Inauguration du musée Karadjordje, en hommage au leader du premier soulèvement serbe et fondateur de la dynastie des Karadjorgjevic à Radovanjski près de Velika Plana en Serbie. Djorge Petrovic-Karadjordje fut assassiné sur ordre du prince Milos Obrenovic en 1817.
Depuis les forêts avoisinantes d’une superficie de 46 hectares sont un mémorial naturel pour commémorer le chef du soulèvement face aux Ottomans. En 1930, le roi Alexandre de Yougoslavie fit construire à cet endroit une église dédiée à l’Archange Gabriel, réplique de celle construite à Oplenac où se trouve le mausolée de la famille royale. (Copyright photo et source : site de la famille royale de Serbie)
*gustave de montréal
31 juillet 2014 @ 15:31
Ces deux dynasties rivales aimaient bien se massacrer. Façon rapide de monter sur le trône quoi.
Caroline
31 juillet 2014 @ 16:01
Je crois qu’il y a une zizanie entre les pro-Karadjorgjevic et les pro-0brenovic comme chez les royalistes français!
*gustave de montréal
1 août 2014 @ 12:28
Il y avait, au XIXè, les Obrenovic se sont volatilisés depuis. Je ne connais pas de tueries entre les deux branches des Bourbons.
MILENA
31 juillet 2014 @ 18:08
Voilà qui remet les choses en place, c’est LES OBRENOVIC qui ont assassiné le héros serbe qui nous a libéré du joug des OTTOMANS – car on a tendance à dire que ce sont les KARADJORDJEVIC les princes sanguinaires !!
septentrion
31 juillet 2014 @ 19:29
Bonjour,
Salutations à Maria Maddalena qui se reconnaîtra si elle visite ce site ainsi qu’à son mari et Fanny.
Claude-Patricia
1 août 2014 @ 13:47
La Serbie
La tragédie de Belgrade (27juin 1903)
Je plains quiconque fut, par une nécessité de métier, obligé de se faire, dans les 24 heures, une opinions sur les évènements dont la capitale serbe vient d’être le théâtre.
Personne, quant à présent, ne saurait songer sérieusement à écrire l’histoire exacte de cette tragique nuit du 10 au 11 juin. Même, à moins que l’un et l’autre de ceux qui y jouèrent un rôle ne se décide à en conter en détails les péripéties, je doute que nous les connaissions jamais d’une façon précise. Et encore!…
Parmi ces quarante officiers qui, nuitamment, violèrent le palais de leur roi, avec ou sans intentions préméditées de tuer, en est-il un seul qui ait conservé, le seuil une fois , assez de sang-froid pour fixer dans sa mémoire, une a une, les scènes qui marquèrent cette veillée sanglante? Plus on interroge, plus on s’enquiert, et plus les choses s’embrouillent, plus il semble que la vérité fuie.
Un des officiers d’ordonnance du roi Alexandre, mandé en toute hâte, le jeudi au petit jour, recueille de la bouche d’un de ses camarades cette narration, qu’il écrit sans délai aux siens, pour calmer l’alarme que leur a causé son départ subit : « le roi dans un accès de colère ou de démence, a tué deux de ses aides de camp, puis la reine, puis s’est suicidé ».
Telle est la première version du drame. On sait si elle diffère de la réalité.
Même en ce qui concerne les plus menus détails, il est impossible de s’y retrouver dès qu’on a passé une à deux journée à Belgrade, causé un peu avec ceux-là même qui sont le mieux en situation de savoir.
Toute l’effroyable tragédie du vieux Konak (nom du palais) s’est déroulée dans l’obscurité qui convient à des actes de cette sorte, à la lueur de quelques falots militaires, de quelques bougies prudemment glissées par les meurtriers dans leurs poches avant le départ-car il est prodigieux à quel point on avait songé, par avance, à certaines précautions minimes. Or de deux conjurés que l’on questionne l’un est certain que la nuit déjà régnait au palais quand ils sont entré, l’autre atteste que l’électricité s’est subitement éteinte quand la première bombe a éclaté. Cette seconde affirmation est évidemment la plus raisonnable, mais la contradiction entre les deux dires montre à que point tous ces témoins étaient troublés. Quelle âme de bronze il eût fallu, aussi, pour conserver quelque calme en des heures pareilles!
L’affolement des premiers moments explique suffisamment les divergences, les obscurités, les invraisemblances mêmes colportées de-ci de là. Plus tard, la politique peut-être s’en mêlant, on n’eut que trop d’intérêt à embrouiller l’affaire. Actuellement, à huit jours du drame, nous sommes en présence d’une série de légendes entre lesquelles, renonçant à percer à jour le mystère, il faut choisir les moins invraisemblables.
Dès le premier abord, il apparaissait au reporter le plus ingénu qu’une visite au vieux Konak devait être d’un grand secours pour la reconstitution du drame. En effet, la topographie même de ce palais, où l’on pénétrait très difficilement, du vivant du roi, était mal connue des gens que nous questionnions; leurs explications confuses ne concouraient pas peu à peu à emmêler nos idées. Cette visite, nous avons pu la faire, rapide, en une caravane innombrable. Et bien qu’on nous l’eut fait attendre plusieurs jours, qu’on eût avec soin, et du mieux qu’on pouvait, effacé toutes les traces trop accusatrices de la tuerie passée, elle fut impressionnante au possible.
Le « vieux palais », – car enfin, c’est surtout la presse étrangère, beaucoup plus que les Serbes, qui emploie le mot désuet et un peu barbare de Konak dérivé parait-il de konakonati, passer la nuit-le vieux palais n’est quère qu’une maison bourgeoise, pas même très vaste, entre cour et jardin. Il semble blotti à l’ombre du Palais neuf, une des grandes pensées du règne de Milan, construction luxueuse et sans caractère, où sont situés tous les appartements d’apparat, et qui, dans les projets au moins devait s’accroitre d’un corps de bâtiment principal d’une autre aile semblable à la partie déjà construite, couvrir l’emplacement, enfin , du vieux palais démoli.
Le soir de mon arrivée, cette habitation, d’allures provinciales, en arrière d’une grille où saignent de petites roses pourpres, je l’avais entrevue sinistre, comme un palais de Mycènes où s’entretuèrent des Atrides, toute blanche sous les reflets de l’électricité, tous ses volets clos, silencieuse, déserte au milieu de la ville animée encore-veillée par les gendarmes de la garde, beaux gars gantés de blanc. Le lendemain, on me l’avait montré de nouveau, me désignant la fenêtre par laquelle fut précipitée la reine Draga, nouvelle Jézabel-ou plutôt, tour à tour suivant le cicérone, deux ou trois fenêtres, dont chacune était la vraie, La fenêtre. Même au grand jour, la demeure conservait encore je ne sais quel air de mystère sombre. Aux murs, d’ailleurs, pas une taches, pas une éraflure. Un rideau ensanglanté, qui, le lendemain du drame, voltigeait au dehors par la fenêtre brisée, par cette fenêtre qu’on ne pouvait même plus me désigner, avait été rentrée : les persiennes étaient fermées comme dans une maison en deuil, cachant aux regards des curieux les allées et venues des ouvriers qui évidemment, à l’intérieur, s’employaient à masquer le plus gros des dégâts.
Mais quelle émotion insoupçonnée quand nous pûmes enfin franchir ce seuil si inquiétant!
Nous entrâmes par une grille seulement entr’ouverte derrière le Konak, au bout de la rue Krounska (de la Couronne). Des soldats de la garde royale, bleu clair et rouge, comme nos hussards-de ceux qui dans la terrible nuit étaient venus au secours de leur roi-montaient la garde dans le jardin, au perron.
Dès le vestibule, l’obsession tragique vous empoignait. Sur un porte parapluie bien vulgaire, article de bazar, à vingt-cinq francs, quatre cierge d’église, à demi-consumés, reposaient : ils avaient éclairé les funérailles clandestines d’Alexandre et de Draguina.
A suivre.
Francine du Canada
2 août 2014 @ 02:16
Merci pour cet article Régine et que la paix règne en Serbie pour toujours. FdC
Claude-Patricia
2 août 2014 @ 18:16
Suite
Dans l’antichambre qui suivait, sur une banquette, un cadre d’argent ciselé, cadeau de mariage de la ville de Nisch à la feue reine, et d’où son portrait avait été arraché brutalement. Et devant ce cadre, un outil formidable, sans doute quelque outil militaire, hache de sapeur du génie, au long manche, à lame large et trapue comme un instrument de bourreau. C’est avec cette hache là que furent enfoncées certaines des portes qui résistaient, quand on ne voulait pas recourir à la dynamite, ou qu’on n’y pensait pas.
Maintenant nous étions en plein drame. A gauche de cette antichambre s’ouvre la chambre de veille de l’aide de camp de service, meublée d’un lit de fer et d’un divan.
Sur le parquet de marqueterie , une large tache noire, une brûlure.
Là se reposaient, la nuit terrible, l’officier d’ordonnance capitaine Milkovitch et l’aide de camp du roi, lieutenant-colonel Naumovitch. C’est celui-ci qui devait ouvrir la porte aux conjurés et les guider. Quelle scène ignorée se déroula entre ces deux hommes?
Les quarante officiers qui s’étaient rués dans le palais avaient frappé à la porte. Des coups de revolvert éclatèrent à l’interieur, après une rapide et brève discussion. Sous l’effort des arrivants, la porte fut enfoncée; une bombe de dynamite fut jetée,-ou tomba. Naumovitch et Milkovitch tombèrent morts tous les deux. C’est la trace de l’explosion qui est visible sur le plancher, à un mètre de la porte. J’ouvre ici une parenthèse pour préciser le rôle du colonel Michel Naumovitch. Il avait quarante-deux ans environ. Chef de section au ministère de la Guerre, aide de camp du roi depuis son mariage, il n’avait qu’à se laisser vivre, à se montrer bon courtisan pour arriver tout doucement au sommet de la hiérarchie militaire. Sa destinée en décida autrement. Il était le petit-fils d’un aide de camp de Kara Georges, tué en même temps que ce dernier, son père avait été attaché à la personne du roi actuel. Il ne pouvait être très chaud partisan des Obrénovitch. pourtant il avait abdiqué les vieilles haines de famille et, venu au palais, au côté du roi Alexandre, il était tout disposé à s’attacher à lui. Mais ç’a été le sort des deux malheureux souverains que ceux qui les ont approchée de plus près sont ceux-là même qui les ont abbhorrés le plus.
Je sais d’un confident de Naumovitch quel terrible, quel douloureux combat se livra en lui quand il lui fallu décidément choisir entre son devoir strict envers le roi et son devoir impérieux envers sa patrie. C’étaient, attestent ceux qui l’ont connu, un honnête homme. Il souffrit abominablement. Il ne se résigna au crime que lorsqu’il lui apparut bien que le malheur prêt à fondre sur la Serbie, sur le roi ou sur le peuple suivant le caprice du destin et suivant l’attitude des hommes, était inéluctable comme la fatalité.
…Désormais sans guide, les conjurés s’enfoncèrent dans l’obscurité à travers le palais.
A travers les salles, les boudoirs, les salons, salon d’attente du roi revêtu jusqu’au plafond de tapis de pyrote, boudoir bleu de la reine, salon de la reine, ils se précipitèrent jusqu’à la chambre royale-l’unique chambre à coucher du palais! Malgré tous les soins pris, elle porte encore les marques de leur passage, aux murs tendus de damas rose pâle criblés de balle, aux matelas lardés de coup de sabre. Au pied du lit est une chaise longue. La couverture de velours rouge qui la recouvre et qui serait, parait-il, la propre couverture du lit royal, n’est qu’une loque, trouée, déchiquetée par le fer et le plomb. Quelle rage animait ces affolés, on a peine à le concevoir.
Comme il n’y voyaient qu’à demi, ils s’aidaient dans leurs recherches, de leurs lattes, ainsi que fait, dans la nuit profonde qui l’enveloppe, l’aveugle avec son bâton : ils sondèrent les recoins, le dessous du lit, les couvertures molles, les moindres lambeaux d’étoffe pendants ou couchés.
La chambre était vide. Et les furieux partirent dans une autre direction.
Ils fouillèrent le palais une heure et demie! C’est invraisemblable pour quiconque a parcouru en détail ce petit château de carte. Cela fut pourtant. Il fallu qu’à la fin, le premier aide de camp, le général Lazar Pétrovitch qu’on était allé réveiller à la dynamite, en tuant un pauvre sous-officier, trop respectueux de la consigne et des serments, Vélimir Miloiévitch qui veillait à la porte de la chambre qu’il occupait dans une dépendance du palais,-il fallu dis-je que le général Pétrovitch désignât à ses hommes la porte du cabinet où le roi et la reine, blottis, étroitement enlacés, devaient agoniser de frayeur depuis une heure et demie, pour qu’il leur fût possible de découvrir ce réduit dont, sans doute, plus d’un parmi eux connaissait l’existence.
Pétrovitch, d’ailleurs, expia séance tenante sa trahison ou sa lâcheté : on le tua au seuil de la chambre.
Certaines pièces de ce palais, aménagé avec un goût déplorable, devant des meubles affreux, des peintures atroces, des objets d’une navrante banalité : boites à musique, bibelots ridicules,-comme dans le cabinet de toilette du roi, ce jouet bizarre qui pousse des cris d’animaux différents : braiments, aboiements, bêlements, suivant le bouton qu’on tire, et avec lequel s’amusait, devant nous, un bon grand niais de gendarme-on peut sourire et s’étonner. En pénétrant dans ce réduit étroit qui occupe toute la partie de l’aile gauche en saillie sur la façade, je défie le plus fort de résister au frisson.
C’était la lingerie de la reine. Tout autour des armoires, hautes, épaisses, enfermant des fanfreluches, des brimborions, des falbalas.
A un porte manteau, à gauche, trois ou quatre robes pendent encore, claires, voyantes, navrantes à voir.
En face de la double porte par laquelle on entre, miroite une armoire à glace anglaise, masquant la fenêtre centrale, cachant la muraille jusqu’au plafond. Mais cette armoire ment, comme ment le tapis sans tache; elle ne fut pas le témoin de l’abominable dénouement qui se déroula ici et ses flancs doivent cacher quelque horrible éclaboussure.
Les murs, de toute part, sont criblés de balles comme s’il avait grêlé.
On m’a raconté-Est-ce vrai?- Que les corps du roi et de la reine portaient bien chacun la trace d’une trentaine de coups de feu, comme si chacun des meurtriers avait mis un point d’honneur à lâcher le sien.
Enfin, voici la fenêtre, celle de gauche.
La reine, blessée grièvement, s’était relevée, et, instinctivement, avait couru vers cette baie, en avait brisé la vitre et repoussé la persienne, pour jeter dans la nuit un cri perçant, un seul. Alors ces hommes se jetèrent sur elle, dans une abominable poussée. Sous leurs efforts la fenêtre s’enfonça, arrachée, broyée. Le pauvre corps sanglant tomba, sans, disent-ils, qu’il l’aient voulu . Il vint s’abattre dans le jardin fleuri de roses pimpantes, aux pieds de deux soldats en faction. Avaient-ils la conscience exacte de ce qui se passait à l’intérieur du palais? L’un deux s’avança jusqu’à cette loque sanglante, écarta les cheveux qui s’étaient dénoués dans la lutte et reconnu la reine.
-Elle était aussi belle que vivante, dit-il plus tard à ceux qui l’interrogeaient.
A suivre…to be continued
Claude-Patricia
4 août 2014 @ 13:20
Suite
Quelques heures plus tard, en s’éveillant, Belgrade apprit la nouvelle. Non avec cette allégresse qu’on a dépeinte. La ville sortait de trois jours de fête, d’un festival musical.
Lasse, dans la torpeur, pavoisée encore, elle n’enleva point ses drapeaux, n’en ajouta pas non plus.
Mais Belgrade ne pleura pas non plus.
Ces orphéonistes qui l’avaient mise en joie durant ces trois jours de fêtes connurent en arrivant dans leurs foyers la mort de ce roi qui les avaient reçu au Palais et s’étaient, parait-il beaucoup amusé de leurs manières, de leurs costumes et de leurs chants. A en juger par tout ce que j’entend dire autour de moi depuis tantôt huit jours, je crois qu’ils ne durent pousser qu’un soupir de soulagement. Il faut dire les choses comme elles sont. Si regrettables que puissent paraître la mort de ces deux être, si laid que soit l’acte des officiers, surprenant nuitamment le souverain, le chef auquel ils ont prêté serment de dévouement et de fidélité, ces actions abominables étaient inévitables.
Je n’ai point à trancher des questions de haute politique internationale ni à refondre la carte d’Europe suivant tel ou tel plan.
Claude-Patricia
6 août 2014 @ 18:13
Suite :
J’ai partagé, de loin, à la première heure l’indignation qui, à la nouvelle du forfait, a secoué toute la civilisation. Mais ce que, franchement, loyalement, j’exprime, c’est la conviction qui résulte d’une enquête patiemment et consciencieusement menée. Conclure autrement serait hypocrite.
On nous a appris, jadis, à honorer des meurtres qui étaient moins justifiés que celui-ci.
C’est essentiellement le meurtre patriotique. Sans parler des holocaustes qui se préparaient au Palais, la Serbie agonisait, la Serbie était condamnée, comme les proscrits dont on a trouvé des listes dans les papiers royaux, si ce qui vient de s’accomplir n’avait pas été.
Manifestement, d’ailleurs, le roi n’était plus en état de gouverner. les révélations de l’autopsie faite par deux légistes sont accablantes.
Alexandre Ier, depuis quelques temps s’adonnait à l’alccol. Afin de le mieux dominer et asservir, dans les rares instants où il résistait, la reine Draga l’avait lancé vers ce vice infâme, cette maladie, comme disait Edgar Poe. En compagnie du général Pétrovitch, qui fut évidemment l’un de ses mauvais génie, il s’adonna aux orgies écoeurantes . Les traces de l’alcoolisme étaient partout visibles dans ce cadavre. Le cervelet était déjà réduit à l’état gélatineux ; les méninges, d’autre part, présentaient des points d’adhérence à la boite crânienne, d’une épaisseur phénoménale. L’aspect extérieur de cette physionomie, qui, dans l’enfance avait été gentillette et qui, en se modifiant avec l’âge, était devenue inquiétante, annonçait presque au jour le jour, les modifications de cette mentalité. S’il fut un enfant et un adolescent profondément malheureux, il en prit depuis lors une cruelle revanche.
Le dernier de ses actes, acte de fou, de criminel, avait mis le comble à l’horreur qu’il inspirait de plus en plus à son peuple, à l’exaspération de l’armée, surtout : la veille même de sa mort, il avait désigné comme prince héritier son beau-frère Nicodié Lunieviscza, indigne, s’il en fût, d’un tel excès d’honneur. De celui-là, encore, il suffisait de regarder la figure pour deviner les bas instincts. Ce qu’on raconte ici est à peine croyable. Déjà, dans l’émeute du mois dernier, l’armée n’avait obéit qu’à contre-coeur à l’ordre du roi de « tirer en pleine chair ». Vingt-quatre pauvres diables, cependant avaient été tués et l’on colportait dans la capitale un mot sinistre de la reine: « que vingt-quatre! » authentiques ou non, ces mots-là ne manquèrent guère leur effet et la malheureuse n’était déjà que trop impopulaire, elle et les siens.
Aussi ,dès que, dans la soirée du mercredi 10 juin, les conspirateurs, dont toutes les dispositions, depuis longtemps étaient prises, apprirent que le roi avait signé le décret conférant à Nicodié Lunievicsa le titre de prince héritier, la perte de la famille entière fut décidée.
En pleine nuit, les deux frères étaient mandés à la division – d’autres dirent à la forteresse,- et comparaissaient devant une réunion d’officiers. On leur demanda la confirmation de la stupéfiante nouvelle qu’on venait d’apprendre. Et Nicodié se vanta, en termes hautains, de son exactitude :
– alors, embrassez-vous. Vous allez mourir.
On les fusilla séance tenante. Après quoi l’on passa aux autres.
Tout cela est abominable, et la plume tremble aux doigts en l’écrivant. Mais tout cela fut accompli par les enfants du peuple, adorant leur pays, peuple, sont fils de laboureurs, de marchands, d’ouvriers.
Hier matin, sur la tombe de l’une des victimes de cette tragédie, le capitaine Milan Pétrovitch, l’un des deux officiers qui furent tués à la barrière de la ville par le colonel Nicolitch, au moment où celui-ci s’en allait, dans un élan de dévouement au prince, donner l’alarme à la division du Danube et tenter de l’amener au secours du palais- je voyais ses vieux parents qui , le septième jour après la mort étant révolu, s’en venait prier sur la terre fraîche et manger un peu de ce blé sucré qu’on apporte aux morts. La mère, agenouillée, les bras étendus, dans le geste traditionnel des piétas, clamait un vocero, comme font les corses; le père, tout blanc, allait et venait, morne, les yeux à terre. C’étaient deux pauvres gens : elle une bonne femme campagnarde, accourue peut-être, à la nouvelle du coup qui la frappait, de je ne sais de quel champs lointain; lui l’air d’un brave ouvrier endimanché. Ce sont les fils de bonnes gens pareils qui ont accompli ce coup d’Etat, et qui, la besogne faite, aux yeux du peuple très calme, impassible à la surface mais le cœur gonflé de joie, ont passé le pouvoir qu’ils venaient de reconquérir aux politiciens, ne mettant parmi eux, comme garantie peut-être de la bonne exécution de leurs vœux, que deux militaires, le général Athanatskovitch, ministre de la guerre et le colonel Maschin, ministre des Travaux publics, -le frère du premier mari de la reine et l’une des premières victimes dès qu’elle eut le pouvoir.
J’ai fait, le septième jour aussi après la mort de ces victimes de leurs idées, bonnes ou mauvaises, de leurs attachements, un pèlerinage sur leurs tombes- sur celles du moins qu’on avoue et qu’on montre-car le nombre exact des morts est inconnu encore.
Au nouveau cimetière, tout là-bas, loin de la ville, où vous emmène un tramway traînard, ils sont douze : les deux frères Lunievicza d’abord, l’un derrière l’autre , sous de pauvres tumuli de terre fraîche encore où se dessèchent quelques fleurs, puis leur tombe marquée d’une double croix le général Zinzar Marcovitch et son gendre, le capitaine Milkovitch, tué par la première bombe du palais avec Naumovitch, le général Milan Pavlovitch ancien ministre de la Guerre, dans un tombeau de famille de marbre poli noir et rouge, Naumovitch, auquel un palmier artificiel ridicule et touchant, verse un peu d’ombre; enfin dans un même espace de quelques pieds, le capitaine Milan Ptrovitch, pour qui priaient ses deux parents, le lieutenant Milan Gagovitch, tué près de lui et, sur la tombe de qui vint un moment s’agenouiller un camarade en grand uniforme; le sous-officier Vélimir Milioievitch, tué en défendant la porte du général Pétrovitch, au palais, enfin trois pauvres soldats inconnus, près d’eux, héros sans gloire.
Quant au roi et à la reine, on les enterra clandestinement, à la pointe de l’aube, lui en vêtements civils-suprême peine, suprême revanche dans l’esprit des meurtriers; – elle dans sa robe nuptiale sa belle robe à la mode serbe.
En revenant vers la ville, je me suis arrêté aussi sur leur tombe.
C’est au vieux cimetière de Paliloulie, dans une petite église vide et nue comme une chapelle de campagne, sous un toit en tuile rouge : Saint-Marc.
Une grand-tante du roi, « Anna, veuve du gospodar Johan Obrénovitch, morte le 9 juin 1880, à soixante ans d’âge, avait là son tombeau de famille. On n’a eu qu’à soulever un pan du plancher sonore sous lequel un vide encore est béant. Un seul cierge brûle toute le jour et deux croix de zinc déposées contre le mur portent leurs noms : Draguina Obrenovtich, Alexandre Obrénovitch.
Ce lieu est triste, abandonné, visité seulement par quelques hères qui semblent désoeuvrés, ces jours-ci, et par quelque journalistes. Et bien qu’un ardent soleil luise au dehors, il fait froid.
Gustave Babin
Claude-Patricia
6 août 2014 @ 18:15
Il y aura une suite, d’autres textes, qui viendront en leur temps!!