Le 20 mars 1811, 101 coups de canons annoncent aux Parisiens la naissance de l’héritier tant attendu par Napoléon Ier. La naissance n’a pas été facile.
Il se présentait pas les pieds et non par la tête. A la question de savoir s’il faut sauver l’enfant ou la mère, l’empereur répondit “Allons donc ! ne perdez pas la tête : sauvez la mère, ne pensez qu’à la mère.”
Après 26 minutes de travail, “avec les ferrements”, l’enfant vient au monde à 9h15 du matin. Mais on le croit mort : il reste près de 7 minutes sans donner aucun signe de vie. C’est la consternation générale autour du lit de Marie-Louise et l’on s’emploie à le frictionner, le mettre dans des serviettes chaudes, verser un peu d’eau de vie dans sa bouche.
Enfin, l’enfant bouge. Le roi de Rome est vivant. “Eh bien Constant ! lance l’Empereur à son valet de chambre. Nous avons un gros garçon ! Mais il s’est fait joliment tirer l’oreille, par exemple…”
La naissance du roi de Rome imagerie populaire
Le prince archichancelier, Cambacérès, duc de Parme, dicte l’acte de naissance que signent les deux témoins, Eugène de Beauharnais, vice-roi d’Italie, et le grand-duc de Wurzbourg, oncle de Marie-Louise.
Les prénoms donnés au nouveau-né sont significatifs : Napoléon, François pour son grand-père maternel, l’empereur d’Autriche), Charles, (pour son grand-père paternel, et Joseph, prénom de son parrain, roi des Espagnes et des Indes).
Napoléon présente le roi de Rome aux dignitaires de l’Empire par Georges Rouget
Pourquoi fût-il créé roi de Rome, siège de la papauté ? Probablement en référence au titre de l’héritier de l’empereur germanique, qui était roi des Romains. Le Saint-Empire dissous, le titre était libre.
L’ordre est donné de tirer les 101 coups de canons protocolaires pour la naissance d’un fils et dès le 22e coup tiré, le peuple parisien laisse éclater sa joie, “un long cri qui partit comme un mouvement électrique”, rapporte la comtesse de Boigne, témoin de cette joie populaire.
La même procédure est exécutée dans les grandes villes et les ports de l’Empire, les flottes doivent être pavoisées. Les cloches du royaume, le bourdon de Notre-Dame en tête, sonnent sans arrêt du matin au soir, les Parisiens illuminent.
Le Divin Enfant par Prud’hon
“La venue d’un héritier était attendue par Napoléon qui, avec l’Empire, avait institué un régime héréditaire. Aussitôt la grossesse de Marie-Louise confirmée, il s’attacha à préparer l’événement et se préoccupa de la constitution d’une Maison des Enfants de France.
Tout comme pour son mariage avec Marie-Louise, Napoléon s’en remit aux traditions de l’Ancien Régime. Dès octobre, il chargea Ségur, grand maître des cérémonies, de recherches sur le cérémonial qui accompagnait les naissances royales.
Pour la constitution de la Maison et plus précisément pour la nomination et les attributions de la gouvernante, on se référait ainsi à des actes du Régent, datés de 1722, nommant Anne Julie-Adélaïde de Melun, princesse de Soubise au poste de gouvernante des Enfants et petits-enfants de France. Si l’essentiel du texte était repris, l’empereur marqua tout de même son empreinte en ajoutant les mots « sous nos ordres .” Ecrivit Le Moniteur le 20 mars 1811.
Napoléon en 1811 par Jean-Urbain Guérin, portrait miniature à la gouache sur parchemin
Tout à sa joie, Napoléon constitue donc pour son fils une Maison sur le modèle de celle des enfants de Louis XVI. La gouvernante de l’héritier du trône est nommée à vie avec le rang des grands officiers de la Couronne.
Il a écrit à son beau-père : « Monsieur mon Frère et Beau-Père, hier 19, à sept heures après midi, l’Impératrice me fit demander de descendre chez elle. Je la trouvai sur sa chaise longue, commençant à sentir les premières douleurs. Elle se coucha à huit heures, et depuis ce moment jusqu’à six heures du matin elle a eu des douleurs assez vives, mais qui n’avançaient en rien sa délivrance, parce que c’étaient des douleurs de reins.
Les gens de l’art pensèrent que cette délivrance pourrait tarder vingt-quatre heures ; ce qui me fit renvoyer toute la Cour et dire au Sénat, au corps municipal et au chapitre de Paris, qui étaient assemblés, qu’ils pouvaient se retirer.
Ce matin, à huit heures, l’accoucheur entra chez moi, fort affairé, me fit connaître que l’enfant se présentait par le côté, que l’accouchement serait difficile, et qu’il y aurait le plus grand danger pour la vie de l’enfant.
L’Impératrice, fort affaiblie par les douleurs qu’elle avait essuyées, montra jusqu’à la fin le courage dont elle avait donné tant de preuves, et à neuf heures, la Faculté ayant déclaré qu’il n’y avait pas un moment à perdre, l’accouchement eut lieu dans les plus grandes angoisses, mais avec le plus grand succès. L’enfant se porte parfaitement bien.
L’Impératrice est aussi bien que le comporte son état ; elle a déjà un peu dormi et pris quelque nourriture. Ce soir, à huit heures, l’enfant sera ondoyé. Ayant le projet de ne le faire baptiser que dans six semaines, je charge le comte Nicolaï, mon chambellan, qui portera cette lettre à Votre Majesté, de lui en porter une autre pour la prier d’être le parrain de son petit-fils. Votre Majesté ne doute point que, dans la satisfaction que j’éprouve de cet événement, l’idée de voir perpétuer les liens qui nous unissent, ne l’accroisse considérablement.”
Portrait présumé de Madame de Montesquiou et du roi de Rome
La gouvernante était nommée à vie et avait le pas sur toutes les dames de la Cour. Napoléon cherchait une femme dont le nom, la naissance, les vertus ennobliraient encore la charge.
Par le brevet du 22 octobre 1810, il fixa son choix sur la comtesse de Montesquiou, née Louise Le Tellier de Louvois, femme du grand chambellan, avec des ancêtres Noailles et Gontaut, familles illustres de l’ancienne noblesse.
La comtesse de Montesquiou dut constituer la Maison des Enfants de France, qui fut arrêtée au cours des premiers mois de 1811. Madame de Montesquiou gérait en fait un véritable ministère, très hiérarchisé.
La Maison des Enfants de France renouait avec les fastes de l’Ancien Régime. Cela semblait normal pour l’héritier du grand empire français, par son père, monarque absolu, et petit-fils de France et d’Autriche par sa mère.
Facture de la layette
La layette du bébé fit également l’objet de toutes les attentions, avec 100 000 francs alloués au trousseau et 20 000 francs pour l’entretien de la garde-robe.
Elle comprenait 42 douzaines de langes, 20 douzaines de brassières, 26 douzaines de chemises, 50 douzaines de couches, 12 douzaines de fichus de nuit et de mouchoirs sans oublier les robes en batiste, en satin, ornée d’abeilles. Certaines pièces subsistent encore.
Berceau du roi de Rome conservé à Vienne
Outre ses berceaux, dont l’un fut offert par la mairie de Paris, le 5 mars 1811, dessiné par Prudhon et réalisé par Thomire et Odiot.
Véritable pièce d’orfèvrerie, il coûta la somme de 152 289 francs. Cette pièce fut par la suite envoyée à Vienne, où il se trouve toujours.
En-dehors des berceaux, Madame de Montesquiou commanda un ensemble de meubles et objets destinés à l’enfant comme des commodes, des lits pliants, des bibliothèques portatives. L’orfèvre Biennais fut chargé de réaliser une vaisselle en argent.
L’enfant impérial de France était largement pourvu, bien mieux et plus que les enfants impériaux d’Autriche.
Durant toute la grossesse de Marie-Louise, et après, Napoléon a été un mari attentif, voire exemplaire. “Je suis sûre, dit un jour Marie-Louise à Metternich, qu’à Vienne, l’opinion générale est que je suis livrée à des angoisses journalières. C’est ainsi que la vérité n’est souvent pas vraisemblable. Je n’ai pas peur de Napoléon, mais je commence à croire qu’il a peur de moi.”
Rien n’est trop beau pour Marie-Louise. Tout doit s’ordonner autour de ses désirs. Sa vie doit être une fête. Peu importe que les nuages s’accumulent. 1812, 1813, 1814 s’annoncent avec leur cortège de défaites. Mais rien ne doit troubler la fête impériale organisée autour de l’impératrice. Des millions sont dépensés. Il est impossible de décrire la folie qui s’empara de Napoléon pour satisfaire Marie-Louise, du moins le pensait-il. Mais elle qu’en pensait-elle ? Il est difficile de la savoir.
Il est probable que les moments passés à Saint-Cloud, dans une relative intimité, lui conviennent mieux que le grand tralala des Tuileries. “Si cela est possible, écrit-elle à son père, mon tendre amour pour mon époux a encore grandi depuis le moment de la naissance de mon fils : les preuves d’attachement qu’il m’a données durant tout ce temps me resteront inoubliables et, encore maintenant, me remuent jusqu’aux larmes quand j’y pense ; elles m’auraient à tout jamais attachée à lui si ses bonnes qualités ne l’avaient fait déjà.”
Elle passe de plus en plus de temps à Saint-Cloud. En 1812, elle y passera 180 jours et seulement 116 à Paris.
Château de Saint-Cloud
Frédéric Masson relate une journée de l’impératrice à Saint-Cloud :
“A peu de chose près, c’est celle qu’elle menait, toute jeune fille, à Laxenbourg et à Schœnbrunn, avec une liberté peut-être moindre, l’absence de cette intimité familiale qui en faisait le charme et qui, dans les pires journées de la monarchie, offrait un refuge et présentait une consolation. Son temps, réglé à la minute, s’écoule avec une monotonie de couvent.
A huit heures, les femmes rouges (une catégorie des femmes de chambre) entrent dans sa chambre, ouvrent, les rideaux et à demi les persiennes, et lui apportent les journaux qu’elle parcourt. Pas de journaux étrangers, aucun d’Allemagne ou de Vienne : le Journal de Paris, les Petites Affiches, les Anciennes Petites Affiches, le Mercure, tant qu’il paraît, le Courrier de l’Europe, le Journal des Modes et des Dames, et la Gazette de France, voilà à quoi elle est abonnée. Elle déjeune dans son lit, avec du café ou du chocolat et quelques gâteaux à la viennoise, que le pâtissier Lebeau a appris à faire.
A neuf heures, toilette avec les femmes noires (l’autre catégorie des femmes de chambre), sous la surveillance des femmes rouges, quelquefois conférence avec Mme de Luçay, mais fort courte ; visite du roi de Rome, encore plus brève. Ensuite, les devoirs, qu’interrompent seulement le déjeuner prolongé avec Mme de Montebello et les promenades.
Parc de Saint-Cloud
L’Empereur absent, c’est encore avec Madame de Montebello qu’elle dîne et qu’elle attend les entrées. Elle prend du temps pour lire, car elle a le goût de s’instruire…Marie Louise prend ce qui lui plaît. Or si, à des moments, on lui trouve une fringale inexplicable de certains auteurs, si on la voit dévorer, dans le seul mois de juin 1810, dix-huit volumes de Madame de Genlis…sa bibliothèque, qui est telle qu’une femme la compose pour son usage, non telle qu’elle la reçoit d’un bibliothécaire ou d’un libraire, révèle des goûts, des tendances d’esprit, des buts d’instruction et d’amusement, dont il faut tenir compte…
Avec les livres de religion, Marie-Louise a apporté de son pays quantité de livres élémentaires en allemand, en italien et en français : grammaires, précis, dictionnaires, histoires générales.
Dictionnaire d’Histoire Naturelle ayant appartenu à Marie-Louise
Pour les langues, on a vu qu’elle en a beaucoup appris, et si elle ne parvient guère, en français, à se corriger de l’accent qu’elle a et des germanismes qu’elle commet ; si, jusqu’à la fin, elle dit : “Napoléon qu’est-ce que veux-tu” ; si, pour parler, bien plus que pour écrire, elle éprouve des difficultés ; si elle ignore des mots familiers et populaires qui sont, au fait, de l’argot, quelle Française de ce temps connaît aussi correctement l’allemand, et, pour une étrangère qui n’a jamais résidé en France, Marie-Louise ne fait-elle pas ses preuves de bonne éducation ? Sa tante, Marie-Antoinette, était fort loin d’en être là lorsqu’elle arriva en France. Seulement, comme elle a peu d’occasions de parler l’allemand, elle en oublie l’orthographe, et, en Autriche, on lui reproche ses gallicismes. Elle parle convenablement l’italien, et si, à Paris, elle n’a que faire du hongrois, elle saurait, à l’occasion, placer quelques mots en espagnol ; mais, à la Cour de l’Empereur-Roi, hors le français et l’italien, point d’affaires…
L’instruction de Marie-Louise, sans être profonde, est singulièrement étendue et variée, car, en dehors des généralités, elle a pris des notions particulières et détaillées sur l’histoire et la géographie de l’Autriche, de la Hongrie, de la Bohême, de l’Italie et de chacune des possessions de sa maison ; elle en est mieux avertie que de la France ; n’est-ce pas naturel et simple, et qui penserait ailleurs à le lui reprocher ?
Reliure aux armes de l’Impératrice des Français
Il semble que, de préférence, elle se soit attachée à l’ornithologie, l’arboriculture et la botanique. Elle a quantité de livres sur ces branches d’histoire naturelle, livres d’études et non livres d’images. Au reste, elle aime infiniment les fleurs : c’est le premier goût qu’elle ait laissé voir aux dames envoyées au-devant d’elle à Braunau. »
Le salon de l’impératrice à Compiègne
Les arts font aussi partie de sa vie. Elle peint, elle joue de la musique. “Au reste, il faut qu’elle soit presque une virtuose, car, dans ses cahiers, que relient Susse et Lafitte, voici, outre les partitions des opéras français et italiens, les œuvres de Steibelt, de Rigel, de Dussek, de Clementi, de Cramer, de Weigl, d’Haydn, de Pleyel, de Wœdel, de Hummel.
Pour la harpe, elle a, comme de juste, les fantaisies de d’Alvimare, et elle chante aussi, car, avec les Nocturnes de Blangini, ce sont les airs de Jadin et de Kalkbrenner. Cette musique qu’elle aime et qu’elle exécute, c’est pour elle-même et à elle seule. Plus de ces petits concerts improvisés où les archiducs tenaient chacun leur partie et où, en famille, on se plaisait à exécuter les morceaux célèbres”
Métier à broder de Marie-Louise
Elle brode des bourses de soie, des écharpes etc…Dans son salon, il y a tous les jeux de société auxquels elle peut s’adonner. Elle aime les douceurs, particulièrement le chocolat, boit les thés les plus rares.
Elle aime monter et chasser à cheval et après son accouchement s’y livre avec passion. Elle aime aussi les promenades en voiture.
La duchesse de Montebello est de tous ses plaisirs. Il a été reproché à cette dernière d’avoir agi de manière à isoler l’impératrice et conserver seule son influence.
Cela est possible mais une chose est certaine, elle n’a jamais abusé de l’amitié de Marie-Louise. Et il n’est pas impossible qu’elle ait agi sur ordre de Napoléon qui ne veut pas que Marie-Louise descende du piédestal, et donc de l’isolement, où il l’a placée.
La vie de l’impératrice est une fête permanente mais sans la possibilité d’exprimer quelque sympathie ou empathie que ce soit.
Napoléon, bien qu’amoureux et aux pieds de sa femme, n’en continue pas moins à être l’homme pressé et exigeant qu’il toujours été. Marie-Louise doit se soumettre à son rythme, à sa frénésie de déplacements et de voyages. C’est une vie à la fois bien occupée mais bien vide qu’elle mène. Elle ne peut même pas meubler ce vide par la maternité.
Madame de Montesquiou veille sur l’enfant et permet à peine à la mère de s’en approcher. “On me vole mon fils, mon bien cher enfant, je voudrais tant pouvoir le bercer, le promener, le montrer moi-même à l’Empereur. Et c’est elle qui a tous les droits, toute la joie d’approcher le roi. Je suis certaine qu’en Autriche j’aurais eu la permission de passer toutes les journées auprès de mon fils. Et je ne le verrai plus quand son palais sera construit sur les hauteurs de Chaillot.”
Marie-Louise veillant sur le roi de Rome par Joseph Franque en 1811
Le tableau de Joseph Franque est destinée à la glorification de l’Impératrice de son fils et du régime impérial tout entier. Il est loin de la réalité vécue par la mère.
Marie-Louise a toutefois l’immense plaisir de revoir sa famille. Le 9 mai 1812, Napoléon décide de partir en tournée d’inspection militaire et il emmène son épouse et toute la Cour avec lui. C’est en réalité le prélude à la campagne de Russie, ce qu’ignore Marie-Louise, et bien d’autres personnes.
Le cortège impérial était composé de plus de trois cents voitures récemment mises en service à Paris, et d’un nombre considérable de charrettes transportant de l’argenterie, des tapisseries et d’autres objets de luxe.
L’empire de Napoléon était à son apogée et il dominait la plupart des souverains de l’Europe continentale occidentale. Napoléon avait organisé un rassemblement des rois et des princes d’Allemagne pour démontrer sa puissance et rassembler des soutiens pour son projet d’invasion de la Russie.
Une série de banquets, de fêtes et de concerts ont été organisés et des pièces de théâtre ont été montées par des acteurs issus des plus belles compagnies de théâtre de Paris, toutes financées par l’empereur français.
La conférence était si grandiose qu’elle fût comparée aux rassemblements des Grands Moghols.
Le 18 mai, donc, ils sont à Dresde, reçus par le roi de Saxe, et où les rejoignent l’empereur François et l’impératrice Marie-Ludovica, accompagnés d’une petite garde d’honneur, à la différence des souverains français. Si cette dernière avait bien su conforter les sentiments contre Napoléon de sa belle-fille, archiduchesse, elle ne contint plus les siens quand elle voit le couple impérial français. Marie-Louise est couverte de diamants à leur première rencontre.
Dès lors la haine de Marie-Ludovica s’étendra à elle. Bien qu’elle soit comblée de prévenances et de cadeaux, elle s’ingénie à monter Marie-Louise contre son mari. La somptuosité dont est entourée sa belle-fille exacerbe sa haine. Elle tente de briser le ménage. Et, à sa grande fureur, elle échoue.
Marie-Louise s’est refusée de se prêter à ce jeu. Elle n’est plus la petite fille qui aimait une belle-mère à peine plus âgée qu’elle, elle est impératrice d’un pays plus fort et aime un mari qui la comble. Toute la famille impériale, la kyrielle d’archiducs et d’archiduchesses se réjouissent de la voir ainsi. Il n’en est pas de même de la suite militaire de l’empereur d’Autriche qui voyait devant eux une armée de 500 000 hommes.
Parmi les participants, à ce séjour à Dresde, étaient présent, outre les deux empereurs, le roi Frédéric-Guillaume III de Prusse, le roi Frédéric-Auguste Ier de Saxe, le roi Maximilien Ier Joseph de Bavière le roi Frédéric Ier de Wurtemberg, ces deux derniers alliés de Napoléon, Jérôme Bonaparte roi de Westphalie , Joachim Murat, roi de Naples avec presque tous les princes des petits États allemands, grands-ducs, ducs, maréchaux et maréchaux d’Empire. On disait que la peur et la haine de Napoléon garantissaient la loyauté de nombreux participants, autant que l’admiration et l’amitié.
L’Europe en 1812
Des banquets élaborés, des concerts et des représentations théâtrales furent organisés aux frais de l’État français, même si Napoléon était largement préoccupé par la planification finale de l’invasion, le véritable but de ce voyage, dont Marie-Louise n’avait certainement pas conscience.
Au cours de ce qu’il convient d’appeler la conférence de Dresde, Napoléon apprit l’arrivée du tsar russe Alexandre Ier à Vilnius, alors russe, et envoya le général de Narbonne-Lara (1755-1813), un aristocrate de noblesse ancienne passé à la Révolution et servant l’Empereur, avec un ultimatum.
Napoléon souhaitait la cession par la Russie à la Prusse de territoires en compensation de ceux perdues lors des guerres précédentes et la création de duchés indépendants à partir des territoires russes de Smolensk et de Saint-Pétersbourg, Alexandre devant se contenter de diriger la Russie asiatique. Cette demande était extravagante.
Alexandre Ier (1777-1825)
Alexandre montra à Narbonne-Lara une carte de la Russie, démontrant son immensité et déclara qu’il ne commencerait pas les hostilités mais qu’il combattrait s’il était attaqué et, si nécessaire, retirerait ses troupes vers l’extrême est de la péninsule du Kamtchatka plutôt que de se rendre. Narbonne-Lara revint le 28 mai avec le rejet des demandes par Alexandre et une déclaration selon laquelle la Russie préférait la guerre à une “paix honteuse”.
Narbonne-Lara déclara qu’il pensait préférable d’accepter une paix à court terme et de reposer l’armée française à Varsovie pour l’hiver. Napoléon était d’avis qu’il n’avait désormais d’autre choix que d’ouvrir les hostilités en déclarant « la bouteille est ouverte, il faut boire le vin”.
La traversée du Niémen
La visite se poursuivit à Prague où ils restent tous un mois, mais Napoléon le 23 juin 1812, franchit le Niemen avec une armée de 440 000 hommes.
Le 6 juillet, Marie-Louise quittait son père qui l’avait accompagnée jusqu’à la Bavière.
La lutte entre les deux impératrices a été sournoise mais profonde. Elles ne seront plus amies. Marie-Ludovica poursuivra Marie-Louise de sa haine, même après la chute de l’Empire. La duchesse de Parme ne trouvera pas grâce à ses yeux.
De retour en France, Marie-Louise mène à nouveau une vie tranquille, Napoléon n’étant plus là pour lui imposer la vie de cour.
Elle se soustrait autant qu’elle le peut au minimum imposé, jusqu’à refuser de recevoir les grands dignitaires, les ministres, les grands officiers et les officiers de la Maison, convoqués par le grand chambellan pour présenter leurs compliments à son retour.
Elle se dit fatiguée, ils devront revenir le surlendemain. Seule Madame de Montebello est près d’elle mais elle voit toutefois Madame Mère et la reine Hortense. Elle reste toujours aussi ignorante de la vie en France. Elle se montre très peu en public, menant la vie tranquille et bourgeoise qu’elle aime, celle de son enfance.
Etrangement, sans être indifférente à son fils, malgré une absence de deux mois, elle ne lui manifeste pas une grande affection. Il faut dire que le petit roi de Rome lui avait rapidement été enlevé et Madame de Montesquiou exerçait sa charge de façon jalouse et très exclusive.
La question est de savoir si Marie-Louise a compté dans la vie de l’Empire et plus généralement de l’histoire de France. Il semble que la réponse soit non.
Pour Napoléon elle était l’idole, mise sur un piédestal, sa femme tendrement aimée et la mère de l’héritier. Elle exécutait à merveille ce qui lui été demandé. Mais le seul rôle politique qui lui ait été accordé jusque là avait été l’acceptation de son mariage.
Napoléon ne parle pas politique, et encore moins guerre, à Marie-Louise, car il ne veut, ni ne peut l’inquiéter, et elle est moins instruite encore que ne le fut Joséphine.
L’Empereur la tient tout à fait en dehors de la politique, lui réservant un rôle d’apparat, qu’elle ne doit jouer encore qu’à la Cour et dans l’enceinte des palais.
Mais à la Cour, elle n’était pas aimée. Quand elle se montre à l’opéra seule, les applaudissements sont maigres. Son service d’honneur, hommes et femmes, ne sont pas tendres avec elle et se moquent de ses erreurs d’attitude ou de langage. Ils se dispensent même parfois d’accomplir leur service.
Certes, elle n’a pas subi l’inimitié, voire le déferlement de haine, qu’a subi Marie-Antoinette, à Versailles. Mais elle était à la fois trop lointaine, de par sa naissance et son statut, et surtout par sa timidité mais aussi trop simple dans ses goûts profonds, même s’il n’y aucun doute qu’elle a aimé la vie fastueuse qui lui était offerte.
Il est probable que Napoléon ait eu conscience de cette absence d’enthousiasme de part et d’autre. Quant à sa famille, il savait à quoi s’en tenir.
Napoléon est resté plusieurs mois en Russie avec quelques victoires et une immense défaite.
Des victoires
La bataille de Smolensk ( 16-17 août 1812)
La bataille de Borodino ou de la Moskova( 7 septembre 1812)
La défaite
L’incendie de Moscou (14 septembre 1812)
La bataille de la Bérézina (26-29 novembre 1812)
Le 10 décembre 1812, il est de retour à Paris et Marie-Louise se jette dans ses bras. Il est attendu dans l’espoir de le voir célébrer l’anniversaire de son couronnement. Et surtout dans l’espoir des siens de le voir reprendre les choses en mains mais aussi dans l’espoir de ses ennemis de voir l’Empire s’effondrer. C’est une atmosphère de fin de règne.
Le 23 octobre 1812, le général Claude-François de Malet (1754-1812) s’échappe de la prison où il avait été enfermé à la suite d’une tentative de coup d’état en 1809.
Cet aristocrate d’Ancien Régime était républicain mais reprochait à Napoléon de ne pas avoir reconnu sa valeur en ne le faisant pas monter plus haut dans la hiérarchie impériale.
La prison lui a permis de mettre au point ce qu’il tenta d’accomplir. Echappé de prison, il réussit à faire croire à la mort de Napoléon, toujours en Russie, le 7 octobre. Il a tout préparé. Il diffuse alors les décrets qu’il avait préparés et les hommes acceptent volontiers la nouvelle.
Il a montré les documents forgés par lui, laissant croire que le Sénat avait déjà réagi à la mort de l’Empereur. Selon les “ordres” contenus dans les faux documents, Malet a fait prendre les armes aux troupes et a envoyé des détachements de la 10e Cohorte en colonnes à divers endroits pour procéder à des arrestations.
Un détachement de la 10ème Cohorte s’est rendu à la résidence de Savary, duc de Rovigo, ministre de la Police. Le duc est pris par surprise et conduit à la prison de La Force, tandis qu’un autre détachement arrête le préfet de police.
Le général de Malet
Une troisième colonne se rend à l’hôtel de ville de Paris et, pendant que les troupes prennent position place de Grève, les commandants prennent la clef de la sonnette d’alarme de la Saint-Jean, appellent le préfet Frochot et préparent la salle pour un gouvernement provisoire composé de Mathieu de Montmorency, d’Alexis de Noailles, de Lazare Carnot et du maréchal Augereau et bien d’autres républicains hostiles à Napoléon. La mort de l’Empereur fut crue dans tout Paris et Malet s’installa dans les bureaux du général d’arrondissement de la place Vendôme, qui offrait les facilités nécessaires pour jouer son rôle de commandeur.
Tout se déroulait donc comme prévu. Des hommes le suivaient jusqu’au quartier général de la place de Paris, dont le commandant le général Hulin émet des doutes quant à la véracité de la chose.
Malet lui tire dessus à bout portant. Puis il se rend chez le colonel Doucet, sous-chef d’état-major de la première région militaire. Ce dernier et son adjoint, le chef de bataillon Laborde, le démasquent car ils ont reçu des nouvelles récentes de Napoléon, bien après la date supposée de sa mort. Il est arrêté et mis en prison. Le coup d’état commencé à l’aube du 23 octobre est terminé à midi du même jour.
Marie-Louise, en séjour à Saint-Cloud, apprend par un billet de Cambacérès “qu’une émeute de brigands, aussitôt réprimée, s’est produite dans Paris.” Il ne semble pas qu’il y ait lieu de s’inquiéter.
Quand plus tard, elle en saura plus sur les conjurés et leur tentative, elle ne se départira pas de son sang-froid. En fait, elle n’a rien compris à l’affaire.
La reine Hortense accourue auprès de l’impératrice et de son fils s’entend dire : “ Qu’auraient-ils pu me faire ? ce n’était qu’affaire de brigands.”
Il est vrai que Malet avait donné l’ordre que rien ne lui soit fait « tant pour l’honneur national que pour la garantie qu’elle nous assure de la conduite de l’empereur d’Autriche envers la France” .
Napoléon comprit immédiatement la suite et le risque qu’avait encouru le régime et la dynastie, à peine fondée. L’annonce de sa mort suffit pour que son empire risque de s’écrouler. Tout le monde perd la tête ; tout le monde accepte la nouvelle. Malet se heurta ni à Cambacérès, ni à Savary, ni à Pasquier, ni à Frochot, ni même à Hulin, mais à Doucet et à Laborde, de simples officiers. Ce n’était donc pas une simple affaire de brigands mais un véritable coup d’état.
Napoléon en 1812 par Charles de Steuben
Pour Napoléon le drame est que l’on n’ait point pensé à son fils. Il a établi une dynastie et comme pour les rois “L’Empereur est mort. Vive l’Empereur.” Mais ce n’est pas la réalité et il est temps de remettre les choses dans l’ordre qu’il a imaginé. Il est temps de donner à l’impératrice une véritable place dans l’échiquier politico-dynastique.
En famille
A présent, sans lui donner une part d’autorité plus effective, l’Empereur veut la sortir de son rôle de mère, l’investir d’un titre qui fasse impression sur les masses, la placer si haut que la nation entière, en cas de péril, se tourne vers elle et vers le Roi de Rome qu’elle portera dans ses bras. Il imagine qu’il imposera à la nation l’idée de la perpétuité, la confiance dynastique, et, le prestige qu’a pris à ses yeux l’Impératrice autrichienne, il prétend qu’elle l’exerce sur le peuple, sur l’armée, sur les fonctionnaires de tout ordre, et non plus seulement sur la Cour où il le croit établi.
Marie-Louise en 1812 par Gérard
Marie-Louise, archiduchesse d’Autriche, était entourée d’une famille aimante, d’une cour aimable. Malgré les secousses de l’histoire l’obligeant à fuir en catastrophe sa vie était agréable. Mise sur le piédestal d’une impératrice idole, elle était seule, sans amis, sans parents et ni le faste ni l’amour de son mari ne la comblaient. Elle allait bientôt voir tout changer autour d’elle et revenir à l’esprit de sa vie d’autrefois.
Marie-Louise en gloire par Jean-Baptiste Paulin Guérin
De la proclamation du Consulat, en 1802, à la campagne de Russie, Napoléon avait connu dix années de pouvoir absolu. Il lui fallut deux ans et demie pour tout perdre. (Merci à Patrick Germain pour cette 4ème partie. A suivre…)
Monogramme de Marie-Louise
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