En ce jour ensoleillé de novembre 1874, Blanche regarde avec satisfaction les porteurs de la gare de Nice faire le compte – vertigineux – de ses bagages. Dans sa robe bleue ornée de broderies roses, un modèle fait spécialement pour elle par le couturier de l’ancienne impératrice des Français, Worth, elle contemple avec satisfaction l’agitation qu’elle suscite. Ci-dessus, La Païva sculptée en Diane par Léon Cugnot, au sommet de l’escalier de son hôtel particulier des Champs-Elysées.
Esther Pauline Blanche Lachmann (1819-1884), « Marquise » Païva, comtesse Guido Henckel von Donnersmarck, en 1870
Elle se sent à l’aise dans les nouvelles dimensions de sa jupe, près du corps car la crinoline a disparu avec les fastes du Second- Empire. Les robes sont presque droites, l’excentricité se niche dans les chapeaux, le sien porte aigrettes et plumes de paon.
Elle rectifie sa voilette, sourit au jeune homme qui bande ses muscles pour hisser les malles sur le chariot.
Elle revient à Nice où elle a séjourné à plusieurs reprises suivant ses conquêtes masculines aux noms aristocratiques ou parfois liées au monde de la Banque. Guido von Donnersmarck se tient raide à quelques pas de cet attroupement que sa femme a provoqué.
Guido Henckel comte puis prince von Donnersmarck (1830-1916), en 1871
Il vient de l’épouser, il lui apporte un nom, il est comte, la richesse, ses mines de Silésie l’ont rendu milliardaire, la jeunesse, il est plus jeune qu’elle de onze ans peu lui importe. Il contemple amusé le manège de Blanche, il refuse de l’appeler comme les autres hommes qui ont partage sa vie, Thérèse sent trop le peuple. Il admire son goût du bonheur et sa volonté de fer. Rien ne lui résiste.
Ce voyage à Nice pour y passer l’hiver est une de ses idées. Certes où peut-on passer l’hiver mieux qu’à Nice où le Gotha se retrouve ? Mais ce ne fut pas chose facile. La guerre est passée par là et la Préfecture lui a fait savoir que la venue de la comtesse n’était pas souhaitée tant le nationalisme et la germanophobie sont grands dans toutes les couches de la population.
En France, elle est considérée comme une espionne allemande. Il est encore bien tôt pour un retour au pays. Le nationalisme est grand dans l’ancien Comté de Nice.
Garibaldi, pourtant si désespéré par le rattachement de Nice à la France, a volé au secours de Napoléon III à Dijon. Il a ainsi réconcilié tous les niçois, ceux qui avaient voté oui et ceux qui avaient voté non en 1860. La France, pays de la liberté, devait s’opposer à l’impérialisme allemand. Le comté de Nice avait été loyal envers sa nouvelle patrie.
Aucun prince allemand ne s’était encore risqué à revenir sur la Riviera depuis la défaite de 1870. On avait parlé du roi de Wurtemberg, il était marié à une grand-duchesse russe, Olga, sœur du tsar et Nice aimait les russes. Toutefois rien n’était conclu, aussi les réserves préfectorales prenaient toute leur valeur.
Lui même savait que sa qualité de gouverneur de la Lorraine, maintenant sous domination germanique, avec l’Alsace, irritait au plus haut point ses interlocuteurs.
Mais Blanche voulait revenir à Nice où elle avait ses habitudes hivernales, sur le boulevard Carabacel vers la route de Villefranche. Elle voulait savourait sa revanche, comtesse et richissime, elle Thérèse, Blanche Lachmann née dans le ghetto de Moscou. Il lui fallait un public international, et Paris et Londres se vidaient l’hiver pour retrouver au bord de la Méditerranée, les « happy few » et le soleil.
Boulevard Carabacel à Nice en 1874, où séjournait le couple
La calèche les attendait devant la gare de Nice où de grands palmiers avaient été récemment plantés. Les bagages suivaient dans une charrette tirée par des niçois aux cheveux gominés, à la forte odeur de violettes. Elle se souvenait que dans sa vie « d’avant » elle avait certains soirs succombé à la force virile de quelque autochtone venu faire des travaux chez elle, loin du boudoir satiné de rose où elle « travaillait ».
Amant d’un soir
Que de chemin parcouru ! Elle n’entend pas Guido lui parlait, elle se réfugie dans ses rêveries, une fois n’est pas coutume, et repense à sa vie, sa pensée est rythmée par le trot léger du cheval.
1819 Moscou. L’arrière boutique d’un tailleur juif. Le tsar Nicolas I mène une politique de pogroms. Thérèse ou Esther, elle ne sait plus elle- même tant elle a travesti la vérité au courant de son existence. L’insécurité, la pauvreté sont ses lots quotidiens. Elle est une enfant ravissante, aux cheveux auburn et aux yeux clairs. Elle ne perd rien des bizarreries de ce monde : la morgue des nobles et des riches, la liberté d’aller, elle qui avec les autres juifs est assignée à résidence, le monde est un vaste territoire qui lui est interdit.
La boutique d’un tailleur juif en Russie
Cette idée lui est insupportable, elle veut échapper à son sort de jeune fille juive. C’est ainsi qu’elle rencontre un autre tailleur et l’épouse à seize ans, il est français et catholique, elle se convertit. Etait-ce bien à ce moment là ? Ou plus tard quand elle s’est enfuie à Constantinople l’abandonnant avec leur fils. Tout quitter pour vivre.
Le grand-duc Constantin en 1825, un père imaginé
Elle enjolive son histoire, elle est maintenant la fille naturelle du grand duc Constantin, gouverneur de Pologne, cela exige quelque respect. La porte de l’Orient lui souffle quelques digressions, le harem dont elle s’enfuirait à nouveau. Où est le centre du monde ? Paris. Elle y arrive avec sa beauté et misérable, sans un sou vaillant. Elle ne tergiverse pas, elle vivra de ses charmes : l’apprentissage se fait en « maison ».
Henry Herz (1803-1888)
La suite aurait pu être sordide. La chance lui sourit : elle rencontre Henri Herz, un pianiste concertiste célèbre : c’est le coup de foudre. Il est très riche, comme de bien entendu, ami de Liszt et de Chopin, c’est un facteur de piano renommé , il vaque à ses occupations entre Vienne, Paris et Londres. Rien n’est trop beau pour sa belle. Il loue un immense appartement, Thérèse donne des réceptions somptueuses, un nouveau venu lui plaît infiniment, Richard Wagner que Paris accueille timidement.
Elle a un goût très sur en matière musicale. Cela ravit Herz. Une fille naît, Henriette. La vie est belle, elle règne sur le monde de la Musique. A-t-elle gagné sa place à Paris ? Elle reçoit la Haute Société lors des concerts privés de sa maison.
Une réception aux Tuileries sous Louis-Philippe
L’affront n’en est que plus dur : Herz est invité aux Tuileries et pas elle. Une rage sourde l’étreint encore à cette pensée. Mais qui sont ces rois et reines pour la traiter de pareille façon, son ascension ne serait-elle qu’une apparence, la boue du caniveau a depuis longtemps laissé place aux ourlets parfumés. Aristocrates et banquiers mènent joyeuse vie, ils affichent leur cocottes dont ils ont lancé la mode, et eux sont reçus au Palais.
Sa revanche devra être totale, elle ne leur pardonnera jamais. Le destin joue pour l’instant avec elle, Henri part pour une longue tournée aux Etats- Unis, elle est furieuse qu’il ne l’ait pas amenée avec lui. Parti pour six mois, il y reste cinq ans !
Hôtel particulier de la Païva place Saint-Georges à Paris
La prodigalité de Thérèse est connue de tout Paris, il lui faut les plus belles robes, les plus beaux attelages pour aller au Bois. L’argent coule à flots mais son beau-frère effrayé par la vie mouvementée de Thérèse, découvre ses infidélités et l’absence de mariage en bonne et due forme avec Henri Herz.
A la veille des événements de 1848 qui vont bouleverser la vie des Français, elle se retrouve seule, pauvre et la rage au ventre.
Entreprenante, elle fait preuve d’habileté : tout Paris a admiré ses toilettes , elle rend visite à une maison de couture qui accepte de lui prêter des robes pour qu’elle se refasse, comme on se refait au jeu, la vie n’est pour elle qu’un immense tapis vert où il faut savoir miser.
Elle franchit le Channel et s’installe à Londres où sa beauté, ses toilettes, son aptitude à parler de nombreuses langues étrangères lui valent les hommages tarifés des hommes les plus connus. Lord Howard, Lord Stanley qui deviendra trois fois premier ministre font rapidement partie de son entourage.
Lord Stanley (1802-1869) Membre du Parlement britannique
Elle poursuit sa propre éducation et s’intéresse à la Bourse où se font et défont les fortunes anglaises. Son goût du risque et de l’argent l’amène à boursicoter avec un succès réel qui accroît sa fortune. Ses relations haut placées lui permettent de jolis coups. Elle veut sa revanche, elle ne pourra avoir pour cadre que Paris.
Thérèse Lachmann en 1850
Elle retrouve ses amis et son Salon accueille les noms des plus célèbres gens de lettres, son indéfectible ami, Théophile Gautier, Baudelaire et Sainte-Beuve. Ses amants occupent le haut du pavé, le comte de Rambuteau, le duc de Guiche, le comte de Gramont. Pourtant c’est un inconnu qui attire son attention. Un jeune Don Juan, riche portugais, le marquis Albino de Païva lui propose le mariage.
Agénor de Gramont (1819-1880), un amant vrai duc
Albino Francisco de Araújo de Païva(1824-1873), un mari faux marquis
En 1850, avant de devenir “marquise de Païva”
C’est un joueur impénitent et il se ruinera à la table de jeu, mais il est amoureux et Thérèse se voit très bien en marquise. Son mari catholique et français meurt opportunément, voilà le mariage possible. Sa fortune va lui permettre de se faire construire un hôtel particulier, sur les Champs-Elysées, qui existe toujours.
Hôtel de la Païva aux Champs-Elysées
Paris est soufflé par l’argent qu’elle engloutit dans l’opération : Théophile Gautier à qui l’on demande où en sont les travaux, répond méchamment : « ça va , on a déjà posé le trottoir », l’escalier est en onyx, les robinets sont sertis de rubis et de turquoises, le lit coûte plus de dix mille francs or !
L’escalier
Le grand salon
La salle de bains
En date du vendredi 24 mai 1867, à la suite de leur venue à l’Hôtel de la Païva, les frères Goncourt ont écrit, dans leur Journal, que c’était « le Louvre du cul ». Le plafond est peint par Paul Baudry, le même qui peint l’opéra de Garnier. Elle sert de modèle à la déesse dont la nudité est offerte à tous les visiteurs. Afin que nul ne l’ignore, elle fait inscrire la phrase « qui paie y va », le bon goût ne doit pas gêner les affaires pour la marquise de Païva !
Le lieu de travail
Si elle n’est toujours pas invitée aux Tuileries, elle savoure une petite revanche. A l’opéra, elle a loué pour l’année une loge juste en face de celle de l’Empereur. Un soir, l’Impératrice a oublié son éventail, elle explique à son escorte qu’il lui en faut un comme celui de la marquise, le valet se méprend et va emprunter à la courtisane son éventail dont Eugénie est bien obligée de se servir sous l’air ravi et arrogant de la Païva.
En 1860
Sa vie est déjà une réussite et le ghetto moscovite est bien loin. Elle n’a aucune nouvelle de sa fille mais entretient son fils qui vit à Paris, ils ne se voient pas, impossibilité de créer un lien, peur de se voir vieillie par un fils qui a l’âge de ses amants ?
Le jour
La nuit, une soirée chez la Païva par Monticelli
Toutefois la revanche va prendre la forme d’un authentique comte prussien. Milliardaire, cousin de Bismarck, Guido Henckel de Donnersmark tombe éperdument amoureux de Thérèse qu’il appelle de son second prénom Blanche. Elle doit reconnaître qu’elle ressent une vive attirance, elle est riche déjà, l’argent de son amant est le bienvenu mais n’est pas indispensable. Il s’agit vraiment un de ses coups de foudre que l’on réserve d’habitude pour les jeunes filles romanesques.
Alanguie, intelligente et cultivée mais femme de tête qui sut se servir de son corps pour faire fortune
Le comte est à Paris parce que c’est la ville des plaisirs où il est de bon ton d’être vu, mais aussi parce que l’industrialisation de la France l’intéresse.
Ses mines de fer de Silésie ont besoin de débouchés. A Paris, il reçoit le milieu allemand et s’intéresse par ailleurs à la modernisation de l’armée prussienne. Blanche est au centre de son dispositif. Elle reçoit et charme les jeunes attachés d’ambassade, reçoit les hommes influents, jamais de femmes chez elle, sous couvert de dîners littéraires où écrivains et poètes rivalisant, le comte connaît précisément l’état d’esprit de ces Français qui se croient invincibles.
Le salon de la Princesse Mathilde, Pauquet et Anastasi, graveurs, 1867.
Blanche est haïe par la Princesse Mathilde dont le Salon se veut le centre de la vie mondaine et littéraire. Les Tuileries sont toujours territoire interdit Si l’on mesure son pouvoir à la férocité de ses ennemis, elle a réussi merveilleusement…
Château de Pontchartrain à Jouars-Pontchartrain (Yvelines)
Guido offre à Blanche le Château de Pontchartrain acheté au comte d’Osmond. Elle est la reine de Paris. Elle a quitté la vie de courtisane pour être la compagne accomplie de son amant allemand. Il voudrait bien l’épouser, aussi elle demande à Rome l’annulation de son mariage avec le marquis qui depuis leur éloignement est couvert de dettes de jeux, qu’elle paie, elle ne veut pas de scandale.
Château de Pontchartrain par Denis Martin avec les jardins de Le Nôtre
Bien informés, le comte et Blanche rentrent en Prusse dès 1869. La guerre éclate, les troupes d’occupation descendent les Champs Elysées, le seul immeuble allumé est celui de Blanche, les Parisiens ne le lui pardonnent pas un tel affront. Elle se réfugie à Pontchartrain où elle obtient de Bismarck que les habitants soient exemptés de l’effort de guerre. Ils apprécient le don mais ne lui en sont pas reconnaissants, c’est une espionne vendue à la cause allemande.
Léon Gambetta (1838-1882)
La vie politique permet parfois des rapprochements inattendus, le héros de Paris, son exploit en ballon est dans toutes les gazettes Léon Gambetta est aussi un homme qui voit loin, il ne veut pas se sentir inexorablement attaché à l’Angleterre.
La rivalité entre ces deux puissances coloniales l’inquiète. Il pense que la réconciliation avec l’Allemagne est nécessaire à l’équilibre européen. Tout naturellement il se tourne vers la Païva qu’il a connue sous le Second Empire pour rencontrer son mari et préparer les esprits français à cette éventualité. Aussi quand Blanche a quelques difficultés pour revenir passer l’hiver à Nice, il intervient auprès des autorités, à Nice, il y vient souvent pour voir son père, vieil émigré italien que la notoriété de son fils émerveille chaque jour davantage.
Nice. Blanche a noté sur un petit cahier les renseignements utiles pour agrémenter son séjour. Elle va envoyer un petit mot à la vicomtesse Vigier, cette ancienne cantatrice enchanteresse qui, comme elle, est une amie de Richard Wagner. Sa venue sur la Riviera avec son mari allemand devrait lui permettre de rencontrer les Mecklembourg qui vont venir à Cannes. Les Wurtemberg sont attendus : elle a réussi, mais reçoit-elle les plus grands noms du Gotha ? Non car ils refusent de la recevoir.
Un château en Silésie à Neudeck bâtie en 1868 autour d’un parc de 250 hectares
Mais Guido lui donne encore plus, il fait construire en Silésie la copie conforme des Tuileries que la Commune et la guerre ont détruit ! Elle y séjourne de plus en plus souvent et sa vie en Allemagne l’amène à partager le repas du Kaiser ! Seule la maladie aura raison de sa vitalité, elle s’éteint dans son grand château loin des salons parisiens qui l’ont vue briller.
En 1890, tel que l’a connu la comtesse de Donnersmarck, née Esther Lachmann
Le même en 1945
Le comte se remariera peu après. Et comme dans Barbe Bleue…
Guido et sa nouvelle épouse née Katharina Vassilievna Slepzow (1862-1929)
La nouvelle comtesse parée des bijoux de l’ancienne
Sa jeune épousée le surprendra dans l’aile du château qui lui est interdite, agenouillé devant le cercueil sous verre de la Païva qu’il a fait embaumer.
Diamants offerts par Guido à Blanche au début de leur liaison
– Coussin 102,54 cts – Poire 82,47 vendus 2 et 3 millions d’euros en 2007 et remis en vente en 2017, sans trouver acquéreur
Ce portrait est extrait du livre “Impératrices, artistes et cocottes” par Martine Gasquet avec l’aimable collaboration de Patrick Germain pour les illustrations.
Régine ⋅ Actualité 2021, France, Portraits, Prusse 51 Comments
Vitabel
5 avril 2021 @ 06:04
Agréable lecture matinale 🤓
miloumilou
5 avril 2021 @ 06:37
Divertissant en ce lundi de Pâques!
Merci!
Francois
5 avril 2021 @ 07:27
Une vie fascinante
Une femme intelligente
Qui arriva à réaliser ses ambitions et au delà..
Fut elle heureuse demeure une autre question .
Glorieuse certes !!
Jean Pierre
5 avril 2021 @ 13:40
Finir sa vie dans un coin paumé entre Katowice et Czestochowa, il y a de quoi mourir d’ennui après une telle vie. Et je crois que c’est ce qui lui arriva.
Francois
5 avril 2021 @ 17:25
Absolument , elle est morte d’ennui .
Car aussi riche et puissant qu’etait son époux , cela
ne portait pas ses fruits en tant qu’acceptation
de son épouse au passé tumultueux .
Guizmo
5 avril 2021 @ 07:52
Merci beaucoup Régine et Patrick Germain non seulement pour le récit mais aussi pour les photos. J’ai visité l’hôtel de la Paiva sur les Champs Elysèes. Malheureusement il y avait des réunions dans toutes les pièces qui étaient envahies de tables et de chaises modernes et dans lesquelles, de ce fait, nous ne sommes pas entrés. Il nous fallait « nous taire pour pas déranger ces messieurs « !! et une planche avait été posée sur la baignoire pour servir de desserte. Nous avons écouté la guide pendant plus d’une heure…dans l’escalier ! Les visites guidées devraient être suspendues quand il y a des séminaires dans cet hôtel.
Pastelin
5 avril 2021 @ 08:06
Si Regine le permet, ci -dessous un extrait du Journal de frères Goncourt de 1867.
Muflerie caustique envers leur hôtesse du jour… Une « Nana », qui, après tout, s’était bien bougé le c.. pour réussir…
(Je sors …)
Vendredi 24 mai. — Théophile Gautier, qui est dans ce moment maestro di casa, nous présente à la Païva, en son légendaire hôtel des Champs-Élysées. Une vieille courtisane peinte et plâtrée, l’aspect d’une actrice de province, avec un sourire et des cheveux faux.
On prend le thé dans la salle à manger, qui, en dépit de tout son luxe et de la surcharge de son mauvais goût renaissance, en dépit des sommes ridicules qu’ont coûté ses marbres, ses boiseries, ses peintures, ses émaux, et la ciselure de ces candélabres d’argent massif venant des mines du Prussien entreteneur se trouvant là, n’est au fond qu’un riche cabinet de restaurant, un salon des Provençaux pour millionnaires.
Là dedans, une conversation de gens gênés comme dans du faux monde et qui se traîne. Gautier, malgré son imperturbabilité, ne trouve pas dans cette maison son équilibre. Turgan, que nous voyons là, pour la première fois, cherche laborieusement des effets. Saint-Victor froisse et pétrit son chapeau pour trouver des phrases. Et on sent tomber sur cette table magnifique, éclairée de l’incendie des lustres, le froid spécial aux maisons de filles jouant la femme du monde, ce froid composé d’ennui et de malaise, qui glace, dans les palais de la prostitution et les Louvres de la putinerie, le naturel et l’esprit des gens qui passent.
Et cela est d’autant plus marqué que le monsieur est un personnage allemand, muet et bellâtre, un gandin de la Borussie, dominant la fête de sa raie au milieu de la tête, et d’un sourire diplomatique, et que la femme, au milieu de son effort de grâce, a je ne sais quoi d’inquiétant d’une femme d’affaire en sa personne, avec des absorptions et des absences, où on dirait que son attention vous quitte pour aller aux deux petits cabinets de sa chambre : qui sont des coffres-forts de pierres précieuses, — et qu’on croit deviner en la terrible implacabilité de son visage de blonde, un passé qui fait peur.
Robespierre
5 avril 2021 @ 08:12
Je n’ai pas compris le rapport avec Barbe-Bleue. Comme toujours l’iconographie est remarquable. Si la Paiva était morte octogénaire, le mari Donnersmarck se serait-il remarié ? Est-ce son descendant qui a épousé une princesse de Luxembourg ?
Bref, après une vie bien remplie, la dame est morte au bon moment pour que la lignée de son mari continue.
Mayg
5 avril 2021 @ 14:12
Peut être qu’on l’a aidé à mourir au bon moment ?
luigi
5 avril 2021 @ 16:38
@ Rob : référence à Barbe Bleue : « l’aile interdite » sans doute…
Claudia
5 avril 2021 @ 08:35
Eh bien, quelle vie mouvementée ! Merci pour ce long article également fort bien illustré.
Arielle
5 avril 2021 @ 08:44
Très intéressant et fort bien illustré. Merci !!!
Pastelin
5 avril 2021 @ 08:53
Noblesse et royautés « permet parfois des rapprochements inattendus » … Souvenons-nous du père fondateur de la Troisième République!!! Léon Gambetta, le héros de Paris, proclama la République le 04 septembre 1870 sur les marches de l’Hôtel de Ville de Paris…
BEQUE
5 avril 2021 @ 09:02
Les photos montrent bien l’hôtel de la Païva aux Champs-Elysées, tel qu’on le visite. L’escalier est somptueux, taillé dans l’onyx de toutes les couleurs provenant d’une carrière d’Algérie et décoré de torches en bronze ciselé. La Païva ayant demandé à Prosper Mérimée une sentence afin de l’inscrire sur la première marche de son escalier, il lui dicta cette celle-ci : « Ainsi que la vertu, le vice a ses degrés ». Dans l’ancienne chambre de la Païva aux plafonds style Renaissance on ne voit plus son lit qui pourrait ressembler à une conque, d’après une gravure. La salle de bains est de style mauresque avec des carreaux de faïence. La baignoire, en onyx avec des robinets en bronze incrusté de turquoise, est doublée de cuivre étamé gravé de motifs tout autour. Cette baignoire est actuellement dissimulée sous une banquette de velours rouge sur laquelle s’asseoient les membres du Traveller’s Club, propriétaire de l’hôtel, autour d’une table ovale à roulettes.
Mario 92 ♨
5 avril 2021 @ 12:01
Un superbe casino fort pratique pour filtrer et faire patienter l’alimentation des industrieuses en chambres.
Danielle
5 avril 2021 @ 17:12
Beque, j’ai vu la baignoire lors de ma visite en décembre 2018 et elle n’était pas dissimulée sous une banquette.
BEQUE
5 avril 2021 @ 17:57
Danielle, j’ai visité l’hôtel il y a plus longtemps que cela.
Celia72
5 avril 2021 @ 09:16
Passionnant cet article. Merci de l avoir partagé.
Menthe
5 avril 2021 @ 09:45
J’ai du mal à suivre ce matin, qui était le mari français décédé opportunément lorsqu’elle rencontra le marquis de Paiva ? Et qui était le père de son fils ?
Malthus
5 avril 2021 @ 10:07
Désolé mais je n’aime pas ce style plein de fioritures et qui ne va pas à l’essentiel (noms et parfois dates), je vous rejoins, donc.
Phil de Sarthe
5 avril 2021 @ 11:20
Herz , le peintre, devait être le mari français, le tailleur premier époux étant le père de son fils….c’est ce que je comprends…😋
Mayg
5 avril 2021 @ 15:56
Herz n’était pas pianiste ?
BEQUE
5 avril 2021 @ 16:43
Phil de Sarthe,
voici ce que j’ai lu à propos de la Païva : Esther Lachmann naît à Moscou en 1819 de parents juifs polonais exilés en Russie, son père est tailleur. A 17 ans, elle se marie à un tailleur français pauvre, Antoine Villoing. Ils ont un fils et mènent une vie difficile. L’année suivante, elle abandonne mari et enfant, voyage à Berlin, Vienne, Constantinople, utilise son deuxième prénom, Thérèse. En 1841, elle prend les eaux d’Ems et rencontre le riche pianiste Henri Hertz qui lui fait connaître Liszt et Wagner et lui donne une petite fille. Ils arrivent à Paris, son rêve. Elle pénètre dans tous les milieux, intellectuels et artistes, apprend le français et l’allemand ainsi que le piano et devient la protectrice de nombreux jeunes musiciens. Ils ouvrent un atelier de pianoforte, une salle de concert.
Fin 1840, Hertz se rend aux Etats-Unis pour mieux se faire connaître, laissant à Paris sa « femme » et leur fille. La famille Hertz met à la porte Thérèse mais celle-ci emporte tout le mobilier de son logement. Elle rencontre Théophile Gautier qui la présente au monde littéraire. Elle fréquente Camille, la couturière en vogue à l’époque, qui lui prête ses créations, elle apportant une importante clientèle. A Londres, elle a sa loge à l’opéra et multiplie les conquêtes.
En 1848, Louis Napoléon devient président de la République. Hertz cherche Thérèse dans toute l’Europe. Il meurt le 15 juin 1849. Elle anime un salon et cherche un nom et un rang, dignes de son opulence et de son ambition. Elle rencontre un noble portugais, Albino Franco Aranjo, marquis de la Païva, le 5 juin 1851. Il est cousin de l’ambassadeur du Portugal mais très endetté. Elle devient marquise de la Païva. Mais, un an après, arrive dans sa vie le comte Guido Henckel von Donnersmark, cousin de Bismarck, ambassadeur de Russie près du Portugal, très riche, qui possède des mines de fer et de charbon en Silésie. Elle le suit à Berlin. Ils reviennent à Paris à l’aube du Second Empire. Ils achètent un hôtel particulier 28, place Saint Georges. Elle y ouvre un salon musical et littéraire au grand dam de la Princesse Mathilde cousine de Napoléon III. Les habitués du salon de Thérèse étaient Emile de Girardin, les frères Goncourt, Courbet, Delacroix, Sainte Beuve, Théophile Gautier.
Elle achète un terrain le 11 juin 1855 et se fait construire un hôtel particulier pour 407.000 francs aux Champs-Elysées, nouveau quartier à la mode.
Le couple achète en 1867-68 le château de Pontchartrain en région parisienne. En 1870, Guido rentre en Allemagne. Sa femme se fait appeler Blanche. Lui est nommé préfet de la Lorraine, alors territoire allemand. En août 1871, elle fait annuler son mariage par le Vatican pour l’épouser dans l’église de la Confession d’Augsbourg. Le marquis de Païva, désespéré, se tua d’un coup de révolver, en 1873, à l’issue d’un grand dîner offert à ses amis à la « Maison dorée ». Elle quitte Paris en 1875 pour Neudeck en Allemagne, près de la frontière russe, où ils ont fait bâtir un palais inspiré de Versailles. A l’issue de la guerre de 1870, Bismarck nomma son cousin gouverneur de l’Alsace-Lorraine. L’ex-marquise de Païva fut obligée de quitter Paris. Elle mourut le 21 janvier 1884 et son mari vendit l’hôtel des Champs-Elysées.
Phil de Sarthe
5 avril 2021 @ 18:43
Merci Bèque…Un vrai roman! 😘
Menthe
6 avril 2021 @ 16:33
Merci Phil de Sarthe et Beque !
J’ai trouvé mes réponses dans l’ajout de Beque.
J’ai posé les questions puisqu’il est écrit qu’il n’y a pas eu mariage en bonne et dûe forme avec Henri Hertz et que la naissance d’un fils avec son premier mari n’est pas mentionnée.
Nicolette
5 avril 2021 @ 13:20
Le tailleur ėpousé lorsqu’elle avait 16 ans.
Pistounette
5 avril 2021 @ 09:59
Je me répète… mais récit très intéressant, comme toute la série d’articles
Merci 😊
Baboula
5 avril 2021 @ 12:23
Merci Cosmo de si bien illustrer ce récit . Les dames du siècle dernier qui devaient se faire seules avaient bigrement plus de sel et de piquant que nos contemporaines . D’accord nous ne savons pas encore tout de celles-ci . Mais mœurs ont changé,les fortunes aussi et les actionnaires veillent .
Danielle
5 avril 2021 @ 13:03
« chez la Païva, on paie et on y va » disait on.
J’ai visité ce lieu et y retournerai avec une amie qui ne le connait pas.
Les grilles sont très belles.
Une excellente business woman dont les dents râpaient les parquets, une croqueuse d’hommes.
Merci Guizmo pour ce reportage.
Cosmo
5 avril 2021 @ 18:47
Guizmo ? Plutôt Gasquet.
Danielle
6 avril 2021 @ 15:04
Exact Cosmo, excusez moi.
Mayg
5 avril 2021 @ 14:11
Merci pour ce portrait très intéressant.
Je ne comprends pas ce que ses courtisans pouvaient lui trouver. On ne peut pas dire que c’était vraiment une belle femme. Sans compter qu’elle ne s’est jamais vraiment occupée de ses enfants.
Leonor
5 avril 2021 @ 16:44
Sans doute savait-elle y faire, Mayg.
Alix-Emérente
5 avril 2021 @ 21:24
😁👍😉👍😁 !!!
Mayg
6 avril 2021 @ 13:33
Lol
Lunaforever
5 avril 2021 @ 22:32
Ces vêtements ne flattaient pas les femmes. Toute nue, elle était sûrement beaucoup mieux👡
Isabelle d'Ottawa
5 avril 2021 @ 14:52
J’avais découvert la Paiva par le livre « La lionne du boulevard » d’Alexandra Lapierre. Très bon livre.
luigi
5 avril 2021 @ 16:39
Portrait savoureux, tjours bien documenté, merci !
Ciboulette
5 avril 2021 @ 19:20
Merci , Cosmo , Martine Gasquet , Régine pour cette histoire vraie mais qui semble tirée d’un roman !
Baboula
6 avril 2021 @ 14:12
J’espère que ce léopard n’a pas dévoré Image !
Vassili
5 avril 2021 @ 19:59
Génial! Merci Patrick Germain.
Benoit-Henri
5 avril 2021 @ 20:35
Merci pour cet article et cette riche iconographie. Une petite anecdote, lue sans doute dans le journal des Goncourt, me revient. La marquise de Paiva possédait des pendants d’oreille ornés de brillants éblouissants. La dame, qui avait la fâcheuse habitude de souligner la valeur de ses possessions, disait à qui voulait l’entendre : « j’en ai pour 100 francs de rente par jour ». Ce à quoi les Goncourt répondirent : « oui… , mais ce sont des lanternes sur des démolitions ». Toujours aussi charitables ces frères Goncourt…
Robespierre
6 avril 2021 @ 11:28
Pourquoi se seraient-ils gênés avec une femme aussi vulgaire ? Souligner la valeur d’une chose qu’on possède, ou en dire le prix, c’est vulgaire. Nous connaissons tous des gens ainsi.
chicarde
5 avril 2021 @ 22:31
Très belle sculpture, inspirée sans doute du fameux et très délicat tableau de François Boucher « Diane sortant du bain » (au Louvre), voir https://fr.wikipedia.org/wiki/Diane_sortant_du_bain#/media/Fichier:Boucher_Diane_sortant_du_bain_Louvre_2712.jpg ! Une peinture qui est une vraie ode à la beauté exquise et la plus tendre douceur féminines !
Remarquons aussi le collier de fines perles entre les mains de la déesse !
Corsica
5 avril 2021 @ 22:51
Un destin « extra » ordinaire qui ne fut possible que parce que cette femme a su allier à ses charmes, intelligence, pugnacité et culture. Ce n’est malheureusement pas donné à toutes celles qui choisissent de vendre leurs corps. Si des hommes ont été capables de dépenser des fortunes pour la Paiva, c’est qu’elle avait ce petit quelque chose en plus qui n’a rien à voir avec la beauté mais sait rendre folle la gente masculine.Tant mieux pour elle, tant mieux pour eux car je suppose qu’ils ont trouvé ce qu’ils cherchaient . Personne n’ayant forcé personne, tout le reste n’est que morale d’une époque hypocrite où ce genre de relations était quasiment la norme mais où seules les femmes étaient ostracisées. Encore une fois merci à l’auteur et à Patrick Germain pour son iconographie.
Robespierre
6 avril 2021 @ 11:51
Je suis d’accord avec votre post, car la Loi de l’Offre et de la Demande existe et a toujours existé.
Corsica
7 avril 2021 @ 22:01
Effectivement, s’il n’y avait pas de demande, il n’y aurait pas d’offre et tant que ces femmes font un choix libre et travaillent pour elles, je ne vois pas ce qui autorise à les juger, les mépriser ou alors réservons le même traitement à leurs clients.
Debora12345
6 avril 2021 @ 09:14
Merci pour ce récit !
Trianon
6 avril 2021 @ 11:07
Portrait très intéressant, comme toujours, et pleinement documenté,merci infiniment !
Francois
6 avril 2021 @ 11:43
La Paiva n’etait pas très belle mais avait un corps
parait il magnifique .
Mais son succès éclatant venait de ses talents cachés
de sa santé . Elle avait une endurance exceptionnelle .
Intelligente ; femme d’affaires très rude en affaires .
Elle avait une passion pour les joyaux sans limites .
mais lors de ses achats compulsifs elle négociait les prix de façon
outrageante .
Mais je crois que la fameuse phrase de Germaine de Stael
lui correspond .
La Gloire est le Deuil eclatant du Bonheur !
Muscate-Valeska de Lisabé
6 avril 2021 @ 16:39
Ni vraiment belle,ni vraiment mince,mais elle avait « ÇA »….L’ÉTINCELLE. 💥