Voici un sujet sur la « Folie Sainte-James » préparé par Benoît-Henri. « Habitué de ce beau parc que les Neuilléens appellent depuis toujours « Saint-James », l’auteur de ces lignes se résout à adopter la désignation officielle de « Folie Sainte-James ».
En effet le créateur de ce jardin pittoresque fut Claude Baudard, baron de Sainte-Gemmes, trésorier de la Marine. Celui-ci, au cœur de la vague d’anglomanie qui toucha la France de la fin de l’Ancien Régime, anglicisa son nom en Monsieur de Sainte-James.
Si l’histoire du domaine, situé avenue de Madrid à Neuilly, est parfaitement documentée, la restauration des façades du pavillon principal nous offre l’occasion d’en dévoiler, en avant-première, quelques détails architecturaux et de revenir sur les hôtes illustres de la Folie Sainte-James.
Les échafaudages viennent d’être démontés et c’est une révélation qui fera date dans l’histoire de l’architecture française du XVIIIe siècle.
Le raffinement du style de François Bélanger, architecte du comte d’Artois, apparaît dans tout son éclat.
Alors que le pavillon de Bagatelle, dû au même architecte, a été lourdement restauré au XIXe siècle, celui de la Folie Sainte-James témoigne plus sûrement du goût de l’aristocratie au temps de Louis XVI.
Contraste des matériaux rustiques, de la pierre de taille et du faux appareillage de briques, délicatesse de la balustrade, colonnes finement ciselées, bas-reliefs sur fond bleu dans l’esprit de la manufacture de Wedgwood, ce portique rend justice à l’art de Bélanger qui métamorphosa ici une maison préexistante.
La Folie Sainte-James et ses fabriques peintes sur des boutons de livrée
Baudard de Sainte-James entendait rivaliser avec les « princes jardiniers » de son temps : le duc de Chartres à Monceau et le comte d’Artois à Bagatelle.
Le même principe fut adopté à Neuilly : peupler le parc de fabriques, ces petites constructions, pagodes, ponts, manèges… fortement teintés d’exotisme oriental. Le commanditaire y engloutit des fortunes : lui-même se serait adressé à Bélanger en ces termes: « faites comme bon vous semble, pourvu que ce soit cher ».
Le prince de Ligne ne s’y était pas trompé, lui qui écrivit en 1781 : « (…) près de Neuilly, il y a un jardin qui serait fort beau s’il ne l’était pas tant. Avec moins d’argent, Monsieur de Sainte-James aurait mieux réussi ».
Baudard ne profita guère de son domaine : sa banqueroute retentissante survint en 1787. De toutes ces fabriques féériques il ne reste quasiment rien, à une exception près !
Le Rocher de la Folie Sainte-James
La plus spectaculaire des fabriques subsiste, et pour cause ! Cette construction étonnante, un temple dorique enchâssé dans un amoncellement rocheux qui se mire dans un bassin, est à mettre en relation avec l’adhésion de Baudard de Sainte-James à la franc-maçonnerie : on a rapproché l’ascension de ces escarpements rocheux des épreuves d’un parcours initiatique maçonnique.
Lors d’une chasse en forêt de Fontainebleau, le roi Louis XVI avait croisé les convois chargés de blocs de grès destinés à Neuilly. Par la suite, Sa Majesté n’appela plus Baudard que « L’homme au rocher » !
Laure Junot, duchesse d’Abrantès, et sa fille par Pellegrini, Musée des Beaux-Arts de Bordeaux
Située à peu de distance de la capitale, la folie Sainte-James fut une villégiature convoitée. La famille Bonaparte la fréquenta assidument au début des années 1800. Elisa et son frère Lucien, veuf de Christine Boyer y séjournèrent, rejoints en plusieurs occasions par le Premier Consul.
Napoléon assista même à une représentation d’Alzire de Voltaire où Elisa, selon Laure Junot, se ridiculisa.
La même Laure Junot, future duchesse d’Abrantès, s’y installa au cours de l’été 1808, au moment même où sa meilleure ennemie, Caroline Murat, quittait le château de Neuilly pour une brillante mais éphémère destinée napolitaine.
La Folie Sainte-James abrita la liaison entre Laure Junot et le comte de Metternich, ambassadeur de l’empereur d’Autriche à Paris. L’idylle serait née dans la pénombre propice du Rocher !
Henri de Toulouse-Lautrec, vers 1894
Il n’est plus question d’idylle ni de villégiature enchantée lors du séjour du peintre Toulouse-Lautrec en 1899. La folie Sainte-James abrite désormais une maison de santé et le génial artiste y est retenu à la demande de sa propre famille.
Henri ne pardonnera pas à sa mère, la comtesse de Toulouse-Lautrec-Monfa, d’avoir recouru à ce procédé pour lui imposer une cure de désintoxication alcoolique. Il lui écrira ces mots terribles : « Madame, je n’oublierai jamais que, grâce à vous, j’ai été mis en relation avec des gens qui font caca dans leur chapeau ».
Vue aérienne du quartier de la Folie Sainte-James
Le parc de la Folie Sainte-James s’étendait initialement sur douze hectares. Ses dimensions ont été réduites à la portion congrue, un peu moins de deux hectares. Mais un réaménagement récent, confié à un architecte en chef des monuments historiques, en a fait l’un des parcs les plus agréables des environs de Paris.
Le pavillon de Bélanger, naguère attribué au proviseur du lycée voisin, attend pour sa part une destination plus conforme à son histoire prestigieuse.
Conséquence heureuse du classement de la Folie Sainte-James, l’hôtel particulier situé de l’autre côté de l’avenue de Madrid a échappé à l’appétit des promoteurs immobiliers.
Les Neuilléens eux-mêmes l’ignorent, cet hôtel construit pour l’industriel Auguste Pellerin, abrita au début du XXe siècle la plus belle collection au monde de peintures de Cézanne, aujourd’hui dispersée dans les musées du monde entier ».
Corsica
24 juin 2021 @ 07:17
Merci à Benoit-Henri pour cet article intéressant. J’ai craqué pour les boutons de livrée qui nous donnent une idée des folies que Monsieur de Sainte-James a faites jusque dans les moindre détails.
Charlotte de L G
24 juin 2021 @ 07:53
Merci pour cet intéressant reportage sur ce qui pour beaucoup est seulement un parc et/ou seulement un lycée.
Sans jeu de mots cette réalisation a vraiment été une « folie des grandeurs » !
Madame Elisabeth Vigée-Lebrun parle de cette fameuse grotte dans ses « Souvenirs » disant ne pas être très rassurée de passer près de cet amas de rocs qui ne lui paraissait pas très stable.
Appartenant aujourd’hui au Conseil Départemental des Hauts de Seine, Patrick Devedjian qui en fut le président s’était beaucoup investi dans la restauration du parc et je crois du Pavillon de Musique qui a abrité à la fin du XIXè la maison de santé dont Toulouse Lautrec fut pensionnaire bien malgré lui.
Beque
24 juin 2021 @ 08:49
Jean d’Ormesson habitait avenue du Parc Saint-James. J’imagine que son épouse y vit toujours ?
Baboula
24 juin 2021 @ 09:13
Merci Benoît-Henri de ressusciter pour nous le riche passé cette Folie dont l’histoire a été oubliée .
JAusten
24 juin 2021 @ 09:26
Sujet très charmant. Encore une grenouille qui voulait se faire aussi grosse qu’un boeuf qui laisse un joli patrimoine à la postérité. J’adorerais avoir de mes fenêtre la vue sur ce parc
Antoine
24 juin 2021 @ 09:29
Article intéressant et bien illustré. Au moins ce parc a t-il échappé à la mode stupide du » tout minéral » qui fait fureur dans les centres-ville.
François
24 juin 2021 @ 09:40
Merci Benoît.Très bonne idée.
Helix
24 juin 2021 @ 09:45
Oui , Mme d’Ormesson y vit toujours.On aperçoit sur la photo, sa maison dans les arbres .La voie privée sur laquelle elle se situe a été lotie en 1925 sur l’ancien « canal » d’agrément du parc qui allait jusqu’à la Seine.
L’attrait de la Folie consiste en premier lieu pour moi, dans ses proportions harmonieuses.Malheureusement le département a été construire il y a qqs années la cantine du lycée contre les communs de la Folie.(sur la droite de la photo)
Il semble qu’à l’heure actuelle ni la commune ni le département ne sache quoi faire de la Folie.
Beque
24 juin 2021 @ 12:39
Merci, Helix.
Vitabel
24 juin 2021 @ 21:06
Peut-être que Madame d’Ormesson apprécierait un peu plus de discrétion sur son lieu d’habitation…
Pascal-Jean
24 juin 2021 @ 10:00
Merci Benoît-Henri pour cet article ! Je vais me précipiter à la Folie Sainte-James pour admirer cette restauration ! La dernière fois que j’y suis allé, il y a des années, le parc était bien tristounet… Que sait-on des projets concernant le pavillon ?
Loffy
24 juin 2021 @ 10:24
Merci pour cet intéressant reportage sur cette « Folie Sainte-James » avec son beau parc. En effet, Elisabeth Vigée-Lebrun en parle dans ses souvenirs.
Beque
24 juin 2021 @ 10:42
Merci, Benoît-Henri. Ignorant tout d’Auguste Pellerin, voici ce que j’ai « glané » :
Auguste Pellerin 1852-1929), grand industriel installé en France, est aussi esthète. Sa fortune vient de la margarine Tip. Lorsqu’il crée ses usines en Norvège, en Suède, au Danemark, en Allemagne, en Angleterre et en France, il s’intéresse déjà à la peinture. Celui qui sera, de 1906 à sa mort, le Consul Général de Norvège en France, choisit avec discernement ses toiles. À sa mort, il laissa 92 peintures de Cézanne et 40 peintures de Manet. Il avait commandé, en 1916, à Matisse son portrait dont il reste deux versions.
Par ailleurs, il était propriétaire de la maison décrite par Proust dans « La Recherche » où l’écrivain séjourna en 1891 et 1892.
Alice
24 juin 2021 @ 12:08
Très intéressant! Merci beaucoup
Karabakh
24 juin 2021 @ 14:07
Merci pour cet article.
Toutefois, je tiens à faire une observation.
Claude Baudard de Vaudésir, puis Baudard de Sainte-Gemmes* a anglicisé son nom indifféremment par Saint- ou Sainte- (le mot anglais est invariable) mais sa « folie » a toujours été désignée « au masculin ». Il convient donc de parler de Folie SAINT-James et non Sainte.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Claude_Baudard_de_Saint-James
https://fr.wikipedia.org/wiki/Sainte-Gemmes
https://fr.wikipedia.org/wiki/Folie_Saint-James
(*) Ancienne commune de l’actuel département du Loir-et-Cher, proche de Vendôme et dont le -s final se prononçait dans les dialectes locaux du XVIIIe siècle. La seigneurie et paroisse fut parfois orthographiée « à l’anglaise », dès le XIVe siècle.
Trianon
24 juin 2021 @ 14:24
Très interessant’ ,agréablement documenté ,merci beaucoup !!
CHAROUX
24 juin 2021 @ 15:38
J’ai lu avec grand plaisir cet article qui nous fait tournoyer autour de cette élégante Folie. Ah ! les boutons de livrée !! Merci Benoît-Henri.
Ciboulette
24 juin 2021 @ 18:37
Merci , Benoît – Henri , pour cette promenade plaisante et instructive dans un endroit charmant .
Guizmo
24 juin 2021 @ 15:57
Merci pour cet article que j’ai lu avec plaisir. J’ai passé beaucoup de temps dans le parc sans en connaître l’histoire. C’est chose faite
Danielle
24 juin 2021 @ 16:37
Je n’ai jamais entendu parler de ce lieu, les neuilléens savent ils qu’ils existent ?
Les boutons de livrée sont très beaux.
Merci Benoit Henri.
marianne
24 juin 2021 @ 18:03
j’irai bien passé un we dans ce petit château
l'Alsacienne
24 juin 2021 @ 18:50
Merci pour cet article. Sujet divertissant et intéressant.
Benoît-Henri
24 juin 2021 @ 19:46
Merci Karabakh d’avoir fait cette mise au point. Le fait est que le propriétaire des lieux, le Conseil général des Hauts-de-Seine, s’emploie désormais à féminiser le nom de la Folie. Le nouvel usage s’imposera-t-il ? Rien n’est moins sûr.
Karabakh
26 juin 2021 @ 10:09
Le plaisir est pour moi.
Je ne savais pas pour la féminisation. A vrai dire, les deux formes sont « bonnes » mais c’est vrai qu’à la base, c’est féminin. Je pense que le Département des Hauts-de-Seine veut rétablir les faits. C’est louable. A voir en effet si le nouvel usage s’impose.
Beque
24 juin 2021 @ 22:32
En février 1899, à la suite d’une crise de delirium tremens, Toulouse-Lautrec est interné dans la clinique du docteur Sémelaigne à Neuilly. Arsène Alexandre, dans « Le Figaro » s’inquiète de son avenir : « quand il sera sorti de là (…), quand il flairera de nouveau ces odeurs de gin, de bière, d’absinthe ou de rhum qui sortent (…) d’entre les pavés de Paris à certaines heures et dans certaines rues ? Quand la volée d’indifférents rieurs, de bons garçons parasites, de bizarres et douteux flatteurs se sera de nouveau abattue, avec d’autant plus de curiosité qu’il reviendra de plus loin, sur cette proie et ce jouet trop facile, quand ses amis vrais seront redevenus presque impuissants à le défendre contre lui-même, qu’arrivera-t-il ? » Il sera autorisé à sortir de la clinique le 17 mai 1899.
Il se remettra à boire, utilisant une canne creuse pour y cacher une réserve d’alcool. Il visitera l’Exposition universelle de 1900 dans un fauteuil roulant. Et mourra, le 9 septembre 1901, au château familial de Malromé, puis inhumé au cimetière voisin de Verdelais. Le château de Malromé (à Saint-André du Bois ») a été rénové en 2018. Je ne sais pas si son restaurant a pu rouvrir.
Carolus
25 juin 2021 @ 12:40
Très intéressant.
Je vais régulièrement dans ce parc avec mon petit-fils.
Pour votre dernier paragraphe,
La Neuilléenne que je suis ignorait cette fameuse collection de Cézanne, aujourd’hui dispersée.
AUDREN de KERDREL Emmanuel
26 juillet 2021 @ 19:42
Ancien libraire de la rue de Longchamp à Neuilly/Seine justement où j’ai rencontré la mère de mes enfants. Combien de fois me suis-je promené dans ce parc en me désolant que la maison ne soit pas restaurée. Evidemment la proximité du lycée du même nom n’a rien arrangé, mais donne une vie à ce quartier on ne peut plus bourgeois, très active et joyeuse. J’ai adoré vivre au dessus de la librairie, dans ce quartier magnifique, qui était un petit village à lui tout seul avec : le café en face tenu par Julio le portugais et sa femme, la boucherie, le pressing avec Maurice qui était juif, Les Caves de Lonchamp tenu par mes amis Jean-François et Laurence, Livio le restaurant huppé dont les jeunes patrons Stéphane Albertini et Pierre Innocenti ont été assassinés au Bataclan, plus la brasserie Le Chistera tenu par le patron basque qui avait une grande gueule, mais qui était charmant, le véto, et le dentiste qui avait déclaré en voyant la couverture de je ne sais quel magazine avec le visage de Lino Ventura et plus particulièrement sa dentition : »Il a un beau complet ! » Je me souviens de la femme de GABIN qui m’avait engueulé parce que je n’avais pas l’ouvrage sorti sur son mari, un coup de fil de sa part et un quart d’heure après la librairie était pleine à craquer, de la mère de Nicolas SARKOZY, de Jean LECANUET, d’Alfio INNOCENTI qui débarquait de son restaurant avec le tablier autour de la taille, le torchon sur l’épaule, le barreau de chaise entre les lèvres accompagné de Pierre qui devint le conjoint de la très grande artiste peintre Virginie CAILLET. C’était il y a une éternité à la fin des années 80. Un autre monde.