Voici un article rédigé par Hélène R. sur la marqueterie de paille. Ici, le paravent Paon. Fragile, aussi légère qu’une bulle de champagne, née d’un fétu de blé, d’orge, d’avoine ou de seigle, la discrète marqueterie de paille souvent méconnu est un travail très ancien que le temps n’a pas épargné, mais dont la beauté intemporelle nous émerveille toujours.
Même si nous ne savons pas dater avec précision son origine, il semble que son utilisation comme décor ait fait son apparition en Asie. Elle aurait alors emprunté la route de la soie lors des grandes découvertes après 1492. Accompagnant le retour des marchands, ces échanges ne sont pas que commerciaux, ils engendrent un embrasement culturel qui perdura des siècles dans de multiples domaines.
Si l’on se penche géographiquement sur son cheminement en Europe, l’Italie (que l’on ne peut évoquer sans immédiatement penser à Marco Polo et aux célèbres marchands de Venise), est sa terre d’accueil. La France, l’Angleterre les Flandres, la Hollande, l’Espagne et la Russie sont séduites par cet Art aussi nouveau qu’exotique.
Contes et légendes
De la poupée de Pharaon au bouquet de moisson
« Lors de la visite dans un village sur les rives du Nil, une jeune fille aurait présenté au Pharaon Sésostris une poupée faite d’épis de blé ». Cette scène d’allégeance figure dans le livre de Christian Jacq paru en 2004 « Les mystères d’Osiris. »
La tradition du bouquet de moisson (symbole de prospérité), ornant encore les façades des fermes d’une récolte à l’autre, perdure dans nos provinces céréalières et dans les pays où cet art a fleuri. Il se murmure qu’il serait le descendant de cette coutume égyptienne…
Les surprenantes particularités de la paille
Au naturel, elle offre une vaste palette de couleurs jaune pâle, roux intense, vert, mais elle peut être colorée. Une autre de ses incroyables particularités est sa brillance, on la croirait vernie comme certains meubles, que nenni, c’est la silice qui lui donne cet éclat et cette imperméabilité. La technique est similaire à celle de la marqueterie de bois.
Le XVIIe lui octroie ses lettres de noblesse
C’est en 1652 pendant la Fronde que de blé, d’orge ou de seigle, la paille se meut en un ornement en parfaite adéquation avec les décors floraux marquetés des cabinets de l’époque. La fin du grand siècle et le siècle suivant marque l’éclosion de nombreux ateliers : deux tendances s’en dégagent, l’artisanat religieux et civil.
Dans l’austère silence des couvents les mains agiles des moniales tissent la paille offrant de véritables œuvres d’art, outre les tableaux religieux aux couleurs chatoyantes d’une incroyable intensité, elles brodent la paille sur de la soie ou du satin, réalisant de magnifiques chasubles et de tout aussi remarquables devant-d ’autels.
On peut en admirer encore dans l’église de Nozeroy qui se trouve dans le Jura et au Freiämter Stroh-Museum de Wohlen près de Zurich). Cette nouvelle activité permet aux communautés religieuses de trouver quelques revenus supplémentaires.
Les broderies de Nozeroy Au XVII° siècle est fondé le couvent de l’Annonciade. On peut y admirer, des œuvres des moniales du couvent des Annonciades Célestes datées de 1650 environ, elles sont constituées de trois chasubles brodées à orfroi, larges bandes richement décorées habituellement de fils d’or et d’argent mais en l’occurrence de paille, et de trois devant d’autels constamment visibles au pied des trois autels de l’église du village. Il s’agit de grands rectangles de soie d’environ 3mx1m, entièrement ornées de motifs en pailles brodées.
Cousus à l’étoffe par des points imperceptibles, les brins de paille, tressés de sept façons différentes composent un extraordinaire décor de festons, rinceaux et autres broderies foisonnantes. Même en y regardant de très près il est pratiquement impossible d’identifier le matériau qui brille toujours de tous ses feux, tels de magnifiques entrelacs de fils d’or.
L’artisanat civile voit de nombreux ateliers fleurir aux quatre coins de l’Europe. Des maîtres comme le hollandais Heung passent à la postérité.
La flamboyance au XVIIIe
Si notre marqueterie connait son apogée à cette époque, paradoxalement le début de ce siècle laisse plus de témoignages que la fin. Les Gazettes fort heureusement, sont là pour nous informer. En 1759 par biais des petites annonces, le sieur Chauvin tenant boutique dans le marais fait savoir à sa clientèle qu’il tient à sa disposition des objets ornés de collages de paille (bijoux, cages à canaris, colifichets de charme).
Toujours grâce à ces revues, nous savons qu’un certain Delasson fabrique des meubles à décor de paille de 1770 à 1780 à Paris.
Sensible à toutes les modes, sous la rocaille elle n’est que frémissement, ondulations, Eole courbe les joncs et agite de paisibles flots, pendant que de dodus Putti évoluent au milieu de scènes galantes dans des cartouches. Avec la découverte de Pompéi et d’Herculanum, la douceur du retour à l’antique apaise le déchaînement et la fureur de la rocaille.
La voilà parée de frises à la grecque, de paysages montrant de jeunes pâtres avec leur troupeau à l’ombre des temples. Le nouveau Monde y est tout aussi célébré, comme le prouve cette poudreuse.
Rare poudreuse dite « La Fayette » en marqueterie de paille polychrome. Circa 1790. (Fondation Gandur pour l’Art, Genève. Photographe : Th.Ollivier)
A la fin du XVIIIe l’engouement est tel, que des lieux comme Le Puy en Velay acquièrent une notoriété qui perdure encore. C‘est grâce à des ateliers comme celui de Georges-Roland Morel, qui élabore une exceptionnelle technique, le gaufrage de la paille permettant de superbes réalisations en relief. Les œuvres de Guido Reni, Rubens et d’autres Maîtres y sont ainsi reproduites. Cette technique est malheureusement perdue.
Le XIXe, quand la Paillasse des bagnards devient un Art : Les travaux des Pontons.
La révolution, puis l’ère napoléonienne mettent l’Europe à feu et à sang. Qui dit guerres dit prisonniers, les prisons sont bondées. Avec l’avènement de la marine à voile, on ne sait où caser les galériens, des bagnes voient le jour. Rochefort, Brest, la Rochelle, Toulon sont les plus connus. Alexandre Dumas père, nous laisse un témoignage « piquant » de sa visite touristique à celui de Toulon.
L’Angleterre n’est pas en reste et fait de même. Ces lieux de rétention peu onéreux sont souvent des ports. Il suffit de désarmer un vieux rafiot amarré au quai, de n’en conserver que le pont, les flancs et la cale. Les bagnards ne perdent pas au change, car ils peuvent se dégourdir les jambes sur le ponton, d’où l’origine du nom travaux des pontons.
Pour améliorer leur maigre pitance, les prisonniers créent de nombreux objets, dont certains décorés d’une marqueterie de paille figurant des marines, des bateaux, des vus du camp d’une grande qualité. Quand les artefacts viennent à manquer, les assiettes font office de support.
Un des hauts lieux de ce commerce est les camps de Norman Cross, les gardiens se meuvent en revendeurs. Particuliers et marchands venus de toute l’Europe y font leurs emplettes.
Travail de bagnards
A la Restauration, elle se veut discrètement nostalgique en ne se parant que de fleurs. Passée de mode sous la Monarchie de juillet et le Second Empire, elle sombre dans l’oubli.
1920
C’est grâce au génie de grands décorateurs comme André Groult (1884-1966), Jean-Michel Frank (1895-1941) et l’ébéniste Adolphe Chanaux (1887-1965), que la marqueterie de paille connait un nouvel essor, elle devient incontournable. Il est de bon ton d’en décorer les lieux en vogue du tout Paris. Oubliés les fragiles objets de jadis.
André GROULT (1884-1966), Panneau décoratif en marqueterie de paille décoré dans sa partie centrale d’une coquille Saint-Jacques.
André Groult la transcende en décorant les salons du Normandie et en réalisant de nombreux objets, meubles et Paravents pouvant rivaliser avec les belles laques asiatiques
Jean Michel Frank l’esthète, s’associe à l’ébéniste Adolphe Chanaux pour ces créations. Frank n’utilise que la paille monochrome.
Travail français des année 30-40. Vente Binoche & Giquello
La talentueuse relève
Lison de Caunes maître d’art, petite fille d’André Groult, Valérie Colas des Francs, D Chesnel, M Bouvier, F de Laubadère, Arthur&Adam, l’Atelier Paelis…
Atelier Lison de Caunes
Cave de Paille Davidoff Oettinger
Valérie Colas des Francs
Entre paille et lumière
Dominique Chesnel, restauratrice
Manon Bouvier
Flavia de Laubadère
Les montres Hermès
Ateliers Paelis
Manchettes marqueterie de paille de Rodez
Adam & Arthur
Grande barrette, marqueterie de paille naturelle et résine. Eclat de paille
cerodo
21 avril 2021 @ 01:30
Magnifique travail de l’auteur ; merci pour cet article détaiilé et les splendeurs qu’il nous offre.
Michelle M
21 avril 2021 @ 02:35
Fascinant!
Je ne connaissais pas cet art, à mes yeux c est magnifique et fabuleux, j adore.
On comprend mieux l’expresssion « c’est un travail de moine », dommage que le savoir faire du gaufrage se soit perdu.
Merci a Hélene R. Ce fut une lecture super interessante.
Bambou
21 avril 2021 @ 05:25
Extraordinaires réalisations…!
Muscate-Valeska de Lisabé
21 avril 2021 @ 10:34
Un enchantement.
Pascal
21 avril 2021 @ 05:26
Je ne connaissais que de nom la marqueterie de paille et sans me douter que cela pouvait être aussi beau .
Cet article est superbe .
Muscate-Valeska de Lisabé
21 avril 2021 @ 10:35
Comme vous,cher Pascal.
Personnellement,je viens de tout apprendre.
Ciboulette
21 avril 2021 @ 14:38
Je ne connaissais pas . . .que de merveilles de délicatesse à toutes les époques , ma préférence allant toutefois à » l’artisanat civil » .
chantal75
21 avril 2021 @ 06:56
merci beaucoup :c’est superbe: j’ai eu la chance de visiter l’atelier de Lison de Caunes restauratrice, avec explications et matériaux.
ce fut un grand moment.
Baboula
21 avril 2021 @ 08:12
Merci à Hélène R pour cet article bien écrit et très illustré J’avais déjà vu des boites en marqueterie de paille , humbles œuvres d’amateurs, mais jamais un aussi beau travail . Lison de Caunes est la fille de Benoîte Groult et de Georges de Caunes .
Martine
21 avril 2021 @ 08:41
J avais vu un reportage sur cette technique,du choix de la paille jusqu’à la finition soit en petit meuble ou accessoire comme des sacs
Hilde
21 avril 2021 @ 09:13
C’est une très belle technique .
Léa 33
21 avril 2021 @ 09:22
Bonjour
Ce reportage est très intéressant. La marqueterie de paille est délicate et demande un travail minutieux. Quelques ateliers apprennent ces techniques afin que ce savoir-faire ne disparaisse pas.
Quant aux bouquets des moissons, j’en ai un chez moi depuis plus de 20 ans, c’est symbolique et ne garantit pas la prospérité mais j’aime bien ces traditions !
Menthe
21 avril 2021 @ 09:43
De véritables petites merveilles dans cet intéressant article. J’aime particulièrement les premiers paravents ainsi que les œufs et boules.
Aristocrate
21 avril 2021 @ 09:46
Vraiment magnifique. Je ne connaissais pas où si peu. Merci Hélène R.
Antoine
21 avril 2021 @ 10:33
Article très intéressant. Merci. Mes origines vellaves se réjouissent que le Puy soit cité. J’ai vu une fois chez un antiquaire ponot une boîte à musique XVIIIe en marqueterie de paille pour le prix d’une grosse berline…
Gatienne
21 avril 2021 @ 10:34
Quel bel article à tous points de vue !
Texte explicite et référencé, richesse iconographique: on apprend beaucoup et on se régale l’oeil.
Merci à l’auteur Hélène R. Pour ce beau moment de partage sur un art méconnu de de bon nombre de lecteurs.
Robespierre
21 avril 2021 @ 11:03
Merci mille fois de cet article extraordinaire, bien détaillé et bien illustré .
luigi
21 avril 2021 @ 11:15
Magnifique !
AG
21 avril 2021 @ 12:16
Magnifique… mille mercis à Hélène R.
🇨🇦 Mer Limpide 🌊
21 avril 2021 @ 12:43
Splendide création.
Création, qui à ce jour m’était inconnue.
Merci, Régine tous les jours vous nous donnez la joie de découvrir, d’apprendre. 😉
Celia72
21 avril 2021 @ 12:50
De toute beauté. Merci pour ce bel
Celia72
21 avril 2021 @ 12:50
Bel article.
Juliette d
21 avril 2021 @ 14:01
Quelle découverte pour moi! C’est de l’art pur, magnifique ã toutes les époques.
Chez les bagnards il y avait des artistes très doués.
Merci pour cet article, j’ai adoré.
Laurent
21 avril 2021 @ 14:07
Magnifique
Merci pour cet article si détaillé
Vitabel
21 avril 2021 @ 17:06
Magnifique reportage, je ne connaissais pas du tout 👍
nck
21 avril 2021 @ 18:32
Merci à Hélène R. pour cette découverte, c’est très raffiné !
Jean Pierre
21 avril 2021 @ 19:17
C’est superbe surtout pour ce qui concerne la période Art Deco.
Cosmo
21 avril 2021 @ 21:27
Article sublime ! C’est une des richesses de N&R.
Merci à l’auteur et à Régine.
Iankal21
21 avril 2021 @ 22:12
Article vraiment magnifique. Informations, imagerie, un enchantement.
Merci Hélène R. !
Louise.k
21 avril 2021 @ 22:26
Quelles merveilles. Merci.
Corsica
21 avril 2021 @ 23:29
Un grand merci à Héléne R pour cet article passionnant et richement illustré. Pour les Lyonnais qui s’intéressent à la marqueterie de paille, la Meilleure Ouvrière de France 2019, Manon Bouvier, diplômée de l’école Boulle, a ouvert son atelier rue Tronchet quasiment à l’angle de la rue Tête d’Or. J’habite toute près et je prends régulièrement plaisir à m’arrêter pour les regarder manier avec dextérité ces humbles fétus qui deviendront, comme cet article nous l’a magistralement démontré, de véritables œuvres d’art.
https://www.paelis.com/
Corsica
21 avril 2021 @ 23:30
Bien évidement, il fallait lire j’habite touT.
ML
23 avril 2021 @ 10:37
Ma préférence va aux petits objets , une amie avait une collection de boites ravissantes devant lesquelles j’étais en admiration
Mary
23 avril 2021 @ 12:41
Quelle beauté !!!
Une totale découverte pour moi, merci Hélène.
Mélie
17 octobre 2024 @ 16:12
Merci pour ce chouette article, je suis marqueteuse de paille et j’ai encore appris des choses !
Petite précision : Flavia de Laubadère est architecte, pas marqueteuse de paille. Elle a confié de superbes réalisations à Manon Bouvier, meilleur ouvrier de France en marqueterie de paille depuis 2018.