Le 14 octobre prochain sera le tricentenaire de Pierre-Victor, baron de Besenval (1721-1791), un personnage peu connu qui, aujourd’hui encore, nous intéresse à plus d’un titre : archétype de l’aristocrate cosmopolite du Siècle des Lumières, (« Le Suisse le plus français qui ait jamais été », selon Sainte-Beuve) ; ami intime de Marie-Antoinette et auteur de Mémoires, document d’un intérêt exceptionnel sur la fin de l’Ancien Régime ; amateur et collectionneur d’œuvres d’art qui se trouvent aujourd’hui dans les plus beaux musées ou palais du monde.
Suisse, polonais, français
De noblesse récente, la famille de Besenval (au XVIIIe siècle, on prononçait « Beuzeval » ou « Baiseval »), était implantée à Soleure, ville catholique, et résidence des ambassadeurs du roi de France auprès de la Diète Helvétique. Elle était au service de la France depuis Louis XIV.
Jean-Victor, baron de Besenval (1671-1736) par Nicolas de Largillière
Le père de Pierre-Victor, Jean-Victor de Besenval (1671-1736), colonel au régiment des Gardes-Suisses, s’illustra également dans la diplomatie : il fut envoyé en mission auprès de Charles XII de Suède, puis du roi de Pologne. Pendant son ambassade, il épousa en 1716 une aristocrate polonaise, Catherine Biélinska.
Cette alliance allait se révéler particulièrement avantageuse lorsque la cousine de Catherine Biélinska, Marie Leszczinska, devint de façon inattendue et quasi-miraculeuse, reine de France par son mariage avec Louis XV en 1725.
Déjà barons du Saint-Empire par la grâce de Léopold 1er, les Besenval étaient désormais titrés en France : leur seigneurie de Brünstatt en Alsace fut érigée en baronnie.
Catherine Biélinska, baronne de Besenval (vers 1688-1761) par Nicolas de Largillière
Deux des plus grands écrivains français du XVIIIe siècle ont laissé chacun un témoignage sur Catherine Biélinska. Dans une lettre du 28 mai 1725, Voltaire en parle comme d’une « dame qui a de l’esprit » et loue sa modestie : « on lui demanda à quel degré elle était parente de la reine ; elle répondit que les reines n’avaient point de parentes ».
Des années plus tard, Rousseau se montre moins élogieux, dans Les Confessions (Livre Septième) : « Madame de Beuzenval (sic) était une très bonne femme, mais bornée, et, trop pleine de son illustre noblesse Polonaise, elle avait peu d’idée des égards qu’on doit aux talents ». En effet, la baronne avait vexé le jeune écrivain venu lui rendre visite, en voulant le retenir à dîner… à l’office ! Heureusement sa fille, la marquise de Broglie, avait rattrapé la bourde en chuchotant à l’oreille de sa mère qu’il convenait de l’inviter à leur propre table…
Militaire et courtisan, un archétype de l’Ancien Régime
Le fils de Jean-Victor et de Catherine Biélinska, Pierre-Victor de Besenval de Brünstatt, naquit au château de Waldegg à Soleure, le 14 octobre 1721.
Le château de Waldegg, près de Soleure
A l’âge de dix ans, il vint à Paris pour embrasser la carrière des armes. Remarqué lors du siège de Philippsbourg (en juin-juillet 1734, il a donc à peine 13 ans !), il gravit rapidement les échelons de la hiérarchie militaire : il est capitaine à 17 ans, brigadier général à 26 ans.
Sa carrière devient encore plus brillante grâce à la protection de Choiseul, qui le fait maréchal de camp et inspecteur général des Suisses et Grisons.
Pendant la guerre de Sept Ans, il se fit remarquer par sa bravoure à la bataille de Kloster Kampen, contre les Anglo-Hanovriens, en octobre 1760. Par ailleurs, il s’acquitte consciencieusement de sa tâche d’inspecteur des Suisses, réorganisant et redonnant tout son lustre à ce corps d’élite. C’est un chef charismatique : il sait parler à la troupe et sera toujours très aimé de ses hommes.
Selon le duc de Lévis, Besenval avait « une belle taille, une figure agréable, de l’esprit, de l’audace », qui lui valaient beaucoup de succès auprès des femmes. Mais il ne voulut jamais se marier et préféra collectionner les bonnes fortunes, entretenant plusieurs liaisons en même temps. Il fut en particulier l’amant de la célèbre Clairon, actrice de la Comédie Française, mais son plus grand amour fut sans doute une jolie créole de Saint-Domingue, Louise-Anne-Madeleine de Vernon, marquise de Ségur.
Philippe-Henri, marquis et maréchal de Ségur » par Elisabeth Vigée-Le Brun (château de Versailles). Celle-ci dissimule habilement l’infirmité du maréchal, qui était manchot : il avait perdu le bras gauche à la bataille de Lawfeld en 1747
La marquise de Ségur par Carmontelle (château de Versailles)
Besenval était l’ami intime du marquis (futur maréchal) de Ségur, avec lequel il fit de nombreuses campagnes, et qui, malgré son caractère sévère, ne prit pas ombrage de la situation.
Le deuxième fils du couple, le vicomte Joseph-Alexandre de Ségur (1756-1805), était, de notoriété publique, le fils de Besenval, auquel il ressemblait « de façon indécente ».
Aux antipodes du vaudeville bourgeois, l’espèce de ménage à trois formé par le baron avec les Ségur est au contraire emblématique de ce qu’ont pu être les relations conjugales dans la société aristocratique du XVIIIème siècle français : « Plus fort que l’amour, le sentiment supérieur de l’amitié imposait de bannir la jalousie et de savoir partager l’affection », selon la formule de Benedetta Craveri dans « Les derniers libertins », (Paris, 2016).
En fait Besenval incarne à la perfection le gentilhomme libertin du temps de « la douceur de vivre », dont il a les qualités (bravoure, gaieté, esprit, raffinement …) et les défauts (futilité, fatuité, inconséquence, et aussi une sécheresse de cœur qui confine à la dureté). « On ne pouvait avoir plus d’amabilité ni moins de mœurs », a-t-on dit de lui. Il affiche un idéal hédoniste, une morale du bonheur, et ne laisse jamais entamer sa joie de vivre. « J’ai senti tous les plaisirs qu’un honnête homme peut chercher et ces goûts m’ont préservé de l’ivresse des passions particulières », « Je n’eus pas en vue de raconter mes malheurs ; je n’en ai jamais éprouvé », écrivit-il à Crébillon. (merci à Pascal-Jean Fournier pour cet article)
jul
5 juillet 2021 @ 05:25
Grand merci pour ce bel article si intéressant Pascal-Jean Fournier et Régine.
Pour ceux qui ne connaissent pas bien l’Alsace, Brunstatt est aujourd’hui une commune de la banlieue sud de Mulhouse, dans la vallée de l’Ill, bordée de chaque côté par des collines.
Jean Pierre
5 juillet 2021 @ 11:41
Oui juste après l’hôpital !
Tiens j’y suis passé en train ce matin.
Kalistéa
6 juillet 2021 @ 17:59
Est-ce lui qui est l’inventeur de cette petite serviette pratique appelée « baisenville « ?
HRC
5 juillet 2021 @ 06:40
On plonge d’emblée dans le XVIII ème aristocratique !
Ma question étant d’être impatiente de savoir si ce proche de Choiseul avait compris l’importance du bascul de soldats, des Gardes Françaises, dans l’action politique et sociale avant le 14 juillet, et savoir qui, à Versailles le savait et le prenait au sérieux.
Robespierre
5 juillet 2021 @ 06:45
Dans ses mémoires, Besenval ne parle pas de son ménage à trois. Heureux homme qui parvint à rester ami avec le mari de sa maîtresse. C’est un caractère intéressant, un homme dépourvu de passions dévastatrices et de rancoeurs, né pour être heureux et sans doute avec un coeur sec. Il eut bien de la chance d’échapper à l’échafaud, de justesse. Merci à Pascal-Jean pour cet article, qui sera sans doute suivi d’un autre.
HRC
5 juillet 2021 @ 06:45
Mon attente étant de savoir
Basculement
JAusten
5 juillet 2021 @ 09:26
Merci pour ce très intéressant article ! Quelle place dans la société aurait-il tenu au XXIème siècle avec ce caractère ?
Robespierre
5 juillet 2021 @ 11:18
Il aurait été acteur de cinema et se se serait marié sur le tard, avec sa dernière maitresse de 30 ans sa cadette, pour avoir des enfants.
JAusten
5 juillet 2021 @ 11:27
j’ai pensé quasiment à la même chose pour le mariage tardif, mais pas à la carrière d’acteur.
Robespierre
5 juillet 2021 @ 11:39
La carrière d’acteur lui aurait permis de rencontrer de très belles femmes, vu qu’il n’y a plus de Cour en France. Rencontrer… et concrétiser.
Caroline
5 juillet 2021 @ 10:17
Jamais entendu parler du baron de Besenval ! Très intéressant !
Qui sont ses descendants actuels?
Trianon
5 juillet 2021 @ 12:07
Merci pour ce récit très intéressant, cet hédonisme est toujours présent chez certaines personnes actuellement, bien que cela soit pleut être moins courant qu’à l’époque.
J’en connais et je suis toujours étonnée de cette philosophie ,c’est surprenant en fait .
Mayg
5 juillet 2021 @ 13:19
Merci pour cet article intéressant.
Patrice
5 juillet 2021 @ 21:13
Voici une belle entrée en matière qui augure bien des deux épisodes suivants. Nous les attendons avec impatience !
Corsica
5 juillet 2021 @ 23:09
Un grand merci à Pascal-Jean Fournier pour cette série qui s’avère très intéressante à la fois par ce qu’elle nous apprend et par sa riche iconographie. Je suis toujours effarée de constater que l’on envoyait des quasi enfants sur les champs de bataille : le baron de Besenval se fit remarquer à 13 ans tandis que celui qui allait devenir le secrétaire à la guerre de Louis XVI, le comte de Montbarrey, devint capitaine à 13 ans. J’ai beaucoup aimé l’anecdote sur JeanJacques Rousseau que l’on invite à souper …à l’office. J’imagine sans peine l’affront.
HRC
6 juillet 2021 @ 16:16
Turenne à 14 ans.
Andreas Affolter
16 novembre 2021 @ 11:25
Très bel article! Le musée du château de Waldegg près Soleure en Suisse montre actuellement une exposition consacrée à Pierre-Victor de Besenval: https://schloss-waldegg.so.ch/fr/musee/exposition-temporaire/