D’après les archives de l’OCDE, la première mention officielle du futur bois de Boulogne daterait de 717. Les « Bois de Boulogne » sont tout ce qu’il reste de l’ancienne « forêt de Rouvray », voulant dire « lieu planté de chênes rouvres », qui fut mentionné pour la première fois, en 717, dans la charte de Compiègne.
Les rois de France possédaient un rendez-vous de chasse à la Muette depuis le Moyen Âge.
Henri II s’y s’arrêtait pour chasser à courre le cerf dans le bois de Boulogne. Cet ancien rendez-vous de chasse, la Muette est transformé en résidence par le roi Charles IX, pour la Reine Margot, à l’occasion de son union avec Henri IV. Celle-ci le légua au dauphin le futur Louis XIII. Puis la Muette est laissée plus ou moins en friches, dépassée par la forêt de l’Ouest, alors plus à la mode.
Racheté par Philippe d’Orléans un siècle plus tard, le Régent en fait cadeau à sa fille en 1717, la duchesse de Berry, en échange du château de Madrid, lui aussi situé dans le bois de Boulogne. Le Régent fit aménager le petit château de chasse et l’agrandit sensiblement. Le château est flanqué de deux grandes ailes et d’une série de dépendances.
La Muette s’étendit alors du Ranelagh jusqu’à la plaine des Sablons. Deux rues ont conservé le nom de ses dépendances: la Pompe et la Faisanderie.
C’est vers ce temps, en 1722, qu’un certain Deschamps, directeur de la manufacture de Sainte-Etienne, vint à la Muette présenter au Régent et à Louis XV enfant le premier fusil à répétition. Cet engin merveilleux lançait vingt balles en cinq minutes, mais il ne paraît pas avoir intéressé le moins du monde le jeune souverain.
La Muette, nouveau haut lieu de la jeunesse dorée, s’offre même une gâterie on ne peut plus à la mode : un petit « cabinet chinois » signé Jean-Antoine Watteau, disparu dans de subséquents chambardements. Suite au décès prématuré de la duchesse en 1719, le Régent offrit le château au jeune Roi Louis XV.
Le Roi avec l’aide des architectes Gabriel père et fils, le reconstruit et embellit les jardins, pour y séjourner régulièrement. Il démolit le château d’origine pour y édifier une nouvelle demeure, conçue par l’architecte Ange-Jacques Gabriel.
Le Directeur Général des Bâtiments du Roi: Charles François Paul Le Normant de Tournehem, fait appel à Jacques Dumont dit le Romain pour décorer le salon de deux toiles : La Générosité et La Paix , en 1749.
Cependant Louis XV semble avoir réservé la Muette à ses favorites plutôt qu’à sa famille. Y ont tour à tour résidé les sœurs de Nesle, Madame de Pompadour et Madame Dubarry.
En 1750, le Cabinet de curiosités de la Couronne est installé dans les jardins de la Muette (à l’emplacement actuel de l’intersection de la rue de Passy et de la rue de la Pompe) et placé sous la supervision de l’abbé Nollet, dont les expériences scientifiques attirent un nombreux public. C’est à la Muette que Buffon montra le pouvoir des rayons convergents en mettant le feu, avec une lentille, à quelques brindilles.
En 1764, le dauphin, futur Louis XVI prend possession de la Muette. Marie-Antoinette, venant de Compiègne où elle avait été reçue officiellement par Louis XV et la Famille royale, s’est arrêtée à Saint Denis pour saluer Madame Louise qui venait d’entrer chez les Carmélites, puis arrivant à la Muette, elle assista avec le Roi et la suite à un grand dîner.
Puis toute la troupe repartit vers Versailles, et elle y resta pour coucher avec ses dames pour rejoindre Versailles le matin du 16 Mai 1770 pour la cérémonie du mariage.
Ce château est également le lieu de leur lune de miel, période heureuse au cours de laquelle le couple se promène en liberté dans le Bois de Boulogne, en communion avec le peuple.
À cette époque, Marie-Antoinette noue également des liens forts avec le comte d’Artois, frère de Louis XVI. Ces liens seront renforcés par l’acquisition par le comte d’Artois du château de Bagatelle, également situé dans le Bois de Boulogne et intégralement rebâti en moins de 100 jours suite à un pari entre la reine et son beau-frère.
Marie-Antoinette aimait à venir s’y reposer. Le voisinage de Madame de Polignac, qui demeurait 9, rue de l’Annonciation, l’y attirait.
Le duc de Penthièvre avait loué à Passy le château seigneurial du marquis de Boulainvilliers et la princesse de Lamballe avait acheté au duc de Luynes, en 1783, une maison de plaisance sise rue Berton, qui était â proximité du parc de son père. Madame de Laage y accompagnait sa princesse.
Marie-Antoinette eut une véritable passion pour ce domaine. C’est là ou à Chantilly, qu’elle prit l’idée du Petit Trianon, avec sa ferme et sa laiterie. Elle participa aux bals champêtres que les dames de la cour avaient imaginé de donner sur la pelouse et, peu après, elle inaugurait la salle de bal qu’un certain Morisan avait obtenu de construire dans le jardin, lui donnant le nom d’un bal célèbre à Londres, le Ranelagh.
Madame de Polastron écrit à Madame de Laage de Volude, du château de la Muette, en novembre 1783 que le comte d’Artois y est lui-même , et que la reine s’y est rendue afin d’être plus près de Passy où est Madame de Polignac lors de ses couches : Tu serais bien aimable de venir samedi au Ranelagh; la reine y sera et elle serait fort aise de t’y voir. La personne qui t’a parlé de moi ( Artois ) est ici, elle y a dîné et elle y soupe. Elle m’a dit que vous aviez parlé ensemble de plusieurs choses qui nous intéressent. »
Lorsque Louis XVI monte sur le trône en 1774, c’est à la Muette qu’il signe l’édit par lequel il renonce au droit de joyeux avènement.
C’est au Château de la Muette que Louis XVI reçut l’empereur Joseph II, le frère de Marie Antoinette. C’est aussi là qu’il autorisa Antoine-Augustin Parmentier à planter des pommes de terre, quasiment inconnues en France et mal réputées, dans un enclos au nord-ouest du domaine.
C’est du parc du Château que le 21 octobre 1783, Pilatre de Rozier, accompagné du marquis d’Arlandes, s’y éleva dans une immense montgolfière fleurdelisée, soutenue par l’air chaud, conçue par les frères Montgolfier.
Ils montèrent à près de 1000 mètres et descendirent, un quart d’heure plus tard, de l’autre côté de Paris, au lieu-dit la Butte-aux-Cailles. Dans la foule qui assistait à cet exploit se trouvaient la Famille royale et Benjamin Franklin.
Avec la Révolution, la Muette se voit dépouillée de ses marbres, de son mobilier, de ses œuvres d’art, de toutes ses richesse.
Le Cabinet de curiosités est démantelé et ses instruments sont transportés à l’Observatoire de Paris. Le bâtiment principal du château et une partie des dépendances et des jardins sont vendus. Deux constructions séparées sont détachées du château d’origine. Le terrain est tronqué en parcelles, passant de propriétaire bourgeois en propriétaire bourgeois.
En 1820, il devient possession de la famille Edard. Le célèbre fabricant de pianos, autrefois professeur de musique de Marie-Antoinette, s’octroie l’une des annexes, de même que les jardins.
Il restaure le domaine, surélève le bâtiment de deux étages et fait construire une longue galerie pour y abriter sa riche collection de tableaux. Commence alors plus d’un demi-siècle de répit ; les murs regorgent de vie et de musique, les grands compositeurs se succèdent à la Muette.
La propriété passe au neveu de Pierre Érard, puis à sa nièce, la comtesse de Franqueville qui, à partir de 1889, restaure le château selon les plans originaux, en faisant reconstruire le corps de bâtiment central et en supprimant les deux étages ajoutés par Sébastien Érard. L’ensemble se situait entre le numéro 17 de l’actuelle rue du Conseiller-Collignon et le boulevard Émile-Augier.
En 1831, le pavillon est loué à un médecin et devient cabinet orthopédique et en 1853, le chemin de fer Auteuil-Passy perce le domaine. En 1870, pendant le siège de Paris, la Muette sert de quartier général au vice-amiral Fleuriot de Lange.
Entre 1912 et 1919, la famille de Franqueville entreprend de lotir le parc. Deux vastes parcelles sont notamment cédées à Henri de Rothschild qui s’y fait construire sa résidence parisienne. Le château en ruines cède sa place à un nouvel édifice commandé à l’architecte Lucien Hesse dans les années 1920.
Les derniers vestiges du Château de la Muette disparaissent en 1926 pour faire place au Château que nous connaissons. En 1940, sous l’occupation allemande, le château est le siège du commandement de la marine allemande.
Le rendez-vous forestier des nobles et des monarques, transmué au gré des rebondissements politiques, économiques et sociaux de la capitale, devenu au début du XXe la demeure des Rothschild est aujourd’hui le siège de l’ Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Le baron Henri de Rothschild projetait d’entourer son château de jardins.
Réaménagés en 2009-2010, les jardins de la Muette abritent d’importantes plantations dans le respect de l’environnement. Les allées aux arbres centenaires ont été conservées. Le jardin comprend plus de 25 000 plantes dont 139 arbres (71 tilleuls).
Ne pas confondre avec le Pavillon de la Muette en forêt de Saint-Germain-en-Laye. (Merci à Guizmo)
Pistounette
20 août 2021 @ 02:21
Je connaissais le Château de La Muette… mais pas toute l’histoire passionnante que vous déroulez
Merci Guizmo
Aldona
20 août 2021 @ 06:24
Merci pour ce reportage très instructif
Regisdela
20 août 2021 @ 08:37
Ceci n’est absolument pas le château de La Muette !!!!!
Mais une reconstruction moderne voulue par Henri de Rothschild après qu’il eut détruit le château de Louis XV racheté à la succession du comte de Franqueville …
C’est donc un hôtel particulier qui n’a rien à voir avec la demeure des rois puis de la famille Erard. Il serait bon de le préciser….
Guizmo
20 août 2021 @ 14:22
Bonjour Regisdela, peut-être n’ai-je pas été assez claire dans mon texte : « Les derniers vestiges du Château de la Muette disparaissent en 1926 pour faire place au Château que nous connaissons…. ». Le bâtiment que nous connaissons sous le nom de château de la Muette effectivement n’est pas celui qu’affectionnait Marie Antoinette.
Charlotte de L G
21 août 2021 @ 22:34
Si je pense que vous avez été très claire Guizmo, mais il peut arriver comme ici à Régisdela, comme à moi d’ailleurs, que l’on « saute » quelque explication.
D’ailleurs les gravures que vous proposez montrent bien la différence entre le château aimé de Marie Antoinette et celui que nous connaissons aujourd’hui.
Regisdela
20 août 2021 @ 08:39
Ceci n’est absolument pas le château de La Muette !!!!!
Mais une reconstruction moderne voulue par Henri de Rothschild après qu’il eut détruit le château de Louis XV racheté à la succession du comte de Franqueville …
C’est donc un hôtel particulier qui n’a rien à voir avec la demeure des rois puis de la famille Erard. Il serait bon de le préciser….et le château n’était absolument pas en ruine !!!! Il ne correspondait simplement pas aux désirs de M de Rothschild….
Bambou
20 août 2021 @ 11:53
Il me semblait aussi que le château actuel ne ressemble pas du tout à celui dessiné sur les premières photos.
Charlotte de L G
21 août 2021 @ 22:49
Ne soyez pas aussi sévère Regisdela, bien évidemment que le château actuel n’est pas le château qu’a connu Marie Antoinette.
Guizmo nous conte l’histoire du château à travers tous ses propriétaires et nous présente ce qu’il est actuellement, tout en nous montrant également des gravures d’époque.
Nous suivons pas à pas l’évolution de ce domaine, que cela nous plaise ou pas que Henri de Rothschild plutôt que de rénover ait fait construire un hôtel particulier, on peut le déplorer, tout comme on peut déplorer que le baron Haussmann ait fait démolir certains quartiers historiques de Paris pour construire ce que l’on appelle aujourd’hui les immeubles haussmanniens et que certains veulent ou voudraient remplacer par des immeubles de verre ou végétalisés.
C’est la marque du temps, et tant que l’on pourra à l’aide de documents anciens les faire revivre, ils n’auront jamais tout à fait disparu.
Rose
20 août 2021 @ 09:09
Passionnant, vraiment !
Un grand merci de ce partage d’érudition. C’est un des grands privilèges de ce site de bénéficier de contributeurs de ce niveau.
Merci Guizmo
Rose (qui va retourner faire un petit tour dans les jardins du Ranelagh…)
Mireille
20 août 2021 @ 09:11
J’ai visité ce château lors de Journées du patrimoine. Il a conservé 3 belles tapisseries des Gobelins tissées pour Mme de Pompadour vers 1750. En revanche de remarquables boiseries XVIIIe ont été déplacées dans le salon d’honneur de la Bibliothèque nationale, rue de Richelieu (je cite de mémoire..,) Les ruches du parc se visitent aussi et un petit pot de miel était offert aux visiteurs. Tout cela vaut la visite!
Benoît-Henri
20 août 2021 @ 09:22
Merci beaucoup Guizmo pour cet article très intéressant. Si vous me permettez ce commentaire, l’édifice actuel, majestueux mais raide, qui emprunte son apparence à l’hôtel de Soubise dans le Marais, fait réellement regretter l’ancien château de la Muette. Le bâtiment ressemble si peu en revanche à son commanditaire, Henri de Rothschild, personnage fascinant et fantasque, médecin, homme de théâtre, collectionneur…
Guizmo, vous m’avez donné l’idée de lui consacrer un portrait !
Beque
20 août 2021 @ 09:58
Jean Antoine Nollet (1700-1770), prêtre et professeur de physique, fut l’un des grands promoteurs des sciences expérimentales au XVIIIe siècle. Il confectionne, en 1728, un globe terrestre qu’il assemble lui-même et qu’il dédie à la duchesse du Maine dont il est l’un des invités de son salon littéraire de Sceaux. Il fait partie de la Société des arts, parrainée par le duc de Clermont. Voltaire lui demande, en 1738, un cabinet d’instruments d’une valeur de 10.000 livres. Membre de l’Académie des sciences dès 1739, il popularise dans les salons et à la cour la nouvelle science de l’électricité. La leçon inaugurale de l’abbé Nollet, le 15 mai 1753, lors de l’ouverture de la chaire de physique expérimentale au collège de Navarre, marque le triomphe de cette science. 600 personnes assistent à ses cours, qu’il donne en français et non plus en latin, dans l’amphithéâtre construit à cet effet. Nommé à l’Académie royale des sciences en 1757, Nollet devient, en 1759, maître de physique et d‘histoire naturelle des Enfants de France.
Le portrait de l’Abbé Nollet a été peint par Dufy, en 1936, alors qu’il réalisait une décoration monumentale, la « Fée Electricité », pour le Pavillon de l’Électricité à l’Exposition Universelle de 1937.
Ciboulette
20 août 2021 @ 17:18
Merci , Guizmo , des membres de ma famille habitaient le quartier , mais je ne connaissais pas l’histoire ( y compris l’origine des noms ! )
Manon
20 août 2021 @ 13:40
C’est une très belle demeure avec de beaux jardins où a eu lieu la réception de mon mariage il y a 45 Ans de cela
Danielle
20 août 2021 @ 14:19
Merci Guizmo pour ce récit, dommage que ce château ait été vidé de tous ses meubles.
Aristocrate
20 août 2021 @ 17:38
Quelle histoire! Très intéressant. J’aime beaucoup les vues du château sous Louis XV. Les constructions d’Ange-Jacques Gabriel avaient vraiment beaucoup de style. Il me semble que le château actuel est situé plus au nord du domaine et non pas sur les ruines de l’ancien. Quel dommage que ce dernier ait disparu. Les deux auraient pu cohabiter finalement.
Philppe Gain d'Enquin
20 août 2021 @ 19:53
Las ! Afin qu’elle fût muette,de méchants drôles lui coupèrent le sifflet… « R.I.P »,soit : Rien d’Ironique dans le Propos… PGE