.
Les touristes américains arrivent en nombre, et on ne voit plus que quelques Russes à des emplois qu’ils n’auraient jamais occupés avant guerre – un colonel russe, autrefois attaché à la maison du grand-duc Nicolas, devient contrôleur financier à l’hôtel.
Des couples et des aristocrates plus jeunes cherchent à s’amuser au soleil : le mélange de sea, sex and sun est né dans les années 1920.
Parmi les Français passant leurs vacances dans le Midi avant la guerre, et qui reviennent, se trouve le photographe Jacques Henri Lartigue, qui restera lié pendant plus de 60 ans à l’hôtel de Sella. Il y joue au tennis avec la grande championne Suzanne Lenglen et s’y marie avec Madeleine Messager, la fille du compositeur André Messager.
Jacques Henri Lartigue – Ministère de la culture France/AAJHL
Cole Porter et son épouse furent parmi les premiers de l’élite culturelle américaine à y venir en 1921 et 1922, entraînant dans leur sillage le couple Sara et Gerald Murphy, qui va devenir le pivot de la communauté expatriée.
Sara et Gerald Murphy en 1923 à Antibes – Auteur inconnu – Domaine public
1923 est la première « saison d’été » au Cap d’Antibes, le couple Murphy y restant de juin à septembre. Ils reçoivent avec beaucoup de classe, un peu comme les grands-ducs du passé.
Parmi les invités figurent Picasso et son épouse Olga, qui y dessine notamment son Nu allongé au bord de la mer.
Nu allongé au bord de la mer – Picasso 1923 – © Succession Picasso 2008
C’est une période de prospérité pour l’hôtel, dont le transfert des responsabilités entre Antoine et André commence à se faire sans heurts dans les années 1920.
En 1923, The Chicago Tribune pense qu’il y a assez d’Américains vivant sur la Côte d’Azur pour justifier l’ouverture d’un bureau à Nice, dont le rédacteur en chef est James Thurber.
En 1924 arrive le couple Scott et Zelda Fitzgerald, et ce séjour sur la Côte d’Azur change leur vie.
Scott et Zelda Fitzgerald – © Radio France
Fitzgerald écrit Gatsby le Magnifique à l’époque (1925) et fonde ensuite une partie de Tendre est la nuit sur sa vie au Cap d’Antibes. Paru en 1934, il débute dans le Grand Hôtel du Cap, et dépeint le couple d’Américains Dick et Nicole Diver, en qui d’aucuns voient des similitudes avec Sara et Gerald Murphy. La dédicace « Pour Gerald et Sara, tant de fêtes » dénote de la nostalgie, comme un parfum de champagne et de soirées d’été.
Le livre ne reçoit à l’époque qu’un accueil mitigé, mais est désormais reconnu comme un chef d’oeuvre moderne, avec quelques sublimes descriptions du Cap d’Antibes et des habitudes quotidiennes des clients du Grand Hôtel du Cap dans les années 1920
Gerald et Sara Murphy sur la plage de la Garoupe. Granger, NYC / The Granger Collection
A partir de 1925, les Murphy vivent dans leur maison Villa America (qui devient Villa Diana dans Tendre est la nuit), puis achètent la goélette de trente mètres Weatherbird, sur laquelle ils reçoivent de nombreuses célébrités, dont les Hemingway. Par contraste avec l’agitation de Scott et Zelda, les Murphy « offrent un modèle de sérénité et d’équilibre », d’après André Le Vot, le biographe de Fitzgerald.
En octobre 1929, ils partent dix-huit mois en Suisse pour la santé d’un de leurs fils. Après un retour de quelques mois dans le Midi, ils repartent aux Etats-Unis où leurs deux fils vont mourir, l’un d’une méningite foudroyante et l’autre de la tuberculose.
Dans une lettre bouleversante à Fitzgerald, il écrit « Je sais que ce que tu disais dans Tendre est la nuit est vrai. Seule la part inventée de notre vie – la part irréelle – a le moindre sens et la moindre beauté. Le vie elle-même a maintenant fait irruption, et nous a embrouillés, mutilés et détruits ». (Merci à Pistounette – Source : Livre Hôtel du Cap Eden Roc par Alexandra Campbell – A suivre …)
Régine ⋅ Actualité 2022, France, Hôtels de légende 14 Comments
pimont
20 avril 2022 @ 06:07
Moi qui ne vois que par les immenses plages de sable, cet endroit n’est décidément pas pour moi…s’il faut mettre des chaussures de chantier pour ne pas se blesser en se baignant, merci je passe mon tour…
Marie-F
20 avril 2022 @ 07:09
Passionnant récit qui nous tient en haleine jusqu’à la dernière ligne ! Merci Régine merci Pistounette !!
Baboula
20 avril 2022 @ 07:53
La Légende de l’Eden Roc se met en place .
Jean Pierre
20 avril 2022 @ 08:29
Par rapport aux périodes précédentes, il me semble que ce n’est déjà plus « l’hiver dans le midi ». La plage apparaît.
Aldona
20 avril 2022 @ 08:56
Oh merci Pistounette pour ce beau reportage, j’ai appris beaucoup de choses. l’extrait de la lettre envoyée à Fitzgerald est très émouvante, et j’aime beaucoup le graphisme de l’affiche, très colorée.
JAusten
20 avril 2022 @ 11:06
très intéressant Pistounette ; ça m’ouvre un champ de possibilités de lectures futures.
Instal
20 avril 2022 @ 11:41
Merci pour cette série passionnante!
Trianon
20 avril 2022 @ 13:29
Un merci renouvelé,..c’est vraiment intéressant !
Guizmo
20 avril 2022 @ 14:44
Merci beaucoup pour cette 3ème partie. C’est vraiment intéressant.
Mary 🐇
20 avril 2022 @ 19:26
Perdre ses enfants…c’est une douleur que je ne veux même pas imaginer🙏🙏🙏!
Caroline
20 avril 2022 @ 21:48
Très intéressant à lire !
Merci à Pistounette !
Danielle
21 avril 2022 @ 11:21
Merci Pistounette de nous faire revivre l’histoire de cet hôtel et de la vie sur la côte.
Michele Lobre
21 avril 2022 @ 15:02
L’endroit est toujours paradisiaque tôt le matin et l’hiver . Actuellement deux plages privées occupent la plage de la Garoupe et derrière un parking l’ete c’est infernal. De plus la crique est envahie par des yachts toujours plus gigantesques. Au fond derrière les barques se trouve un sentier littoral qui fait une bonne partie du cap , longeant le mur d’enceinte de la propriété du milliardaire russe Abraamovitch. Mais il y a aussi la villa Eileen Gray a visité , meublée avec un magnifique parc devenue propriété de la ville d’Antibes qui y donne des réceptions.
Pistounette
22 avril 2022 @ 12:21
La « plage de la Garoupe » est connue des Antibois/Juanais comme Plage Keller. Le sentier qui en part est le Chemin des Contrebandiers qui longe non seulement le château de la Cröe qui appartient à Roman Abramovitch… mais plusieurs propriétés appartenant à des oligarques russes. Il se termine non pas à la Villa Eileen Gray (qui se trouve à Roquebrune-Cap-Martin) mais à la Villa Eilenroc, pur produit Napoléon III. Dans une semaine la roseraie sera toute fleurie et j’invite les personnes qui passent dans le coin à venir la visiter… une splendeur !