L’abbaye bénédictine de Senones a été fondée en 640 par Saint Gondelbert, qui aurait été évêque de Sens. Dès la fin du VIIIe siècle, l’abbaye devenue Abbaye épiscopale, dont le développement et la richesse augmentent, fait appel à des voués chargés de veiller aux intérêts des religieux et de défendre le territoire ecclésiastique qui s’étendait sur la Haute Vallée du Rabodeau, une partie de la Haute Vallée de la Bruche, et une partie de la Vallée de la Plaine, dans le département des Vosges.
Au cours du Moyen Age, des personnages et des évènements marquants participent à la richesse et au rayonnement de Senones .C’est d’abord l’influence de la réforme bénédictine de Gorzeque au Xème siècle. Les abbés vont se plonger dans cette nouvelle réforme monastique. L’influence de Gorze n’est sans doute pas aussi importante que celle de Cluny, mais pour la Lotharingie et l’Allemagne, l’abbaye de Gorze exerce une réelle influence et toucherait plus de 150 monastères.
Antoine de Pavie, nommé abbé en 1092, issu d’une noble famille italienne, va contribuer à la construction d’une abbaye riche et florissante : fondation de prieurés, construction du monastère (cloître, réfectoires, dortoirs) et de l’église.
Cette dernière est alors flanquée d’une chapelle circulaire d’inspiration carolingienne dénommée Rotonde. La rotonde, consacrée à la vierge Marie, fût achevée vers 1154 et bâtie sur les modèles d’Aix-la-Chapelle, Lanleff, Honcourt ou Sélestat, dans la tradition templière et carolingienne, allusion au lieu saint de Jérusalem.Ses dimensions sont loin d’être modestes (22m de diamètre pour une flèche à 30m).Ce lieu servait de sépulture aux moines et aux puissants. Détruite en 1707, les plans nous sont restés grâce aux relevés de Dom Léopold Durand et Dom Pelletier.
En 1516 le concordat de Bologne entre Léon X et François Ier laissait au roi de France la nomination des évêques et des abbés dans son royaume, qui jusqu’ alors étaient nommés par les chanoines, abbés et moines.
Le roi, évidemment, ne nomma pas les prélats les plus saints, mais les plus ambitieux et les plus dévoués à sa personne, et il s’en suivit une décadence des instituts monastiques. L’arrivée des comtes de Salm comme voués (protecteurs) de l’abbaye donna naissance à une longue série de conflits avec les abbés qui leur reprochent de s’approprier les biens du monastère plutôt que de le défendre, entraînant l’abbaye de Senones dans de grandes difficultés morales et financières.
En 1554, un incendie détruit l’église et en 1571 les comtes de Salm prennent de force une grande partie des terres de l’abbaye.
L’abbaye fut finalement totalement reconstruite au XVIIIe siècle sous l’abbatiat de Dom Calmet qui marquera définitivement la vie de l’abbaye. Par son érudition et ses écrits il attire les écrivains et philosophes d’Europe entière. Il enrichit considérablement la bibliothèque, pour laquelle Voltaire « se fera moine » pendant près d’un mois.
Ainsi, dans la grande salle du rez-de-chaussée on trouvait des collections pour l’étude des sciences, de l’histoire et de la religion. L’étage, long de 50 m et haut de 7 m, accueillait les 15 000 volumes répartis sur des rayonnages en chêne.
Dom Calmet repose dans l’église paroissiale dans une chapelle latérale, à gauche, en entrant face aux tombeaux des comtes de Salm.Un tombeau de marbre fut érigé par souscription publique en 1873. Il est surmonté d’une statue, également en marbre, due au ciseau du sculpteur Falguière.
Les bâtiments que l’on voit encore aujourd’hui datent de cette époque, à l’exception du clocher de l’église qui date du XIIe siècle.
L’ abbaye de Senones a été le témoin de l’histoire peu commune de la région : Le 21 décembre 1751, un partage des terres de Salm a lieu entre les héritiers, une partie est rattachée à la Lorraine, l’autre devient la Principauté de Salm à laquelle appartient l’Abbaye. Ce petit état dépend juridiquement du Saint-Empire Germanique, mais économiquement de la France L’abbaye sera définitivement rattachée à la France le 2 mars 1793. Les bâtiments furent alors vendus comme biens nationaux, la bibliothèque a alors été dépouillée de ses livres et des rayonnages .
Au 18e siècle, le cloître, construit en grès rose enduit, était de plan carré, se composait de quatre galeries à arcades et utilisait le pilastre toscan. Deux ailes ont disparu : l’aile nord, détruite par l’incendie de l’église ; l’aile Est, occupée par la nouvelle église. L’église d’origine, détruite par un incendie en 1809, a été reconstruite par l’architecte Prosper Morey de 1866 à 1869, dans un style néo-médiéval. Le clocher, de plan octogonal, se compose d’un couronnement de dômes superposés.
Le logis abbatial, de plan en L, a connu deux phases de construction : la partie sud entre 1728 et 1749 ; la partie nord vers 1763-1766. La grande salle, dite salle des abbés, a conservé l’essentiel de son décor d’origine (lambris, bibliothèque murale, cheminée de marbre). La cour des communs était largement ouverte sur les vergers et le potager. Les communs sont constitués par un bâtiment agricole au nord (1731) et la bibliothèque (1719).
Le palais abbatial, à l’époque des moines, abritait les appartements de l’abbé, ainsi que la salle de réception. Les bâtiments furent transformés en logements des directeurs de l’usine. Le monastère s’est définitivement vidé de ses prières mais le bruit des nouvelles machines à filer le coton laisse augurer d’une toute nouvelle puissance ; après celui des abbés et des Princes de Salm, vient le temps des maîtres du textile Boussac, Laederich jusqu’en 1981 date de la fermeture de la dernière usine textile.
La magnifique façade de l’abbaye, cachée pendant près de deux siècles par des bâtiments industriels ainsi que les jardins a retrouvé son lustre d’antan.
Le grès vosgien y est omniprésent : piliers, entourages des portes et des fenêtres. La rampe du magnifique escalier d’honneur a été forgée dans les ateliers de Jean Lamour, le même ferronnier d’art de la place Stanislas à Nancy. Cette abbaye fait partie de la Route des Trois abbayes, avec celles de Moyenmoutier et d’Etival.
Au cœur de l’abbaye il y a un parc avec de très beaux arbres: tulipier de Virginie, hêtre pourpre, érable plane, tilleul, magnolia ainsi que différentes sortes de conifères. (Merci à Guizmo)
HRC
29 octobre 2020 @ 08:42
Merci Guizmo.
Les princes de Salm, allemands, on les retrouve au début de la révolution quand leurs droits sont en contradiction avec le droit issu des assemblées françaises.
Dans les manuels on disait « les princes possessionnés d’Alsace ».
Merci Guizmo, vraiment
Jean Pierre
29 octobre 2020 @ 10:28
Quelle surprise, Senones, prononcer S’nones !
Ville un peu morte où trône cette ancienne abbaye. C’est un peu la même chose juste à côté à Moyenmoutier.
Le passé y était plus flamboyant que le temps présent. Tous les ans au courant de l’été s’y déroule un remarquable festival des abbayes qui refait surgir de l’oubli Dom Calmet.
Découvrir aussi dans le coin, La Vallée du Rabodeau et le village martyr de Moussey.
Merci Guizmo.
Menthe
29 octobre 2020 @ 16:48
Oui Jean-Pierre, le village de Moussey qui organise-ou organisait ?-une randonnée guidée d’une quatorzaine de km sur le Sentier des passeurs de la seconde guerre mondiale, allant de Schirmeck (Bas-Rhin) à Moussey (Vosges) avec explications historiques et botaniques.
Antoine
29 octobre 2020 @ 10:47
Encore une visite des plus intéressantes. Merci ! Je connaissais le beau portrait de Mme de Senonnes, mais j’ignorais tout de cette abbaye.
Christine1
29 octobre 2020 @ 11:54
Senones est un palindrome, on peut le lire dans les deux sens ! C’est tellement rare de pouvoir placer ce mot dans une conversation que je n’aie pas pu résister 😂
Menthe
29 octobre 2020 @ 16:51
Et vous avez bien fait, Christine !
Figurez-vous, qu’habitant pas très loin de Senones, je ne l’avais jamais remarqué 😕
À ma décharge, ça saute moins vite aux yeux que Laval. 😘
Christine1
30 octobre 2020 @ 17:38
Vous allez rire mais je n’avais jamais remarqué pour Laval 😂
Menthe
31 octobre 2020 @ 18:28
Nous sommes donc à égalité 😘
Christine1
1 novembre 2020 @ 17:38
👍🏻
ciboulette
29 octobre 2020 @ 12:48
Un grand merci , Guizmo , pour avoir mis à l’honneur les trois abbayes où se déroulent chaque été de magnifiques concerts . La personne de Dom Calmet est inséparable de l’abbaye de Senones , et les chercheurs , aujourd’hui encore , ont recours à ses oeuvres . Il est resté très populaire .
Merci encore pour cette histoire intéressante de l’Est vosgien .
En été , parfois , on peut assister à la relève de la garde de Salm .
Baboula
30 octobre 2020 @ 04:41
Quand auront nous un beau reportage sur l’abbaye de Fablémont…? 😘
ciboulette
3 novembre 2020 @ 22:18
L’ abbaye de Flabémont ( rien de commun avec le nom que j’utilisais avant ) est maintenant en ruines , et à part un mur et une arche , il n’en reste rien .
Mais tonton Google peut vous parler de son riche passé .Si j’essaie , ce sera du plagiat , alors . . .
Etymologiquement , » Flavius mons » , colline de Flavius , de Flavien .
Mon Flabémont à moi est sur une colline , et il y fait toujours un peu plus frais que dans le centre ville .
Ne considérez pas , chère amie , je vous prie , mon manque d’enthousiasme pour une offense . Mais sincèrement , Google vous renseignera mieux .
nck
29 octobre 2020 @ 13:51
Merci à Guizmo pour cet article très complet.
J’en profite pour adresser mes plus sincères amitiés à la communauté catholique encore une fois frappée par un attentat musulman à la basilique Notre-Dame de l’Assomption à Nice aujourd’hui.
Danielle
29 octobre 2020 @ 20:56
Merci nck, je me demande quand cette barbarie s’arrêtera ??
Des pensées pour les familles endeuillées.
Danielle
29 octobre 2020 @ 16:02
Je n’ai jamais entendu parler de cette abbaye, merci Guizmo pour son histoire et les photos.
l'Alsacienne
29 octobre 2020 @ 17:56
Merci Guizmo pour cet article très documenté.
Votre publication donne envie de visiter ces abbayes
Albane
29 octobre 2020 @ 21:52
Merci Guizmo, pour cet article très intéressant. J’ai visité l’abbaye de Senones il y a quelques années lors de vacances dans les Vosges. Ses dimensions, ses couleurs et son histoire m’avaient impressionnée. Je me souviens bien de l’escalier d’honneur.
La région est très belle aussi.
Cosmo
29 octobre 2020 @ 22:24
Très bel article qui met en valeur la richesse spirituelle des monastères européens face à une aristocratie sans beaucoup de scrupules.
Merci Guizmo.
Jean Pierre
30 octobre 2020 @ 18:16
Dans le même département des Vosges l’abbaye de Remiremont était connue pour être une sinécure attribuée à quelques filles issues de familles royales. La sœur de la Grande Mademoiselle fût abbesse de cette abbaye à l’âge de 2 ans.
ciboulette
3 novembre 2020 @ 22:21
Oui, Jean Pierre . Seriez-vous Vosgien ou Lorrain , petit cachottier ?
Pour être Dame Chanoinesse de l’Abbaye de Remiremont , il fallait posséder 32 quartiers de noblesse , excusez du peu ! A Epinal , les Dames du Chapitre se contentaient de 16 quartiers .
Teresa2424
29 octobre 2020 @ 23:02
Muchas gracias GUIZMO!!!muy buen aporte!!
Baboula
30 octobre 2020 @ 04:44
Une jolie page de plus dans le recueil » Ces beaux endroits que vous ne connaissez pas »
La mise sous presse ne saurait tarder .