Fondée au XIIe siècle par le prince Razan, la ville de Tula ou Toula regorge de minerai de fer, la ferronnerie va naturellement s’y développer. Ravagée au XIIIe siècle par les Mongols, puis annexée au XVIe siècle par l’Etat moscovite, Moscou n’étant située qu’à 180 kilomètres, elle constitue un poste avancé.
Ce rattachement permet à ses forgerons déjà réputés de devenir incontournables. Avec la création en 1712 de l’armurerie impériale par Pierre 1er Le Grand, une aire de prospérité s’ouvre.
En 1736, le directeur des manufactures a une idée de génie en proposant de créer une section dédiée à la serrurerie et aux menus objets de fer. Dès sa mise en place, le projet est d’autant plus une réussite, qu’à cette époque toutes ses pièces sont importées, donc très onéreuses.
La ruche d’acier. Les anciens forment les jeunes apprentis, qui vont parfaire leur technique dans d’autres capitales, comme Birmingham. La « Mecque » depuis le XVIe siècle du travail de l’acier et dont Toula va devenir un temps l’alter ego.
Les armes (ici patrimoine du prince Charles-André Colonna Walewski) faites d’un métal gravé, sablé, dont les reflets bleuis évoquent les eaux du Baïkal, les épées de duels ou d’apparat, les dagues de chasse, les pistolets, et autres armes sont la production majeure, le chef d’œuvre de Toula. Parallèlement à cette activité, un bouillonnement, une frénésie créative vont générer une production aussi inattendue, qu’originale.
Riches de leur pérégrination et d’un indéniable talent, nos voyageurs se meuvent en forgerons ébénistes : le meuble d’acier de Toula entre dans l’Histoire !
Quant à l’évolution stylistique, les décors sont ceux de l’iconographie russe d’inspiration byzantine et médiéval, en vogue depuis le XIIème siècle. Le rinceau qui est un motif ornemental traditionnellement dévolu aux pièces d’orfèvrerie, se voit repris dès la première moitié du XVIIIe par nos forgerons et, ce n’est qu’à la fin du XVIIIe, que la sensibilité slave disparait définitivement au profit de l’ornementation occidentale.
En témoigne cette boite de facture néoclassique.
La première commande impériale.
La tsarine Élisabeth Petrovna, fille de Pierre le Grand commande en 1746, 12 fauteuils garnis de coussins en velours. Un seul de ses sièges nous est parvenu, il est exposé au Musée du Petit Palais.
De forme traditionnelle, son armature en acier a été bleuie par oxydation, la dorure au mercure a été employée pour les d’incrustations d’or et de cuivre, (technique interdite de nos jours, car presque toujours mortelle). Le dossier et les pieds sont ornés des traditionnels rinceaux et fleurs dorées.
En 1752/1753, des factures détaillées nous permettent de connaître un nouvel et important achat de la souveraine. Le Musée de l’Hermitage possède un siège similaire où est gravée sur un pied l’inscription Toula 1743. Celui du palais Sanssouci à Potsdam est daté 1744.
Siège Curule. Acier, laiton, moulage, forgeage, la sculpture, le polissage
La consécration : les manufactures doucement endormies, recouvrent leur éclat d’antan et l’intensité de leur production avec Catherine II et Paul Ier.
Le comte Louis de Ségure ambassadeur de France, relate dans ses mémoires, que lors de sa seconde visite à Toula en 1787, l’impératrice teint à ce que tous les membres de son escorte aient un cadeau.
Pour lui témoigner leur profonde gratitude, les armuriers offrent à leur souveraine un somptueux présent, des tables, des fauteuils, des lits, et tous les accessoires qui l’accompagne, encrier, candélabres, coffrets…
Echiquier de Catherine II – Musée de l’Ermitage
Table de toilette et sa garniture, tabouret de pied Toula, 1787 Palais Pavlovsk
Guéridon de Toula en acier poli et bronze doré, Toula XVIIIème
Trois encriers acier, cuivre et étain, Toula, Russie fin XVIIIème siècle (patrimoine du prince Colonna Walewski)
Il serait injuste d’omettre dans ce renouveau, le rôle qu’a joué en amont la construction du château de Pavlovsk, demeure offerte pas la Grande Catherine à son fils Paul.
Les esthètes que sont, le futur tsar et son épouse Maria Féodorovna, auront à cœur d’allier le raffinement parisien à l’acier bleui, comme en témoigne l’inventaire de 1790.
A partir de la moitié du XVIIIe au mois de mai, se déroule une foire à Sofia près du palais Tsarskoïe Selo. Les ouvrages de métal y figurent en bonne place. Catherine II, en fidèle cliente fait de nombreux d’achats chaque année dont certains destinés à sa famille.
Le déclin. Les seize années d’interdictions sonnent le glas de cette magnifique aventure. En 1808, seules les armes sont fabriquées.
Ce décret s’applique à toutes les manufactures de Russie, Toula n’échappe pas à la règle. L’acier est devenu trop important pour l’utiliser à des fins décoratives dans ce pays en guerre.
En 1824, à l’abrogation de la loi, les maîtres touliens ne sont plus. Ces 14 années ont- elles vraiment effacé tout leur savoir ?
Triste constat que de voir la médiocrité des objets exposés à St Pétersbourg en 1829 à la première exposition des produits de l’industrie.
Oubliés les meubles d’acier bleu, les épées d’apparat, les belles serrures, les somptueux coffrets, les bijoux si convoité, neuf dérisoires objets ! Une cafetière, un samovar, trois paires de ciseaux, une poêle, deux fers à repasser et deux portillons.
Il semblerait, que la manufacture de Toula ait été la seule en Europe à produire ces articles. Quelles sont les raisons qui ont conduit les pays occidentaux et en particulier l’Angleterre (dont la suprématie dans le traitement de l’acier était incontestable), à ne jamais tenter de rivaliser avec les aciéries impériales ? Comment expliquer que les plus grandes familles princières russes, telles que les Youssoupov, les Potemkine ou les Demidoff, dont Nicolas fut le premier maître des Forges, n’ont apparemment jamais possédé autre chose que des bibelots et des bijoux ? Le mobilier n’était-il dévolu qu’à la famille impériale ou, était-elle la seule à pouvoir l’acheter ?
On peut se perdre en conjectures mais, une chose est acquise, pour en arriver à ce degré de perfection, il fallait des forgerons maîtrisant totalement leur art. Cela demandait du temps et beaucoup d’argent. (Merci à Hélène R)
Phil de Sarthe
17 novembre 2020 @ 07:36
C’est magnifique! Un grand merci Hélène R.
Pascal🍄
17 novembre 2020 @ 08:41
A nouveau un magnifique article sur un sujet sans doute peu connu , en tout cas totalement inconnu de moi , très fouillé et très bien illustré.
Un grand merci à Hélène R !
bételgeuse70
17 novembre 2020 @ 09:00
Somptueux. Preuve s’il en fallait une que la technologie moderne ne peut pas remplacer la main de l’artisan dans certaines oeuvres.
Hélène R
17 novembre 2020 @ 10:16
Je suis désolée pour les tabulations, j’étais sur mon vieux PC. Lire » de nombreux achats ». Merci Chère Régine.
alobo
17 novembre 2020 @ 10:43
Superbe article !! Merci beaucoup.
Baboula
17 novembre 2020 @ 10:52
Inhabituel, passionnant et iconographie exceptionnelle . Merci Hélène de nous faire découvrir les productions de Tula qui sont infiniment plus artistiques que celles de l’industrielle Birmingham .
Hélène R
17 novembre 2020 @ 13:58
Bonjour Baboula, il y a eu de nombreuses tentatives de corruptions, mais les maîtres touliens ont toujours résisté aux sirènes Birminghamiennes.
ciboulette
17 novembre 2020 @ 17:52
Merci , Hélène R , votre article est passionnant et les photographies sont remarquables . Je suis passée à Tula il y a déjà longtemps , et je regrette beaucoup qu’on ne m’ait rien dit à ce sujet , aucune visite n’était programmée , je n’ai fait qu’y passer , c’est bien dommage !
J’adore les encriers !
Hélène R
18 novembre 2020 @ 12:58
Si Régine le permet et le peut? Il y a des photos où ils sont ouverts, magnifiques! Vous savez Tula est une histoire assez compliquée, je pense que bcp de Touliens et de Russes ne connaissent pas cet histoire. Comme pour nos lois somptuaires, le mobilier a été fondu.
Pierre-Yves
17 novembre 2020 @ 11:00
Superbe reportage ! Merci à Hélène.
Caroline 43
17 novembre 2020 @ 14:15
Superbe article, merci!
Agnese
17 novembre 2020 @ 19:26
Superbe reportage très intéressant et passionnant. Je découvre et suis déçue de ne pas l’avoir su quand je me suis rendue en Russie. J’aurais aimé voir ces œuvres d’art mais elles n’étaient peut-être pas encore exposées il y a 20 ans?
Hélène R
18 novembre 2020 @ 16:04
Si Agnese. Celles que je cite, sont dans les grands Musées depuis très longtemps.
Teresa2424
17 novembre 2020 @ 19:50
HELENE Felicitaciones por EXCELENTE artículo ilustrado GRACIAS
Maria
17 novembre 2020 @ 22:54
Hélène R , interessante quest’ articolo ! Traduco con google:intéressant cet article
Hélène R
18 novembre 2020 @ 13:13
🙏
Anne-Cécile
18 novembre 2020 @ 01:15
Hélène de sincères merci et bravo à vous.
Je suis très émue de lire cet article, moi qui ai adoré ce musée à Tula, et découvert les élégants ensembles de mobilier témoignant de l’excellence russe.
Après la visite du délicate et poétique domaine de Iasnaia Poliana, ce fut une seconde visite mémorable.
Hélène R
18 novembre 2020 @ 13:01
Vous avez de la chance Anne-Cécile, je n’y suis jamais allée.
Pastelin
18 novembre 2020 @ 09:19
Passionnant, et en plus comme j’ignorais tout du sujet, j’ai adoré avoir une vue d’ensemble, complète. Merci vraiment pour tout ce travail exhaustif, clair et
cette présentation fluide.
Hélène R
18 novembre 2020 @ 13:08
A tout vous dire, je vous présente mes excuses. Un peu fatiguée, j’ai envoyée à notre chère Régine un brouillon. Elle a eu bcp de patience…🙏
Hélène R
18 novembre 2020 @ 15:44
*J’ai envoyé….
Guizmo
18 novembre 2020 @ 18:47
Un magnifique article sur un sujet et un lieu peu connu que malheureusement je n’ai pas visité quand je me suis rendue en Russie. Merci beaucoup
ML
18 novembre 2020 @ 20:05
Magnifique et passionnant .Merci ,Hélène .
Cosmo
18 novembre 2020 @ 22:30
Tout simplement sublime !