Depuis la fin 2017, l’Académie Nobel est prise dans la tourmente d’un scandale retentissant. La crise s’est installée en trois temps. Premier acte, deux semaines avant la remise solennelle des prix de 2017, un grand quotidien suédois publie des témoignages de 18 femmes faisant état d’agressions sexuelles subies de la part d’un certain Jean-Claude Arnault, un Français marié à une poétesse suédoise et académicienne Nobel, et directeur d’une scène underground de Stockholm financée par l’Académie.
Celle-ci, par la voie de sa secrétaire perpétuelle, Sara Danius, réagit promptement en déclenchant une enquête interne, en excluant l’épouse du suspect, et en coupant tout lien avec le Forum, dont les subventions ont été immédiatement supprimées.
Second acte, janvier 2018. Un des Académiciens Nobel, ancien secrétaire perpétuel, se manifeste en exigeant deux choses : d’être soustrait de la commission d’enquête lancée par Sara Danius, et de réintégrer au sein de l’Académie la femme de Jean-Claude Arnauld, avec lequel il est très ami et qu’il estime injustement accusé.
Fin février 2018, le rapport d’enquête est publié, et ses constats sont dévastateurs : non seulement il révèle que, par le passé, des plaintes pour agressions sexuelles à l’encontre du J-C Arnault avaient déjà été étouffées, mais en plus, il met en lumière le fonctionnement de l’Académie en dehors de tout contrôle, son libre-arbitre absolu, le fait qu’elle ne rende de comptes à personne, et que le devoir de réserve accordé à ses membres permet à ceux-ci d’agit à leur guise et dans le secret.
Ainsi l’Académie dispose d’un patrimoine et d’un budget considérables qu’elle utilise comme elle l’entend. Une partie passe en subventions dont les bénéficiaires sont ses obligés. L’ Académie est donc devenue un pouvoir puissant, très difficile à critiquer.
Troisième acte, avril 2018. Par une courte majorité, les Nobel se prononcent pour la réintégration de la femme de J-C Arnault. Le lendemain, en signe de protestation, trois académiciens décident de démissionner. Deux semaines plus tard, Sara Danius démissionne à son tour, après que ses collègues l’ont relevée de ses fonctions de Secrétaire Perpétuelle. Dans la foulée, deux autres membres choisissent de quitter l’Académie.
Un quatrième acte s’apprête désormais à être joué. Il met en scène le roi Carl Gustav, protecteur de l’Académie. En effet, le roi a demandé un changement du règlement des Nobel qui lui permettrait de nommer les remplaçants des démissionnaires. Jusqu’à présent, un candidat ne peut intégrer l’Académie qu’après avoir été élu par 12 de ses membres.
Or, depuis ce printemps, ceux-ci ne sont plus que 10. Le Roi entend donc s’appuyer sur cette impasse pour tenter de reprendre le contrôle. Mais ce faisant, lui qui n’a plus de pouvoir et dont le rôle n’est qu’honorifique et symbolique, redeviendrait de facto responsable d’une des plus puissantes et prestigieuses institutions du pays, éventualité aujourd’hui âprement discutée en Suède. Car à supposer que le Roi obtienne ce qu’il souhaite, il joue gros: s’il échoue à assainir le fonctionnement de l’Académie, c’est son image et celle de la monarchie, qu’il incarne, qui risque d’en pâtir.
Le feuilleton est en cours. En attendant la suite, les 10 académiciens restants continuent comme si de rien n’était à distribuer des prix et des bourses, qui embarrassent plus qu’ils ne flattent leurs récipiendaires. Par ailleurs, on a appris que le prix le plus prestigieux, le Nobel de littérature, ne serait pas attribué cet automne. On ignore encore si la remise solennelle des prix, qui se tient chaque année en décembre, aura bien lieu. (Merci à Pierre-Yves pour ce sujet)
Juliette d
3 septembre 2018 @ 03:24
Il me semble que le roi est bien mal placė pour dėnouer l’impasse des prix Nobel.
Pour 2018, il y aura un prix Nobel de littérature « alternatif ». On choisira entre 4 candidats parmi lesquels se trouve Kim Thuy auteur, auteur quėbécoise d’origine vietnamienne que j’adore lire.
Gérard St-Louis
3 septembre 2018 @ 18:27
Comme quoi « A toute chose malheur est bon »… Ce Nobel alternatif de littérature fait davantage parler. Moi aussi, je suis de tout coeur avec ma compatriote Kim Thuy, un modèle d’intégration.
jul
3 septembre 2018 @ 06:28
Très intérssant, merci Pierre Yves.
Tout à fait d’accord :
« Car à supposer que le Roi obtienne ce qu’il souhaite, il joue gros: s’il échoue à assainir le fonctionnement de l’Académie, c’est son image et celle de la monarchie, qu’il incarne, qui risque d’en pâtir. »
Quand je lis « directeur d’une scène underground de Stockholm financée par l’Académie », je m’attends toujours au pire, dans le genre du théâtre et de la danse actuelle subventionnés en France.
J’imagine que la tendance idéologique de cette Académie est largement libérale, mais corrigez moi si je me fais erreur.
Il est clair que le gouvernement suédois, issu des élections législatives, serait le plus habilité et légitime pour améliorer l’image de l’académie et la rendre plus conforme aux vues et attentes du peuple.
Le roi n’aura alors même pas besoin d’intervenir :)
marianne
3 septembre 2018 @ 06:36
Eh bien ! En effet, quel scandale ! Je n’ en avais jamais entendu parler , merci Régine .
marianne
4 septembre 2018 @ 16:49
Décidément ! Je dois faire attention au signataire de l’ article !
Merci Pierre-Yves . Excusez-moi .
Auberi
3 septembre 2018 @ 07:33
Merci Pierre-Yves pour ce croustillant sujet parfaitement bien détaillé.
Jean-Claude Arnault et les académiciens en question, élites de l’Élite, ne doivent quand même pas passer des nuits sereines malgré leurs ego surdimensionnés. L’union, dans pareil cas, me semble de courte durée car la pression médiatique ne leur fera pas de cadeaux. D’ici peu, plusieurs de ces rats Nobel quitteront leur confortable navire maintenant en naufrage. Et un bon coup de règles sur leur grosses têtes assené par la justice suédoise réajustera leurs dimensions. Don’t act
Jacqueline
3 septembre 2018 @ 08:03
Merci beaucoup pour ce compte-rendu Pierre-Yves. Je n’avais jamais entendu parler de tout cela dans la presse, sauf l’acte I.
Martine
3 septembre 2018 @ 20:34
C est paru à plusieurs endroits dans la presse nationale depuis cet été
Leonor
3 septembre 2018 @ 08:08
Eh bé ! Merci, Pierre-Yves, pour ce compte-rendu factuel et précis.
Il y a toujours des gens qui savent s’infiltrer dans les organisations, grandes ou petites, pour en tirer toute espèce de bénéfice. Ce sont des prédateurs. Dangereux non seulement pour leurs proies et l’organisation même, mais aussi pour toute personne qui oserait porter leurs agissements au grand jour. Des gens prêts à tuer, physiquement ou autrement.
Ces 18 femmes qui ont informé le journal suédois sont courageuses. Il semble bien que ce n’est que dans la foulée de l’affaire Weinstein qu’elles ont pu parler, sans être immédiatement écrasées.
Et que dire de l’épouse ? Impossible qu’elle n’ait pas été au courant. Est-ce donc qu’elle aurait elle aussi profité de la situation ? Pas impossible dans ce type de milieu. Mais ce n’est qu’hypothèse.
Larissa
3 septembre 2018 @ 08:35
Encore une histoire de sexe!!!
Il y avait un scandale sur le Roi lui-même, pas si longtemps. La monarchie Suédoise était dans la tourmente à cause de cela.
J’espère sincèrement qu’ils trouveront une solution, car c’est des prix prestigieux pour les gagnants!
Francois
3 septembre 2018 @ 09:31
Décidément personne n’est épargné par les scandales
Elyse 17
3 septembre 2018 @ 10:09
Un vrai scandale, qui semblait être « étouffé » pendant longtemps. Mais l’onde de choc venue des Etats-Unis, de l’automne dernier a atteint aussi la Suède pour cette affaire et une autre sans rapport avec l’Académie Nobel, elle concernait des actrices, de mémoire.
En France, nous avons quelques infos ou reportage(s) sur le sujet dès le printemps, si je me souviens bien. On y apprenait déjà que le Nobel de littérature ne serait pas attribué en 2018. Il semble que des personnes, parfois membres ou proches de l’Académie, aient tiré la sonnette d’alarme, mais le couple semblait puissant et soutenu. Ainsi l’ex-femme d’un ami du couple impliqué expliquait avoir été choquée que ce personnage puisse être ainsi familié avec la princesse héritière lors de la cérémonie des Nobel (d’après elle, il lui aurait passé la main dans le dos). Réponse du mari : excuse en raison de sa nationalité. Lamentable que tous les français soient vus ainsi, en plus ! (désolée, c’était il y a plusieurs mois et je n’ai pas retenu le nom des personnes qui témoignaient)
Plus lié à votre article complet et édifiant, c’est la position de cette Académie, renforcée, puissante, comme un Etat dans l’Etat, ce n’est jamais bon. Espérons que le roi puisse faire quelque chose, car j’ai l’impression de comprendre que tout semble bloqué. S’ils sont 10 actuellement, comment peuvent-ils en élire deux de plus s’il faut être 12 pour le faire ?
Mary
3 septembre 2018 @ 10:28
J-C Arnault , le Harry Weinstein des intellos…
Toute l’histoire est lamentable !
Jean Pierre
4 septembre 2018 @ 12:15
Et quid du roi ? « Souverain malgré lui » c’est le titre de sa bio assez édifiante.
Jean Pierre
3 septembre 2018 @ 10:52
Le faste cachait la boue.
Annmaule
3 septembre 2018 @ 11:02
Du rififi chez les Bernardotte…c est bien dommage…
Teddy
3 septembre 2018 @ 12:16
Dernière cérémonie fastueuse à la cour de Suède avec du blingbling
en renonçant à la cérémonie fastueuse de l ouverture du parlement
Marie de Cessy
3 septembre 2018 @ 12:38
Quel scandale !
Toujours pour des histoires de fesses.
Gageons que le Roi Carl Gustav parvienne à nettoyer les écuries d’Augias et à faire le ménage.
val
3 septembre 2018 @ 12:51
Si ce n’est que cela qui éclabousse la Suède ! mon Dieu , la couronne s’en remettre comme d’habitude , elle fera front …………..
Elisabeth-Louise
3 septembre 2018 @ 13:19
Je suis consternée par ce que je lis;
Sans faire preuve d’angélisme, on pouvait espérer un peu de dignité et d’intégrité au sein de cette académie qui incarne un symbole fort, jusque là respecté;
Je crois que ce qui me consterne le plus, sont les commentaires ironiques, voire franchement égrillards à l’annonce de ce scandale; sans doute suis-je naïve……
Oui, je dois l’être, c’est de toutes parts que gouvernements, individus, ONG, sont en butte aux « révélations »;
Je vais donc faire ma « philosophe avertie » prendre un ton hautain et « renseigné » et dire, « on le savait, le pouvoir et l’argent corrompent »…….
N’empêche que sur un autre ton, moi je dis, en tant que prof de littérature, en pleine rentrée scolaire, alors que chaque année avec les élèves nous débattons des mérites du Nobel de littérature, « eh bien, ça la fout mal !!! «
Sarita
4 septembre 2018 @ 21:16
Vous savez Elisabeth-Louise, pour avoir longtemps fréquenté le milieu universitaire, l’intelligence, le savoir et les bonnes manières n’empêchent rien. Vous y retrouverez les mêmes rapports de pouvoirs, les mêmes abus, la même médiocrité qu’ailleurs. Pire, ils seront soupoudrés de l’arrogance que donne le pouvoir, ce qui rend le tout encore pire.
Elisabeth-Louise
5 septembre 2018 @ 14:37
Merci de votre remarque, chère Sarita; elle est (hélas) très juste……
Mais je ne suis qu’une modeste « capétienne » de province et avec mes élèves nous ne faisons que tenter de découvrir « un grand auteur contemporain » ;
Nous ne fréquentons guère nous, menu peuple, le gratin universitaire sauf pour faire nos études ( dont je déplore que le niveau baisse inéluctablement, lourd clin d’oeil au dit « gratin » qui ferait donc mieux de se concentrer sur la Culture, et elle seule……..)
Leonor
5 septembre 2018 @ 17:18
Oui. Et à quel point !
Et les milieux culturels encore bien plus.
particule
3 septembre 2018 @ 15:54
Merci pour ce reportage éclairant sur les mœurs toutes institutions confondues. C’est vrai que depuis 2000 ans et je ne parle pas d’avant JC la domination mâle a fait des dégâts considérables. Le 21 ième siècle constate et dénonce avec une parole libre et libérée c’est une grande avancée. Il est à souhaiter que la balance ne penche pas trop vite dans l’excès contraire. Les dégâts n’en seraient pas moins gravissimes.
j21
3 septembre 2018 @ 17:27
» L’Académie dispose d’un patrimoine et d’un budget considérable ». Depuis la mort de monsieur Nobel, les nombreux prix décernés, bien dotés, et les cérémonies fastueuses ont dû écorner l’héritage. D’où vient donc les subsides de l’Académie qui semblent sans limite?
Yannick
3 septembre 2018 @ 17:29
Le Roi devrait rester à l’écart de toute cela …
Clara
3 septembre 2018 @ 17:29
Une institution totalement indépendante aux finances et aux activités opaques… Sans rien pour équilibrer ses pouvoirs… Les académiciens devraient (ré)lire Montesquieu, ça leur donnerait des idées !
Jane
3 septembre 2018 @ 17:42
J’avais vu le reportage très édifiant à la télé … L’Académie savait.
Corsica
3 septembre 2018 @ 18:55
Merci Pierre-Yves pour cet article très détaillé qui permet d’avoir une vue d’ensemble de la situation. Cette histoire ne m’interpelle pas seulement pour les agressions supposées de Monsieur Arnault et sa mise en examen pour deux possibles viols mais aussi par le fait que son épouse, Katarina Frostenson, ait pu dégager des centaines de milliers de couronnes pour soutenir le théâtre expérimental de son époux sans vraiment à avoir à rendre des comptes. En un mot, cela donne une impression d’une institution toute puissante où l’omerta et le copinage règnent en maître. Je ne sais vraiment pas ce que le Roi, parrain de l’institution, va pouvoir faire.
Gérard
3 septembre 2018 @ 19:52
Ce français Arnault aurait eu un comportement déplacé en 2006 à l’égard de la princesse Victoria lors d’une visite à l’Académie.
septentrion
4 septembre 2018 @ 10:57
Merci Pierre-Yves de nous avoir éclairé sur ce sujet, on en entend très peu parler.
bei
4 septembre 2018 @ 18:00
Sur la dernière photo,je trouve que pour une fois Silvia est élégante.