La naissance du Dauphin est l’occasion de nombreuses fêtes. Pour renfermer les boiseries et costumes nécessaires aux réjouissances, deux immeubles sont d’abord loués au Parc aux Cerfs. Ces resserres sont utilisées jusqu’à ce que Louis XV achète un terrain et y fasse édifier en 1748 un hôtel à deux pas du château qui va être occupé par l’administration des Menus-Plaisirs.
Il abritait ainsi les ateliers de décors et le matériel des jeux liés aux réjouissances du roi et de la cour.
L’administration des Menus-Plaisirs a été créée dès 1627, c’est-à-dire sous le règne de Louis XIII. Son rôle était de gérer les fêtes et les cérémonies nuptiales et funèbres. Disposant d’une trésorerie propre, il était dirigé tour à tour par l’un des quatre gentilshommes de la Chambre qui approchaient journellement le roi.
Cependant ce n’est que sous celui de Louis XIV, son fils, qu’elle prendra toute son ampleur. Les Menus-Plaisirs vont rapidement être la principale institution chargée de l’organisation des plaisirs culturels de la Cour : les représentations de théâtre et d’opéra, bien sûr, mais également les fêtes et cérémonies de Cour qui vont prendre de plus en plus d’importance à partir du moment où le jeune Louis XIV assoit son pouvoir personnel, à partir des années 1660. L’organisation des spectacles de cour doit satisfaire à plusieurs exigences : il s’agit d’une part de divertir un public privilégié, mondain, « éclairé » – la cour et la famille royale – par la représentation agréable d’œuvres diverses et capable de séduire l’esprit par une « belle » mise en scène fondée essentiellement sur le spectaculaire visuel ; d’autre part, il s’agit de flatter le goût de ce public en ne lui faisant pas seulement éprouver les plaisirs de l’illusion théâtrale et de sa magie, mais en lui donnant aussi l’illusion qu’il assiste à un spectacle fabuleux, majestueux, magnifique et somptueux, c’est-à-dire qui montre de manière ostensible, une certaine opulence et par là même une certaine idée du luxe.
C’est ainsi que naquit l’Administration de l’Argenterie, des Menus-Plaisirs et Affaires de la Chambre du Roi, destinée à se maintenir jusqu’à la fin de l’Ancien Régime et à contribuer de façon décisive au rayonnement de la France dans toute l’Europe des XVIIe et XVIIIe siècles. D’abord localisée à Paris, cette administration se déplace ensuite à Versailles, après l’installation de la Cour en 1682.
Disposant de nombreuses et grandes salles, l’Hôtel permettait notamment d’y entreposer accessoires, décors, etc. utilisés pour les représentations de théâtre et d’opéra lors des fêtes données devant la Cour à Versailles. Il fut agrandi en 1786 par la construction d’un magasin. C’est là également que logeait et travaillait l’Intendant des Menus-Plaisirs, chargé de l’administration des spectacles et représentations au Château. L’un d’eux, Denis Papillon de la Ferté, a laissé son Journal qui nous renseigne sur l’institution à la veille de la Révolution. Le Journal de Papillon de la Ferté est intéressant à maints égards en ce qu’il donne une vision à la fois extérieure des spectacles (les aspirations et le goût du public, les décors et les costumes etc.), mais aussi intérieure (la gestion des spectacles). Il démontre clairement la mise en œuvre, sous Louis XV, d’une politique d’économie du luxe quand bien même ce luxe n’est qu’à crédit et de plus en plus discrédité dans l’opinion publique ; il affirme enfin la nécessité des spectacles pour la société en général et pour le bien du Royaume. Denis Papillon de la Ferté périt sur l’échafaud durant la Terreur, âgé de près de soixante-dix ans.
Les attributions des Menus sont très étendues et touchent de près les membres de la famille royale. On y gère l’ensemble du personnel attaché à la Cour (musiciens, médecins, gentilshommes, etc.), l’entretien des voitures et des magasins, les fêtes religieuses, les spectacles, les événements dynastiques (naissances, mariages, funérailles, etc.), les Lits de Justice, etc. À ces attributions s’ajoutent, au cours du XVIIIe siècle, l’administration de la Comédie-Française, de la Comédie-Italienne et de l’Opéra.
C’est aussi là que fut installé en 1759, le cabinet de physique des Enfants de France qui purent assister aux expériences faites par l’abbé Nollet, membre de l’Académie des Sciences.
Avec la Restauration, les Menus-Plaisirs reparurent, mais bien déchus de leur ancienne splendeur, avant d’être définitivement emportés par la Révolution de 1830.
Les derniers intendants des Menus-Plaisirs, fonctionnaires placés sous les ordres immédiats du ministre de la maison du roi, furent Des Entelles, qui fut désigné pour cet office en 1814, et Papillon de la Ferté, fils du précédent, qui succéda à Des Entelles, aux environs de 1820.
L’Hôtel est entré dans l’Histoire en accueillant l’assemblée des Notables, puis le 5 mai 1789, les bâtiments sont choisis pour accueillir la cérémonie d’ouverture des États-Généraux, qui deviendront par la suite « Assemblée nationale » : la Révolution française est en marche.
Pour accueillir les deux assemblées des notables puis celle des États généraux, on décida de monter une salle en planches dans la cour haute de l’hôtel. À l’intérieur, le souverain est alors installé sous un baldaquin. Mille cent dix-huit députés représentaient les trois ordres : clergé, noblesse et tiers état. La mise en place des députés marquait la volonté de ne pas changer l’ordre ancien. Les trois ordres étaient assis séparément dans les gradins disposés en fer à cheval. La salle dut être réaménagée afin que les orateurs puissent mieux s’ entendre et que les débats soient gérer avec plus d’efficacité. Les bâtiments actuels étant occupés à l’époque par des bureaux et des salles de réunion, destinés aux travaux de l’assemblée. À la même époque, le grand escalier de l’aile Est a été construit et existe encore.
Cette grande salle ne fut d’abord destinée qu’à accueillir les séances plénières des États généraux, comme celle de l’ouverture, le 5 mai ou les séances royales qui devaient jalonner les travaux des députés, ceux-ci travaillant dans des salles séparées, selon la tradition des États généraux. Deux votes majeurs changent alors le cours de l’histoire et feront de ce lieu le berceau de la citoyenneté française : l’abolition des privilèges (4 août 1789) et la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (26 août 1789).
Après les journées révolutionnaires d’octobre 1789 qui ramenèrent la famille royale à Paris, l’Assemblée quitta Versailles pour la capitale. Après le départ des députés, le site perd son rôle de théâtre privilégié de l’Histoire et entre dans une période de déclin.
L’hôtel alors sert de magasin de vivres pour l’armée et en 1791, le bâtiment est affecté au régiment des Flandres, bien que de nombreux accessoires de théâtre soient encore conservés dans les réserves, ce qui attise d’ailleurs la convoitise de directeurs de salles parisiennes qui y viennent régulièrement se servir…
Transformé en caserne pour les volontaires des corps de gendarmerie, il devient un centre de distribution de pain pour les troupes avant d’être finalement vendu à un certain sieur Dubusc en 1800. Cependant, le préfet obtient l’annulation de la vente un an plus tard, mais déjà le mal est fait : entre temps, l’acheteur a malheureusement déjà fait démolir une grande partie des locaux historiques dont la fameuse salle des États Généraux, mais on peut voir aujourd’hui son tracé reproduit sur le sol de cette cour qui sert de lieu de récréation aux élèves du Centre de Musique Baroque de Versailles (accessible par l’escalier du fond de la cour basse).
L’ensemble du site est réintégré dans le domaine de la Couronne en 1812. Sous la Restauration il fut rattachée à l’intendance des Menus Plaisirs du Roi, rétablie en août 1814 sous l’autorité du ministre de la Maison du roi et supprimée le 28 août 1824 par décision royale. L’hôtel deviendra alors une caserne de cavalerie, puis sera abandonné pendant plus d’un siècle jusqu’à ce que la ville de Versailles y installe ses services techniques en 1942.
En 1948, il passe sous tutelle du Ministère de l’Éducation nationale puis sous celle du Ministère de la Culture. Le vénérable Hôtel périclita et se dégrada jusqu’aux rénovations entreprises en 1989. L’État fera restaurer ces lieux dans le cadre des célébrations du bicentenaire de la Révolution.
Depuis 1996, l’hôtel des Menus-Plaisirs renoue avec sa vocation d’origine et abrite le Centre de musique baroque de Versailles (CMBV) dont la mission nationale est de redécouvrir et de valoriser le patrimoine musical français des XVIIIe et XVIIIe siècles. À travers ses activités de recherche, de formation, de production de concerts et de spectacles et de mise à disposition de ressources, le CMBV s’engage plus que jamais à explorer ce patrimoine oublié et à le faire rayonner en France et dans le monde.
L’ensemble architectural s’articule autour de deux cours situées à des niveaux différents. La cour basse ouvre sur le n°22 avenue de Paris, tandis la cour haute se situe au niveau du n°19 rue des États Généraux. L’hôtel, en dehors de ses façades, fait l’objet d’une inscription au titre des monuments historiques depuis le 21 mai 1927. Les façades font l’objet d’un classement au titre des monuments historiques depuis le 16 septembre 1929. (Merci à Guizmo)
Bambou
5 mars 2021 @ 07:00
Article fort instructif
Mais comment s’étonner après de ce qui s’est passé pour la monarchie en France ? !!!
aubert
5 mars 2021 @ 17:28
Il faut y mettre du sien pour trouver dans cette relation de quoi faire une révolution et renverser une monarchie.
Ode
5 mars 2021 @ 08:51
Merci vraiment.
Robespierre
5 mars 2021 @ 09:04
On n’a pas besoin d’aller dans un musée pour rencontrer le XVIIIe Siècle. A une époque, j’ai aimé me promener dans certains quartiers de Versailles, où toutes les maisons étaient de cette époque. Une maison avec une petite cour qui ne payait pas de mine attira un jour mon attention. Dans cette cour une porte ouvrait sur un petit escalier et j’eus une impression étrange. Je me sentais renvoyé dans le passé. Quelques jours après, j’appris lors d’un tour de la ville avec un conférencier et un petit groupe que c’était l’hôtel plutôt modeste où Joseph II était descendu, parce qu’il ne voulait pas loger à Versailles. L’immeuble que nous montre Guizmo est vraiment intéressant. Il est parlant, et nous renvoie au passé. Il y a aussi la maison bourgeoise du Parc aux Cerfs où Louis XV logeait une maîtresse à la fois, et qui pourrait être la maison d’une famille aisée actuelle. Le carrefour en plein centre de Versailles où les prisonniers d’Orléans furent massacrés par des enragés pour qu’ils n’arrivent pas à Paris au Tribunal. J’espère que ces visites avec conférencier existent encore. Je trouve que le XVIIIe est si proche de nous.
Pistounette
5 mars 2021 @ 14:28
Je suis d’accord avec vous, Robespierre.
Durant les 3 ans que j’ai travaillé à La Défense, j’allais souvent à Versailles, je « poussais des portes » et je trouvais de petits bijoux
Merci Guizmo, c’est très intéressant
Karabakh
5 mars 2021 @ 15:30
Ces visites existent encore. 😉
Leonor
5 mars 2021 @ 09:24
Merci Guizmo. Que dire d’autre ?
framboiz07
5 mars 2021 @ 14:40
Fermé le jour du Jeu de Paume et du Serment , les constitutionnels allèrent au Jeu de Paume pour le serment , car cette salle avait été fermée par le marquis de Dreux -Brézé ,si je me souviens bien …Merci,beau reportage !
galetoun
5 mars 2021 @ 09:31
Je n’ose imaginer le stock formidable de décors et costumes conservés là. Qu’en reste t’il?
Caroline
5 mars 2021 @ 09:51
Très intéressant et surprenant à la fois ! Jamais entendu parler de cet hôtel !
Merci à Guizmo pour cette nouvelle mini- leçon d’ Histoire de France ! 👍
Pascal
5 mars 2021 @ 10:44
Bien que tout à fait béotien dans ce domaine comme bien d’autres , j’apprécie la musique baroque et je suis heureux d’apprendre que ces bâtiments , sobres mais beaux , lui sont désormais consacrés .
Pierre-Yves
5 mars 2021 @ 11:07
Merci à Guizmo pour cet article érudit et passionnant.
Au XIXème siècle, sous les Bourbons et la Monarchie de Juillet, un Hôtel des Menus Plaisirs, édifié à la fin du XVIIIème sur des terrains situés dans l’actuel 9ème arrondissement, entre le Faubourg Poissonnière, la rue Richer, et la rue Bergère, a servi à son tour de garde-meuble royal.
Sous Napoléon III, l’édifice a changé de destination et a accueilli le Conservatoire de Musique et de Déclamation.
Plus tard, la Musique a été délocalisée rue de Madrid, et l’Art Dramatique est resté dans l’ancien bâtiment des Menus Plaisirs, dont l’entrée se situe sur l’actuelle rue du Conservatoire.
Menthe
5 mars 2021 @ 11:24
Grace à Guizmo et Pistounette nous sommes gâtés en lectures historiques très intéressantes.
Merci à toutes les deux.
Caroline
5 mars 2021 @ 13:28
Menthe,
👍👍👍👍👍👍👍👍👍
luigi
5 mars 2021 @ 12:05
Très plaisant à lire, merci à Guizmo.
Ciboulette
5 mars 2021 @ 15:06
Merci , Guizmo , quel retour dans le passé !
nck
5 mars 2021 @ 18:28
Quel dommage qu’on ait laissé ce sieur Dubusc démolir le bâtiment historique, je m’étonne que le jeune régime républicain n’ait pas fait attention à la salle qui avait abrité ce vote historique.
Mary
5 mars 2021 @ 23:50
Inattendu…vraiment une passionnante surprise, merci Guizmo !
Gauliard
6 mars 2021 @ 11:29
Merci pour ce beau reportage, il y a effectivement beaucoup de beaux sites à découvrir à Versailles dont notamment ceux témoignant en ville de l’histoire extraordinaire de l’eau à Versailles. Espérons qu’à l’exemple du projet ”la voie de l’eau et du futur’ porté par l’association de quartier M2H2A pour le site du bassin de Picardie dans lequel arrivait l’eau de la Seine depuis la machine de Mary, ils puissent être pleinement sauvegardès et mis en valeur.