Ce 21 mars 1881, Nice vit dans la fièvre.Tout ce que la ville compte de notables et de mélomanes attend avec impatience la première représentation en France de Lohengrin, le plus célèbre opéra de Wagner, au Cercle de la Méditerranée. Ci-dessus, Sophie Cruvelli par Emile Desmaisons en 1852.
Cercle de la Méditerranée à gauche de l’Hôtel des Anglais
La semaine dernière la manifestation avait dû être annulée pour cause de politique étrangère : le tsar Alexandre II venait d’être assassiné à Saint-Petersbourg. Après ce tragique évènement, il eut été impensable de se rendre au théâtre dans une ville où la colonie russe était particulièrement nombreuse et contribuait à faire vivre des centaines de familles.
La stupéfaction l’avait disputé à la douleur et l’émotion avait submergé les Niçois. Le « tsar libérateur » n’était plus. Ce drame lointain avait touché toutes les couches de la population. On se souvenait de sa visite en 1864, pour une rencontre avec Napoléon III, de sa générosité et par dessus tout, il était l’infortuné père du tsarevitch, mort à Nice à vingt ans.
Rose Caron dans Elsa de Brabant un peu avant la représentation de Nice On peut imaginer Sophie Cruvelli ainsi
Aujourd’hui le calme est revenu, les conditions sont réunies pour que puisse enfin se dérouler une représentation musicale dont la création a connu un retentissement considérable en Allemagne.
Du moins on espère un succès, car Richard Wagner suscitait en France nombreuses réticences. Vingt ans plus tôt, Paris avait boudé Tannhauser et les théâtres français ne se hasardaient pas à programmer un compositeur allemand en raison sentiment anti-allemand latent qui s’était développé après la défaite de 1870 et la perte de l’Alsace et de la Lorraine. Au diable la musique d’outre-Rhin : les admirateurs du génial compositeur sont considérés comme des traîtres à l’esprit français.
Affiche de la Première de Tannhaüser – BNF/Gallica
Cependant, la vicomtesse Sophie Vigier, qui doit tenir le rôle d’Elsa de Brabant, ne se soucie nullement de l’opinion publique. Elle se souvient avant tout qu’elle est Sophie Cruvelli, la grande cantatrice au goût si sûr et qu’elle va se produire ce soir dans Lohengrin, cette partition encore inconnue en France, devant un parterre de choix, au Cercle de la Méditerranée et non pas au Théâtre Municipal, trop frileux pour se risquer dans l’aventure.
Pour cette première, elle a fait appel aux plus grands concertistes : les chœurs du Covent-Garden de Londres et l’orchestre du Casino de Monte- Carlo, prêté gracieusement par Madame Marie Blanc, peut-être dans l’espoir que la prima donna acceptera de se produire dans le nouvel opéra qu’elle est en train de faire construire sur les plans de Charles Garnier.
Sophie Cruvelli, vicomtesse Vigier, n’a rien négligé pour créer l’événement. Afin qu’aucune note ne soit entendue avant la représentation, elle a organisé toutes les répétitions à Monte-Carlo, dans le plus grand secret. En dépit de l’assurance qu’elle a toujours affichée, elle a le trac.
Quel accueil vont lui réserver les mélomanes niçois, depuis des décennies inconditionnels de Verdi ? On susurrait qu’une cabale se formait, et que des siffleurs déterminés, oublieux de tout le respect qu’on doit à l’art, au public élégant qui assistera au spectacle et au le but charitable qui le motivait, voulaient conspuer la musique de Wagner, ainsi que l’assurait un chroniqueur du Journal de Nice.
Les manifestations anti-wagnériennes, lors des premières, pouvaient être violentes
Elle avait dû également faire face aux craintes manifestées par ses amis: les frais nécessités par l’organisation d’une aussi belle soirée n’allaient-ils pas compromettre la recette affectée aux pauvres de la ville ?
Appréhension dérisoire qui ne tenait pas compte de la générosité de son mari, le vicomte Vigier, Président du Cercle de la Méditerranée. Et puis elle avait fait le pari que Lohengrin serait applaudi et elle savait que même s’il s’agissait d’une soirée mondaine, elle serait confrontée à un public de connaisseurs avertis. Enfin, elle aimait Wagner qui avait totalement renouvelé un répertoire statique et dont l’orchestration novatrice donnait du relief aux solos et une puissance profonde aux chœurs.
Enfin, elle était sûre de sa voix que l’âge n’avait pas altérée. Son mari et son fils l’avaient confortée dans sa décision hardie. A quoi serviraient l’argent et la renommée si on ne les mettait pas au service d’une double bonne cause: l’art et la bienfaisance ?
Sophie avait raison: le succès fut total. On applaudit à tout rompre la cantatrice et le compositeur. La scène était jonchée de fleurs: “ nulle part ailleurs qu’à Nice, on imaginerait une pareille profusion de violettes, de roses et de camélias. »
Théâtre italien de Nice
Elle avait osé et elle avait gagné. Nice, grâce à elle, était ce soir de mars, une des plus grandes scènes d’opéra au monde ! Elle ne se doute pas que Lohengrin ne sera donné à Paris que sept ans plus tard, en 1887 !
Vraiment sa vie est un perpétuel conte de fées. Elle remercie tous les jours le Seigneur de l’avoir comblée ! D’abord une enfance heureuse. Ses parents étaient des musiciens, amateurs mais excellents: sa mère avait une belle voix de soprano et son père était un fanatique de l’instrumentation. La famille d’origine italienne s’était installée une génération plus tôt en Westphalie et avait acquis une solide fortune dans le commerce du tabac dont ils possédaient plusieurs plantations à Cuba.
Maison de la famille Crüwell à Bielefeld, dans l’esprit des Buddenbrook de Thomas Mann
Jeanne-Sophie-Charlotte Crüwell (patronyme plus allemand que Cruvelli) grandit tout imprégnée de culture romantique, étudiant la musique et la poésie, le français, l’italien et l’allemand. Elle se souvient de l’odeur des lilas au printemps, tandis que sa mère, qui comme la mode l’exigeait, portait une robe à la taille haute, vocalisait dans le salon de musique. Elle rêvait, Sophie, elle était certaine qu’elle aussi chanterait plus tard. Au lieu de jouer avec les poupées, comme toutes les fillettes de son âge, elle mimait, avec Marie, sa sœur aînée, les duos des airs d’opéras les plus connus qu’elle avait retenus.
Leurs parents s’opposèrent un temps à une vocation qu’ils jugeaient prématurée et envoyèrent les deux soeurs étudier à Paris. La découverte de la capitale ne fit que confirmer leurs dons et leur volonté de vouloir devenir cantatrices. A vingt ans, elles sont assez douées, assez instruites, pour débuter une carrière de chanteuses.
A Venise, Sophie rencontre Verdi, l’idole des mélomanes mais aussi des nationalistes italiens. Mais peu lui importe cet aspect de sa notoriété : elle chante pour le plus grand plaisir du compositeur.
La Fenice en 1837, telle qu’elle l’a connue
Sophie est lancée. Le succès est toujours au rendez-vous: à Londres, à Milan et bientôt à Paris où elle se produit devant l’empereur et l’impératrice.
L’Opéra de Paris Salle Pelletier en 1858
La Scala de Milan
The Royal Opera House of Covent Garden
Tandis que sa sœur ne chante que quelques airs, Sophie recueille les applaudissements, les bouquets. Ses bras blancs dignes d’avoir inspiré les sculpteurs de l’antiquité sont admirés, tant sur la scène grâce à des tuniques grecques, que dans les salons où la crinoline vient de faire son apparition: l’ampleur de la jupe est compensée par la découverte des épaules dénudées.
Et puis, elle est charmante. »Sa figure, plutôt jolie que belle, est pleine d’expression, ses yeux ombragés de riches sourcils, étincellent de feu dramatique » écrit un critique de la Revue Musicale de Paris.
Elle se souvient avec amusement de son humeur fantasque. Elle se soucie peu de faire chavirer les coeurs, de courir après de riches protecteurs. Qu’à-t-elle à faire de leur fortune? Elle est déjà riche. Son luxe consiste à chanter en choisissant ses partenaires, sa coiffeuse, sa costumière.
Elle est capable de faire attendre un parterre de rois le temps de faire réparer une dentelle mal cousue. Le public l’adore. Sa voix parcourt trois octaves et elle continue de la travailler et comme elle arrive à présent à dompter sa fougue, sa voix est une des plus belles de l’époque. La Norma, Ernani, les Huguenots, les Noces de Figaro. Quelle que soit l’oeuvre, elle triomphe.
Sophie Cruvelli, nouvelle étoile des salles lyriques
Et l’amour ? Avec un caractère entier, excessif comme le sien, il ne peut que s’abattre sur elle comme une tempête. Ah ! – elle sourit encore de son culot – pour aller rejoindre son dernier amant, elle annule le soir même une première.
Le Théâtre Italien doit rembourser le public ! Le lendemain, le répertoire s’en mêle: c’était Les Huguenots de Meyerbeer. Elle ne peut s’empêcher de rire aux larmes en rappelant cette savoureuse anecdote : quand la reine Marguerite de Valois accueille Valentine par ces vers “ Dis moi le résultat de ce hardi voyage » et que Valentine répond « ….Tout s’arrange! ” le public éclata de rire et applaudit tandis qu’elle-même avait eu du mal à garder son sérieux. Quand le public est de son côté, on peut tout se permettre.
Sophie, qui à trente ans a déjà interprété les amoureuses tragiques et éternelles, va à son tour rencontrer l’Amour, le vrai, sous les traits du fils cadet du comte Vigier, pair de France.
Portrait des enfants de Monsieur Vigier, (Achille-Georges à gauche) 1830 par Joseph-Nicolas Robert-Fleury
Georges a le même âge qu’elle, il est baron et immensément riche, il possède notamment les Bains qui portent son nom, sur les bords de la Seine. Mais l’amour n’est pas tout. Le dilemme est cornélien. Doit-elle abandonner la scène pour vivre son grand amour ? Doit elle renoncer à l’amour pour suivre sa carrière ? Comment sacrifier toutes ces heures de travail, comment oublier leur récompense, les bravos du public, comment ne plus attendre, angoissée, le silence qui précède la première note ? Mais a-t-elle le courage de s’arracher à la douceur des bras de Georges, à cette complicité de son âme et de son corps ?
L’Affiche de la Première à Paris avec La Cruvelli
Quelle que soit sa décision, il lui faut honorer son contrat passé avec l’Opéra, interpréter les Vêpres Siciliennes dont Verdi avait interrompu les répétitions excédé par ses absences répétées. Il y va de sa renommée comme de son honneur.
L’intelligence de ce nouveau couple va rapidement trouver une solution qui satisfait l’un et l’autre : ils vont vivre ensemble et chanter. Lassé de la vie parisienne, Georges veut s’installer sur la Riviera, à Nice devenue depuis peu française, ville paisible qui offre un hiver doux et ensoleillé à des hivernants de qualité.
Sophie Cruvelli – marbre par Adolphe Megret – Musée des beaux-Arts à Nice
Par deux fois, les tsarines sont venues y faire un long séjour, les rois de Bavière et de Wurtemberg les ont rejointes, sans compter une colonie anglaise importante qui accueille avec flegme les frasques du jeune Prince de Galles. Ce n’est donc pas une quelconque ville d’eaux.
L’hiver, Nice est la capitale du monde et Sophie se produira à l’Opéra, qui s’est hissé au rang des meilleures scènes européennes, à l’occasion de représentations de bienfaisance au bénéfice des pauvres et n’acceptera plus aucun cachet.
Pour Sophie, ce fut le début d’une nouvelle vie pleine d’attraits, avec beaucoup de chant et un zeste de mondanité. Pour Nice, la permanence d’une voix exceptionnelle qui pendant plus de vingt cinq ans, contribuera à soutenir la réputation artistique de la ville.
Les critiques les plus intransigeants lui tressent des lauriers. La terrible Madame Ratazzi, cousine de l’empereur et chroniqueuse redoutée, s’exclame “ Je me sentis transportée en esprit, devant cette grande beauté qu’elle prêtait à la druidesse antique, je revois ses admirables bras, la masse de ses cheveux bruns merveilleusement disposés. ”
Dès son arrivée à Nice, le couple Vigier était parti à la recherche d’un lieu magique pour y construire une maison où l’art pourrait triompher de l’environnement. Ils avaient ignoré la Promenade des Anglais comme les collines réputées de St- Philippe et de Carabacel, préférant le bord de mer sauvage du nouveau boulevard de l’Impératrice de Russie, au pied du Mont-Boron, là où l’eau pénètre alanguie dans les rochers aux arêtes vives.
Le cadre enchanteur de la villa, vue ici entre les arbres
Le lieu était désert, seul un britannique fantasque faisait ériger, un peu plus haut un château, copie d’un fort indien dont il avait jadis été le commandant.
De ce site, la vue s’étendait le long de la Baie des Anges jusqu’à Antibes, que les Romains avaient baptisée Antipolis, la ville d’en face, et le soleil couchant donnait en hiver au paysage des reflets d’Afrique.
Depuis leur première demeure sur le quai Masséna, les Vigier avaient suivi les travaux avec attention. A Nice, tout est prétexte à manifestation mondaine.
Le roi Maximilien II de Bavière est sollicité pour poser la première pierre, « un parchemin relatant le fait et des pièces de monnaie furent scellées dans la pierre fondamentale » relate Le Monde Elégant.
Une grande réception se déroule dans les jardins avec l’inévitable concert qui permet à la vicomtesse d’interpréter quelques airs de ce Verdi que l’époque aime tant. Un bal clôture cette soirée qui compte parmi les événements les plus importants de la saison.
La villa Vigier
La villa fut construite avec une rapidité qui stupéfia les Niçois, le vicomte ayant engagé de nombreux maçons italiens venus du Piémont chercher du travail sur cet eldorado qui avait pour nom la Riviera.
Les Vigier s’étaient décidés pour la copie d’une maison vénitienne, la Ca’D’oro. Est-ce en souvenir des débuts de la cantatrice ou en hommage à l’Othello de Rossini ? Ils ne se donnèrent jamais la peine de justifier ce choix original. D’ailleurs cette construction était conforme à la mode de l’exotisme qui déferlait sur la Côte.
Fenêtres en ogives, lions en marbre blanc frappés aux armes de Venise contrastaient avec la décoration japonisante et les laques rouges des salons dont les baies vitrées s’ouvraient sur un parc à la végétation luxuriante, digne d’un palais des Mille et une nuits.
Sophie est heureuse. Elle a un fils, René, un mari attentionné, riche et mécène. Elle est l’incontestable reine de Nice. Chaque année, elle donne un grand concert de bienfaisance au Théâtre Italien. Les places sont les plus chères de la saison. Sa prestation est accueillie avec ferveur, la puissance de sa voix fait merveille, sa réputation suffit à remplir l’opéra ou le Théâtre Italien, le succès assure de substantiels bénéfices pour les nécessiteux de la ville qui bénissent son nom. En dépit de l’âge, elle reste une cantatrice au talent hors pair. Son salon est devenu un rendez- vous inégalé de la musique.
Théâtre italien de Nice
Il y a bien Madame Bishop qui au château Barla donne quelques soirées musicales, la comtesse de Chambrun, qui vient de faire élever un temple grec dans son parc pour déclamer ses vers, mais les soirées de la vicomtesse restent les plus recherchées.
Elle s’adonne aussi à la composition, non sans talent, et à l’occasion de manifestations organisées au profit des pauvres de la ville, elle alterne les airs les plus célèbres du répertoire avec ses propres créations. Le succès est toujours au rendez-vous et la municipalité doit chaque année augmenter le diamètre du bouquet de fleurs qu’elle lui offre en signe d’admiration et de remerciement, envoi toujours signé Alphonse Karr, le poète-jardinier.
Le dernier en date était une sphère de violettes et de jasmins de deux mètres de diamètre! Oui, sa vie est un conte de fée. Elle peut tout se permettre, même l’audace de donner une réception en l’honneur du prince et de la princesse de Prusse, à la veille de la guerre. Puis, durant celle-ci, elle organisera des concerts pour les blessés et pour les orphelins.
Elle ira même jusqu’à se produire à Paris au bénéfice des Alsaciens-Lorrains devant un parterre qui fleurait plus l’Empire et la monarchie que la nouvelle République ! Une seule chose lui importe: être la première.
Sophie Cruvelli, vicomtesse Vigier à l’époque de l’installation à Nice
La création de Lohengrin à Nice avait germé dans son esprit en 1873, quand elle avait été invitée à l’inauguration du magnifique théâtre du baron Von Derwies au château de Valrose.
Cet ingénieur qui avait amassé une fortune colossale en réalisant le réseau de chemins de fer russe, s’était fait construire la plus luxueuse demeure de la ville. Il y vivait dans une parfaite discrétion et les mauvaises langues de l’abondante colonie moscovite prétendaient qu’en réalité il était tenu à l’écart par les nobles boyards qui ne voyaient en lui qu’un parvenu malgré le titre que le tsar lui avait concédé. Fantasque, il lui arrivait de faire jouer un opéra pour son seul plaisir, unique spectateur d’une salle prévue pour quatre cents personnes.
Baron von Derwies (1826-1881), son château et son théâtre, les folies niçoises de la Belle Epoque
C’est dans ce théâtre, qui n’avait rien à envier à la salle Garnier du casino de Monte-Carlo, qu’il avait offert à ses invités la première de La vie pour le tsar de Glinka. Le spectacle avait été un succès aux répercussions internationales. Sophie jugeait ce délire inacceptable. La vicomtesse Vigier devait faire mieux.
Et elle avait atteint son but : la première de Lohengrin avait surpassé toutes ses espérances.Une réussite dont elle pouvait partager le succès avec Georges, son époux. Car c’est lui, qui, ayant délaissé depuis plusieurs années le vétuste Cercle Masséna aux moyens limités, avait créé, en réunion avec plusieurs grands noms fortunés, amateurs d’art et de baccara, le Cercle de la Méditerranée, une grand palais à l’italienne édifié sur la promenade des Anglais et comportant entre autres, un théâtre de… huit cents places.
Bien évidemment, Sophie en était la prima donna attitrée. Georges voulait pour Sophie et pour Nice une vie musicale de qualité. L’ancêtre des établissements niçois, le Cercle Philharmonique, où autrefois s’était produit Paganini, était moribond et cette peste de Madame Ratazzi l’appelait le « Cercle inharmonique ».
Le Cercle Masséna avait relevé le défi. Si les jeux étaient discrets et les bals bourgeois, il excellait en revanche dans l’agencement des compétitions hippiques, évènements importants de la saison d’hiver niçoise.
Les Régates de Nice du temps du prince de Galles
Le Cercle de la Méditerranée avait riposté avec l’organisation de Régates internationales, qu’Edouard, le prince de Galles, patronnait régulièrement. Georges s’estimait investi du soin de veiller à la qualité des loisirs des hivernants. En association avec le Niçois Saëtone, il avait fondé le Comité des Fêtes de la ville dont il avait naturellement été nommé président.
Son rôle consistait essentiellement à préparer festivités de Carnaval, dans l’esprit de la tradition pour les Niçois, mais aussi pour le plus grand plaisir des hivernants. Aucun doute, Sophie était la reine de Nice. Sans Georges elle aurait mené une vie moins passionnante malgré son talent.
Cette création de Lohengrin avait été pour elle comme le point d’orgue de sa vie et de fait, peu de temps après, Sophie eut la douleur de voir mourir son mari. Elle continua à résider dans sa superbe villa, qu’elle ne quittait que pour quelque manifestation de charité ou pour aller, en dépit de son âge, faire du patin à roulettes au Skating Ring que son mari avait fait construire dans une rue perpendiculaire à la Promenade.
Marie Bashkirtseff (1858-1884) autoportrait en 1880 Russe, riche et talentueuse, une des figures de la Côte d’Azur
On y croisait l’impératrice Elisabeth d’Autriche mais aussi Marie Bashkirtseff dont la jeune dent dure croquait ainsi Sophie;
« Elle a cinquante trois ans et depuis quinze ans, des cheveux canari et des robes telles que ceux qui la voient pour la première fois poussent des cris de coq… elle était superbe et si elle s’habillait convenablement elle serait encore belle. »
Madame Ratazzi, ex-comtesse de Solms, surnommée « la princesse Brouhaha”, tenait toujours la chronique des mondanités niçoises. Elle note, à l’issue d’un récital de Sophie Cruvelli « …très forte, replète, d’un âge mur, habillée à l’enfant, avec une robe courte, des cheveux blonds qui paraissaient ternes et flétris. »
Puis c’est l’écrivain Léon Sarty qui la croise, avenue de la Gare “… des cheveux rouges cousus au chapeau, à ses pieds apparaissaient des bottines qu’elle portait comme des mules ”
L’opéra de Monte-Carlo en 1878
L’opéra de Monte-Carlo aujourd’hui
Les temps de sa beauté, de la splendeur de sa voix, sont loin. L’art était sa meilleure raison de vivre. Elle se rendait souvent à l’opéra de Monte-Carlo dont le directeur, Raoul Gunzbourg, choisissait toujours d’excellents chanteurs.
L’Hôtel de Paris et le casino de Monte-Carlo en 1907
C’est d’ailleurs en sortant d’une représentation d’opéra qu’elle fut prise d’un malaise et qu’elle rendit l’âme à l’Hôtel de Paris, qui fait face au célèbre casino.
Faire-part de décès de la vicomtesse Vigier
Sophie Cruvelli par Karl Müller, en 1852, avant de devenir vicomtesse, Musée du château de Compiègne
Le siècle nouveau venait tout juste de commencer, scellant la fin d’un destin hors du commun.
Ce portrait est extrait du livre “Impératrices, artistes et cocottes” par Martine Gasquet avec l’aimable collaboration de Patrick Germain pour les illustrations.
Actarus
29 mars 2021 @ 03:00
On dirait que tous les récits se passent sur la Côte d’Azur… ^^
Artistocrate
29 mars 2021 @ 19:10
Et on ne se lasse pas de voyager par les mots dans cette magnifique région. Une belle découverte que cette cantatrice.
Corsica
29 mars 2021 @ 23:01
Oui puisque les histoires sont tirées du livre de Martine Gasquet « Impératrices, artistes et cocottes – Les femmes sur la Riviera à la Belle Époque ».
aubert
30 mars 2021 @ 09:22
Plusieurs des dames évoquées appréciaient la Côte d’Azur tout autant que la côte d »Adam avant que celle-ci soit assimilée à la côte de porc.
Ciboulette
30 mars 2021 @ 17:07
Où sont les cocottes ? On les garde pour la fin ?
Cosmo
1 avril 2021 @ 13:24
Elles ne portent pas couronne et l’aristocratie du c…n’est pas encore reconnue par l’ANF.
À propos de cocottes mais en chocolat, bonne fêtes de Pâques.
Phil de Sarthe
30 mars 2021 @ 19:26
Vous êtes en forme, Aubert..👏
Pistounette
29 mars 2021 @ 04:26
Merci pour cette série d’articles tous plus enrichissants les uns que les autres.
Bien que très intéressée par l’histoire de ma proche région (Cannes, Antibes, Nice), j’ignorais nombre de faits, demeures, personnalités… A approfondir dès la fin du confinement
gogatine06
29 mars 2021 @ 06:54
bonjour, j’adore vos rubriques, surtout quand elles se refèrent à ma ville Nice, l’occasion d’y retrouver d’anciennes photos et anecdotes. merciii
Corsica
29 mars 2021 @ 23:02
Oui puisque les histoires sont tirées du livre de Martine Gasquet « Impératrices, artistes et cocottes – Les femmes sur la Riviera à la Belle Époque ».
Corsica
29 mars 2021 @ 23:03
Pardon, il y a eu un doublon, de surcroît mal positionné.
Gatienne
29 mars 2021 @ 09:40
La villa Vigier et son immense écrin de verdure n’existent plus à Nice.
Boulevard Franck Pilatte (au-delà du port) subsiste de cet ensemble loti en 1967, de beaux alignements de palmiers Phoenix et Washingtonia, âgés de plus de 150 ans. Beaucoup, malheureusement, sont victimes du charançon rouge et n’offrent plus à la vue des promeneurs, que des troncs dégarnis. ;-(
Une polémique par rapport aux traitements bio appliqués aux palmiers par la municipalité divise toujours les riverains qui ne peuvent que constater l’avancée des dégâts…
j21
29 mars 2021 @ 13:04
Merci pour ces excellentes rubriques historiques que j’adore.
lila
29 mars 2021 @ 13:48
Quelle détermination dans ce regard !
Baboula
29 mars 2021 @ 14:09
Merci,Cosmo ,de sortir de l’oubli ces femmes d’exception ,la gloire est volatile .
Cosmo
30 mars 2021 @ 14:12
C’est à Martine Gasquet que revient l’honneur…Je ne fais que mettre des images sur un texte. Et je dois avouer y prendre du plaisir.
Ciboulette
30 mars 2021 @ 17:09
Mais , cher Cosmo , vos images et photos sont remarquables , vous avez vraiment une très belle collection !
Baboula
31 mars 2021 @ 12:06
Oui ,bien sûr Cosmo ,alors transmettez lui nos remerciements .
Danielle
29 mars 2021 @ 18:30
Quel destin !! encore un reportage passionnant à lire.
Corsica
29 mars 2021 @ 23:11
Encore une fois merci à Martine Gasquet d’avoir su faire revivre ces femmes de la Belle Époque et à Patrick Germain d’avoir sublimé tous ces récits par une iconographie de grande qualité.
La vicomtesse Vigier a eu la chance d’être bénie des dieux jusque dans la mort où elle a été emportée sans connaître de longues souffrances et la dépendance. Quant à l’arrangement trouvé avec son époux pour concilier mariage et chant, il prouve que lorsque deux personnes amoureuses ont l’intelligence de s’écouter et de faire des compromis tout est possible.
Mary
30 mars 2021 @ 07:37
Une très belle vie !
Trianon
30 mars 2021 @ 11:09
Merci beaucoup, Cosmo,vos illustrations sont toujours nombreuses et variées ,cela rend vraiment très agréable ce type de reportage .
Leonor
30 mars 2021 @ 23:50
Merci, Cosmo.
Je garde toujours la lecture de vos articles ou ceux que vous illustrez pour un moment de totale tranquillité, pour mieux les savourer.