L’église de Doubrovitsy est à 60 kilomètres au Sud de Moscou. Très connue des historiens d’art, l’église de Doubrovitsy est ainsi décrite en 1910 par Sergueï Makovski : « Il n’y a pas plus charmant que cet édifice de style Louis XIV italien…».
Idéalement située au confluent de deux rivières, la Pakhra et la Dena, l’église, perchée sur un promontoire entouré de prairies, domine les environs. Pierre le Grand enfant venait souvent rendre visite à son oncle et tuteur Boris Galitsine qui avait là un domaine. Il aimait ce lieu. C’est lui qui aurait suggéré d’y élever une église.
En 1690, le prince Galitsine entreprit la construction d’un édifice en pierre d’un style tout à fait nouveau en Russie sur l’emplacement de l’église en bois du Prophète Elie. Lui-même très féru d’art occidental, prit une part active au choix des décors. Il fit appel à des artistes étrangers. Les experts sont à peu près d’accord pour attribuer ce chef d’œuvre à l’architecte Nicodème Tessin le Jeune (1654-1728), élève de Bernini, à qui l’on doit le palais royal de Stockholm.
Construite sur plan carré, toute en pierre blanche provenant des bords de la rivière, elle est recouverte de sculptures décoratives et surmontée d’une tour lanterne percée de trois rangées de fenêtres. Pas de coupole, mais une couronne dorée apparentée à la chapka Monomaque (emblème des Tsars), coiffée d’une croix dorée plutôt catholique. Unique en Russie, cette construction toute en dentelle n’a rien de russe, mais semble plutôt italienne ou de « style jésuite polonais » (Louis Réau, L’art russe).
L’église construite en huit ans n’a pas été immédiatement consacrée, car trop teintée de catholicisme pour le clergé orthodoxe. Grâce à l’intervention de Pierre 1er, elle l’a enfin été en 1704 et dédiée à l’icône de l’Incarnation de Novgorod qui, dit-on, sauva la ville assiégée par les Souzdaliens en 1170.
L’église a traversé les siècles, échappant par trois fois à la destruction, grâce à sa beauté. En 1812, les Français qui bivouaquaient dans la propriété Galitsine, saccagèrent les environs mais épargnèrent l’Incarnation de Doubrovitsy.
Dans les années 1930, alors que les Bolcheviks faisaient sauter les lieux de culte dont le Christ Sauveur de Moscou, ils ne touchèrent pas à Doubrovitsy, mais, comme tant d’autres, l’église fut transformée en entrepôt.
La troisième fois, en 1941, alors que l’armée rouge avait reçu l’ordre de ne rien laisser devant l’avancée allemande, l’ordre de dynamiter l’église avait été donné mais fut reporté « momentanément » par le général ému par tant de beauté.
On raconte aussi, que, sous Brejnev, les Américains avaient remarqué la splendeur de Doubrovitsy et proposé de l’argent pour sa restauration par l’intermédiaire de Rockfeller. Mais accepter l’argent du capitalisme était impensable. Pendant la perestroïka, le problème s’était posé aux responsables locaux, que faire de l’église à l’abandon, un musée ou un lieu de culte ? La population consultée décida que l’église devait redevenir un lieu de prière. L’argent de la restauration a été récolté à la suite d’articles parus dans la Komsomolskaïa Pravda écrits par Elena Orlova. De tous les coins du monde, l’argent pour la restauration s’est mit à affluer, mais aussi les bonnes volontés qui sans ménager leurs efforts sont parvenues à terminer les travaux en 2004 à l’occasion du tricentenaire. Un grand travail de nettoyage des alentours a mis en valeur le site transformé en un agréable lieu de promenade et de détente.
Le château à colonnes tout proche, dont on ne manquera d’admirer la restauration, avait été racheté en 1787 par Catherine II pour l’offrir à son favori Dimitriev-Mamonov. Celui-ci l’a reconstruit dans le style classique où nous le voyons aujourd’hui. (Merci à Agnès pour ce reportage – texte extrait de l’article du Courrier de Russie http://www.lecourrierderussie.com/culture/2006/06/sa-beaute-l-a-sauvee-trois-fois-de-la-destruction/ )
Anne-Cécile
6 juin 2016 @ 06:42
Splendide.
JAusten
6 juin 2016 @ 16:55
splendide et originale : ce n’est pas le type d’architecture qu’on imaginerait voir en Russie. Le point de vue, construction, presque isolée et légèrement en hauteur et , accentue la magnificence du bâtiment
patricio
6 juin 2016 @ 17:57
Merci Agnès, toujours aussi intéressant
Amitiés
Patricio
Leonor
7 juin 2016 @ 09:53
La majorité des architectes de l’époque allaient se former en Italie.
Philippe Gain d'Enquin
7 juin 2016 @ 11:36
Merci à vous Agnès, outre l’intérêt constant de vos articles, vous m’avez ramené à mes études d’Histoire de l’Art et je vous en suis reconnaissant. A bientôt; j’espère. PGE
Cosmo
7 juin 2016 @ 12:39
Merci, Agnès, pour cet article intéressant sur une église atypique, forme orthodoxe et exubérance baroque.
framboiz 07
9 juin 2016 @ 20:21
Merci, Agnès , très belle visite !