Ce n’est pas seulement comme militaire, courtisan et mémorialiste que l’on se souvient de Besenval. Il fut aussi un amateur d’art raffiné, un des plus distingués collectionneurs de son temps, reconnu comme tel : il fut nommé membre amateur honoraire de l’Académie Royale de Peinture et de Sculpture en 1784.
L’hôtel de Besenval et son décor sculpté
Il avait acheté en 1767 un hôtel au Faubourg-Saint-Germain, (aujourd’hui ambassade de Suisse à Paris, 142 rue de Grenelle). Cette demeure construite par Delamair vers 1705 pour l’abbé Chanac de Pompadour, se composait d’un simple rez-de-chaussée, et Besenval ne tarda pas à s’y sentir à l’étroit.
En 1782, il demanda à Brongniart de le surélever d’un étage. À l’intérieur, il respecta pour l’essentiel le décor rocaille que l’on peut toujours admirer aujourd’hui. Brongniart aménagea une salle à manger dans le plus pur style néoclassique, ainsi qu’une galerie à éclairage zénithal pour sa collection de tableaux.
L’hôtel de Besenval, façade sur le jardin
Mais l’essentiel de l’intervention de Brongniart fut la création d’une salle de bains à l’imitation des nymphées antiques. C’est cette pièce, et son merveilleux décor sculpté par Clodion, qui a fait la gloire de l’hôtel de Besenval. Enlevé au XIXe siècle, le décor a pu heureusement être acquis par le Louvre en 1981, à l’occasion d’une dation.
Plan et vues en coupe de la salle de bains de l’hôtel de Besenval par Brongniart (musée du Louvre)
Située au sous-sol, la salle de bains était ornée de 12 colonnes d’ordre toscan, décorée de vases et de deux bas-reliefs. Creusé dans le sol, un bassin en ellipse sert de baignoire. Au fond, une alcôve abrite une statue de naïade allongée, plus grande que nature, placée sur un piédestal.
Vénus et l’Amour, avec Léda et le cygne par Clodion (musée du Louvre)
Pan poursuivant Syrinx sous le regard de l’Amour par Clodion (musée du Louvre)
Les deux bas-reliefs, chefs-d’œuvre de Clodion, représentent « Venus et l’Amour, avec Léda et le cygne », et « Pan poursuivant Syrinx sous le regard de l’Amour ». Librement inspirés d’épisodes des Métamorphoses d’Ovide, ils illustrent le Triomphe de l’Amour. C’est le vieux thème du combat entre l’Amour et Pan, qui personnifie la Nature : l’Amour triomphe de tout, de Pan, donc de la Nature et de l’Univers entier.
La réalisation de toutes ces sculptures (statue, vases et bas-reliefs monumentaux) est aussi une prouesse technique, car elles sont en pierre de Tonnerre, matériau très dur. Leur délicatesse d’exécution n’en est que plus admirable.
Mais cette salle de bains était aussi superbe que dysfonctionnelle : située dans un sous-sol mal chauffé, elle était glaciale et donc pratiquement inutilisable. On raconte même qu’un des Suisses de Besenval qui s’y baigna le jour de l’inauguration prit froid et en mourut quelques jours après !
Le jardin était aussi très soigné, car Besenval adorait les fleurs, en particulier les jacinthes, qu’il cultivait dans ses serres et « envoyait aux dames à profusion ».
Les collections du baron de Besenval
Avec son hôtel mis au goût du jour par Brongniart, Besenval disposait ainsi d’un écrin digne d’abriter ses collections. Un tableau de Danloux peint en 1791, peu avant sa mort, le montre assis sur un fauteuil, méditant au milieu de ses tableaux et ses objets d’art.
Portrait du baron de Besenval par Danloux (détail), 1791 (Londres, National Gallery)
Besenval était célèbre pour sa passion pour les porcelaines de Chine et du Japon, en particulier les céladons, ce qui lui avait valu le surnom de « vieux Céladon », qui faisait aussi allusion à ses succès auprès des jeunes femmes.
Sur le tableau de Danloux, on distingue quelques-unes de ses porcelaines, notamment un vase céladon (faisant partie d’une paire), en forme de carpe, enrichi d’une monture de bronze doré.
La Gimblette par Fragonard (Munich, Alte Pinacothek)
En matière de tableaux, Besenval aimait surtout les peintres de son temps : Lagrenée, Vien, Hubert Robert, Fragonard, Greuze, Vernet, etc. mais il collectionnait aussi les maîtres italiens, flamands et hollandais. En bon libertin, le baron cultive aussi le goût d’une certaine peinture de cabinet « érotique ».
Il avait ainsi commandé à Fragonard un exemplaire (aujourd’hui disparu) de La Gimblette ou Jeune fille faisant danser son chien sur son lit, un des tableaux les plus « polissons » du XVIIIe siècle, dont une version est conservée à Munich.
Besenval possédait également un somptueux mobilier. En la matière, le baron se montre sensible au goût à la grecque et au Louis XIV revival qui se développent à partir des années 1760 : il collectionne ainsi les meubles Boulle et les précieux vases en pierres dures, (porphyre, marbre…).
De temps en temps, certains de ces objets réapparaissent sur le marché de l’art, témoignant de la splendeur des collections du baron. En 2007, une paire de vases « en marbre vert d’Egypte ou d’Ecosse, en forme d’urne, richement décorés de figures de tritons et guirlandes de chêne en cuivre doré », fut vendue chez Christie’s à New York.
Bureau plat et cartonnier ayant appartenu à Besenval (Vente Christie’s, Paris, 25 mai 2021).
Tout récemment, est apparu chez Christie’s, à Paris, un autre mobilier provenant du baron de Besenval : un bureau plat et un cartonnier (estampillé BVRB), en placage d’ébène, orné de bronze doré, surmonté d’une pendule. L’ensemble a été vendu 462 500 € le 25 mai 2021.
Commode de Carlin (collection de S. M. la reine Elisabeth II)
Mais le plus beau meuble de Besenval était sans doute une commode en ébène de Martin Carlin, très richement ornée de bronzes dorés et incrustée de panneaux de pierres semi-précieuses exécutés à la manufacture des Gobelins sous Louis XIV par le Florentin Giachetti.
Elle avait appartenu à la cantatrice Marie-Josèphe Laguerre. Ce meuble exceptionnel fut acheté plus tard par le roi George IV d’Angleterre et se trouve aujourd’hui à Buckingham Palace. (Merci à Pascal-Jean Fournier pour cet article)
DEB
7 juillet 2021 @ 05:57
Merci.
Un homme représentatif de son époque.
Robespierre
7 juillet 2021 @ 06:09
De plus en plus intéressant.
Pistounette
7 juillet 2021 @ 06:55
J’ai apporécié la vie de ce personnage, que je ne connaissais pas. Merci
HRC
7 juillet 2021 @ 08:19
Une avant-révolution joyeuse que j’aime bien.
Pour le reste, il me faudra trouver ses mémoires.
Aristocrate
7 juillet 2021 @ 10:53
Je crois qu’il aurait été heureux de savoir que sa maison est devenue l’ambassade de Suisse. La galerie a éclairage zénithal devait valoir le coup d’œil, et je rêve d’une salle de bain à l’antique mais bien chauffée si possible.
Beque
7 juillet 2021 @ 11:48
Aristocrate, j’avais écrit dans un post du 4 juillet, je crois, que son somptueux hôtel acheté en 1767 est le siège de l’ambassade de Suisse. Je faisais un rapide commentaire sur le baron de Besenval dont j’avais découvert l’existence en visitant la ville de Soleure.
Mais nous avons appris beaucoup de choses sur ce personnage grâce à Pascal-Jean Fournier.
Aristocrate
7 juillet 2021 @ 12:04
Je viens de lire votre commentaire du 4 juillet, qui donne des informations complémentaires intéressantes, merci à vous et à Pascal-Jean bien sûr.
Beque
7 juillet 2021 @ 13:41
En fait, au début de cette 3e partie du texte sur le baron de Besenval il est fait allusion à l’ambassade de Suisse.
Ciboulette
7 juillet 2021 @ 14:29
Récit très intéressant d’un personnage que , moi non plus , je ne connaissais pas . Les meubles sont magnifiques .
lila
7 juillet 2021 @ 12:12
Tiens tiens cette photo a servi pour la couverture d’un livre des mémoires du Baron de Besenval sur la cour de France . Je possède et j’ai lu ce livre passionnant . Ecrit par Ghislain de Diesbach .
particule
7 juillet 2021 @ 13:22
En avance sur son temps … il porte des bas de contension !
François
7 juillet 2021 @ 19:48
Très belle série qui montre toutes les facettes du personnage. Et les photos sont étonnantes. Merci Pascal-Jean
Patrice
7 juillet 2021 @ 20:22
La fin de cette « mini-série » très attendue est assurément à la hauteur de ce que laissait entrevoir le premier épisode ! Quel personnage que ce Besenval, archétype aujourd’hui englouti par l’Histoire, de l' »honnête homme » du XVIIIe siècle, humaniste et politique, aussi à l’aise dans les boudoirs de Versailles que sur les champs de bataille, esprit brillant et cultivé… Tous ces traits ont été rendus au mieux par la précision historique de Pascal-Jean et aussi par son humour. Qu’il en soit encore remercié.
Caroline
7 juillet 2021 @ 23:31
Très intéressant !
Qui sont ses descendants de nos jours ?
Guizmo
8 juillet 2021 @ 08:56
Merci pour ces trois volet sur la vie de ce Baron que je ne connaissait pas.