Le château de la Roche-Guyon se situe au cœur du Vexin français, construit dans un méandre de la Seine à la frontière de la Normandie, dans un village habité depuis l’époque gallo-romaine.
Le premier château de La Roche-Guyon était invisible, entièrement creusé dans la roche, il protégeait des incursions normandes. La falaise abrite encore de nombreux secrets. Sa partie la plus ancienne, dont il ne reste aujourd’hui que le donjon, date d’avant le XIe siècle, relié au château actuel par un impressionnant passage secret de plus de 100 mètres.
Outre le donjon dont on accède à son sommet par un vertigineux escalier creusé dans la roche, (250 marches très raides) le château médiéval possédait, au pied de la falaise, une muraille encadrée de deux portes dont le système de défense est encore visible dans la tour ouest et d’importantes structures troglodytiques : magasins, salles d’armes, escalier.
Le traité de Saint-Clair-sur-Epte en 911 accorda la Normandie aux Vikings. Possession de la famille de La Roche-Guyon, il joue donc au Moyen-âge un rôle militaire important puisque base avant de défense du royaume français jusqu’à la fin de la guerre de Cent Ans (1453).
Au XIIème siècle, Guy de la Roche, vassal du roi Philippe-Auguste, reçoit le droit de péage pour les bateaux naviguant sur la Seine, ce qui procure d’importants revenus à la famille
À la Renaissance, ils donnèrent de l’ampleur au château en ouvrant de nouvelles fenêtres sur la façade sud du corps de logis et en créant notamment les terrasses soutenues par les arcades visibles dans la cour des écuries. Le château devient petit à petit une demeure de plaisance et perd son rôle défensif.
C’est au XVIIIe siècle que fut profondément remaniée l’architecture du château. Ces grands travaux furent l’œuvre du duc Alexandre de La Rochefoucauld et de sa fille la duchesse d’Enville. L’architecte Louis Villars en fut le réalisateur.
La cour du bas, dite des écuries, entourée de douves, est close par un magnifique portail aux armes des La Rochefoucauld. Depuis le portail, on trouve successivement d’ouest en est : les écuries du XVIIIe siècle, la tour carrée du château primitif alors qu’à l’autre extrémité de la façade, la tour ronde est maintenant masquée par un bâtiment carré du XVIIIe siècle à trois étages : le pavillon Fernand. Le donjon quant à lui sera en partie détruit à la Révolution.
L’étage principal du château qui s’ouvre sur les plus hautes fenêtres de la façade, était tout entier réservé aux réceptions, pour la duchesse d’Enville et ses hôtes de prestiges.
On y trouve d’est en ouest : la salle des gardes, la salle de billard, le petit salon. Dans le prolongement des salons, on accède à une magnifique bibliothèque.
Au-delà de la tour carrée, on accède au grand salon, suivi d’un petit boudoir et une chambre.
C’est dans le grand salon que se trouve, de nouveau, la suite des tapisseries des Gobelins, de 1769 : “L’Histoire d’Esther” commandée par la duchesse d’Enville.
Le site a été un des pôles des “Salons éclairés” du siècle des Lumières d’abord avec le duc Alexandre de La Rochefoucauld, puis avec sa fille la duchesse d’Enville .C’est dans ce cadre qu’aimaient à se retrouver les hommes et les femmes éclairés du XVIII siècle, comme Turgot, Condorcet, , ou bien encore Lamartine et Victor Hugo et même Jefferson…
Les tapisseries d’Esther et l’ensemble du mobilier qui habillaient le salon de la duchesse d’Enville avaient été dispersés en 1987.
Ayant un temps appartenu au couturier Karl Lagerfeld, les tapisseries sont mises en vente chez Christie’s en avril 2000. Le ministère de la culture exerce alors son droit de préemption et finance la moitié de l’acquisition, le reste fut pris en charge par le conseil général du Val d’Oise pour 4,5 millions de francs.
Depuis 1769, date de leur création à la manufacture royale des Gobelins, les tapisseries d’Esther du nom de ce personnage biblique qui inspira les artistes du Moyen-Age à la Renaissance, n’avaient jamais quitté les salons de la duchesse d’Enville hormis cet intermède de 14 ans. Le château n’étant ouvert au public que depuis 1994, les quatre tapisseries et leur mobilier n’ont jamais été dévoilés.
Régulièrement entretenue, dépoussiérées et rarement exposées à la lumière, les couleurs des œuvres, dues à l’atelier “Cozette” de la célèbre manufacture, ont conservé un superbe éclat.
A partir de 1744, le duc Alexandre fit construire une rigole cimentée et couverte de 3 140 mètres qui amenait l’eau d’une source depuis Chérence.
La canalisation suivait la crête de la colline de craie, enjambait la côte des bois de La Roche grâce à une arche, desservait le lavoir communal situé sur la dite côte, et terminait sa course dans le tout nouveau réservoir du château creusé dans la roche.
D’une capacité de 2200 muids (plus de 600 mètres cubes), d’une longueur de 70 pieds et d’une profondeur de douze pieds, il conservait toute l’année une eau fraîche et transparente. Cette citerne alimentait aussi la fontaine publique érigée en 1742 par l’architecte Louis Villars, à l’usage des habitants du bourg.
À la suite de l’assassinat le 4 septembre 1792, du seul fils de la duchesse, Louis-Alexandre, duc de La Rochefoucauld, le domaine devait passer à son épouse Alexandrine-Sophie et à Louis-Antoine de Rohan-Chabot, duc de Rohan qui avait épousé Elisabeth-Louise de La Rochefoucauld.
Leur fils, Alexandre-Louis, le reçu après avoir passé un pacte du 8 janvier 1808 avec sa sœur Alexandrine-Sophie. Puis, en 1816, son fils, Louis-François-Auguste, duc de Rohan, arrière petit-fils de la duchesse d’Enville, aussi connu comme, Cardinal de Rohan, hérita du domaine.
Celui-ci le vendit, le 31 juillet 1829, à son cousin, François-Armand de La Rochefoucauld (François XIII), fils de François-Alexandre de La Rochefoucauld, fondateur entre autre de l’école des Arts et Métiers, et donc petit neveu de la duchesse d’Enville puisqu’il était le petit fils de Marie de La Rochefoucauld, sœur de la duchesse d’Enville. Le domaine de La Roche-Guyon restait ainsi dans la famille La Rochefoucauld.
Siège du duché (deux fois érigé en duché-pairie), La Roche-Guyon fut, sous l’Ancien Régime et jusqu’en 1848 un centre économique important, doté de deux marchés hebdomadaires et de deux foires annuelles.
Au XIXe siècle les peintres impressionnistes se sont inspirés du site et des alentours, notamment Giverny qui est à 7 km de La Roche-Guyon.
Les combles qui avaient été agrandies par la duchesse d’Enville, afin d’augmenter la surface d’accueil en ajoutant un étage, ont été reconstruites en supprimant cet étage. Le toit retrouve alors son aspect du XVIIe siècle.
En février 1944, le Maréchal Rommel réquisitionna le château de La Roche-Guyon, et son village pour y loger ses troupes. Le château devenait alors son quartier général.
Rommel utilisait l’étage des salons, de la chambre dite de la duchesse Zénaïde et de la grande bibliothèque. Il appréciait tout particulièrement la terrasse avec la vue sur la Seine.
Le village et son château furent libérés par les Américains du 23 au 29 août 1944, après plusieurs offensives. C’est pour cette raison que le château fut endommagé par des bombardements en août 1944.
La duchesse d’Enville avait fait construire une chapelle dans la Cour au Cerf. Le cardinal de La Rochefoucauld, archevêque de Rouen la consacre en 1770. Dès 1806, le duc de Rohan rétablit l’usage de la chapelle troglodytique, celle de Sainte Pience et de Saint Nicaise.
Après la mort de son père, le cardinal-duc de Rohan engage des travaux d’aménagement de la chapelle (1816-1819) lui donnant ainsi son aspect actuel. Il agrandit la chapelle originelle en creusant trois nefs parallèles décorées de bas-reliefs.
Le parc du château est classé Jardin Remarquable.
Le potager a été créé en 1741 comme un jardin d’agrément et d’utilité. Cette appellation générique de “potager”, recouvre en réalité, comme à Versailles, l’association d’un jardin de légumes et d’un jardin fruitier.
L’originalité de celui de La Roche-Guyon, ce qui en fait le caractère exceptionnel, c’est d’abord son implantation sur l’axe principal, entre le château et la Seine, comme élément majeur de cette composition monumentale et la présence d’un pigeonnier troglodytique.
Sa restauration, selon les plans originaux du XVIIIe siècle, a été achevée en 2004, après près de huit années de préparations et de travaux.
L’étrangeté du lieu n’a pas échappé à Edgar P. Jacobs qui a choisi le château et son impressionnant réseau de souterrains pour cadre d’une aventure de Blake et Mortimer, Le Piège diabolique (Ed. Dargaud).
Paru en 1960, cet album se présente comme un aparté dans l’œuvre de Jacobs. En effet, il écarte Blake de l’intrigue et se focalise sur un lieu à l’atmosphère toute particulière : La Roche-Guyon. Le professeur Mortimer y fait un étrange voyage dans le temps à bord du « Chronoscaph ». A lire avant ou après la visite !
Du parc du château, une des rues en pente, appelées charrières, descendait autrefois directement au centre du villages. Ce n’est plus possible aujourd’hui. Grâce à ses petites rues pleines de charme où je vous suggère de vous promener après la visite du château, à ses jolies maisons dont le cœur balance entre Île-de-France, avec leurs façades de pierres claires, et Normandie, quand elles se dotent de colombages et à son environnement naturel remarquable, La Roche-Guyon est l’unique « plus beau village de France » de la région parisienne.
Vous y découvrirez ses rues pentues bordées d’anciennes « boves », des cavités creusées dans la falaise pour servir d’étables et de salpêtrières, puis de glacière, de pigeonniers, de réservoir… et même de casemates pour Rommel, qui y voyait le double avantage de se protéger et d’avoir du salpêtre, servant à fabriquer la poudre à canon, à portée de main. Avec le retour de la paix, certaines sont devenues des habitations troglodytes et quelques-unes sont toujours occupées.
Bordant la Seine, le village est désormais accessible par bateau depuis l’installation récente d’une halte fluviale.
Le château organise un certain nombre de manifestations au cours de l’année dont la Fête des Plantes qui s’est tenue les 1 et 3 Octobre 2021. (Merci à Guizmo)
Château de la Roche-Guyon – Parc naturel régional du Vexin français -1 Rue de l’Audience -95780 La Roche-Guyon
Régine ⋅ Actualité 2022, Châteaux, de La Rochefoucauld, France 24 Comments
Actarus
10 février 2022 @ 02:49
C’est long à lire, mais ô combien intéressant. Merci Guizmo !
Aldona
10 février 2022 @ 09:09
Merci Guizmo pour ce récit très complet de ce château, je l’ai vu de l’extérieur uniquement et visité le village. Grâce à vous et à d’autres personnes de ce site, j’apprends touts les jours un peu plus de l’histoire de France
HRC
10 février 2022 @ 09:18
De Rollon à Rommel.. Quelle histoire !
Ciboulette
10 février 2022 @ 19:45
Bien vu , HRC ! Merci à Guizmo qui nous fait faire ici une très belle promenade dans le temps et l’espace .Le château est beau , le paysage ravissant , la Seine ajoute à la beauté du lieu .
MartineR
10 février 2022 @ 09:31
C est un lieu vraiment *** extraordinaire *** par sa diversité sur le même lieu.
Mes petits enfants avaient apprécié partie troglodyte bien sûr.
Pascal🍄🦉
10 février 2022 @ 10:11
Article extrêmement intéressant, Guizmo fait toujours de bons articles mail il en est de plus précieux à mes yeux , je me souviens aussi de celui sur Maubuisson.
Dans sa brève histoire des jardins ,Gilles Clément parle du potager de la Roche-Guyon à la rénovation duquel il a collaboré.
Merci Guizmo .
Beque
10 février 2022 @ 10:29
Passionnant, Guizmo, l’histoire de ce château !
Je me permets d’ajouter quelques lignes sur François de La Rochefoucauld que vous avez mentionné.
François de La Rochefoucauld, duc de Liancourt, né le 11 janvier 1747 au château de La Roche Guyon, avait hérité de la charge de grand-maître de la garde-robe du Roi. Il vivait dans un somptueux château à Liancourt, dans l’Oise. En 1788, Louis XVI lui donne l’autorisation de créer à Liancourt une École de Métiers : l’École des Enfants de l’Armée. Fidèle au roi mais hostile à la monarchie absolue, il est élu aux Etats Généraux de 1789. Après la lapidation de son cousin Louis-Alexandre, en 1792, il émigre en Angleterre, puis part pour l’Amérique, fin 1794, où Talleyrand était arrivé quelque temps avant. A Philadelphie, les deux émigrés se voient fréquemment et rencontrent leurs compatriotes dont la marquise de La Tour du Pin qui exploite avec son mari une ferme modèle, près d’Albany. Revenu en France en 1796 et ministre des Relations extérieures, Talleyrand facilite le retour de Liancourt. Riche de l’expérience étrangère, le duc comprend très vite que, si la France veut concurrencer d’autres pays en plein développement, il lui faut créer un enseignement professionnel formant des ouvriers qualifiés, des contremaîtres et des ingénieurs. Il persuade le Premier Consul de transférer son École de Liancourt au Château de Compiègne pour en faire un des « prytanées français ». L’école de Compiègne est transformée, le 6 ventôse XI, en Ecole d’Arts et Métiers.
François de La Rochefoucauld fut co-fondateur avec Benjamin Delessert de la Caisse d’Epargne et de Prévoyance dont il fut le premier président en 1818. Il importa la vaccine en France.
Beque
10 février 2022 @ 10:32
Dans la famille de La Rochefoucauld, on peut mentionner François-Joseph de La Rochefoucauld, évêque de Beauvais, et son jeune frère, Pierre-Louis évêque de Saintes, victimes des massacres de septembre. Ils sont arrêtés, en août 1792, et incarcérés au couvent des Carmes, transformé en prison. Blessé à la jambe, l’évêque de Beauvais gît dans une chapelle. Son frère refuse de le quitter. Ils sont dépecés à coups de piques, sabres et baïonnettes, le soir du 2 septembre, dans le petit escalier conduisant au jardin toujours éclaboussé de sang de l’ancien couvent des Carmes où se trouve l’Institut Catholique de Paris.
Ghislaine
12 février 2022 @ 10:02
Beque HS – Je vous ai répondu sur le post de Félipe d’Espagne (covid) du 9 février . En vous remerciant .
Beque
16 février 2022 @ 13:01
Merci, Ghislaine, j’ai bien lu votre réponse… mais pas très rassurante. On navigue vraiment à vue avec ce « vaccin » !
Baboula
10 février 2022 @ 11:19
Chère Guizmo,en plus du plaisir de vous lire vous donnez l’envie de visiter ce dont vos parlez si bien . Merci infiniment .
Leonor
10 février 2022 @ 11:20
Etonnante construction multi-styles. Si j’en connaissais le nom, je ne connaissais pas le bâtiment. Détail à lire ce soir.
Merci, Guizmo.
.
10 février 2022 @ 12:25
Un très beau château dont l’histoire est bien relatée par Guizmo, merci.
La famille de La Rochefoucauld vit elle toujours dans ce château ? car j’ai travaillé avec un membre de cette famille qui m’avait dit que son frère voulait préserver un château familial.
Karabakh
15 février 2022 @ 12:59
Oui, le Château est toujours la propriété de la famille de la Rochefoucauld.
Beque
16 février 2022 @ 13:02
Karabakh, quels La Rochefoucauld ?
Alice
10 février 2022 @ 14:01
Merci Guizmo pour ce passionnant récit! Cela donne vraiment envie de découvrir ce château et ce village.
Karabakh
15 février 2022 @ 13:06
Lorsque vous effectuez le trajet dans le sens Ile-de-France vers la Normandie via l’A13, le château est visible sur la droite. Pour aller le visiter, il faut sortir à Vernon-Bonnières puis cheminer un peu. C’est une visite que je vous recommande.
tristan
10 février 2022 @ 14:04
C’est avec grand plaisir que je retrouve Guizmo avec ce reportage superbe. Merci à lui et à Régine qui nous gâte avec ce voyage virtuel.
Charlotte 78
10 février 2022 @ 16:43
Mes enfants vivent près du Vexin depuis peu : merci Guizmo ,voilà une bien belle idée de sortie avec eux.
Karabakh
15 février 2022 @ 13:06
En effet, voilà une excellente sortie qui occupera vos weekends à autre chose que dégoiser sur un blog.
JAusten
10 février 2022 @ 16:46
Merci Guizmo ! Tres bel et très intéressant article.
Ghislaine
11 février 2022 @ 18:11
J »ai pris mon temps pour le lire – Merci Guizmo pour cette relation très intéressante. De Giverny j’aurais du faire les 7 kilomètres , vous me le faites regretter .
Karabakh
15 février 2022 @ 13:07
Superbe reportage. Merci Dame Guizmo.
Olivier
17 juillet 2022 @ 00:34
Magnifique effectivement.
A voir aussi le somptueux château de La Rochefoucauld, berceau de cette famille en Angoumois, et toujours propriété du duc de La Rochefoucauld-Liancourt depuis plus de mille ans…