L’impressionnant cortège a quitté Vienne. L’Empereur lui avait donné pour l’accompagner le grand maître de sa Cour, le comte Edling, tandis que Marie-Antoinette n’avait eu droit n’eut qu’à un noble sans grande charge.
Il y a douze dames expressément désignées par l’Impératrice Marie-Ludovica, la comtesse Lazansky est du nombre, et douze chambellans, choisis parmi les personnages les plus distingués : Marie-Antoinette n’eut qu’une moitié de ces splendeurs ; enfin il y aura un détachement de la Garde-noble hongroise qui ne se déplace que pour l’Empereur.
Marie-Louise avait connu bien des départs, des fuites devant l’ennemi, son futur époux. Mais son départ vers celui-ci est probablement le plus triste qu’elle ait connu.
Le premier soir elle est à St Pölten où l’Empereur et toute la famille impériale l’attendent pour une dernière soirée. De nouveaux adieux déchirant au matin. Berthier fit savoir à Paris : “La séparation entre le père et la fille fut pénible à voir.”
La remise de Marie-Louise à Braunau
Le 14 mars, elle dort à Emis, le 15 elle est à Ried où l’attend un grand dîner de trente-deux couverts. Le 16 mars, elle est à Braunau où elle fut remise selon l’étiquette, mise en place pour Marie-Antoinette, dans une construction en bois où elle entra autrichienne, entourée de sa Cour et ressortit française accueillie par Berthier et sa nouvelle Cour.
Caroline Murat, reine de Naples, est à la tête des dames venues chercher la nouvelle impératrice. “La reine de Naples vint à ma rencontre, je l’embrassais et fis montre d’une extrême amabilité à son égard quoique je n’ai en elle qu’une confiance limitée.” écrit-elle à son père.
Caroline Murat reine de Naples par Jean-Baptiste Wicart
La comtesse Lazansky doit la quitter, remplacée par la duchesse de Montebello, veuve du maréchal Lannes, née Louise de Guéhéneuc.
La duchesse de Montebello – Miniature de Jean-Baptiste Isabey
La noblesse d’Ancien Régime, ralliée à l’Empire, est présente dans le nouvel entourage de Marie-Louise. On y trouve les noms de Montmorency, Bouillé et Mortemart entre autres. Au total cent personnes sont là pour l’accueillir.
Outre l’aristocratie, pour le service d’honneur, il y a les femmes de chambres, les valets, les cuisiniers, les fourriers, composant le service ordinaire.
Là encore il y eut un échange de présents tant pour les Autrichiens que pour les Français, pour des dizaines de milliers de francs de pierreries et de parures.
La nuit Marie-Louise se confie une fois de plus à son père : “Je pense à vous continuellement et je penserai toujours à vous. Dieu m’a donné la force de supporter heureusement ce dernier choc. En lui seul j’ai mis toute ma confiance. Il m’aidera et me donnera du Courage, et je trouverai du calme dans la résolution de remplir mon devoir envers vous, puisque je vous ai fait mon sacrifice.”
Le roi et la reine de Bavière en 1810
Le 17 mars, elle arrive à Munich où elle est accueillie par des salves de canon et des volées de cloches. La famille royale de Bavière est au complet pour la recevoir. Elle a alors la douleur de se voir enlever son chien, un petit loulou viennois. Elle est désormais seule Autrichienne parmi les Français.
Le 19 elles est à Augsbourg et le 20 à Stuttgart où épuisée, souffrante, elle est reçue par la famille royale de Wurtemberg, à laquelle appartenait la première épouse de son père. Marie-Louise limite sa conversation à la seule famille royale, suivant l’étiquette.
Stéphanie de Beauharnais, Grande-duchesse de Bade par Gérard en 1809
Puis le 21 mar,s c’est Karlsruhe, au grand-duché de Bade. Le 22 elle est enfin à Strasbourg, où est arrivé Metternich venu pour contrôler le bon déroulement de son entrée en France.
Jusque là, elle était sur des états alliés de la France, Bavière, Wurtemberg, Bade, dont la grande-duchesse était Stéphanie de Beauharnais, nièce de l’impératrice Joséphine.
De Strasbourg, où elle passa deux jours, elle dit “ Strasbourg est une ville splendide, bien construite, harmonieuse et très peuplée.”
La petite archiduchesse habituée à obéir est désormais l’impératrice des Français. Elle est sur le territoire où règne son époux. Et elle doit apprendre à donner des ordres. “Je ne trouve pas, mon cher Papa, les mots qu’il faut pour exprimer à quel point il me surprend de devoir donner des ordres, moi qui jusqu’à présent n’ai jamais connu de volonté propre…”
La ville s’est surpassée pour recevoir l’impératrice.
Fontaine d’Alliance édifiée à Strasbourg pour l’arrivée de Marie-Louise
Dans la suite autrichienne, il y a le général comte Neipperg que Marie-Louise n’eut pas le loisir de voir.
Le reste du voyage fut Lunéville, Nancy, Vitry. A Compiègne, où l’Empereur avait compté les heures, s’occupant à vérifier que tout avait bien organisé pour recevoir dignement la fille des Césars.
Napoléon par Robert Lefèvre en 1809
Mais il avait hâte de voir son épouse, on pourrait dire sa conquête. Et le protocole sera bousculé. Napoléon ordonna qu’une voiture, non armoriée, fût préparée et il y monta avec Murat, dépassa Soissons et arriva au relais de Courcelles, à 25 kilomètres de là.
Il pleuvait et les deux hommes se réfugièrent sous le proche de l’église. La voiture de Marie-Louise arriva enfin, Napoléon fit signe au cocher de s’arrêter et s’engouffra ruisselant dans la voiture. “Tout cela se fit rapidement qu’il avait embrassé dix fois la jeune archiduchesse avant qu’elle sache à qui elle devait cet impromptu. Ce fut une affaire d’avant-postes, conçue et exécutée militairement.” raconte Victorien de Chastenay dans ses mémoires.
Bien que n’ayant pas assisté à l’entrevue, très en Cour sous l’Empire, la mémorialiste peut être crue. Marie-Louise, tremblante de froid s’entend dire “Vous ne craigniez sûrement pas la crotte.” Drôles de paroles de bienvenue, mais Napoléon ajouta immédiatement : “ Madame, j’éprouve à vous voir le plus grand plaisir.” Et Marie-Louise de lui répondre : “ Sire, votre portrait ne vous flatte pas.”
Caroline, reine de Naples, part avec son roi de mari et le couple impérial, resté seul, apprend à se connaître dans la voiture. Napoléon est ravi d’avoir une épouse si jeune, si fraîche. Marie-Louise, émue, se laisse apprivoiser par son mari qui la divertit gentiment. Finalement Marie-Louise est heureuse de cette rencontre si peu cérémonieuse, lui évitant la cérémonie de Soissons qu’elle redoutait.
Arrivée de l’impératrice Marie-Louise dans la galerie du château de Compiègne le 27 par Pauline Auzou, 1810
A dix heures le couple arrive à Compiègne. Il pleut toujours et la garde d’honneur est transie. La famille impériale les attend dans le vestibule.
Napoléon fit une rapide présentation de sa femme et ordonna un souper dans l’appartement de l’impératrice, où seule assista Caroline. Le repas terminé, Caroline partie, Napoléon s’informa de ce qui lui avait recommandé à Vienne par ses parents. Elle lui répondit qu’il lui avait recommandé ceci : “Aussitôt que vous serez seule avec l’empereur Napoléon, vous ferez absolument tout ce qu’il vous dira, vous lui obéirez en tout ce qu’il pourra exiger.” Voilà qui ne pouvait que plaire à Napoléon qui rapporta lui-même ces paroles.
Salle-à-manger du premier repas à Compiègne
La Cour étonnée et furieuse d’en être privée s’entend dire un peu plus tard par le général Bertrand que Leurs Majestés étaient couchées.
Il était resté une question en suspens, celle de savoir si Napoléon pouvait passer la nuit sous le même toit qu’elle. Metternich avait répondu par l’affirmative, Marie-Louise n’étant plus depuis le mariage à Vienne archiduchesse d’Autriche mais impératrice des Français.
Et Marie-Louise fut honorée par Napoléon, à la hussarde. Etrangement, le lendemain elle reçut la reine Hortense avec douceur, bien qu’un peu embarrassée. La crainte de l’Ogre corse avait disparu et laissé place à un amoureux.
C’est elle-même qui écrivit : “Il ne me semble pas du tout possible qu’un aussi grand guerrier soit doux et bien soumis auprès de sa femme. L’Empereur se montre tout cela et il me prie en toute chose d’une voix qui a vraiment les douceurs de la musique et il pourrait bien arriver que je l’aime beaucoup avant peu de temps.”
Et ce fut ce qui se passa. Tout au long de leur vie commune, Marie-Louise fut amoureuse de son mari. Envolées les craintes des deux côtés ! La deuxième nuit fut comme la première. A ce rapport physique apparemment réussi, à ces gentillesses respectives ,venaient s’ajouter pour Napoléon la gloire d’avoir épousé la première princesse d’Europe et à Marie-Louise, archiduchesse aimée mais élevée à la dure, se voyait comblée de tout ce qu’il y avait de plus beau en France.
Nécessaire de voyage par Biennais, orfèvre de la Cour impériale
Tout d’abord la “corbeille”, soit les présents du mari à femme, est impressionnante et sa lecture donne le tournis. Il y en a pour plus de 400 000 francs. Dentelle, cachemire, soie, fourrures etc… !
L’orfèvre Biennais a réalisé un grand nécessaire, dans son coffre d’acajou orné de cuivre découpé et incrusté, un nécessaire où, en cent treize objets d’or ou de vermeil, est contenu tout l’attirail pour manger : casseroles, assiettes, plats, timbales, couverts, cafetière, théière, chocolatière, sucrier, pot à crème et le reste, tout l’attirail pour la toilette, pour le bureau, etc…
Huit grands habits, en lamé or et argent, quatre robes longues satin rose brodé d’acier, tulle rose lamé à colonnes de satin rose et argent, tulle blanc brodé d’or à petits losanges, tulle garni de blonde avec dessous en satin, six robes de bal, six redingotes, deux habits de chasse, soixante douzaine de gants.
Elle reçu également pour plus de 4 600 000 francs de bijoux, diamants, perles, émeraudes, opales…
En comparaison, la fortune du maréchal Berthier s’élevait à l’époque à environs 6 000 000 de francs.
La parure de diamants
La parure d’émeraudes
La parure de mosaïque
Le diadème de rubis
Rien n’est trop beau pour la nouvelle impératrice. Hier fuyant sur des routes défoncées, habillée à la hâte et aujourd’hui à la tête de l’Empire français. Il y avait de quoi aimer celui qui lui offrait tout ceci. Mais ce ne fut pas ce qui l’emporta dans son esprit, elle fut séduite par l’homme.
Marie-Louise, archiduchesse avait une maison, comme il a été vu dans la première partie. Celle de l’impératrice des Français, c’est autre chose.
La Maison de l’Impératrice est constituée dès avant son arrivée en France. Il serait fastidieux de nommer tous ces membres. Quelques grands noms suffiront à en donner une idée..
Prince Aldobrandini Borghese par Auguste Flandrin
Le chevalier d’honneur est le comte Claude de Beauharnais (1756-1819), personnage falot dont le grand mérite est d’avoir vu sa fille Stéphanie mariée au grand-duc de Bade et d’être le cousin du premier mari de Joséphine. Marie-Louise s’attache à lui au point que quand Napoléon songe à le remplacer par le comte de Narbonne, elle demande à le garder.
Le premier écuyer est le prince Francesco Borghese, prince Aldobrandini (1776-1839), frère de Camillo Borghese, et donc beau-frère de Pauline Bonaparte, sœur de Napoléon. Il est lui aussi sans grande envergure.
Il est difficile de comprendre pourquoi l’Empereur a choisi ces deux hommes peu intelligents et même pas au fait de l’étiquette. Il est vrai qu’ils ne voient l’impératrice qu’en de rares occasions.
Les dames du Palais, dont certaines avaient été au service de Joséphine sont la duchesse de Bassano, née Madeleine Lejéas-Carpentier (1780-1827), la princesse Nathalie de Beauvau (1774-1854) née Mortemart de Rochechouart, la duchesse de Rovigo, née Marie Charlotte de Faudoas Barbazan de Segnanville ( 1784-1841), la duchesse d’Elchingen, épouse du maréchal Ney, née Aglaé Auguié (1782-1854), nièce de Madame Campan, la comtesse Anna Pieri Brignole Sale (1765-1815), la comtesse de Montalivet, née Louise-Adélaïde Starot de Saint-Germain (1769-1850), la comtesse Edmond de Talleyrand-Périgord, née Dorothée Biron, princesse de Courlande (1793-1862), la duchesse de Mouchy, née Françoise-Xavière Mélanie de Talleyrand-Périgord, 1785-1863), la duchesse de Padoue, née Anne Zoé de Montesquiou-Fezsensac (1792-1817).
Aglaé Auguier, duchesse d’Elchingen en 1810 – Dame du Palais
Et ce pour ne citer que quelques-unes d’entre elles. En tout, elles furent trente-six dames du Palais, aux noms sonores et aux origines diverses. A la différence du temps de Joséphine, elles ne pénètrent dans l’Appartement intérieur de l’Impératrice qu’avec des lettres d’audience ; jamais elles ne mangent avec elle ; jamais elles ne lui tiennent compagnie ; elles l’entourent seulement dans les occasions de cérémonie, et, si elle sort, elles montent dans les voitures de suite.
La comtesse Edmond de Talleyrand-Périgord, née Dorothée Byron, princesse de Courlande, Dame du palais
Marie-Louise a conscience de son rang. Il est vrai qu’à la Cour impériale, elle a le pas sur tout le monde, de par son statut d’impératrice mais aussi par celui d’archiduchesse d’Autriche, peut-être plus important encore.
Elle ne favorise pas les confidences et se méfie de ces Françaises, Belges ou Italiennes qui avaient servi Joséphine, et dont la vie de certaines était loin d’être exemplaires, ce qui lui fut rapporté.
Dans ce lot d’aristocrates, la plupart très bien nées, il y en eût une qui eut la faveur de Napoléon pour être la dame d’honneur de l’impératrice, la préférant à la duchesse de La Rochefoucauld-Doudeauville, née Louvois, ou à la princesse de Beauvau, née Rochechouart de Mortemart.
Ce fut Louise de Guéhéneuc, veuve, depuis 1809, du maréchal Lannes, duchesse de Montebello. Elle était de noblesse d’origine bretonne, son père était écuyer premier secrétaire à l’intendance du Hainaut mais aussi ancien valet de chambre du roi Louis XVI, et très riche, son père ayant été aussi un des grands financiers de l’Empire.
La duchesse de Montebello tirait aussi sa fortune des dotations dont avait bénéficié son mari. Mais là n’était pas l’essentiel. Elle était belle et distinguée, une femme du monde, à la réputation intacte. Elle avait épousé en 1800, Jean Lannes (1769-1809) d’origine modeste, plutôt fruste et souvent sans-gêne.
La duchesse de Montebello par Prud’hon
Napoléon dira de lui “ Lannes, le plus brave de tous les hommes était assurément un des hommes au monde sur lesquels je pouvais le plus compter… L’esprit de Lannes avait grandi au niveau de son Courage, il était devenu un géant. Lannes, lorsque je le pris pour la première fois par la main, n’était qu’un ignàrantaccio. Son éducation avait été très-négligée ; néanmoins, il fit beaucoup de progrès, et, pour en juger, il suffit de dire qu’il aurait fait un général de première classe. Il avait une grande expérience pour la guerre; il s’était trouvé dans cinquante combats isolés, et à cent batailles plus ou moins importantes. C’était un homme d’une bravoure extraordinaire : calme au milieu du feu, il possédait un coup d’œil sûr et pénétrant, prompt à profiter de toutes les occasions qui se présentaient, violent et emporté dans ses expressions, quelquefois même en ma présence. Il m’était très-attaché.”
Cela seul suffisait pour justifier la position de sa veuve auprès de Marie-Louise. Mais tous s’accordaient sur, outre ses qualités physiques, son éducation, son savoir-vivre et sa modestie. cependant elle n’appréciait pas la vie de Cour. Elle aimait son mari et ses cinq enfants. Sa mort à Essling, le 31 mai 1809, la laissa désemparée.
Maréchal Lannes, duc de Montebello par Jean-Charles Perrin
La duchesse de Montebello fut un de ces choix heureux qui emportèrent l’approbation universelle. Elle était jeune, d’une conduite parfaite.
L’armée, admirative de la bravoure de son mari, approuva ce mariage. La société civile aussi, effrayée par ce mariage impérial, quasiment réactionnaire, se rassura de savoir une telle femme près de l’impératrice.
Cette faveur fut toutefois reçue sans enthousiasme. La bénéficiaire aurait préféré se consacrer tout entière à l’éducation de ses fils. Mais c’est pour eux sans doute, en prévision de leur avenir, qu’elle accepta la lourde tâche imposée par sa nouvelle dignité. Elle fit partie des dames allant à la rencontre de l’archiduchesse.
“Je place auprès de ma femme la plus honnête femme que je connaisse.” dit l’Empereur. Pourtant Madame de Montebello a la réputation d’être hautaine et distante. Elle a son franc-parle.r Après une soirée à l’opéra où l’impératrice se rendit seule avec sa dame d’honneur, elle passa la soirée au fond de sa loge, s’attirant les critiques de certains, déçus de ne pas pouvoir voir l’impératrice. Qu’importe ! répond la duchesse, Sa Majesté n’est pas une curiosité qu’on montre à la foire, et quand il ne lui plaît pas de se faire voir, personne n’a rien à trouver à redire. Lorsqu’on a de la franchise, on doit se montrer tel qu’on est et ne rien faire par respect humain.”
Le ton était donné. Marie-Louise, malgré le faste qui l’entoure et la générosité de son mari, est restée simple. Elle fait tenir ses comptes, régler les fournisseurs. Tout le contraire de Joséphine. Elle ignore le monde et pire encore Paris et la France. Personne ne lui apprit à les connaître. La duchesse de Montebello, dont c’était un des devoirs, y manqua.
Marie-Louise en 1810 – Ecole de Gérard
Ce goût commun de simplicité rapprocha les deux femmes. Et elles furent amies inséparables au grand dam de la Cour et de l’Empereur qui lui reprochait sa discrétion
“Je n’ai jamais rien pu savoir par Madame de Montebello, dit-il, tandis que Madame de Montesquiou ne me laissait ignorer aucun détail.”
La duchesse de Montebello fut une dame d’honneur aux qualités que chacun sût lui reconnaitre, même si elle fit des envieux et des jaloux.
Marie-Louise, à son départ de France, souhaitait la garder près d’elle. Mais la duchesse de Montebello l’accompagna à Vienne et l’y laissa, retournant à Paris pour s’occuper de ses enfants et retourner dans l’anonymat jusqu’à sa mort en 1856.
Dans ses Mémoires, la duchesse d’Ambrantes dira : “La maréchale Lannes avait ce qu’elle a toujours, un ravissant visage rappelant les tableaux les plus beaux de Raphaël et du Corrège, j’en ai parlé et je crois que tous les avis sont d’accord relativement à elle…”
Il n’est pas difficile d’imaginer le mode d’intrigues autour de Marie-Louise, de ses dames du palais et de son service d’honneur. Il semble que la duchesse y échappât.
Le 1er avril 1810, avait été célébré le mariage civil à Saint-Cloud. La Cour entière y est présente, dames et princesses, femmes des grands officiers, ambassadeurs, cardinaux, ministres, se tenant de chaque côté de la grande galerie mais rien que la Cour, pas même les grands corps constitutionnels de l’Etat.
Cortège nuptial de Napoléon et Marie-Louise
Le lendemain, c’est aux Tuileries qu’aura lieu le mariage religieux. Tout d’abord, il y eut le défilé fastueux depuis Saint-Cloud, la foule étant massée tout au long du parcours.
Après avoir traversé la Galerie de Diane, le cortège impérial entra dans la chapelle. Comme au Couronnement de Joséphine, le manteau de l’Impératrice est soutenu par Julie Bonaparte, née Clary, reine d’Espagne, Hortense Bonaparte, née Beauharnais, reine de Hollande, Catherine Bonaparte, née Wurtemberg, reine de Westphalie, Pauline, princesse Borghese, née Bonaparte, Elisa Baccioccchi, née Bonaparte, grande-duchesse de Toscane.
Caroline a obtenu d’être dispensée, en considération du voyage de Braunau et des fonctions qu’elle s’est attribuées de surintendante ; et elle marche aussitôt après Madame Mère, suivie du grand-duc de Wurtzbourg, d’Auguste, de Stéphanie et du grand-duc de Bade.
Derrière chaque princesse, un officier de sa maison porte son manteau. Les premiers officiers accompagnent l’Empereur et l’Impératrice ; les dames du Palais, puis les dames des maisons princières ferment le cortège.
Le cardinal Fesch officia. Il est impossible de décrire la cérémonie tant elle fut fastueuse.
Le mariage par Georges Rouget
La robe de mariage de Marie-Louise
Banquet Nuptial par Alexandre Dufay dit Casanova
Outre impératrice des Français, Marie-Louise, archiduchesse d’Autriche, était devenue membre d’un clan. Et ce ne fut pas le plus facile.
Dans le monde des intrigues, il n’y avait pas que la Cour. Il y avait aussi la famille impériale.
Sans aller jusqu’à prétendre que l’origine corse ait eu une influence primordiale dans l’attitude de Napoléon vis-à-vis de sa famille, il est certain qu’il y avait un clan Bonaparte en France.
Et ce clan était présent à la Cour, y faisait du tapage et ne simplifiait en rien la vie de leur frère et celle de leur belle-sœur. C’en était ainsi du temps de Joséphine qui eût à les subir également.
Il y a une légende qui perdure sur la modestie et l’obscurité des origines de la famille Bonaparte. Cela n’est pas exact. Du côté paternel les Bonaparte appartiennent à l’origine à la bourgeoisie d’Ajaccio depuis le début du XVI ème siècle, occupant des charges majeures dans l’administration communale, siégeant au Conseil des Anciens d’Ajaccio, famille anoblie par le roi Louis XV en 1771 et dès lors membres de la noblesse française.
Mais ils sont aussi alliés et parents des familles nobles corses, comme les Colonna de Bozzi, les Pozzo di Borgo, les Gentile de Brando ou les d’Ornano.
Il en est de même du côté maternel. Les Ramolino sont alliés également aux familles principales de l’île. Ils ne sont pas riches mais qui l’était en Corse à l’époque, mise à part une grande bourgeoisie d’origine génoise à Bastia dont les fortunes peuvent être comparées à celles des familles bourgeoises continentales. Disons que la situation sociale des Bonaparte était équivalente à celle de la petite noblesse provinciale.
Quand la princesse Mathilde dit “ qu’elle aurait été à vendre des oranges dans les rues d’Ajaccio”, c’est une figure de style car le milieu social des Bonaparte était loin du commun.
Bien évidemment, pour Marie-Louise entrer dans cette famille était déchoir. Mais elle aurait déchu de même en entrant dans une famille ducale française. Les Habsbourg n’avaient d’égaux que les Bourbons.
L’analyse des rapports de l’impératrice avec les membres de la famille de son mari n’est pas aisée car, comme dans toutes les familles, il y eut des hauts et des bas, ces derniers l’emportant probablement.
Letizia Bonaparte, mère de l’Empereur en 1811 par Joseph Karl Stieler
La famille impériale se compose de la mère de l’Empereur, Letizia Bonaparte ( 1750-1836) née Ramolino, dite Madame Mère. Elevée au rang d’Altesse Impériale, elle n’en est pas moins réaliste et consciente de l’incongruité de sa situation. Elle refusera d’assister au Couronnement de son fils. Rigoriste, elle ne se rend à la Cour qu’en de rares occasions, essentiellement familiales.
Joseph Bonaparte alors roi d’Espagne par Gérard
Son fils aîné Joseph (1768-1844), homme modéré et pacifique, acteur important dans l’ascension de son frère, duquel il est très proche.
“Le roi Joseph, que des observateurs inattentifs et des écrivains malveillants se sont plu à représenter comme un prince uniquement occupé de ses plaisirs, était l’âme de nos travaux ; il s’occupait avec diligence de tous les détails, discutait dans son Conseil d’État sur les diverses matières avec beaucoup de lumières et de précision, et mettait dans l’exécution des mesures arrêtées beaucoup de suite et de fermeté” dira de lui le général comte Dumas à propos de l’administration du royaume de Naples (1806-1808).
“Joseph mérite d’être mis à part, non comme un homme de génie, mais comme un homme de sens, qui, de bourgeois d’Ajaccio, s’est retrouvé sans trop d’efforts, bourgeois de Pennsylvanie, un bourgeois qui a été roi et qui s’en souvient, mais qui permet parfois qu’on l’oublie. Joseph, auquel on n’a point rendu toute la justice qu’il mérite, est des Bonaparte le plus pondéré ; ses intentions qu’il ne put le plus souvent traduire en actes, à Naples comme à Madrid, mériteraient d’être étudiées en rapport avec son caractère et montreraient qu’il fut peut-être le seul des frères de Napoléon qui eût pu régner utilement — si les peuples s’y étaient prêtés” écrira Frédéric Masson dans son ouvrage sur la famille impériale.
Malgré ses bonnes intentions; il fut un malheureux roi d’Espagne de 1808 à 1813. Les Espagnols ne l’acceptèrent pas. Il est possible qu’il ait été présent au mariage avec Marie-Louise, son épouse, Julie (1771-1845), née Clary dont la sœur, Désirée Bernadotte, devint devint reine de Suède, y était.
Lucien Bonaparte, prince de Canino par François-Xavier Fabre
Lucien Bonaparte (1771-1840) est le troisième de la fratrie. Il fut un acteur majeur dans la carrière de Napoléon lors du Coup d’État du 18 Brumaire de l’an VIII.
Ses rapports avec l’Empereur ne furent pas bons. “Je l’honore, je le respecte, je l’admire comme chef de gouvernement, je ne l’aime plus comme un frère” dira-t-il de lui. Il ne sera pas présent au mariage car prisonnier des Britanniques qui ont intercepté son bateau en partance pour les Etats-Unis. Il fut fait prince de Canino par le pape Pie VII en 1814. Marie-Louise ne le connut donc pas.
Elisa Bonaparte, Grande duchesse de Toscane, princesse de Lucques et Piombino par Gérard
Elisa Bonaparte (1777-1820) fut la première fille du couple Bonaparte. Elévée à Saint-Cyr, elle épousa en 1797 Félix Bacciochi. Créée princesse de Lucques et Piombino en 1805, puis grande-duchesse de Toscane en 1809, si elle fut une bonne administratrice, elle n’entretint pas de bons rapports avec l’Empereur. Elle assista au mariage mais n’eut que peu de rapports avec sa belle-sœur, étant repartie pour ses états italiens. Elle fut certainement la plus instruite des sœurs de Napoléon.
Louis Bonaparte, roi de Hollande, par Gérard
Louis Bonaparte (1778-1846) fut créé roi de Hollande en 1806. Intelligent et cultivé, il introduisit des réformes dans son nouveau pays.
Son attitude, jugée trop favorable envers ses sujets, irrita Napoléon. En 1810, ce dernier mit fin au règne de son frère qui se réfugia auprès de l’empereur d’Autriche. Marié à Hortense de Beauharnais, il ne fut pas un mari agréable et le couple vécut séparé. Son exil après le mariage de Marie-Louise fit qu’elle ne le connut pratiquement pas. Il fut le père de Napoléon III.
Pauline Bonaparte, princesse Borghese par Canova
Pauline Bonaparte (1780-1825), duchesse de Guastalla, fut l’enfant terrible de la famille. Belle et d’esprit indépendant, elle fut une femme volage, capable d’entretenir trois liaisons à la fois selon la duchesse d’Abrantès.
Veuve du général Leclerc, elle fut mariée au prince Camille Borghese en 1803. Bien que fidèle et plutôt obéissante à son frère, elle n’aima aucune de ses deux belles-sœurs. Elle surnomma Joséphine “ la vieille” et si elle ne trouva pas de surnom pour Marie-Louise, ce fut sans doute par peur de la réaction de son frère. Rien ne pouvait la rapprocher de l’impératrice.
Caroline Bonaparte, reine de Naples par Gérard vers 1810
Caroline Bonaparte (1782-1839) tomba amoureuse de son mari Joachim Murat à 15 ans, au déplaisir de Napoléon. Son éducation avait été négligée. Successivement grande-duchesse de Berg de 1805 à 1808 et reine de Naples de 1808 à 1815, elle fut toutefois active sur le plan culturel et économique dans son royaume.
Chargée d’organiser la vie de la nouvelle impératrice qu’elle alla chercher et accompagna tout au long du voyage. Elle ne lui fut pas d’un grand secours.
Les deux femmes ne s’aimaient ni s’appréciaient. Comment aurait-il pu en être autrement quand Caroline Murat avait succédé, par la force, à la grand-mère de Marie-Louise, la reine Marie-Caroline ?
En 1814, elle commanda La Grande Odalisque au peintre Ingres. On lui prête une aventure avec le prince Metternich, quand après son veuvage en 1815 et la perte de son royaume, elle se réfugia en Autriche.
Jérôme Bonaparte, roi de Westphalie par Gérard
Jérôme Bonaparte (1784-1860) fut roi de Westphalie nouveau royaume créé pour lui par son frère. Etat-modèle, le royaume de Westphalie devait servir de référence aux autres territoires allemands, ayant reçu la première constitution et abrité le premier parlement en pays germanique.
Marié à une Américaine à laquelle il était attaché, en 1803, il vit son mariage cassé pour cause de minorité et surtout pour permettre à Napoléon de continuer sa politique matrimoniale prestigieuse.
En août 1807, il dut épouser la princesse Catherine de Wurtemberg, fille de Frédéric de Wurtemberg qui de prince du Saint-Empire devint roi, par la grâce de Napoléon en 1806, dont il resta l’allié jusqu’en 1813.
Catherine de Wurtemberg était la seule du cercle impérial qui fut du monde familial de Marie-Louise. Sa tante Elisabeth avait été la première épouse de l’Empereur François, alors archiduc d’Autriche.
Jérôme ne fut pas le plus brillant des soldats, ni des frères, de Napoléon. En 1816, Jérôme fut créé prince de Montfort par son beau-père.
La princesse Mathilde fut sa fille unique et de son fils Napoléon Jérôme descend la famille impériale actuelle. Il retrouva de l’importance politique à l’avènement de son neveu en 1852.
La légende qui veut que les frères et sœurs de Napoléon aient été des incapables est fausse. Dans la gestion et l’administration des territoires qui leur on été confiés, ils se sont montrés à la hauteur de leurs tâches et au moins aussi capables que les anciens souverains et que ceux qui leur succèderont.
Ils étaient au moins aussi cultivés que la plupart d’entre eux. Mais parvenus à leurs situations par l’intelligence et la force de leur frère, puis dans le camp des vaincus, ils furent des cibles faciles pour la critique.
Frédéric Masson, spécialiste de la famille impériale de France, a écrit, en 1902, dans son ouvrage sur Marie-Louise : “Pour la Famille, si la première impression n’a pas été mauvaise, si elle a trouvé sa belle-mère une très aimable et respectable princesse qui l’a reçue avec beaucoup de bonté ; si elle a trouvé les reines d’Espagne, de Hollande et de Westphalie et le roi de Hollande très bons et très affectueux, — en admettant que ses jugements soient sincères et qu’en cette première lettre elle n’ait point redouté les indiscrétions, — son impression ne tardera pas à se rendre plus nette et son opinion à se mieux former.
En établissant avec les parents de son mari des rapports corrects et qui témoignent en faveur de l’éducation familiale qu’elle a reçue, elle saura faire un choix et n’entretiendra une sorte d’amitié qu’avec Catherine, Hortense et Julie. Encore n’y tiendra-t-elle point et n’y apportera-t- elle jamais rien de son cœur.
Elle dira, elle écrira à Madame : “Ma chère maman”, mais elles sont si loin l’une de l’autre qu’il conviendra de s’en tenir à ces formules et à quelques rares visites. La reine de Naples, qu’elle subit depuis Braunau, que Napoléon met constamment en tiers avec elle, qui y a gagné de ne point porter le manteau comme les autres le jour du mariage, a cru qu’elle n’aurait nulle peine à se rendre la directrice de cette petite fille qui ne sait rien, n’a rien vu et n’est pas de force.
Elle ne se lassera pas de chercher à s’imposer, et, trouvant des épines à la Couronne qu’elle partage avec Murat, elle s’éternisera en France, mais elle ne gagnera rien sur Marie-Louise, et elle n’aura part, ni à ses confidences, ni à sa vie morale. Les autres sœurs s’écartent ou se retirent d’elles-mêmes.”
Marie-Louise dans l’intimité d’une vie de couple, en 1810, par Alexandre Menhaud
Marie-Louise avait été habituée à la simplicité d’une vie familiale, malgré la somptuosité des décors dans lesquels elle avait été élevée.
A Paris, tout était différent, mais elle avait gardé son état d’esprit de jeune archiduchesse.
On trouve cette simplicité dans une lettre qu’elle écrit à sa dame du palais, la comtesse de Luçay. “Je n’ai jamais encore été grondé de l’Empereur, je tâcherai de ne l’être jamais de ma vie, comme il serait fort désagréable de faire des dettes et que je pourrais m’attirer par là
son mécontentement…
L’Empereur veut que des 50000 francs qu’il me donne chaque mois je destine 10000 f pour des aumônes, que je garde 5000 francs pour les cadeaux ou besoins imprévus, 10000 f pour le remplacement de la corbeille. Il veut que je dépense seulement 25000 f en toilette et pas plus…j’aime mieux mettre 14 jours la même robe que d’en faire faire une de plus »… Elle n’acceptera que des robes à son goût, et il faudra distribuer les commandes entre M. LeRoi et d’autres marchands, « pour faire gagner de l’argent à plusieurs, d’autant plus qu’il trouve que le marchand ci-devant nommé fait payer toutes les choses le double de ce qu’ils valent”…
Une lettre à la comtesse de Luçay
Outre la somptuosité exagérée de la Cour de France et sa dorure nouvelle, malgré la présence de grands noms dans son entourage, rien ne lui est familier.
Napoléon se méfie de sa turbulent famille et son attitude engage Marie-Louise à en faire de même.
“Il ne plaisait point à Napoléon qu’on l’approchât de trop près, moins encore qu’on approchât l‘Impératrice. Il la veut avec lui seul au sommet, n’admet pas qu’elle en descende et ne tolère pas qu’on l’y entoure. Comme il prétend d’abord imposer le respect, il supprime toute occasion de réunion intime, laisse à peine subsister, une fois la semaine, quand il est à Paris, le dîner de Famille qui, le plus souvent, faute de princes, n’a pas lieu.” (Frédéric Masson)
La vie de Marie-Louise impératrice est terne. Elle aime son mari, au point d’être jalouse des visites qu’il fait à Joséphine à laquelle il est resté attaché, mais elle n’a pas d’amis, mise à part la duchesse de Montebello.
Une invitation au cercle de l’Impératrice
Le formalisme de la Cour l’enferme dans un rôle de représentation auquel elle se plie sans toutefois l’apprécier, comme ce fut le cas pour sa grand-tante, la reine Marie-Antoinette, qui préférait la simplicité de Trianon aux fastes de Versailles. Cela leur fut reproché à toutes les deux.
L’évènement tant attendu donnera enfin un sens à sa vie et au sacrifice auquel elle a consenti en épousant Napoléon. (Merci à Patrick Germain pour cette 3ème partie. A suivre…)
Marie-Louise en Majesté par Gérard
Régine ⋅ Actualité 2024, Autriche, Bade, Bavière, Napoléon, Portraits, Wurtemberg No Comments