En 1477, Raulin (Raoul) Bocaud achète à Jacou, près de Montpellier, pour 80 écus d’or un domaine composé d’olivettes, de champs, de vignes et d’une « vieille et petite maison ». C’est un étudiant en droit venu de Toulouse et devenu procureur adjoint de la Cour des Comptes et des Aydes du Languedoc. La maison de Jacou qu’il fait aménager devient, grâce à la proximité de Montpellier, et pour longtemps, ce qu’on appellerait aujourd’hui une résidence secondaire, nantie d’un domaine agricole.
Son descendant Pierre (1561-1628) procureur à la Cour des Comptes, des Aydes et des Finances, puis premier consul de Montpellier va renoncer à ses titres pour devenir conseiller du roi Henri IV. Entre temps, il a épousé Françoise de la Croix, fille du seigneur de Castries, qui lui transmet les titres de seigneurie de Jacou, de Teyran et du Fesquet à Clapiers. Pierre de Bocaud est un bâtisseur: il fait agrandir et embellir la vieille demeure de Jacou, ainsi qu’il est indiqué sur la plaque de pierre visible sur la terrasse d’honneur du château.
Pierre de Bocaud la transforme en un véritable petit château de campagne selon le goût de ce début du XVIIe siècle, avec 2 étages. La prospérité des Bocaud s’accroissant encore aux XVIIe et XVIIIe siècles, ce château est modifié et augmenté. Sa façade principale est tournée vers l’est, du côté de la terrasse d’honneur et des jardins classiques.
Un escalier d’honneur, encadré par une porte monumentale mène à l’étage noble avec des pièces à plafonds à la française peints en polychromie. Au XIXe et au début du XXe siècle il y aura encore différents ajouts secondaires.
L’intérieur du château conserve des éléments d’architecture et de décor de ces trois époques. Certains sont semblables et de même qualité que ceux qui existent dans d’autres châteaux, folies, et hôtels particuliers du Montpelliérais. Le château a une taille respectable : 57 pièces sur près de 1000 m2 habitables.
A l’intérieur un certain luxe s’installe, comme dans les demeures nobles de la région avec des boiseries raffinées, de nombreuses cheminées en marbre, surmontées de décors de gypseries, tels que des guirlandes de fleurs ou les fables de la Fontaine. On entre par un vestibule dans un grand salon décoré et muni d’une cheminée. De part et d’autre se distribuent des salons. Les pièces côté jardin sont dotées de grandes fenêtres caractéristiques du XVIIIe siècle, avec vue sur les bassins, les terrasses et le paysage de la campagne.
Au XIXe et au début du XXe siècle le château évolue encore avec de nouvelles décorations et extensions.
Deux particularités remarquables font l’originalité des jardins de Bocaud : un jeu de quatre terrasses et d’escaliers sur un dénivelé de plus de 10 mètres et un système hydraulique de prestige, dont le plus bel élément est un édifice unique dans la région, la Maison de la Coquille, dite aussi Maison des eaux. Le tout est encore embelli par un ensemble statuaire de grande valeur, dont nous ignorons encore les origines.
La partie romantique, au nord du château, se distingue par des décors paysagers comprenant un lac serpentin selon la mode anglaise. La partie classique, devant la façade principale du château, à l’est, se déploie sur une surface assez importante de 1,5 hectare. Les tracés essentiels, avec leur symétrie et leurs perspectives sont toujours présents.
Le château, au sommet d’une butte, domine de plus de 10 mètres les parties basses de l’enclos. Ce qui a permis de créer, côté est, un jeu de quatre terrasses et escaliers, particulièrement scénographiques.
Cette belle composition est enrichie par une statuaire de qualité et par un jeu de six bassins et buffets d’eau, aux différents niveaux, qui rythment cet axe de perspective. L’eau en nappes se déversant dans des vasques, et jaillissant en jets d’eau – en gerbes, selon le mot de l’époque – dans les bassins donnait de la vie à l’ensemble. Cette alliance réussie, harmonieuse, entre relief, terrasses, statuaire, hydraulique constitue l’un des points majeurs de l’intérêt et de l’esthétique de Bocaud.
La terrasse d’honneur devant le château, est ornée en son centre d’un grand bassin circulaire. Comme à Flaugergues, il s’agissait à l’origine d’un miroir d’eau.
Sa fonction ornementale était de refléter et de mettre en valeur la façade du château. La surface de l’eau ne devait donc pas être troublée ou altérée. Mais depuis qu’il a accueilli, au début du XXe siècle, le groupe statuaire des « enfants au dauphin » qui était devant la Coquille, l’eau du bassin met surtout en valeur celui-ci.
Récemment, le pourtour du bassin a été réaménagé dans un style plus proche de celui du XVIIIe siècle, avec des massifs géométriques de fleurs et des sols colorés. Sur cette terrasse sont disposés des vases d’orangerie monolithes en pierre calcaire, garnis, comme à l’époque, de grenadiers et de lauriers fleurs.
Au bord de la terrasse d’honneur se trouvent deux corbeilles de fruits de mer, sur piédestaux, du XVIIIe siècle, très réalistes et finement sculptées. Elles encadrent la plaque en marbre avec l’inscription apposée en 1618 par Pierre de Bocaud. A l’entrée des deux escaliers menant à la seconde terrasse, deux statues de molosses veillent.
Dans le mur de soutènement de la première terrasse, un buffet d’eau, en style rocaille Renaissance, comporte un masque dans une alcôve. De sa bouche l’eau s’écoulait sur des rochers disposés sur une vasque puis dans un élégant bassin, à bordures moulurées. Le masque représente un visage humain surmonté d’une coquille, encadré de deux nageoires de dauphin.
Sur des socles, surplombant le grand escalier à double volée ainsi que les jardins bas, deux magnifiques sphinges veillent énigmatiquement. La sculpture est particulièrement fine, travaillée jusqu’aux moindres détails. Les reliefs des corps de lion rendent la puissance de la musculature et des griffes.
Les jeunes femmes en buste, souriantes, ont des coiffures en torsades, avec chignons, où se reconnaissent les moindres mèches ondulées retombant sur le dos. Elles allient ainsi harmonieusement, mais aussi étrangement, la puissance animale à l’élégance des représentations féminines du 18e siècle.
La troisième terrasse s’élargit sur les jardins, en deux parterres symétriques à bordures de buis qui étaient probablement fleuris. De part et d’autre, deux petits bassins elliptiques ont été récemment mis au jour.
Elle comporte elle aussi un buffet d’eau engagé dans le mur de soutènement. Il s’agit d’une alcôve en rocaille, principalement de stalagmites, avec à sa base un bassin. De la voûte pendaient des stalactites qui ont aujourd’hui disparu.Il s’agit donc de l’évocation d’une grotte.
Cette grotte est encadrée de deux piliers avec des bossages de congélations. L’ensemble, à l’allure d’arc de triomphe, accentue encore l’aspect monumental du grand escalier à double volée.
Dans l’alcôve une statue en marbre blanc, sur piédestal, représente une jeune femme au bras levé. Il pourrait s’agir de la déesse marine Amphitrite (ses pieds reposent sur un dauphin) ou, plus probablement, de Flore (elle tient une rose).
Par un nouveau palier et un escalier de quelques marches, on accède aux jardins bas où « la nature reprend ses droits », l’Art devant être subordonné à la Nature selon les principes de Dézallier d’Argenville… mais il s’agit d’une nature rigoureusement organisée par les tracés d’origine.
L’allée centrale est l’axe de la mise en scène de l’eau avec au milieu le grand bassin à gerbe. Au bout, un buffet d’eau devait terminer la perspective, comme à la Mogère et à l’Engarran. Il a aujourd’hui disparu, mais plusieurs éléments suggèrent son existence. De récents sondages ont mis au jour ce qui pourrait être les fondations du bassin.
Un salon composé de trois imposants bancs à dossier et d’une table ovoïde en pierre, offre une perspective sur le grand escalier et le château. On a là un témoignage de ce que pouvait être la vie au XVIIIe siècle dans ces jardins conçus comme une extension en plein air, dans la nature, des pièces du château.
Du côté nord, l’axe transversal du parc se termine par deux piédestaux supportant de magnifiques corbeilles de plantureux légumes. Ces corbeilles sont de la même qualité que celles des fruits de mer de la terrasse supérieure. Elles marquent l’entrée du potager.
La partie romantique du parc, au nord du château, abrite une grotte ornée exceptionnelle et unique dans la région. Le nymphée de la Coquille est une grotte artificielle. C’est une demi-coupole construite au dessus du bassin de la source issue du rocher qui alimente les fontaines du parc.
Cette voûte porte une décoration de style rocaille Renaissance, remarquable avec trois coquilles, de type Saint Jacques. Elles sont constituées de coquillages blancs de concrétions de tufs jaunes, de pierres ou éclats de pierres noires en quartz ou silex.
L’ensemble est fixé sur un fond d’enduit peint en rouge, bleu, marron, soit, au total une vive polychromie de six couleurs. La base des coquilles repose sur des volutes pouvant figurer des algues ou herbes aquatiques, ou encore le mouvement des vagues et l’écume à leur extrémité. Le plafond de la voûte, richement décoré, est orné de rosaces et de figures géométriques.
On entre dans la grotte ornée par une salle rectangulaire à deux absides. On venait y prendre le frais face au bassin comme en témoignent encore deux bancs de pierre d’époque. Cette salle avait la même décoration mais est aujourd’hui très dégradée. La salle s’ouvrait par trois arches sur une façade de type classique d’une belle facture, convenant à un édifice de prestige.
La Coquille n’est donc pas simplement un bassin aménagé et décoré, ouvert à tous vents, mais un véritable petit monument d’ornementation des jardins, fait pour être admiré de l’extérieur. A la même époque (à partir de 1684) avait été construite à Versailles une grotte ornée précédée d’une salle de fraîcheur à trois arches, placée devant le château. C’était la fameuse grotte de Thétys, détruite 20 ans plus tard. Elle était devenue une référence et un modèle diffusé grâce aux gravures de Le Brun.
Une allée d’arbres engazonnée amenait à la Coquille. A proximité, se trouvait le très raffiné groupe statuaire des enfants au dauphin installé aujourd’hui sur la terrasse supérieure du château.
Thomas-Marie de Masclary, dernier héritier des Bocaud jusqu’en 1836, et ses successeurs ont transformé la partie nord des jardins selon le goût de l’époque des jardins paysagers.
Dans la prairie de la Coquille un lac alimenté par le ruisseau de la Ribeyrolle enserre une île artificielle. Autour du lac sont plantées les espèces au goût du jour en particulier des marronniers. Jadis, une passerelle permettait d’accéder à l’île, où se trouvait une gloriette. Ce dispositif de lac serpentin à l’anglaise est relativement rare dans la région.
La commune de Jacou a la chance de détenir, avec le château et les jardins de Bocaud, un patrimoine de qualité dont l’histoire couvre plus de cinq siècles. Elle a racheté le domaine voici une dizaine d’année et s’attache à le restaurer progressivement comme en témoigne la restauration de la façade du château et de sa première terrasse. (Merci à Francky pour ce reportage et ses photos – Source: A. Blanchemain et O. de Labrusse, Histoire de Jacou, du château et de ses jardins.)
jul
29 janvier 2015 @ 06:06
Merci beaucoup Francky
Très beau reportage et pleins de détails intéressants.
mary 71
29 janvier 2015 @ 09:17
très intéressant reportage et belles photos. Je pense qu’on peut le visiter ce que je ne manquerais pas de faire lors de ma prochaine visite dans cette belle région.
Francky
29 janvier 2015 @ 17:28
Mary,
Le parc du château n’est pour le moment ouvert au public que lors des Journées du patrimoine et pour le Printemps des jardins. Il est toujours en cours de réhabilitation. Seule la grotte est visible, car située dans la partie du parc déjà ouverte en permanence.
1315jeann
29 janvier 2015 @ 09:23
Magnifique et commentaires parfait. Les grottes font penser, en moins bien, aux superbes grottes sculptées de la propriété Isola Bella (Lac Majeur) de la Famille Borromeo. Une splendeur.
Gérard
29 janvier 2015 @ 20:46
Oui un côté très italien pour ces terrasses et un reportage magnifique.
Elise de Versailles
29 janvier 2015 @ 10:10
Bravo à tous ceux qui ont contribué à ce merveilleux document sur le château de Bocaud .
Un grand merci également à vous Régine et à votre équipe , Quelle belle promenade à travers ce domaine !!
Caroline
29 janvier 2015 @ 11:10
Francky,merci pour votre reportage’touristique’ avec beaucoup de photos!
Nicky
29 janvier 2015 @ 13:30
J’adore l’architecture extérieure de ce château. Comme quoi, parfois, plus c’est simple et plus c’est joli.
Lou
29 janvier 2015 @ 13:39
Merci pour ce beau reportage!
Je veux bien être gardienne des lieux le temps d’un long week-end……Lou amusée!
Danielle
29 janvier 2015 @ 14:20
Beaux jardins avec une très belle et rare décoration, merci Francky.
Nicole C 34
29 janvier 2015 @ 15:39
Merci pour ce beau reportage, c’est à deux pas de chez moi, je ne connaissais pas.
Je vais me renseigner pour les visites.
patricio
29 janvier 2015 @ 16:47
Merci Francky pour ce beau reportage, il va falloir que je prenne le temps de visiter tous ces beaux châteaux de la région de Montpellier, que je découvre grâce à vous.
amitiés
patricio
JAusten
29 janvier 2015 @ 18:11
ohhhhh ! Là vous m’avez eu Francky ! J’ai pensé à certaines folies mais pas à celle là ; pourtant j’aurais dû car des amis à moi ce sont mariés en juin 2014 dans cette endroit !!!!!
Tip-top !!!!
Pierre-Yves
29 janvier 2015 @ 18:24
La construction est austère mais le parc semble charmant.
L’ensemble fait assoupi, peut-être parce que nous sommes en plein hiver.
Mais on aurait envie de voir se réveiller cette belle endormie.
flabemont8
29 janvier 2015 @ 19:14
Merci, Francky, quelle merveille et quelles explications ! Je regrette vraiment de ne pas connaître la région de Montpellier et de ne pouvoir m’y rendre . Grâce à vous , je peux découvrir et visiter des joyaux comme celui-ci .
Je suis heureuse d’apprendre qu’il appartient à la ville qui le restaure petit à petit . Ce serait dommage de laisser tomber dans l’oubli les sculptures magnifiques que vous nous montrez ici .
agnes
30 janvier 2015 @ 05:10
Une raison de plus pour visiter cette ville que je ne connais pas du tout.
Camille Gilbert
30 janvier 2015 @ 13:55
Merci, Francky, pour ce merveilleux reportage. Les photos prises en hiver ajoutent au charme de ce château dont émane une certaine mélancolie. J’apprécie en particulier la grotte ornée aux coquillages, si pleine de symboles. On entre un peu dans un paysage de rêves.
Francine du Canada
1 février 2015 @ 01:53
Merci Francky, il va vraiment falloir que je visite la région de Montpellier (au printemps de préférence); magnifique château de Bocaud avec ses jardins, ses terrasses, ses statues (vraiment impressionnantes les sphinges) et sa grotte. J’espère qu’il continuera d’être restauré et ouvert à la visite. Bon dimanche, FdC