Les amoureux du vieux Paris l’attendaient depuis si longtemps : le musée Carnavalet rouvre ses portes aujourd’hui. L’occasion est belle de rendre hommage au dessinateur et graveur Israël Silvestre (1621 – 1691) portraituré ici par Le Brun : nous célébrons cette année l’anniversaire de la naissance de ce grand artiste. Qui, mieux que lui, aurait pu nous servir de guide dans le Paris du Grand siècle ?
Partons au fil de la Seine et laissons-nous porter par le courant, de l’île Saint-Louis à Chaillot…
Vue de l’hôtel de Bretonvilliers
Israël Silvestre nous plonge dans l’activité incessante des mariniers qui, à l’approche du port Saint-Bernard, manœuvrent toutes sortes d’embarcations en se jouant des périls de la navigation parisienne.
Quelle toile de fond ! Le chevet de Notre-Dame jouxte les quais de l’île Saint-Louis. La poupe de ce vaisseau de pierre soutient deux prestigieuses demeures. Dans l’angle sud, l’hôtel de Bretonvilliers occupe la plus belle parcelle de l’île et s’offre le luxe d’un jardin en terrasse jouissant d’une vue incomparable. Hélas, la construction du pont de Sully emportera cet imposant morceau d’architecture. À ses côtés, l’hôtel Lambert, qui a survécu, laisse entrevoir la rotonde de sa galerie.
Vue du quai et de la porte Saint-Bernard
Dans ce beau dessin conservé au musée du Petit-Palais à Paris, l’artiste joue sur les contrastes : l’animation du port et l’intense circulation à l’une des entrées principales de la capitale sont éclipsées par un impressionnant arc de triomphe auprès duquel les vestiges de l’enceinte de Philippe-Auguste font pâle figure.
L’architecte Blondel vient d’ériger la nouvelle porte Saint-Bernard, tout comme la porte Saint-Denis sur la rive droite. Une grande inscription à la gloire de « Ludovico Magno » rappelle, s’il en était besoin, que l’architecture offre au pouvoir un parfait outil de propagande.
Vue de l’hôtel de Luynes
Après être passée sous les ponts « maisonnés » de l’île de la Cité – on aperçoit le pont Saint-Michel -, l’embarcation d’Israël Silvestre s’est amarrée au pied de l’hôtel Séguier. Le dessinateur en a saisi les détails : superbe portail surmonté d’une coquille, gigantesque lucarne, hautes cheminées et épis de faîtage. Comme il est de coutume dans l’architecture française, les parties hautes concentrent la plus grande partie du décor.
Cette vaste demeure de la Renaissance est déjà passée de mode au temps d’Israël Silvestre. Louis-Charles d’Albert, 2e duc de Luynes, y réside depuis son mariage avec Louise-Marie Séguier. Signe des temps, le duc de Chevreuse, leur fils, élira domicile au faubourg Saint-Germain, le quartier qui monte.
Vue du quai des Augustins et du pont Saint-Michel
Israël Silvestre nous invite à faire quelques pas sur le quai des Grands-Augustins. Le point de vue, toujours dirigé vers l’amont, s’est élargi. Il englobe une portion du quai des Orfèvres, à gauche. De l’autre côté de la rivière, l’hôtel Séguier se devine au devant du clocher de Saint-Séverin, tandis qu’au premier plan les bâtiments du couvent des Grands-Augustins s’élèvent, parallèles au quai.
Vue du couvent des Augustins vers le Louvre
Pourquoi le couvent des Grands-Augustins a-t-il été si souvent représenté ? Sa position privilégiée, entre la Cité et le Louvre n’explique pas tout. C’est que cet établissement appartient à l’un des quatre grands ordres mendiants établis dans la capitale, avec les Dominicains (appelés Jacobins), les Franciscains (appelés Cordeliers) et les Carmes
Privilège insigne, le roi Henri II fixe au couvent des Grands-Augustins le siège du plus prestigieux ordre de chevalerie du royaume de France, l’ordre du Saint-Esprit, dès sa fondation en 1578.
Vue de l’hôtel de Nevers
Tournant le dos aux Grands-Augustins, Israël Silvestre traverse la rue Dauphine, dans le prolongement du Pont-Neuf. Il s’arrête face à deux édifices, points de repère dans le paysage de la rive gauche. Au premier plan, un gros pavillon brique et pierre signale l’ancienne demeure parisienne des Gonzague-Nevers. L’hôtel sera réaménagé par les Guénégaud, puis par les princes de Conti avant de laisser place à la Monnaie de Paris.
Plus loin, la célèbre tour de Nesle affiche un pittoresque branlant. Ses jours sont comptés. Bientôt le magnifique collège des Quatre-Nations, siège actuel de l’Institut de France, la remplacera.
Vue de la Savonnerie
L’artiste, emporté par le courant, a franchi les limites de la ville et s’est arrêté au faubourg de la Conférence, à la lisière du village de Chaillot. Il a laissé derrière lui les majestueux alignements d’ormes du Cours-la-Reine.
Marie de Médicis elle-même en a ordonné la plantation et le maréchal de Bassompierre, seigneur de Chaillot, a offert les grilles qu’Israël Silvestre a pris soin de dessiner.
Jusqu’à la fin de l’Ancien Régime, le « Cours » invite à la plus mondaine des promenades parisiennes. S’y montrer la nuit venue, en carrosse et aux flambeaux, signe l’appartenance à l’élite.
En aval, quelques activités industrieuses mettent à profit la présence de l’eau : ici, une fabrique de savons où sont employés des orphelins. Notre artiste sera témoin du changement d’affectation des bâtiments au profit d’une prestigieuse manufacture royale de tapis, la Savonnerie.
Il n’en reste pas une seule pierre : aujourd’hui, le palais de Tokyo s’élève à son emplacement.
Vue du château de Chaillot
L’ultime escale d’Israël Silvestre le conduit à l’île Maquerelle où s’échouent les bois flottés que l’on débite en planches et que l’on stocke pour les besoins des Parisiens.
De ce petit promontoire, le dessinateur jouit d’une jolie vue sur le château de Chaillot. Il lui sera difficile de s’en approcher car, depuis 1651, la propriété appartient aux Visitandines. Les religieuses en seront chassées par la Révolution et les bâtiments conventuels souffriront de l’explosion de la poudrière de Grenelle survenue le 31 août 1794.
Imaginons notre artiste transporté au XXIe siècle. L’île Maquerelle, rattachée à la rive gauche, dès la fin du XVIIIe siècle, n’est plus qu’un souvenir. Les Expositions Universelles – et l’urbanisation – ont investi la colline de Chaillot. Un palais s’est substitué au couvent de la Visitation et, depuis son parvis relié à la place du Trocadéro, une vision inoubliable attend le visiteur : la fière tour Eiffel trône au milieu du Champ-de Mars. Israël Silvestre aurait affûté ses crayons ! (Merci à Benoît-Henri pour ce sujet)
Bambou
29 mai 2021 @ 05:00
Je ne connaissais pas cet artiste. Heureusement que des personnes comme lui ont existées pour nous laisser ces merveilleux temoignages sur notre passé avant l’apparition de la photographie
Rose
29 mai 2021 @ 08:14
Je ne le connaissais pas mon plus, et je suis ravie de découvrir ses dessins ce matin! J’adore!
Merci infiniment de ce cadeau Benoit-Henri
Baboula
29 mai 2021 @ 06:34
Merci Benoit -Henri pour cette promenade fluviale dans l’histoire des monuments de Paris . Cela invite à aller sans tarder admirer cet artiste méconnu .
Cosmo
29 mai 2021 @ 07:00
Merci de nous faire connaître ce dessinateur graveur. C’est sublime et émouvant.
Pierre-Yves
29 mai 2021 @ 08:14
J’ignorais l’existence de cette porte Saint-Bernard, qui devait être située à peu de choses près à l’emplacement de l’actuel Institut du Monde Arabe.
Pour le reste, l’imagination remplace la réalité de ces bâtiments bordant la Seine. Mais du siècle de Louis XIV, il reste encore beaucoup de traces, à commencer par la place de la Concorde, celle des Victoires, celle des Vosges, et les Invalides et la Salpétrière, qui se trouvaient alors hors les murs de la ville.
Merci Benoit-Henri pour cet article !
Baboula
29 mai 2021 @ 09:18
Il reste le Quai Saint Bernard qui longe l’Institut du Monde Arabe .
Robespierre
29 mai 2021 @ 12:11
Magnifique reportage ! Merci.
Kaloutine
29 mai 2021 @ 08:30
Merci beaucoup Benoît-Henri. Je ne connaissais pas du tout cet artiste et votre reportage me donne envie de me documenter davantage encore … Merci pour cette promenade temporelle dans le vieux Paris…
Ciboulette
29 mai 2021 @ 17:29
Merci , Benoît – Henri , je ne connaissais pas cet artiste , et il nous montre là un Paris disparu , qu’il aurait du mal de reconnaître aujourd’hui !
Benoit-Henri
29 mai 2021 @ 08:41
Merci à vous tous pour vos messages. J’ai omis de préciser que le superbe portrait au pastel de Silvestre par Charles Le Brun était conservé au musée des Beaux-arts de Reims. Voilà qui est réparé !
cerodo
29 mai 2021 @ 09:11
merci Benoît-Henri pour ces illustrations si bien commentées et de m’avoir fait connaître l’existance de cet artiste.
JAusten
29 mai 2021 @ 09:15
Merci Benoît-Henri de nous proposer cette superbe et émouvante ballade parisienne guidée par cet artiste. Nul doute qu’il aurait encore aujourd’hui de quoi nourrir son art.
Beque
29 mai 2021 @ 09:16
L’hôtel de Bretonvilliers fut construit de 1647 à 1653 pour le financier Claude Le Bragois de Bretonvilliers. Plusieurs plafonds avaient été peints par Silvestre. Il a été séquestré à la Révolution, morcelé et démoli en partie en 1840. Et le reste un peu plus tard lors de la construction du pont de Sully.
L’hôtel de Luynes fut démoli pour le percement du boulevard Raspail. Construit en 1650 pour Marie de Rohan-Montbazon, duchesse de Chevreuse, mariée en premières noces au connétable de Luynes. Cet hôtel était resté dans la famille de Luynes jusqu’à sa démolition. A la Révolution, il appartenait à Louis-Joseph duc de Luynes qui n’émigra pas et se retira dans son château de Dampierre, ce qui fait que l’hôtel ne fut pas confisqué. Plusieurs de se peintures furent remontées au musée Carnavalet.
Ce sont les Augustins qui firent construire les bâtiments conventuels des Grands-Augustins. L’église avait son chevet rue des Grands Augustins et sa façade latérale donnait sur le quai avec, entre ses contreforts, plusieurs petites boutiques occupées par des libraires. La nef était encombrée de monuments funéraires et bordée de chapelles. Un jubé s’élevait entre la nef et le chœur et était décoré de grands tableaux peints par Philippe de Champaigne, Van Loo et Troy. L’autel était surmonté d’un riche tabernacle donné, en 1605, par Léonore Galigaï, la femme du Maréchal d’Ancre. C’est là que Marie de Médicis fut proclamée régente après la mort d’Henri IV et qu’en 1716 le Régent installa une chambre de justice. Quand le monastère fut fermé en 1790, l’argenterie fut portée à la Monnaie, les grilles de l’établissement vendues. On transporta les 18.550 volumes et les 426 manuscrits dans les dépôts littéraires et les marbres, les vitraux, les bas-reliefs au Musée des monuments français. En 1797, on vendit les bâtiments qui ne tardèrent pas à être démolis.
Marie-Saintonge
29 mai 2021 @ 09:22
Merci infiniment de nous faire connaître Israel Silvestre et de ce voyage dans le vieux Paris.
Antoine
29 mai 2021 @ 09:48
Article très intéressant. Merci beaucoup. Magnifique documentation. Jusqu’à la révolution, l’île St-Louis possédait de nombreux hôtels avec jardins . De nombreux voyageurs mentionnent leur émerveillement en découvrant ces riches bâtiments en descendant le cours de la Seine.
marianne
29 mai 2021 @ 11:32
Ces dessins sont admirables !
Merci pour ce documentaire .
Beque
29 mai 2021 @ 11:57
Benoit-Henri, ignorant tout d’Israël Silvestre, voici ce que je trouve dans le « Dictionnaire de l’Art et des Artistes » : Israël Silvestre (Nancy 1621-Paris 1691). Graveur français. Il apprit son métier chez son oncle Israël Henriet, ami et éditeur de Callot ; ses premières planches sont des eaux-fortes dans l’esprit de son compatriote lorrain. De 1640 à 1655, il voyage en France et en Italie. A son retour à Paris, il exécute à la demande de Louis XIV, des pièces solennelles et fastueuses, telles que « Les plaisirs de l’île enchantée » (1664). Il fut également chargé de graver les bâtiments royaux.
mousseline
29 mai 2021 @ 12:10
Merci pour cette rétrospective de Paris au XVIIeme siècle. Ces gravures sont superbes
Victoires
29 mai 2021 @ 13:17
On est encore dans les temps.
Israël Silvestre (dit le Jeune) en effet naquit à Nancy le 13 août 1621 fils de Gilles Silvestre (1591-1631), d’origine écossaise, peintre et dessinateur, et de son épouse Élisabeth Henriet, fille du peintre verrier Claude Henriet (1539-ca 1604). Il fut baptisé le 15 à Saint-Epvre, ayant pour parrain le peintre Israël Henriet, son oncle maternel qui le recueillit chez lui à Paris en 1631 ses parents étant décédés. Il se maria à 41 ans et eut 10 enfants dont 5 lui survécurent.
Il fut le maître à dessiner du Grand Dauphin et appartint à l’Académie royale de peinture et sculpture. Il fit trois fois le voyage d’Italie.
Il mourut aux galeries du Louvre où il logeait et rejoignit sa femme Henriette Sélincart dans son tombeau à Saint-Germain l’Auxerrois. Il laissa une fortune confortable. Il avait une maison rue du Mail près de la place des Victoires, qui alla à son fils aîné Louis de Silvestre le jeune, filleul du dauphin et excellent portraitiste, anobli par son employeur sa majesté polonaise Auguste III de Saxe en 1741, comme son neveu Nicolas Charles de Silvestre le maître à dessiner des enfants de France.
Gérard
29 mai 2021 @ 18:01
Merci à Benoît-Henri.
Louis Réau, de l’Institut dans son Histoire du vandalisme écrivait : « Bien que la porte Saint-Bernard fût plus modeste que les deux arcs de triomphe des boulevards, elle fut démolie en 1792. Elle ne manquait pourtant pas d’originalité. Contrairement au schéma traditionnel à une ou trois haies, François Blondel, s’inspirant de l’arc romain du pont de Saintes qu’il venait de restaurer, avait tracé deux arches de même hauteur surmontées de frises de bas-relief sculptées par Tuby et d’un attique. Il est fâcheux qu’il n’en reste d’autre trace qu’une gravure de Mariette (René Crozet, La Porte Saint-Bernard à Paris et l’arc romain de Saintes, communication à la Société de l’histoire de l’art français, 1954).
Gérard
30 mai 2021 @ 21:22
Louis de Silvestre, premier peintre de la cour de Saxe puis directeur de l’Académie de Paris fut donc anobli en 1741 ainsi que son neveu Nicolas Charles de Silvestre (1699-1767) maître à dessiner du Dauphin et des Enfants de France, par l’électeur de Saxe, roi de Pologne. Cet anoblissement fut confirmé en France en 1775.
Il y eut ensuite un titre de baron héréditaire français pour Augustin du 9 mars 1826 et pour un autre membre de la famille un titre de baron personnel le 28 avril 1830. Des lettres patentes avaient confirmé le titre héréditaire de baron sur institution de majorat et la famille existe toujours.
Les armoiries primitives étaient d’azur au chevron d’or orné de trois glands tigés et feuillés d’or. Louis qui n’était pas l’aîné chef de la famille portait un chef de pourpre orné d’une couronne et les glands étaient au naturel.
Les lettres patentes conférant le titre héréditaire le baron sur institution de majorant s’accompagnent des armoiries suivantes : « d’azur au chevron d’or accompagné de quatre glands au naturel tigés et feuillés d’or, posés 2 et 1, au chef cousu de pourpre, chargé d’une couronne d’or, élevée et fermée en haut, doublée de gueules et ornée de pierres en forme de grandes feuilles entresemées de perles d’or ».
Notons également que la plus jeune fille de Louis, Marie Maximilienne (1708-1798) fut lectrice de Marie-Josèphe de Saxe qu’elle suivit en France quand elle devint la Dauphine.
Elisabeth-Louise
29 mai 2021 @ 15:23
Un immense merci à Benoit-Henri, pour cet article aussi passionnant que superbement illustré !
J’ignorais tout de cet artiste que je découvre….
Ces gravures sont fascinantes…..
Pascal-Jean
29 mai 2021 @ 17:59
Merci Benoît-Henri pour cette passionnante promenade dans le Paris du XVIIème siècle, excellente façon de fêter la réouverture du Musée Carnavalet ! Je ne connaissais pas l’hôtel Séguier, et j’avais oublié le beau portrait de Silvestre par Le Brun. Il nous rappelle l’amitié qui liait les deux artistes, dont témoignent aussi les dessins que fit Silvestre de la maison de Le Brun à Montmorency.
Robespierre
29 mai 2021 @ 18:16
Le visage en rubrique est incroyable ! On dirait une photo. Pas une peinture. Je ne connaissais Le Brun que de nom, mais je vais essayer de voir plus d’oeuvres de lui. Je suis médusé par ce talent de portraitiste. Un photographe à pinceaux.
Carolus
29 mai 2021 @ 19:09
Quel excellent reportage !
Merci beaucoup Benoît-Henri.
Wally
29 mai 2021 @ 19:33
Apparemment le musée est resté fermé pour cause de grève…
Aggie
30 mai 2021 @ 09:35
J’ai habité plusieurs années dans le Marais, donc pas loin de Carnavalet ; je ne vais pas manquer d’aller le redécouvrir après son réaménagement ; merci Régine pour ce passionnant article et cette découverte d’Israel Silvestre.
Fabien de Silvestre
15 juin 2021 @ 17:46
Vous pouvez prolonger la visite de l’oeuvre d’Israël Silvestre – et celles de ses descendants sur le site qui lui est consacré : https://israel.silvestre.fr