Dès la construction du château et du parc de Versailles s’est posé le problème de l’approvisionnement en eau. Le site choisi par le roi Louis XIV sur un ancien pavillon de chasse de Louis XIII était loin de toute rivière et en hauteur.
La volonté du souverain de disposer d’un parc avec toujours plus de bassins, de fontaines et de jets d’eau marquera son règne par l’extension ou l’amélioration quasi permanente du système d’adduction d’eau avec la construction de nouvelles pompes, aqueducs et réservoirs pour aller chercher toujours plus d’eau, toujours plus loin.
La machine de Marly fut célébrée, à l’époque de sa construction, tel un monument du Roi-Soleil. Elle apparaissait comme une représentation du pouvoir royal.
La machine de Marly fut le plus grand dispositif mécanique de son temps. La prouesse technique est relevée par le maître charpentier et mécanicien liégeois Rennequin Sualem, appelé en renfort par Arnaud de Ville, qui construit la machine avec son frère Paulus entre 1681 et 1682.
En 1668, Sualem avait conçu dans sa Wallonie natale une machine hydraulique au fonctionnement similaire à celle de Marly. En 1678-1679, on devait à la collaboration entre de Ville et Sualem deux machines hydrauliques, à Saint-Maur et à Saint-Germain-en-Laye.
Colbert, surintendant de Louis XIV, a d’abord fait construire une digue pour diviser la Seine et canaliser les eaux du fleuve assez loin en amont, séparant ainsi le fleuve en deux bras, un bras occidental laissé à la navigation et un bras oriental destiné à alimenter la machine en créant un rétrécissement et une chute artificielle d’un à deux mètres . Le débit du fleuve, ainsi accéléré, permettrait aux roues de la Machine de tourner à une vitesse suffisante pour fonctionner.
Cette première machine, composée de 14 roues monumentales à aubes de 11 mètres de diamètre chacune actionnant pas moins de 260 pompes acheminant l’eau de la Seine jusqu’à une altitude de 160 mètres., construite à 90 % en bois, fonctionna pendant 133 ans.
L’eau était amenée à 163 mètres au-dessus du niveau de la Seine par trois montées successives [2 puisards intermédiaires à +48 m et à +99 m] . Les pompes ont été réparties sur trois niveaux à flanc de coteau. Une première série de pompes envoyait l’eau dans un premier réservoir, d’où une deuxième série faisait gravir l’eau dans un second réservoir.
À ce niveau, un troisième jeu de pompes envoyait l’eau jusqu’à l’aqueduc de Louveciennes et le réservoir de Marly qui domine Versailles de 33 m… Ce dénivelé était exceptionnel à l’époque ; les cuirs des pistons n’auraient pas résisté à la pression de 15 bars ; d’où l’idée de pratiquer 3 paliers de 50 m.. La Machine en elle-même était presque exclusivement constituée de bois .
Le chantier, commencé en 1681 s’acheva le 16 juin 1684. La machine sera inaugurée par le roi Louis XIV. La construction allait mobiliser 1 800 ouvriers et nécessiter plus de 100 000 tonnes de bois, 17 000 tonnes de fer et 800 tonnes de plomb et autant de fonte.
Elle fit la fierté du Royaume de France. À l’origine, son seul objet était de fournir l’eau nécessaire aux fontaines des châteaux de Versailles et de Marly .
Avec la construction de la Machine du XVIIe siècle, c’est tout une administration et une logistique qui s’installe à Bougival, à proximité immédiate de celle-ci.
La Machine est dirigée administrativement par un contrôleur, nommé par le roi qui travaille et qui habite sur place. Les premiers contrôleurs seront : Arnaud de Ville, de 1680 à 1685, puis Joachim Cochu jusqu’en 1706. Le contrôleur dirige un inspecteur, un maître des Forges, un maitre charpentier et une soixantaine d’ouvriers dédiés à l’entretien de la Machine.
Au XVIIème siècle, elle était en définitive davantage considérée comme une démonstration du pouvoir royal que comme une structure architecturale. Sa mise en scène à travers des odes, des guides d’architecture ou des récits de voyage ne visait pas sa fonction pratique mais bien sa valeur symbolique.
Au XVIIIème siècle, la machine de Marly était désormais considérée comme un simple outil, susceptible d’être utilisé à d’autres fins. La critique qu’on lui adressait était celle de son usage : on la dénonçait comme servant uniquement le bon plaisir du roi et non le bien commun.
Par ailleurs, dès sa mise en route, à cause d’une mauvaise synchronisation entraînant frottements et usure des pièces, le dispositif n’a pas permis de pomper le volume d’eau espéré de 6 000 m3 par jour. Le manque de précision des organes métalliques provoque, par mouvement et frottements, un bruit infernal qui s’entend de fort loin, sans que cela ait soulevé alors de véhémentes protestations des habitants : l’ampleur du bruit signale l’importance de la machine. Pourtant, la Machine fonctionnait sans discontinuer, sauf quand la Seine était en crue, gelée ou que son niveau était trop bas.
L’installation étant fragile et nécessitant beaucoup d’entretien, elle est remplacée en 1817, puis en 1827 par une pompe à vapeur sous le règne de Charles X construite par l’architecte Cécile et l’ingénieur Martin.
En 1859, Napoléon III fait remplacer la machine inefficace par une installation moderne dans une construction complétement neuve, implantée sur la Seine, Cette troisième machine, hydraulique, est conçue par Monsieur Dufrayer, directeur du Service des Eaux. Pour faire face aux besoins croissants en eau, on modernise la machine de Dufrayer, mais en 1968, les bâtiments Napoléon III sont démolis, on la démonte entièrement, pour la remplacer par des groupes électropompes de plus en plus puissants, jusqu’à nos jours.
Aujourd’hui, il ne reste que quelques bâtiments : le pavillon Charles X construit en 1684, celui de la machine de Cécile construit entre 1812 et 1819 (destiné à abriter une machine à vapeur). Restent également les magasins et l’ancienne forge à l’ouest, construits eux aussi par François Cécile entre 1819 et 1825, et enfin un édicule en brique bâti sur la Seine en 1859 par Dufrayer pour réguler le débit de la Seine pour sa machine – la dernière machine de Marly (6 roues de 4,5 m de diamètre qui alimentent 4 pompes) – qu’il a construite entre 1855 et 1858.
Les bâtiments, ainsi que les grilles, les fontaines, le mur bas en demi-lune et les escaliers situés à l’arrière de l’édifice ont été classés le 18 octobre 1993.
La machine de Marly se trouve à 7 km au nord du château de Versailles et à 16,3 km à l’ouest de Paris centre, sur la Seine dans le département des Yvelines. Les anciennes machineries des pompes et les bâtiments d’administration ont été situés à Bougival ; les puisards, les chevalets, l’aqueduc et les réservoirs ont été situés à Louveciennes. Un réservoir se trouve toujours à Marly-le-Roi.
La complexité de sa situation juridique, domaniale et administrative explique le retard pris à Marly pour sa sauvegarde, sa restauration et sa mise en valeur, par rapport aux autres grands domaines de l’État, comme Versailles ou Fontainebleau. Le site est désormais exploité par le Syndicat des Eaux de Versailles et St-Cloud.
Le musée qui organise les visites était fermé depuis 2 ans. Il vient juste de rouvrir et les places sont limitées. On ne peut pas y accéder librement. (Merci à Guizmo)
Galetoun
27 août 2020 @ 06:40
Merci pour ce très intéressant sujet. Elizabeth Vigée Lebrun, dans ses mémoires, évoque le bruit infernal de la machine qui l’empêchait de dormir et de peindre et forcée à déménager!
Mary
1 septembre 2020 @ 11:09
J’aurais fait comme elle : c’est stressant le bruit !
Vieillebranche
27 août 2020 @ 09:15
Merci pour ce récit technique et historique- j’ ai honte de penser que je suis passée 100 fois devant et que je n’ai jamais visité ce lieu – je vais y conduire mes petits enfants dès que possible!! Et penser qu’en 1968 on détruisait encore sans sourciller des bâtiments anciens…heureusement que demeurent photos et dessins-
Bambou
27 août 2020 @ 09:19
Très, très intéressant. Il y a peu, documentaire sur cette extraordinaire machinerie sur RMC Story…
Bambou
27 août 2020 @ 13:07
RMC Découverte……
Leonor
27 août 2020 @ 10:05
Toute cette machinerie est effarante. Tout ça pour que Le Soleil ait ses petits jets d’eau.
Mais évidemment, c’est une réalisation extraordinaire du point de vue technique.
Merci infiniment, Guizmo, pour ce superbe article.
Menthe
27 août 2020 @ 10:07
Guizmo, ingénieure en chef – entre autres expertises–du site NR !
Vous nous aurez instruits et surtout gâtés tout l’été, merci à vous.
Bravo, bravo👏👏
Européen
27 août 2020 @ 10:18
Votre article Guizmo est très intéressant. Oui, je savais qu’on doit la machine de Marly à l’intelligence d’un Wallon, Rennequin Sualem. Liégeois si vous voulez. On lui demanda comment il avait imaginé un truc pareil et il répondit en wallon : « En tusant ». Tuser est le mot wallon pour dire « penser » ou « réfléchir ».
Françoise2
27 août 2020 @ 10:25
J’ai la chance de connaître ce morceau d’histoire on peut se promener et rêver d’un autre temps, et il nous reste les fameux chevaux de Marly
Karabakh
27 août 2020 @ 11:44
J’ai demeuré plusieurs années dans une commune proche, et cet endroit est proprement monstrueux en ce qu’il est démesuré ; et encore, comme le dit notre guide : ce n’est rien, en comparaison de ce que ce fut aux origines. C’est clairement un projet pharaonique et finalement, complètement excessif et inutile ; mais il fallait briller, toujours briller, et ni les fonds, ni les vies n’importaient…
Cette machine participe néanmoins à l’histoire et bien sûr, elle vaut le détour.
Elle a fermé ces dernières années, me semble-t-il pour des travaux. Toutefois, lorsque ma fille et moi avons visitée cette machine, son accès était déjà régulé car les lieux sont exigus ; de plus, un accès laissé libre serait dangereux, par la présence d’éléments technologiques ; au surplus, il est prudent, dans cette région, de contrôler l’accès aux « belles » choses.
La dernière machine, conçue en 1858 par Xavier-Édouard Dufrayer, mise en service en 1859, fonctionna jusqu’en 1963. Elle fut détruite en 1968.
On trouve un dossier pédagogique très complet, à cette adresse :
http://ressources.chateauversailles.fr/IMG/pdf/machine_marly-dossier_pedagogique-2.pdf
Gwillianne
27 août 2020 @ 12:10
il me semble que NR a déjà évoqué cette machine et je réitère ce que j’avais mis à l’époque , il existe un livre très intéressant sur ce sujet écrit par Jean Diwo : La fontainière du roy
ciboulette
27 août 2020 @ 12:14
Beaucoup d’ingéniosité dans la construction . . .au prix d’un bruit effrayant , pour la satisfaction d’un seul !
Cosmo
27 août 2020 @ 22:11
Pas vraiment seul…il y avait sa famille et sa cour, soit quelques milliers de personnes. Et les grandes eaux de Versailles reste un spectacle unique.
Baboula
27 août 2020 @ 12:36
Qu’importe ! Pour Lui l’eau avait à peine un murmure.c’était la distanciation sociale.
Auberi
28 août 2020 @ 08:21
Didactiquement sous le charme, merci Guizmo ✌️👍