Tant en Russie qu’en Autriche, Johann-Baptist von Lampi s’est rapidement fait connaître comme un peintre à la mode, qui exécute facilement de nombreuses œuvres généreusement rémunérées.
Johann-Baptist von Lampi est le type d’artiste qui recherche (et trouve) constamment des commandes et des mécènes particulièrement lucratifs. Selon les contemporains, le succès des deux Lampi (père et fils) était si important que tant à la cour russe qu’à la cour autrichienne, à cette époque, il n’y avait presque pas un seul aristocrate ou dignitaire qui n’ait été capturé par leur pinceau.
Parmi les tableaux qui nous sont parvenus, certains présentent des personnages inconnus. Ci-dessus, Dame de qualité.
Gentilhomme
Dans ses portraits, Lampi l’Ancien a créé l’image d’un courtisan à succès qui avait une brillante carrière derrière lui et occupait une position de premier plan à la cour. Selon l’historien de l’art E.F. Gollerbach, Lampi a pu « capturer dans une description généralisée le type de personnes qui lui sont contemporaines, un certain visage collectif de l’aristocratie russe de l’époque de Catherine ».
La place centrale dans l’œuvre de l’artiste est occupée par les portraits d’apparat et semi-cérémonial, au cours d’une écriture dont il a surtout réussi à fixer efficacement la nature et à l’embellir, mais sans atteinte notable à la ressemblance avec la réalité.
François Pierre Frédéric de Diesbach
François Pierre Frédéric de Diesbach (1739-1811) d’origine helvétique, élève au collège Saint-Michel à Fribourg, puis au Theresianum à Vienne, enseigne aux gardes suisses en France (1755-1759), étudiant en droit à Vienne, chambellan de l’empereur Joseph II en 1780, conseiller d’État en 1791, délégué aux diètes fédérales d’Aarau en 1792 et de Frauenfeld en 1794-1795, préfet de Fribourg en 1803, membre du Grand Conseil et juge cantonal en 1807, grand voyageur et polyglotte, un des hommes les plus cultivés de Fribourg, franc-maçon dans sa jeunesse,
Chez les héros de Lampi, on ressent une beauté artificielle, un détachement des réalités de la vie ; les expressions faciales sont sûres d’elles et fières. La couleur de ses peintures est riche, mais en même temps douce et feutrée ; style de peinture – un coup de pinceau doux qui adoucit les dégradés de lumière et d’ombre; la réception de la lettre est gratuite, particulièrement habile à reproduire des intérieurs et des accessoires.
Mais il y aussi des portraits plus intimistes comme ceux des enfants et des dames de la famille Tomatis.
Les enfants du comte Tomatis (1780)
Deux dames de la Maison Tomatis (1788-1789, Vienna, Osterreichische Galerie Belvedere,
Carlo Alessandro Tomatis (1739-1807), autoproclamé comte, était un mystificateur, grand amateur des jeux de hasard. Arrivé à Varsovie, en venant d’Italie, en 1763, dès le 25 novembre, il fut nommé par le nouveau roi de Pologne Stanislas II Auguste Poniatowski, directeur du Théâtre Public de Varsovie, puis chambellan de la cour.
Nommé Commandeur de l’Ordre des Saints Maurice et Lazare, il mena une vie fastueuse à Varsovie. En 1788, il s’installa à Vienne au service de Joseph II. Il fut un des rares personnages, à la réputation douteuse, dont il peignit la famille.
Sainte Cécile
De sa première période, l’art religieux, nous avons une Sainte Cécile qui ne laisse en rien présager l’artiste de cour qu’il deviendra
Mais c’est grâce à Johann-Baptist von Lampi que le visage de certains des très grands personnages, hommes et femmes, des cours de Russie et d’Autriche nous sont connus. L’ordre suivi n’est pas chronologique, ni même protocolaire.
Comtesse Vera Nikolaevna Zavadovskaya
La Comtesse Vera Nikolaevna Zavadovskaya, née Apraksina, (1768 – 1845) fut dame d’honneur de l’impératrice Catherine II. Elle fut l’épouse du très sérieux comte Pyotr Zavadovsky (1739-1812), qui de secrétaire de l’impératrice passa au rôle d’amant impérial, puis conseiller privé, sénateur et enfin ministre de l’éducation de l’empereur Alexandre Ier. Son épouse ne fut pas en reste et on lui connait au moins deux amants, le prince Ivan Baryantiski et le poète Sergey Marin.
Comte Pyotr Zavadovsky
Prince Nikolai Borisovich Yusupov
Le prince Nikolai Borisovich Youssoupov, (1750 -1831), fils aîné du prince Boris Yusupov, fut sénateur, diplomate, conseiller de cour, ministre des propriétés impériales, directeur du musée de l’Ermitage et enfin directeur des théâtres impériaux. Il exerça ses activités sous l’autorité de quatre souverains.
Parlant cinq langues, correspondant avec Voltaire, il était un homme de grande culture. Ses voyages en Europe occidentale l’emmenèrent à Versailles où il fut reçu par Louis XVI et Marie-Antoinette, en Prusse où il rencontra Frédéric II, enfin à Vienne où il fut présenté à Joseph II.
Mais c’est en Italie qu’il fit preuve du plus grand talent, en achetant peinture et dessins pour ses maîtres. Il en profita pour enrichir sa propre collection de tableaux et d’œuvres d’art, qui devint une des plus importantes d’Europe avec 600 tableaux et sculptures, des porcelaines et une bibliothèque de 20 000 volumes.
Il était un des hommes les plus riches, et donc indépendant, de Russie partageant sa vie quand il n’était pas en voyage, avec sa femme et sa famille, dans ses propriétés d’ Arkhangelsk et son palais moscovite.
Il fit construire sa propre fabrique de porcelaine, où vinrent travailler beaucoup d’artisans français. Son fils Boris lui succéda à la tête de son immense fortune. Son arrière petit-fils fut le célèbre Félix Youssoupov, entré par mariage dans la famille impériale russe. En 1917, l’ensemble des fabuleuses collections Youssoupov fut dispersé entre différents musées..
Comte Ivan Lazarevich Lazarev
Hovhannes Lazarian, plus connu sous le nom de Ivan Lazarevich Lazarev (1735-1801), était un financier, d’origine arménienne. Banquier de cour, millionnaire, il fut créé comte de l’empire par Catherine II en 1788. Né dans le quartier arménien d’Ispahan en Perse, dont ses ancêtres avaient été maires depuis le début du 17ème siècle.
Sa famille commença ses relations commerciales avec la Russie de Pierre le Grand durant la guerre russo-perse en 1722-1723. Après un séjour à Astrakhan, la famille Lazarian vint s’établir à Moscou, où ils installèrent une filature de soie, devenant les fournisseurs exclusifs de l’impératrice Elisabeth pour la soie et autres objets de luxe.
Marie-Thérèse d’Autriche les créa baron en 1768. Hovhannes Lazarian transféra ses affaires à Saint-Petersbourg. Il servit d’intermédiaire, en 1775, entre le comte Gregory Orlov et un millionnaire persan, Shaffrass, un oncle de sa femme, pour l’achat du diamant dit Le Grand Mogol, connu maintenant sous le nom de Diamant Orlov (189 Carats).
Diamant Orlov sur le sceptre impérial russe
Son immense richesse permit à Hovhannes Lazarian, désormais Ivan Lazarevich Lazarev d’acheter les propriétés des Stroganov, soit 115 000 hectares de terre au nord de l’Oural avec 16000 serfs. Il établit des aciéries.
Conseiller de l’impératrice Catherine pour les affaires orientales, il tenta d’établir un royaume d’Arménie avec le prince Potemkine comme souverain. Mais de façon plus réaliste, au Traité de Jassy en 1792, qui donna la Crimée, détachée de l’empire ottoman, à la Russie, il favorisa l’implantation des Arméniens sur les nouvelles territoires acquis autour de la Mer Noire.
A sa mort son frère hérita sa fortune et établit à Moscou, à sa demande, une école pour les Arméniens déshérités. C
e fut sa petite-nièce qui par son mariage apporta cette immense fortune au prince Semyon Abamelek-Lazarev (1857-1916) qui épousa Moina, la fille de Pavel Pavlovich Demidov, prince de San Donato, neveu par alliance de la princesse Mathilde Bonaparte.
Cette immense fortune servit tout au long du XIXe siècle à créer des œuvres de bienfaisance, tant en Russie qu’en Italie.
René Pompeevic Yuly Litta
Renato Giulio Litta Visconti Arese, connu en Russie sous le nom René Pompeevic Yuly Litta (Milan, 12 avril 1763 – Saint-Pétersbourg, 26 janvier 1839), était un amiral de naissance italien enaturalisé russe.
Descendant des Visconti, par son père et sa mère, il appartenait à une des plus grandes familles milanaises, voire italiennes.
A 19 ans, il est entré, en qualité de d’officier de marine, à l’ Ordre Souverain Militaire de Malte. Cela lui permit d’acquérir une grande expérience qui fut précieuse lorsque l’impératrice Catherine demanda au Grand-Maître de l’Ordre de mettre un marin à guéri à sa disposition pour réorganiser sa flotte. devenir un chevalier et acquérir une expérience précieuse dans le domaine qui donnera beaucoup plus tard. En Janvier 1789, il arriva Saint-Pétersbourg.
Le chevalier maltais sut gagner rapidement l’estime et de l’amitié, non seulement de l’Impératrice, mais aussi le grand-duc héréditaire Paul. Mis au service rapidement, il fut promu vice-amiral après une victoire contre la marine suédoise.
En 1795, l’Ordre le chargea de négocier la restitution de ses biens confisqués par Catherine, lors du partage de la Pologne. Celle-ci s’y refusa mais sa mort permit la restitution, grâce à Paul Ier, grand admirateur et partisan de l’Ordre, ce qui lui permit d’établir le Grand Prieuré russe de l’Ordre Souverain Militaire de Malte.
L’occupation de Malte, suivie de la dissolution de l’ordre par Napoléon mit fin à ses rêves d’en devenir Grand-Maître.
Renato Giulio Litta Visconti Arese choisit alors de vivre définitivement en Russie et devenir sujet de l’empereur. Il devint René Pompeevic Yuly Litta et épousa la riche comtesse Caterina Skavronskaja, veuve de l’ambassadeur russe à la cour de Naples.
Après l’assassinat de Paul Ier, les Chevaliers de Malte ont perdirent leur influence en Russie. Cela n’entrava pas sa carrière car il fut conseiller d’état, puis président du département de l’économie,, sous les règnes d’Alexandre Ier et de Nicolas Ier.
Il avait acquis en 1813, du prince Belgioioso, le tableau “La Madone Litta”, attribué à Léonard de Vinci mais en fait conçu par lui et exécute par des de ses élèves Boltraffio et d’Oggiono. En 1865, la famille Litta la vendit à Alexandre II pour le musée de l’Ermitage, où elle est toujours.
La “Madonne Litta” peinte vers 1490
La comtesse Potocka, née le 12 janvier 1760 à Bursa, Turquie et décédé le 24 novembre 1822 à Berlin eut certainement une des vies les plus extraordinaires.
Sofia Clavone naquit dans la ville turque de Bursa le 11 janvier 1760. Son père, Constantin Clavone était un pauvre marchand de moutons ou boucher, et sa mère, Maria, une beauté locale. Lorsque Sofia eut douze ans, la famille déménagea dans la grande ville de Constantinople, et s’installa dans le quartier grec de Phanar. Sofia et sa sœur vécurent dans ce quartier jusqu’à la mort inopinée de son père, lorsque la jeune fille eut atteint ses quinze ans. Sa mère fut obligée de se remarier à un arménien pour survivre.
La comtesse Potocka
En 1776, toute la famille perdit sa maison lors du grand feu qui ravagea Constantinople. La mère de Sofia y perdit son deuxième mari, et elle entreprit de demander de l’aide à l’ambassadeur polonais, Boskamp Lyasopolskomu.
Ce dernier, séduit par la détresse de cette mère, et de ses deux jeunes et jolies filles, consentit à les aider, mais en contrepartie, il réclama la jeune Sofia comme maitresse en échange de 1 500 piastres.
La mère accepta sans sourciller de monnayer sa fille, et Sofia s’installa avec sa famille dans un coin de l’ambassade. Sofia et sa soeur apprirent le français avec les filles de l’ambassadeur polonais (car il était bien sûr marié). La mère de Sofia décida d’utiliser la beauté de ses filles pour survivre, et quelques mois plus tard, la sœur ainée de Sofia rejoignait le harem du pacha turc en tant que concubine.
Quant à Sofia, pendant deux ans, elle devint la maitresse de l’ambassadeur polonais. Rappelé à Varsovie le 27 mai 1778, Boskamp Lyasopolskomu installa la jeune fille à Constantinople dans un appartement loué chez l’interprète turc de l’ambassade, et mis sur la banque au nom de Sofia la somme de 1 500 piastres à titre de dot. Mais la jeune fille n’était toujours pas libre de ses mouvements.
En effet, en décembre 1778, Sofia reçut l’ordre de rejoindre l’ambassadeur polonais à Varsovie : en effet ce dernier lui promettait de lui trouver un riche marchand polonais pour mari, lui ne pouvant (et ne voulant) l’épouser puisqu’il était déjà marié.
Sofia se mit en route en janvier 1779 pour rejoindre la capitale polonaise, en compagnie des tuteurs nommés par Boskamp, et voyagea à travers la Bulgarie : en avril, elle arriva à Kamenets Podolsk en Ukraine.
Elle y rencontra le commandant du fort local, Joseph de Witte (d’origine hollandaise) qui tomba amoureux d’elle. Déjouant la surveillance dont elle était l’objet, Sofia rejoignit le fougueux officier qui lui proposa le mariage. Désireuse de quitter son état d’esclave sexuelle, la jeune femme accepta.
La comtesse Potocka
Le jeune couple se maria le 14 juin 1779 dans l’église catholique du village de Zinkovtsy, sans l’autorisation des parents du jeune homme. Sofia avait alors dix-neuf ans, et Joseph de Witte en avait quarante. C’était un bel homme qui était devenu lieutenant général dans l’armée russe et avait la faveur de l’impératrice Catherine II.
Le jeune couple passa deux ans à Kamenetz Podolsk où le mari détenait le titre de commandant de la forteresse russe, puis le comte de Witte emmena en 1781 sa jeune épouse pour un tour de l’Europe. Dans toutes les capitales d’Europe, la beauté de la jeune femme va susciter l’admiration de tous.
Leur première halte se fit à Varsovie en mars 1781, où Sofia de Witte fut présentée au roi Stanislas Auguste, grand amateur de jolies femmes.
Pendant les deux mois de leur séjour, la jeune femme y fit sensation de par sa beauté, et sa conversation. Ses contemporains la décrivaient ainsi : « belle comme un rêve, dotée de magnifiques yeux noirs, c’était une jeune fille dotée des charmes langoureux des beautés du sud, entrainant le cœur des jeunes hommes qui la croisaient et suscitant l’envie chez les dames de son entourage ».
Après Varsovie, le jeune couple se rendit à Berlin, où ils rencontrèrent le roi de Prusse Frederick II, puis ils s’arrêtèrent dans la ville balnéaire de Spa où Sofia fut présentée à l’empereur Joseph II (venu ici en cure), qui recommanda vivement le jeune couple à sa sœur la reine de France Marie Antoinette d’Autriche, lorsqu’ils exprimèrent le désir de se rendre en France, à Versailles.
Marie-Antoinette peinte par Elisabeth Vigée-Lebrun en 1783
La reine de France accueillit le jeune couple à Trianon, où Sofia de Witte attira les regards du jeune comte d’Artois, frère de Louis XVI. Cet incorrigible séducteur semble avoir mis la jeune femme dans son lit.
Elisabeth Vigée Lebrun fera un portrait de Sofia, elle relatera dans ses mémoires que « la jeune femme était vraiment très belle, mais qu’elle le savait et qu’elle en jouait outrageusement ».
Pendant leur séjour à Paris, Sofia de Witte accoucha de son premier enfant, Ivan, le 17 novembre 1781 : les contemporains chuchotèrent que le père n’était autre que le roi de Pologne, qui s’empressa de revendiquer son titre de parrain de l’enfant.
En 1782, le couple revint à Kamenetz en ayant fait halte à Vienne après avoir traversé la Moravie et la Slovaquie. Cette année là, le père de Joseph de Witte mourut, et Sofia prit le titre de comtesse de Witte. Son mari reçut du ministre russe Grigori Potemkine le grade de commandant de Kherson, et 6000 roubles de salaire par an.
La première mention de la liaison de Sofia (âgée de vingt-neuf ans) et de Grigori Potemkine (âgé de cinquante ans) date de 1789 : à cette date, elle est l’invitée d’honneur du camp militaire d’Otchakov, où le prince Potemkine ordonna des bals et des collations dont la belle comtesse de Witte est l’invitée d’honneur. A cette époque, son mari se vit conférer le grade de général de l’armée russe.
Dans le courant de l’année 1792, Sofia rencontra celui qui allait devenir son deuxième époux, le plus riche magnat de l’Ukraine : un comte général polonais du nom de Stanislav Schensny Potocki; c’était un homme marié de quarante ans (il avait onze enfants de sa deuxième épouse Jozefa Mniszech) et le coup de foudre entre Stanislav et Sofia fut immédiatement réciproque. Elle devint rapidement sa maitresse, et lui donna trois enfants illégitimes Konstantin (né en 1793), Nikolai (né en 1794) et Helena (née en 1797).
Comte Stanislav Potocki
Potocki, amoureux fou de Sofia, proposa à Joseph de Witte, époux de Sofia d’engager une procédure de divorce en échange de deux millions de zlotys.
Le mari de Sofia accepta (sa femme était devenue depuis plusieurs mois la maitresse de Potocki et l’avait quitté) et la jeune femme entama la procédure : elle obtint un divorce catholique légal en février 1796.
Quant à Potocki, il divorça de son épouse seulement après la mort de Catherine II en 1798. Potocki épousa Sofia le 17 avril 1798 dans une cérémonie orthodoxe à Toultchine, Sofia était alors enceinte de son fils Alexandre qui naitra à la fin de l’année 1798, et qui devait devenir son fils préféré. Après ce mariage, elle devint officiellement Sofia Potocka.
Le couple devait avoir en tout huit enfants (dont trois nés avant mariage) dont deux filles, Olga (née en 1803) et Sophia (née en 1801) qui eurent la beauté de leur mère en héritage.
Potocki était tellement amoureux de Sofia qu’il lui construisit un superbe jardin dans sa propriété ukrainienne qu’il baptisa du nom de « Sophievka » et qui lui coûta plusieurs millions de zlotys.
Au moment de son troisième mariage, Potocki venait de prendre sa retraite de général d’infanterie de l’armée russe : c’est ainsi qu’il se retira avec Sofia sur ses terres de Tulczyn en Ukraine (232 km au sud-ouest de Kiev) où les Potocki possédait un palais magnifique (qui existe toujours).
Potocki avait un patriote polonais avant de devenir général russe, ce qui lui valut le mépris de la noblesse polonaise. Potocki avait été condamné à mort en Pologne en 1794 et son effigie avait été brûlée à Varsovie. Il fut finalement gracié. En 1795, la Pologne cessa d’exister comme État souverain.
Le ménage fut heureux malgré les crises de mysticisme de Stanislav vers la fin de sa vie, jusqu’au jour où Sofia tomba amoureuse de son beau-fils, Feliks Georg Potocki (issu du précédent mariage de Potocki) et de seize ans plus jeune qu’elle. Les rumeurs disaient qu’il était probablement le père du dernier enfant de Sofia : Boleslaw. Son mari (qui semble n’avoir pas soupçonné la liaison de sa femme) eut le bon gout de mourir le 15 mars 1805, et Sofia rompit sa liaison avec son beau-fils qui devait mourir en 1810 sans s’être jamais marié.
L’héritage du comte Potocki fut difficile pour Sofia Potocka : en effet, le comte Potocki avait onze enfants de son premier mariage, et tous se liguèrent contre leur belle-mère désirant prouver que le deuxième mariage de leur père n’était pas légitime, et que les enfants nés de cette union étaient des bâtards inaptes à devenir héritiers du comte Potocki.
De plus, selon la loi civile polonaise une veuve à la mort de son époux retrouvait sa dot et une part du patrimoine de son époux décédé. Mais comme Sofia n’avait pas eu de dot pour ce deuxième mariage, son droit d’accès à l’héritage de son époux était nul.
Alexandre Ier -Peintre inconnu
La comtesse Potocka décida alors de se rendre auprès du seul homme apte à l’aider : l’empereur de Russie. Avec l’accord de son beau-fils Feliks (avec qui elle était restée en bons termes) elle se rendit à Saint Petersbourg et demanda une audience à l’empereur grâce à l’aide du gouverneur de ce dernier, Nikolai Novosiltsov, qui était aussi l’un de ses admirateurs (les mauvaises langues disaient qu’il était son amant). Le tsar accorda sa protection à la veuve Potocki, et Sofia garda la totalité de l’héritage de son défunt époux au grand dam de ses beaux enfants.
Prudente, dans le testament qu’elle rédigera quelques mois plus tard, Sofia Potocka lèguera tout à ses enfants, c’est-à-dire 60 millions de roubles sans compter les palais et les terres des Potocki.
Au début des années 1820, Sofia tomba gravement malade d’un cancer. Elle décida alors de se rendre à Berlin pour y rencontrer des docteurs plus compétents.
A Berlin, les spécialistes réussirent à combattre son mal pendant quelques mois, mais Sofia Potocka devait mourir à Berlin le 24 novembre 1822, âgée de 62 ans. Elle demandera à ce que son corps soit ramené en Ukraine et elle sera enterrée à Talnoe (où le corps de sa fille Olga la rejoindra en 1861).
Sa descendance eut des destins variés : Le fils né de son premier mariage (celui qui était né à Paris), Ivan de Witte (1781-1840) deviendra un général dans l’armée russe, se maria deux fois mais ne laissera pas d’héritier de ses deux mariages.
Son fils ainé né de son mariage avec Potocki, Alexandre, (1798-1868) était le favori de sa mère. A sa mort, il héritera du domaine d’Ouman en Ukraine et de son parc immense ; mais il prit part à l’insurrection de la Pologne qui finit en défaite, le tsar lui confisqua ses terres et les donna à sa femme l’impératrice. Alexandre finit sa vie en exil en Italie n’ayant pas laissé d’héritier.
Mieczyslaw (1799-1878) devait mourir dans une cellule d’une prison russe, condamné à mort par l’empereur de Russie Alexandre II : il laissera à son fils Nicolas la somme de 80 millions de Francs. Nicolas étant mort jeune, la lignée s’arrêtera avec lui.
Zofia (1801-1875), la fille ainée, épousera le comte Kiselvov et se séparera de ce dernier en 1830 et ira vivre à Paris. Elle mourut sans postérité.
Olga (1803-1861) se mariera avec le comte Narychkine et mourra à Paris en 1861 laissant une fille unique Sofia épouse Shuvalov.
Quant à Boleslaw (1806-1875), il vivra à Nemirove et s’occupera de bienfaisance dans l’instruction publique. Il se mariera à la fille d’un feld marechal, Maria Saltykova et eurent une fille Maria épouse Stroganov.
Fort belle, la comtesse Potocka fut une aventurière de haut vol, à la moralité très souple. (Merci à Patrick Germain)
Régine ⋅ Actualité 2022, Autriche, Pologne, Russie 14 Comments
Actarus
23 juin 2022 @ 01:51
« Dame de qualité » ressemble à un homme travesti. Les traits de son visage sont masculins. C’était peut-être le chevalier d’Eon… ^^
Pascal Hervé 🍄
23 juin 2022 @ 05:55
C’est extrêmement riche et intéressant mais ”la réception de la lettre est gratuite” (troisième paragraphe) ,je ne comprends pas ; s’agirait-il de la lumière ?
Je ne suis pas fan du tout de ”la Madone Litta ” ,le bébé est presque monstrueux.
Certains portraits semblent particulièrement expressifs et nous obligent à nous forger une idée du tempérament du sujet .
Et ces destins donnent à songer …
Il y avait un (ou des ) prince Bariatinsky qui vivait en France et y est mort il y a quelques années, quelqu’un l’aurait-il connu ?
Antoine
24 juin 2022 @ 09:53
Dans les Nativités, l’Enfant-Jésus est toujours surdimensionné. On se demande comment la Vierge a pu accoucher d’un tel nourrisson sans césarienne et sans y laisser la vie! Il est vrai que « rien n’est impossible à Dieu ».
Cosmo
24 juin 2022 @ 10:53
Cher Pascal,
Moi non plus je ne comprends pas. Je relis mes textes…mais il y a une un interférence bizarre…Désolé !
Bon weekend
Cosmo
septentrion
23 juin 2022 @ 05:56
De beaux portraits, celui des enfants Tomatis est très réussi. Quant au premier portrait Dame de qualité jai cru qu’il s’agissait de celui d’un homme. Cest en fait le portrait de la comtesse Vera Nicolvena Zavadvskaya.
Dunia
23 juin 2022 @ 06:25
1ére photo : est ce un homme?
Valérie T.
23 juin 2022 @ 07:10
Merci pour cette seconde partie très complète. J’ai particulièrement aimé le portrait (et la personnalité) du comte Ivan Lazarevich Lazarev et de François Pierre Frédéric de Diesbach, ainsi que la représentation de Sainte Cécile.
Lampi est certes un peintre à la mode bien rémunéré à son époque, mais surtout un artiste de talent.
Olivier AM de Tokyo
23 juin 2022 @ 07:52
Aventurière de haut vol? À la moralité très souple?
Ce serait un homme, on parlerait « d’ambition » (bien placée, forcément), de « force de caractère » et de « réussite sociale »…
Elle a été « vendue » par sa propre mère, puis exploitée sexuellement pendant des années… Cela laisse des séquelles!
Donc qu’elle ait essayé de réussir pour sortir de l’esclavage sexuel dans lequel elle était par tous les moyens, quoi de plus normal?
Ce à une époque où le physique est encore plus important (pour ne pas dire tout!!) qu’aujourd’hui pour les femmes qui n’ont AUCUNE indépendance légale reconnue en Europe.
Robespierre
24 juin 2022 @ 10:07
Je ne vois pas où elle a été exploitée sexuellement vu que des hommes éminents lui ont proposé le mariage et fait d’elle une femme ayant pignon sur rue. C’est très rare à cette époque d’être épousée sans background. Patrick Germain ne va tout de même pas faire de Madame Potocka une couventine. La moralité souple ? Oui quand on fait divorcer un homme marié pour se faire épouser. Et cela se voit à toutes les époques. Elle n’a pas été exploitée sexuellement puisqu’elle était d’accord de tomber dans une situation gagnant-gagnant, win win comme disent nos amis anglais.
Robespierre
23 juin 2022 @ 08:42
Merci Patrick Germain. Encore une aventurière que je ne connaissais pas, mais qui montre que la beauté est un moyen sûr de se débrouiller dans la vie. A toutes les époques. Le comte Potocki était un géniteur prolifique, car s’il a eu 11 enfants d’un premier mariage et 8 de la fameuse Sofia, cela nous fait 19 enfants.
Tous les mariages de la dame ont dû irriter les familles concernées. Cela me fait un peu penser à madame Tallien que vous aviez évoquée il y a quelques années. Elle eu également une floppée d’enfants de différents géniteurs, dont son dernier mari.
Mayg
23 juin 2022 @ 13:57
Je trouve que le premier portrait à un visage un peu masculin.
Antoine
23 juin 2022 @ 16:15
A mon avis, le tout premier portrait représente le chevalier d’Eon…
Caroline
23 juin 2022 @ 21:58
Merci à Patrick Germain !👏👏👏
Très, très, très intéressant ! J’ai lu d’ une seule traite votre article passionnant et bien documenté.
Beque
25 juin 2022 @ 10:27
Merci, Cosmo, je ne connaissais pas du tout Johann-Baptist von Lampi. Nous sommes là pour apprendre, n’est-ce pas ?