Début juin, la commisaire-priseur Philomène Wolf s’est rendue chez une vieille dame habitant près de Compiègne afin d’estimer différents objets, pour la plupart destinés à être jetés.
Dans la cuisine, un petit tableau (25,80cm x 20,30cm) peint sur bois attire l’attention de la professionnelle, il s’agit visiblement d’une scène très vivante représentant Jésus entouré d’une foule en colère. La propriétaire explique qu’il s’agit simplement d’une icône religieuse qui appartient à sa famille depuis très longtemps.
N’écoutant que son intuition, Philomène Wolf montre la peinture à Éric Turquin, un expert parisien reconnu. Et celui ci tombe des nues, après examen de la peinture l’expert établi avec certitude que l’artiste est Cimabue, un grand peintre florentin de la pré-Renaissance. Ce tableau, peint à l’oeuf et fond d’or sur un panneau de peuplier, serait l’un des huit panneaux d’un dyptique datant de 1280.
Estimé entre 4 et 6 millions d’euros le tableau désormais intitulé « Le Christ moqué » sera mis en vente à Senlis le 27 octobre prochain. (Merci à Charles)
Michèle 2
7 octobre 2019 @ 08:58
C’est une merveilleuse histoire sur un merveilleux tableau qui émerge, silencieusement, de l’ombre d’une cuisine à l’admiration et, il faut bien le dire, à la convoitise des esthètes. J’aurais aimé vivre le bonheur du commissaire priseur au moment de sa découverte.
Muscate-Valeska de Lisabé
7 octobre 2019 @ 17:53
Très joliment exprimé,Michèle.Et vrai.
Hadrien-Marie
8 octobre 2019 @ 12:20
Et celui de la propriétaire du tableau…😀
Francois
7 octobre 2019 @ 09:10
Quelle nouvelle agréable
Mais combien de tableaux sont partis vers le néant
faute de n’avoir été reconnus ?
Vitabel
7 octobre 2019 @ 10:12
Extraordinaire, il est si bien conservé, j’espère que l’acquéreur sera un musée mais pour le coup c’est peut-être un voeu pieux…
Corsica
7 octobre 2019 @ 17:41
Jusqu’à présent les deux autres panneaux retrouvés ont été achetés par des musées : la Frick Collection de New York (La Flagellation du Christ) et la National Gallery de Londres (La Vierge à l’Enfant) mais le passé n’est pas garant de l’avenir.
Leonor
8 octobre 2019 @ 13:13
Oui, Corsica. Nous partageons cela.
Suzanne
7 octobre 2019 @ 10:13
Absolument surréaliste. Le tableau appartient-il encore à la vieille dame ? Ou l’avait-elle déjà donné à la commissaire-priseur ?
Leonor
7 octobre 2019 @ 10:27
Quoi ? Un Cimabue dans une cuisine ? A Compiègne ?
Voilà de quoi relancer les fantasmes de tous ceux qui rêvent de trouver un chef d’oeuvre oublié dans leur grenier.
On connaissait bien les différentes Maesta de Cimabue, et le fantastique Christ en croix de Santa Croce à Florence. Mais là …
Corsica
7 octobre 2019 @ 18:08
Ah Leonore, son Christ en croix du musée de l’œuvre de Santa Croce me bouleverse à chaque fois car tout dans cette peinture (traits du visage, plaies saignantes, corps affaissé et tordu) montre la réalité d’une crucifixion et l’agonie, non pas du fils de Dieu, mais d’un simple homme. Pour moi, Santa Croce est un incontournable florentin entre les tombeaux de Michel Ange, Galilée et Rossini, les fresques de Giotto de la chapelle Bardi et la chapelle des Pazzi de Brunelleschi.
bételgeuse70
7 octobre 2019 @ 10:34
J’ai entendu Mme WOLF relater à la radio l’histoire de sa découverte. Apparemment, elle débute en tant que commissaire priseur et n’en revient pas elle-même d’une telle chance alors que d’autres n’en connaissant pas une seule durant toute leur carrière.
Leonor
7 octobre 2019 @ 13:56
Une chance, oui.
Mais aussi un oeil, une compétence , un savoir.
Tous les commissaires-priseurs sont loin de l’avoir. Le niveau Bac + 3 en Histoire de l’Art ( et Droit) n’est pas excessif : à ce stade, les études sont encore très générales et/ou ( selon les enseignants et les universités), au contraire limitées à … ce qui intéresse les enseignants.
L’histoire de l’art ou plutôt, l’histoire DES arts ET la connaissance des savoir-faire, c’est très vaste. Sans compter que la plupart des profs de fac méprisent ce qu’ils appellent dédaigneusement les arts mineurs. C’est-à-dire ce qui fait l’essentiel de ce que les commissaiere-priseurs ont, eux, à estimer et à vendre.
NB : Il n’y a pas de commissaires-priseurs en Alsace. Les notaires ont le monopole de la chose. Par contre, les notaires n’y font pas de vente immobilière.
Charles
7 octobre 2019 @ 10:34
La propriétaire a toujours connu ce panneau dans sa famille et elle ne sait pas du tout d’où il pourrait provenir. C’est un mystère pour tout le monde.
septentrion
7 octobre 2019 @ 11:05
Heureusement que ce tableau a échappé à la benne!
Pascal
7 octobre 2019 @ 11:07
Par sa composition et vraisemblablement sa technique mais pas par la représentation du Christ et des autres personnes ce panneau évoque en effet tout à fait une icône .
On pourrait presque le prendre pour une icône « décadente » en ce sens qu’elle serait influencée par le romantisme occidental.
Léonor
7 octobre 2019 @ 14:07
Cimabue fait en quelque sorte la transition entre un art de type byzantin et la Renaissance. Un peintre de la pré-Renaissance.
Il utilise encore des systèmes de type byzantin ( comme ici le fond d’or, sans profondeur de champ ), ET s’essaie déjà, en même temps, à des représentations de type nouveau , comme ici une première forme de perspective, dans la représentation des bâtiments à droite et à gauche de la scène .
De façon très intéressante, il se débrouille entre les deux, en quelque sorte, pour rendre plusieurs plans différents en profondeur – au moins trois – dans le positionnement des personnages : il attribue aux vêtements de jambe des personnages des couleurs différentes, et à leurs chevilles et pieds des couleurs de peau différentes aussi. Ce qui permet de voir qui est devant, qui est au second plan, et qui est derrière.
Ca n’a plus grand’chose d’une icône. Sauf le format , oui, et le fond d’or .
Ca bougeait déjà pas mal à Florence à son époque.
Auberi
7 octobre 2019 @ 11:08
Une dame âgée (et non ‘vieille’) bien chanceuse !
particule
7 octobre 2019 @ 11:14
Cette histoire est quasi incroyable. Il ne viendrait à l’idée de personne de faire venir un commissaire priseur pour vérifier que des objets peuvent aller à la décharge !
Mais bon … c’est heureux pour la propriétaire de ce tableau. Non seulement elle s’assure de vieux jours confortables mais de plus elle participe involontairement à la « résurrection » d’un patrimoine. C’est un cadeau tombé du ciel ….également pour l’étude du commissaire priseur !
HRC
7 octobre 2019 @ 11:33
C’est fréquent pour les familles devant estimer les biens anciens hérités à partager. Le commissaire-priseur est une sorte de généraliste qui fait ensuite appel à expert spécialisé.
Baboula
7 octobre 2019 @ 15:47
Mes parents avaient trouvé un « Stradivarius « délaissé par les locataires précédents . C’était écrit dedans ! Faciebat in Cremonensis anno etc…Étienne Vatelot ,lui, a reconnu un violon d’étude 1/4 de Remirmont ,beau violon mais rien à voir avec le maître de Crémone . Le magnifique étui en poirier noirci avait plus de valeur que le violon . Il y a tant de merveilles oubliées que l’on a le droit de rêver .
Karabakh
7 octobre 2019 @ 18:21
J’abonde HTC. Il se peut aussi que la dame âgée ait été placée sous mesure de protection ; il est alors nécessaire de faire expertiser les biens du majeur protégé.
Charlotte
7 octobre 2019 @ 21:08
Oh que si ! dans le cadre d’un héritage qui peut poser problème même si apparemment rien ne semble avoir beaucoup de valeur, tout a de la valeur, notre grand-mère maternelle qui était notaire et qui avait été appelée dans les années 1960 pour estimer des biens dont certains étaient certes dignes d’intérêt, mais d’autres…a vu les héritiers s’écharper pour des bouteilles d’apéritif dont certains avaient marqué le niveau « discrètement » à la mort du grand père ou de la grand mère.
Esquiline
7 octobre 2019 @ 12:47
J’aime beaucoup ce tableau qui montre comme Cimabue et aussi Giotto ont sorti l’art de la rigidité gothico-byzantine et introduit l’expressivité dans leurs oeuvres.
J’ai vraiment découvert Cimabue à Assise un an avant le tremblement de terre qui détruisit la voûte de l’abside de la cathédrale supérieure qu’il avait peinte.
Le séisme a fragmenté l’oeuvre en 80000 morceaux, un puzzle gigantesque reconstitué en quelques années par une équipe de restaurateurs hors du commun pour ce que l’on a appelé le chantier de l’utopie.
35 millions d’euro récoltés dans le monde pour financer 60000 heures de travail qui ont servi à remettre en état 80 mètres carrés.
C’est magnifique pour l’Art et pour l’Eglise!
On aurait voulu le même engagements envers les sinistrés de l’Aquila ou d’Amatrice qui vivent aujourd’hui encore dans des situations précaires.
Baboula
8 octobre 2019 @ 21:39
Il y a plus d’avantages fiscaux à être mécène d’œuvres artistiques que d’aider ceux qui ont tout perdu.
nozzari
7 octobre 2019 @ 12:53
L’importance de la découverte d’un petit format de Cimabue aurait bien étonné il y a 2 siècles. Cet artiste était si mal considéré que la restitution du grand crucifie volé par Napoléon n’a même pas été demandé. C’est pourquoi il est toujours au Louvre.
COLETTE C.
7 octobre 2019 @ 14:13
Heureusement que cette dame n’a pas jeté ce tableau !
nck
7 octobre 2019 @ 16:42
Et ce tableau était dans sa cuisine, donc avec toutes les fumées de cuisson et friture ! Heureusement que cette dame a eu la présence d’esprit de faire appel à un commissaire-priseur avant de vider sa maison, mais j’imagine qu’elle doit déjà avoir un certain niveau social pour avoir ce genre de réflexe.
Val
7 octobre 2019 @ 19:29
Heureusement sinon ça partait à la decheterie de Compiègne
Comme ça j’ai mis à la decheterie un Lalique, véridique ! J’ai honte mais j’ai déménagé seule une maison de 500 m2, du grenier à la cave ! Je n’en pouvais plus ! Il y a de ça 30 ans, je pense que le Lalique n’a pas été perdu pour tout le monde !!
Caroline
7 octobre 2019 @ 20:57
Particule et HRC,
Les héritiers sont parfois si pressés de finir de partager leurs biens qu’ ils ne pensent même pas faire appel à un commissaire- priseur !
Gérard
7 octobre 2019 @ 23:18
On connaissait jusqu’à présent deux panneaux appartenant à un diptyque de dévotion, La Flagellation du Christ, qui depuis 1950 est à la Frick Collection de New York, et La Vierge à l’Enfant trônant et entourée de deux anges qui depuis 2000 est à la National Gallery de Londres à la suite d’une transaction privée.
La Flagellation avait été achetée dans une galerie parisienne.
On ne connaît qu’une dizaine d’œuvres de Cimabue, elles sont sur bois et ont été peintes pour des églises de Pise, Florence, Bologne ou Arezzo. Le Louvre conserve La Vierge en majesté entourée de six anges également appelé la Vierge et l’Enfant en trône qui a été peinte vers 1280 pour l’église Saint-François de Pise. Aucune œuvre de Cimabue n’est passée en vente publique.
On connaît par ailleurs peu d’œuvres du peintre qui aient été destinées à la dévotion privée d’une famille ou d’une communauté, mais c’est précisément le cas d’un diptyque incomplet dont on ne connaît aujourd’hui que trois panneaux sur huit. 
Ce diptyque comportait deux volets, le premier était composé de quatre panneaux avec tout d’abord en haut à gauche La Madone et l’Enfant au trône qui est aujourd’hui à la National Gallery de Londres, le deuxième à côté Le Baiser de Judas qui est aujourd’hui perdu, le troisième Le Christ moqué, et le quatrième La Flagellation du Christ qui est à la Frick Collection. On ne connaît pas les quatre autres scènes de la Passion qui étaient sur le second volet.
Le Christ moqué retrouvé près de Compiègne était le troisième panneau du premier volet.
Il a les mêmes dimensions que les deux panneaux connus, on retrouve les mêmes traces de l’ancien encadrement, les petits pointillés ronds exécutés de la même façon au poinçon, le style, l’ornementation du fond d’or, la correspondance des dos des panneaux, et tout ceci comme leur état respectif confirme selon l’expert l’authenticité de l’œuvre. 
De même la présence des barbes c’est-à-dire des agglomérats de peinture qui se constituent sur les bords du tableau, sur le côté vertical gauche et le côté horizontal inférieur permet de placer Le Christ moqué en dessous de La Vierge et l’Enfant et à gauche de La Flagellation. Tous sont des panneaux de peuplier peints à l’œuf avec un fond d’or.
Cimabue était le pseudonyme de Cenni (Bencivieni) di Pepo né le 5 ou le 19 septembre 1240 semble-t-il et mort à Pise le 24 janvier 1302, il révolutionna la peinture par rapport à la tradition byzantine idéalisée. Il aurait appartenu à la noble famille des Cimabui et aurait été prénommé Giovanni selon Vasari.
Le Christ est l’élément central évidemment du panneau, il est encerclé mais il dépasse par la taille et par l’attitude ceux qui
l’outragent.
La scène est tirée de l’Évangile selon saint Marc (16,16-20).
« Les soldats l’emmenèrent à l’intérieur du palais, c’est-à-dire dans le Prétoire. Alors ils rassemblent toute la garde, ils le revêtent de pourpre, et lui posent sur la tête une couronne d’épines qu’ils ont tressée. Puis ils se mirent à lui faire des salutations, en
disant : « Salut, roi des Juifs ! » Ils lui frappaient la tête avec un roseau, crachaient sur lui, et s’agenouillaient pour lui rendre hommage. Quand ils se furent bien moqués de lui, il lui enlevèrent le manteau de pourpre, et lui remirent ses vêtements. Puis, de là, il l’emmènent pour le crucifier […] »
La propriétaire de la maison près de Compiègne où se trouvait dans le couloir entre la cuisine et le salon le panneau, voulait savoir si cette sorte d’icône avait une valeur, elle l’avait toujours vue et ignorait comment elle était arrivée dans la famille. On imagine que c’est à la fin du XIXe siècle que les panneaux ont été séparés les uns des autres par un marchand pour être vendus plus commodément.
Anne-Cécile
8 octobre 2019 @ 02:03
C’est le genre d’objet dont il ne me viendrait pas à l’idée de me séparer ni d’en vérifier l’origine.
Encore moins de jeter s’agissant d’une scène religieuse.
Pascal
8 octobre 2019 @ 17:48
Chère Leonor ,
Je pense être devenu assez familier de l’iconographie byzantine pour comprendre vos explications et aussi pour vous remercier de la précision de votre réponse à mon commentaire .
C’est pour moi un des plus grands attraits de N&R que de découvrir des domaines inconnus , Cimabue en était un pour moi , même si le peu d’oeuvres connues de lui n’egaleront jamais l’icône du Christ du monastère Sainte Catherine du Mont Sinaï.
En définitive les réflexions et considérations sur la peinture , religieuse ou pas, sont bien plus importantes que la plupart de ce qui nos préoccupe ordinairement.
J’ai écrit peinture parce c’est ce à quoi je suis le plus sensible , mais cela vaut pour toute forme d’art , mineur ou majeur.
Philippe Gain d'Enquin
9 octobre 2019 @ 12:22
Nous dirons que Madame la commissaire-priseur n’avait pas les yeux embués…
Brigitte et Christian
14 octobre 2019 @ 13:21
bonjour à tous,
Merci à Charles pour cette belle histoire qui fait rêver, surtout que Compiègne est notre pays natal à nous deux. Merci aussi à Gérard pour son commentaire si bien documenté sur le peintre Cimabue que nous ne connaissions pas. C’est ce qui fait le charme du site, la possibilité de s’instruire grâce aux connaissances de certains lecteurs, en dehors des commentaires stériles.
amitiés du sud ouest sous le vent et un soleil timide