Sujet consacré à la galerie Tretiakov et son fondateur Pavel Tretiakov. On considère l’année 1856 comme celle d’institution de la Galerie, quand un jeune marchand moscovite Pavel Mikhaïlovitch Tretiakov (1832-1898) acquiert les premières oeuvres des peintres russes de l’époque et conçoit l’idée de créer une collection, qui à l’avenir pourrait se transformer en un musée d’art de portée nationale.
Pavel Tretiakov – Ilya Repine – 1883
Je…voudrais créer une galerie nationale, c’est-à-dire une galerie composée de tableaux de peintres russes…
… Je suis un passionné de la peinture. Mon plus grand rêve serait donc de créer un conservatoire public des beaux-arts, accessible à tous, fonctionnant au profit de plusieurs et au plaisir de chacun... écrivait le collectionneur en 1860.
Pavel Tretiakov – Valentin Serov
Les années passèrent et les intentions honorables du jeune collectionneur furent accomplies. En 1892 la ville de Moscou, et donc la Russie, reçut en donation de Tretiakov une galerie de véritables chefs-d’oeuvre de l’art national. près de 2000 tableaux, dessins et sculptures. Les peintres éminents de l’époque au nom de la Russie reconnaissante déclarèrent alors au donateur : La nouvelle de votre don a déjà fait le tour de tout le pays et tous ceux qui se préoccupent de la diffusion du savoir et de la culture russe ont exprimé une vive joie mêlée de surprise devant l’importance de vos efforts et de vos sacrifices
Qui fut alors ce Pavel Tretiakov et de quels principes s’inspira-t-il dans ses actes et ses démarches ?
Tout au long de sa vie il avait l’esprit d’entreprendre. Il hérita de son grand-père d’une grande entreprise de textile et continua dignement la gestion des affaires. Ce fut ni l’idée du mécénat (il est connu, néanmoins, qu’il aidait souvent les peintres en difficulté, non par vanité et orgueil mais uniquement par amour et compassion envers eux) ni la passion pour le fait de collectionner (même si l’envergure de son activité de collectionneur ressembla bien à une passion) qui inspirait Tretakiov.
Pavel Tretiakov pose dans la Galerie Tretiakov – Ilya Repine – 1901
Ce fut l’idée du service citoyen, typique pour son époque mais interprétée à sa manière qui l’animait. Mon projet dès le plus jeune âge fut de ne pas capitaliser au dépens de la société que pour mieux rendre à cette société (au peuple) le capital accumulé sous forme d’institutions et d’entreprises utiles : cette pensée me guida tout au long de ma vie… écrivit Tretiakov à sa fille.
Il ne se fit jamais guider par une opinion qui n’était pas la sienne : connaissant personnellement un grand nombre de peintres, écrivains et musiciens, comptant parmi eux de vrais amis, il écouta volontiers leurs conseils, n’agissant toutefois qu’à sa guise. Son goût raffiné, sa rigueur dans la sélection des oeuvres et la noblesse de ses intentions lui valurent un prestige incontestable et bien mérité.
Ainsi, il eut le droit d’être le premier à découvrir des nouvelles oeuvres des artistes… la visite de Pavel Tretiakov chez un peintre fut toujours un moment saisissant.
Les artistes, aussi bien éminents que débutants, attendaient de lui, non sans frémissement, cette simple phrase prononcée à voix basse : Je vous prie de réserver ce tableau pour moi.
En 1877, Ilya Répine lui écrivait : Je dois avouer en toute franchise que si je le vends (il était question du tableau Archidiacre), ce sera à vous, dans votre galerie où je ne le regretterais point.
Archidiacre – Ilya Répine
Il achetait les tableaux qui lui plaisaient en dépit des critiques virulentes et la malveillance de la censure, comme c’était le cas, par exemple, avec Ivan le Terrible tue son fils Ivan le 16 novembre 1581 d‘Ilya Répine (1883-1885).
Ivan le Terrible tue son fils Ivan le 16 novembre 1581 – 1883-1885
C’est l’actualité de la toile qui orientait ses choix et non pas ses goûts… ce fut le cas du tableau d’Ilya Répine le Chemin de Croix dans le gouvernement de Koursk ou les oeuvres de Victor Vasnetsov (1848-1926) dont la thématique religieuse ne fut pas reconnue par Léon Tolstoï.
Le Chemin de Croix dans le gouvernement de Koursk – Ilya Repine – 1883
Privilégiant, de gré ou de force, l’oeuvre de ses contemporains, il ne négligeait pas pour autant le passé et achetait les meilleurs tableaux des peintres russes du XVIIIè à la première moitié du XIXè siècle, sans même oublier les oeuvres de l’art ancien russe.
A la fin de sa vie, dans les années 1890, il fut méfiant par rapport aux nouvelles tendances artistiques.
De nos jours, les oeuvres acquises de son vivant représentent la réserve d’or non seulement de la Galerie Tretiakov mais aussi du patrimoine mondial
Au début, toutes les oeuvres achetées décoraient la maison des Tretiakov, située dans Lavrouchinski pereulok (passage), où sa famille avait emménagé au début des années 1850.
Famille Tretiakov – 1884
En 1865, il a épousé Vera Nikolayevna Mamontova, d’une riche famille d’industriels.
Vera Nikolayevna Tretyakova
Tenant compte des nouvelles acquisitions, en 1872 il fut décidé de construire un bâtiment à part (auteur du projet, architecte A. Kaminski, époux d’Olga, soeur de Pavel). En mars 1874 on transporta les tableaux dans la nouvelle galerie composée de deux étages avec deux vastes salles.
Esquisse de la façade de la Galerie.
Les tableaux de Alekseï Savrassov et d’autres peintres des années 1860-1870, ainsi que la toile monumentale de Vassili Sourikov, Le Matin de l’exécution des Streltsy (218×379 cm), trouvèrent leur place au premier étage du nouveau pavillon.
Le Matin de l’exécution des Streltsy – Vassili Sourikov – 1881
En 1882, sa collection obtint le statut de musée : par sa forme, ce fut un musée privé, mais par son caractère ce fut un musée public, ouvert gratuitement à tous types de visiteurs sans distinction de catégorie sociale ou titre.
En 1882, la Galerie fut agrandie puis en 1892 un pavillon supplémentaire de deux étages fut construit. En août de la même année, Pavel fit don de sa collection et de celle de son frère cadet, Sergueï (décédé en 1892) à la ville de Moscou. Sergueï était Président de la Douma municipale de Moscou dans les années 1880, et achetait pour sa collection principalement les peintures d’Europe occidentale qui se trouvent actuellement au Musée des beaux-arts Pouchkine et à l’Ermitage.
Sergueï Tretiakov
Peu de temps après, le don des frères Tretiakov, évalué à 1 429 000 roubles, fut officiellement accepté à la séance de la Douma municipale de Moscou : il comptait 1287 tableaux, 518 dessins et 9 sculptures des artistes russes ainsi que 75 tableaux et 8 dessins des artistes étrangers de la deuxième moitié du XIXè siècle.
Un an après la collection reçut le titre de la Galerie municipale d’art des frères Pavel et Sergueï Tretiakov à Moscou, et Pavel fut nommé curateur à vie
Il continua à acquérir des oeuvres d’art et il en donna entre 1893 et 1897 plus de 200 à la Galerie, ce qui lui valut d’être élu par la Douma « citoyen émérite de Moscou » en signe de la profonde reconnaissance pour le plaisir artistique et esthétique que procure à la population de Moscou et de toute la Russie le trésor réuni par les soins de Pavel Tretiakov.
Après sa mort en 1898, la gestion de la Galerie passa sous la tutelle du Conseil élu par la Douma municipale et dirigé par le président de celle-ci.
En 1899, les héritiers de Pavel remirent 62 icônes que le collectionneur avait léguées à la Galerie.
Icône La Trinité – Andreï Roublev – 1425-1427
Au début du XXè siècle, la Galerie devint l’un des plus grands musées d’Europe, et on disposa à partir de 1913 les oeuvres par ordre chronologique : les salles propres à un peintre apparurent, et ces principes sont respectés jusqu’à nos jours.
Dans les années 1899-1917, le Conseil de la Galerie Tretiakov se concentrait sur l’acquisition d’oeuvres d’art contemporaines dans le but de maintenir sa réputation d’un musée qui se développe sans cesse.
La dernière extension du début du XXè siècle vit la maison dotée d’une nouvelle façade, peinte par Victor Vasnetsov.
Une nouvelle période dans l’histoire du musée commence après le Révolution d’Octobre. En 1918 il devint la propriété de la République Socialiste Fédérative Soviétique de Russie et fut nommé la Galerie d’Etat Tretiakov
Dans les années 1920-1930 la Galerie se transforma en un grand établissement d’action culturelle et de recherche en arts. Au début des années 1930, suite à la nationalisation des collections privées, la collection de la Galerie augmenta de plus de 5 fois.
En 1936, un nouvel édifice composé de deux étages fut construit : il s’agit du pavillon Chtchoussev (nom de l’architecte qui avait été directeur en 1926-1929).
Dès les premières semaines de la Seconde Guerre Mondiale l’objectif premier fut la sauvegarde et la conservation de ces trésors uniques de la culture nationale. La majeure partie fut évacuée à Novossibirsk, une autre, moins conséquente, à Molotov (Perm actuelle). Lorsque l’invasion de l’Urss par l’Allemagne nazie a été annoncée le 22 juin 1941, les employés de la galerie Tretiakov (et ceux du musée Pouchkine) ont emballé et évacué la plupart des objets les plus précieux de leurs collections en un temps record : 10 jours.
Une nuit de la mi-juillet, un train spécial de 17 voitures s’est secrètement rendu à Novossibirsk (3300 km de Moscou). C’est là, dans le bâtiment inachevé de l’Opéra, que les objets de la galerie Tretiakov ont été entreposés. Le site de Russia Beyond indiqué ci-dessous raconte très bien cette évacuation : https://fr.rbth.com/art/84889-evacuation-musses-guerre-urss
Une semaine après la fête de la Victoire une exposition réunissant plus de 2500 oeuvres s’ouvrit dans la galerie Tretiakov, suivies de nombreuses autres, ainsi que de conférences…
Dans les années 1960-1980 les études et recherches dans l’art ancien russe s’intensifièrent considérablement.
Dans la deuxième moitié des années 1980, la reconstruction de plusieurs bâtiments fit que la Galerie Trétiakov posséda deux sites : l’un présentant l’exposition et les réserves des oeuvres d’art du XIè au XXè siècle et l’autre avec les collections du XXè et du XXIè siècle. Sur les deux sites on organise les expositions temporaires aussi bien de l’art classique que de l’art moderne.
En 1986 fut instituée la Réunion des musées soviétiques « Galerie d’Etat Tretiakov » (qui changea son statut en 1994 pour devenir Réunion des musées nationaux). En 1986-1995 deux nouveaux bâtiments furent construits. L’ensemble du musée accueillit sous sa tutelle administrative les monuments historiques et architecturaux situés à proximité immédiate. Un remodelage majeur de l’ensemble de ce réseau culturel est prévu pour 2022
Dès lors ils ont de nouvelles enseignes : l’église Saint-Nicolas à Tolmatchi (XVII-XIXè s), remise en état, reçut le statut de la chapelle du musée
Eglise-musée Saint-Nicolas de Tolmatchi
Cette église est baptisée ainsi en l’honneur de Saint Nicolaï le Thaumaturge (très vénéré en Russie), et nom de Tolmatchi vient de l’ancienne dénomination du métier des habitants de ce faubourg : maitrisant des langues étrangères comme interprètes (tolmatchi en russe) pour Possolski prikaze (unité gouvernementale chargée des affaires étrangères de l’époque).
On y trouve notamment la Vierge de Vladimir, l’une des plus vénérées en Russie.
Aujourd’hui les collections du musée comptent près de 150000 objets d’art répartis en différents départements : le complexe Lavrouchinski (du XIè siècle au début du XXèsiècle) et la Nouvelle Galerie Tretiakov (art contemporain russe des XXè et XXIè siècles). (Merci à Pistounette – Source : Guide de la Galerie Tretiakov)
Pistounette
15 novembre 2021 @ 01:40
Mon texte est en fait inspiré de « Galerie Tretiakov », ouvrage de 270 pages de l’historienne d’art L. Iovleva, paru en 2013…
Un peintre vedette de cette galerie est Ilya Répine, dont l’exposition exceptionnelle se tient au Petit Palais jusqu’au 23 janvier 2022
Breidenstein
16 novembre 2021 @ 02:49
C’est des évènements comme ça me font parfois regretter mon éloignement de Paris
Chevalière
15 novembre 2021 @ 09:46
Passionnant ! Remarquable ! Captivant…
Grand merci
Bathilda
15 novembre 2021 @ 10:03
On peut voir en ce moment à la fondation Louis Vuitton la collection des frères Morozov, mécènes de l’art russe et européen. Certaines des œuvres sont habituellement exposées à la galerie Tretiakoff. La qualité de cette collection est exceptionnelle et concerne aussi bien des peintres russes que francais.
Pistounette
15 novembre 2021 @ 12:13
Merci de le rappeler Bathilda…
J’en avais fait un petit reportage en septembre. J’y étais le 1er jour à la 1ère heure… et, encore, je recommande cette expo… magnifique !
Danielle
15 novembre 2021 @ 12:00
Merci pour cet article Pistounette.
J’ai reconnu la façade, le chemin de croix et le matin de l’exécution vus lors de ma visite.
Ciboulette
15 novembre 2021 @ 16:36
Pistounette , grand merci , j’ai découvert ce musée en . . .1967 ! Et vous réveillez en moi de bons souvenirs .
Guizmo
15 novembre 2021 @ 13:53
Passionnant ! Merci beaucoup Pistounette
chicarde
15 novembre 2021 @ 18:18
Un magnifique article – merci beaucoup, Pistounette et Régine !
L’icône de la Trinité (« L’hospitalité d’Abraham ») par Roublev est un chef-d’oeuvre du premier rang absolument mondial !!
Caroline
15 novembre 2021 @ 21:43
Très intéressant ! Ce musée vaut la peine d’ être visité si on passe à Moscou !
Merci à Pistounette ! 👍