Née en 1994, la Fondation Hartung-Bergman émane de la vie et des vœux de deux peintres incontournables de XXe siècle : Hans Hartung (1904-1989) et Anna-Eva Bergman (1909-1987).
Elle est un établissement de droit privé reconnu d’utilité publique. Outre des expositions locales et hors-les-murs, elle dédie une partie des bâtiments à la recherche, accueillant en résidence des universitaires, conservateurs, historiens…
C’est un ensemble de maisons modernes au milieu d’une très belle oliveraie.
Hans Hartung nait le 21 septembre 1904 à Leipzig, dans un milieu plutôt bourgeois.
Il est très tôt fasciné par le ciel, notamment par les éclairs : très ingénieux, il fabrique même son propre télescope et son propre appareil photographique.
En 1922, il expérimente des productions artistiques à base de taches informelles, aléatoires faites à l’encre ou à l’aquarelle sur papier : c’est chez lui la naissance de l’abstraction.
Après une formation à Leipzig, Paris puis Munich, il se passionne pour les expressionnistes allemands.
Une première exposition personnelle lui est consacrée à la galerie Kühl à Dresde, en 1931
Anna-Eva Bergman nait en Suède le 29 mai 1909. Après le divorce de ses parents, elle revient en Norvège, pays natal de sa mère. Ne connaissant pas son père, voyant peu sa mère, elle développe, dès l’enfance et l’adolescence, un grand sens de l’autonomie et des qualités artistiques précoces.
Elle choisit de se consacrer à des études artistiques à 16 ans. Après une formation européenne à Oslo et Vienne, elle vient à Paris (où elle fréquente abondamment le Louvre) en 1929. Elle y rencontre Hans Hartung et ils se marient le 28 septembre 1929. Elle expose à Dresde et Oslo en 1932.
Anna-Eva Bergman, HOMBORØYA, 1932_WEB_RRSS
Le couple part vivre aux Baléares (à Minorque) en 1933 et 1934 et fait construire une maison en bord de mer. Tout en menant une belle carrière, elle a quelques problèmes de santé et doit subir plusieurs opérations entre Berlin, Paris et la Riviera.
Non seulement Hans est ami avec des juifs et des communistes, mais sa peinture trop peu conventionnelle correspond plutôt à ce qui est considéré comme « art dégénéré » par le Reich : il est malmené par la Gestapo à Berlin en 1935 et il s’exile à Paris.
Le 14 avril 1937, elle envoie une lettre de rupture à Hartung, motivée par son désir d’indépendance.
Hans Hartung rencontre alors le sculpteur espagnol Robert Gonzalez dont il épousera la fille Roberta. Quand la guerre éclate, il refuse de servir le drapeau allemand et rejoint la Légion étrangère côté français.
Il est envoyé en Algérie en 1940 mais ne combat pas. Démobilisé après la défaite française, il se réfugie dans le Lot puis en Espagne. Il se réengage dans le Légion étrangère, est blessé en 1944 et se fait amputer deux fois la jambe droite.
Il reprend son travail de peintre et une exposition lui est consacrée en 1947 à la galerie Lydia Conti (Paris) quelques mois après avoir acquis la nationalité française
Après la guerre, les succès commencent à arriver en France, en Allemagne et aux USA.
Anna-Eva Bergman, revenue en Norvège, est piégée par l’invasion allemande d’avril 1940. Remariée, elle a pour beau-père Christian Lange qui l’initie entre autres à la pose de feuilles d’or et d’argent.
Elle recommence à peindre et écrire après guerre, voyage à Berlin en 1952 puis revient à Paris où elle retrouve Hartung, près de 15 ans après leur rupture
Ils retombent amoureux, emménagent en 1953 dans un atelier rue Cels, puis en 1956 dans un duplex de la rue Gauguet, où chacun dispose d’un atelier. Ils se remarient en 1957
Anna Eva Bergman et Hans Hartung dans leur atelier a Antibes 1975 © Francois Walch
Hartung est lauréat du Grand Prix international de peinture lors de la Biennale de Venise de 1960. Il commence à expérimenter les peintures industrielles et de nombreux outils.
Une grande rétrospective lui est consacrée à Paris en 1969 et il est invité partout, des USA au Japon.
Il travaille par ailleurs avec acharnement sur la conception de la villa-atelier d’Antibes.
Tandis qu’elle acquiert en 1961 avec Hartung un terrain à Antibes, elle continue pendant la décennie 1960, ses voyages : Espagne, USA et Norvège. A ces multiples horizons géographiques fait écho l’horizon comme nouveau thème de sa peinture, qui signifie à ses yeux « l’éternité, l’infini« .
En 1970, elle réalise une série à l’encre fondamentale : « pierres de Castille »
C’est le 19 décembre 1973 qu’est signée la réception des travaux de la villa d’Antibes… enfin, peut-on dire ! Hartung a épuisé plusieurs architectes avant de collaborer efficacement avec Jean Heams, Gérard Vollenweider mais surtout Mario Jossa, l’associé de Marcel Breuer.
Hartung Bergman Foundation at Antibes, France, 2022 Ph Claire Dorn Courtesy Fondation Hartung Bergman & Perrotin
On remarque la qualité des matériaux et la blancheur générale de l’ensemble : tout est d’une extrême simplicité. Il n’y a aucune ostentation luxueuse, mais seulement le goût de perspectives parfaites pour reposer le regard avec des lignes pures, le bleu du ciel et de l’eau, le vert des arbres.
Dans cette villa bercée par l’atmosphère du Sud de la France, qu’elle fréquente régulièrement depuis 1929, Anna-Eva bénéficie d’un atelier. Elle est inspirée par deux nouveaux thèmes : les vagues et les pluies.
Elle expose entre autres à Venise, Milan, Paris ainsi qu’à Nice, à la galerie Sapone.
Anna-Eva Bergman (1909-1987) © DR
A partir de 1952, elle développe de grands thèmes élémentaires, « le feu« , « la mer« , « l’horizon« , « la montagne » … qu’elle considère liés entre eux par des jeux de métamorphoses.
Par exemple, elle écrit « vallées (qui) deviennent horizons » : par petites évolutions formelles, elle fait basculer un thème en un autre thème.
N°11-1960 Grande vallée – 1960 – Huile et feuille de métal sur toile – 200×300 cm
N°26-1962 – Feu – 1962 – Huile et feuille de métal sur toile – 250×200 cm
Elle sera obsédée jusqu’à sa mort par le thème des « horizons » (précisément en 1962), le disant « limite de l’expérience humaine qui nous est commune ; une limite que j’essaie de dépasser, une expérience que je tente d’élargir «
N°49-1973 Vague Baroque -1973 – Acrylique, modeling paste et feuille de métal sur toile – 97×130 cm
Avec son Icare (1956), elle incarne une de ses « formes agressives » en un mythe qui pourrait parfaitement la définir elle-même : celle de vouloir s’élever au-dessus du monde pour s’approcher du soleil… jusqu’à s’en brûler les ailes.
N°5-1956 Icare – 1956 – Huile et feuille de métal sur toile – 97,5×146 cm
Hans Hartung dans son atelier – 1960. © Photographie de Yousuf Karsh. © Fondation Hans Hartung & Anna-Eva Bergman
Il organise ses archives, reçoit de nombreux invités et publie ses mémoires (Autoportrait chez Grasset) en 1976.
Autoportrait -1922 – Huile sur carton marouflé sur toile – 60,5×40,5 cm
Les années de l’après-guerre sont l’occasion pour lui de « reconnecter les circuits détruits » comme il l’a écrit dans ses mémoires.
Ayant égaré beaucoup de ses travaux pendant le conflit, il veut tout archiver en revenant du front.
La grande « bobine« (nom donné par Hartung lui-même) sur fond bleu porte le titre T1945-1, qui signifie de façon générique « premier tableau de 1945 » : elle constitue un retour à la peinture synonyme de résilience.
T1945-1 – 1945 – Huile sur bois – 100×100 cm
On a souvent coutume d’appeler les œuvres des années 1950, faites de grandes traînées noires et légères sur des fonds éthérés, des « palmées » : c’est peut-être la période la plus classique et la plus connue de Hartung. Preuve parmi d’autres de cet engouement, un timbre issu de la magnifique toile T1958-3 est édité en 1980, et servira ensuite d’affiche pour une exposition au Musée de la Poste en 1981. En fait, l’artiste fait d’abord des encres de Chine sur papier qu’il considère comme des œuvres à part entière. Pour celles sélectionnées, il les transpose en grand sur une toile selon la traditionnelle méthode de la mise au carreau.
T1958-3 – 1958 – Huile sur toile – 92×73 cm
Les années 1960-1970 marquent l’importance de l’outil, symbole de la peinture de l’action et de l’expérimentation. A partir de 1960, et avec l’arrivée des peintures industrielles, vinyliques et acryliques qui sèchent très rapidement, il abandonne l’huile : il procède à des pulvérisations, des projections, des impressions, puis il brosse, gratte ou griffe ses couleurs.
En plus des objets traditionnels (pinceaux, brosses), certains sont inattendus (balais ou pistolets) et certains sont fabriqués à la demande : pinceaux à multi-têtes, balais de genêts… D’autres enfin sont des objets du quotidien détournés de leur usage, comme des fourchettes à miel, des hachoirs à légumes, des sulfateuses de jardin…
Hartung a toujours veillé à l’ordonnancement de son œuvre, dès sa jeunesse : et c’est encore plus vrai à Antibes où son rythme de création s’intensifie.
En une journée, il peut aisément faire une dizaine de formats moyens sur carton baryté, à l’instar de la série jaune et noire du 29 mars 1977.
P25-1977-H8 – 29 mars 1977 – Encre et acrylique sur carton – 58,9×78,6 cm
P25-1977-H9 – 29 mars 1977 – Encre et acrylique sur carton – 58,8×78,6 cm
Il peut aussi réaliser trois, quatre ou cinq tableaux de dimensions imposantes, par exemple T1985-H24, T1985-H25 et T1985-H26 le 17 juillet 1985.
T1985-H25 – 17 juillet 1985 – Acrylique sur toile – 154,5×195 cm
Pour répertorier ce foisonnement de peintures, il y a un carnet d’atelier tenu par des assistants sous le contrôle de Hartung : il permet d’assurer le suivi quotidien des séances, et chaque œuvre est l’objet d’une prise de vue photographique avant de quitter l’atelier. Après quoi, la secrétaire et bibliothécaire de la villa, Marie Aanderaa, peut réaliser un catalogage notifiant leur « pédigrée » : ces documents sont désormais des sources indispensables pour se repérer dans la complexité de la carrière de l’artiste
Le fauteuil lui-même est entièrement fabriqué sur mesure et adapté pour assurer à l’artiste fatigué le meilleur confort de production possible
Dans ce qui fut son dernier atelier, Hans Hartung travaillait toujours en musique : il était un très grand mélomane. Anne-Eva et lui avaient fait des études de piano poussées : ils écoutaient énormément de musique classique, particulièrement Bach chez qui Bergman disait sentir une « piété cosmique »
La Fondation est ouverte du mercredi au vendredi, de 10 à 18h, jusque fin septembre. (Merci à Pistounette)
😀Pistounette
13 janvier 2023 @ 01:10
La Fondation est à Antibes, et j’ai réalisé ce reportage en juin 2022… voilà pourquoi est donnée la date de fin septembre comme fin des visites.😀
PRINCE DE LU
13 janvier 2023 @ 02:20
Une évocation passionnante de la vie et de la carrière de ce grand peintre que fût Hans Hartung et de son épouse Anne-Eva Bergman. Un but de visite incontournable pour tous les amoureux de la côte d’Azur qui fût décidément le paradis de tant de grands peintres ! 😄
Philippe H.
13 janvier 2023 @ 06:53
Grand merci pour cette biographie détaillée…
JAusten
13 janvier 2023 @ 07:39
Très intéressante lecture. Merci pour cet article. Je ne connaissais pas la vie de ces deux artistes mais je je connaissais la maison de nom. Je n’aime pas les toiles proposées ; je peux concevoir qu’elles sont la résultante de réflexions, humeur du moment, volonté de ceci et envie de cela, mais je me dis qu’un ado énervé ou pas doué mais qui veux bien faire, ferait pareil.
😀Pistounette
13 janvier 2023 @ 07:58
Pour les personnes intéressées : Exposition Anna-Eva Bergmann au Musée d’Art Moderne de Paris du 31 mars au 16 juillet 2023
https://www.mam.paris.fr/fr/expositions/exposition-anna-eva-bergman
Pierre-Yves
14 janvier 2023 @ 18:17
Merci de ces infos. Quant à la fondation, où je ne suis encore jamais allé malgré de multiples passages dans le coin, je ne la raterai pas lors de mon prochain séjour. J’aime énormément Hartung et j’ai grande envie de découvrir Anne-Marie Bergmann.
😀Pistounette
15 janvier 2023 @ 14:00
Elle est assez difficile à trouver… pour se repérer, elle est derrière le supermarché Carrefour. Elle n’est vraiment ouverte au public que depuis 2022, de mai à septembre inclus, du mercredi au vendredi et de 10h à 18h. Avant, c’était « par connaissances… visites +/- privées » !
Si vous ne l’avez pas encore vu, vous pouvez aussi visiter le musée Picasso (au château Grimaldi au fond de la vieille ville) où le rez-de-chaussée est consacré à Hartung-Bergman
Marnie
13 janvier 2023 @ 08:20
Un style artistique que je n’aime pas du tout. Mais le destin de ces 2 personnes, l’histoire de leur couple et leur parcours à travers l’Histoire sont intéressants, merci pour ce portrait.
Pelikan du Danube
13 janvier 2023 @ 08:21
Quelles vies extraordinaires, quel bel endroit !
En voyant son autoportrait et le reste de son œuvre j’ai le sentiment que Monsieur a un peu gaspillé son talent 🙄 , l’œuvre de Madame me parle davantage, certaines toiles semblent captivantes bien que je ne sois pas trop à l’aise avec la peinture abstraite.
Une exception Nicolas de Steel et peut-être désormais Anna Eva Bergman.
Tout ceci n’est que mon ressenti, merci Pistounette pour cette découverte !
(Petit détail trivial quelqu’un saurait-il où l’on fabrique encore de la poterie culinaire type Vallauris ?)
Pelikan du Danube
13 janvier 2023 @ 08:23
Mon correcteur a un caractère d’acier !
’’ Nicolas de Staël ”
plume
13 janvier 2023 @ 08:59
Beau reportage. Ce devait être un couple attachant.
Jean Pierre
13 janvier 2023 @ 09:14
Je ne connais pas cette fondation, mais l’œuvre de Hartung est apaisante et reconnaissable entre mille.
Je ne savais rien d’Anna-Eva Bergman, un peu éclipsée par son génial mari.
Merci Pistounette.
Vieillebranche
13 janvier 2023 @ 09:20
Merci infiniment pour cette retrospective complète ! Il fut si prolifique : personnellement je le cantonnais aux productions des années 50!
Passiflore
13 janvier 2023 @ 10:06
Chère Pistounette, quel travail de recherches !
Hans Hartung s’enrôle dans la Légion étrangère sous le nom de Jean Gauthier. Démobilisé en 1940 lors de la signature de l’armistice, il se réfugie en zone libre. Et, lors de son invasion, en novembre 1942, il se réengage, sous le nom de Pierre Berton. Il ne se séparait jamais de ses carnets de croquis, rangés dans sa cantine. Il est blessé à Buc, dans les Vosges, le 20 novembre 1944, et amputé. Sur son lit d’hôpital il avait demandé qu’on lui expédie ses effets mais les dessins avaient été perdus. l’homme était amputé, mais également, une partie de son œuvre. «Son engagement dans la Légion fut un engagement de survie», commentait le Musée de la Légion Etrangère d’Aubagne lors de l’exposition de 2016.
😀Pistounette
13 janvier 2023 @ 13:47
Merci, chère Passiflore.
Il est toujours intéressant de lire le complément d’informations que vous ajoutez à de nombreux reportages des contributeurs.
J’espère que votre séjour à Menton a été agréable
Bon week-end à vous
Passiflore
13 janvier 2023 @ 19:40
Chère Pistounette, oui notre séjour à Menton a été parfait, comme toujours. Cette fois, dans l’arrière-pays nous avons visité Lucéram (j’ai aimé surtout les crêches de l’église) et Tende.
Caroline
13 janvier 2023 @ 11:04
Très intéressant à lire !👍
Merci à Pistounette ! 🙌
francesca
13 janvier 2023 @ 12:44
Magnifique. Merci, Pistounette.