La paroisse Saint-Serge-de-Radonège est sans doute le lieu de culte le plus insolite de Paris. Dissimulée au fond d’une cour, l’église ne se dévoile pas au premier venu : l’édifice est perché en haut d’une petite colline, accessible par un chemin qui prend sa source rue de Crimée. Là commence le voyage.
Le chemin, relativement étroit, conduit dans un premier temps à une maison de couleur rouge brique arborant l’icône de l’un des plus importants saints du culte orthodoxe, Serge de Radonège. En poursuivant notre chemin ,on découvre une bâtisse en briques dont le porche, en bois sculpté et coloré, pourvu de multiples couleurs, ornée de motifs typiques des Isbas russes ressemble presque à une façade de chalet.
Le genre d’édifice religieux que l’on s’attend à voir dans les villages reculés de Russie, pas à Paris. Le jardin — ou plutôt le petit bois composé d’arbres de grandes hauteurs — qui entoure la bâtisse accentue cette sensation de dépaysement.
L’intérieur n’est pas en reste, bien au contraire : on y trouve un plafond bas et arrondi qui donne une dimension intimiste à l’endroit, des dizaines d’icônes en bois de hêtre rouge, des motifs traditionnels nous rappelant ceux des Isbas russes et des vitraux propices au recueillement.
La propriété de la «colline Saint-Serge» est une colline artificielle constituée de remblai provenant du creusement du Parc des Buttes-Chaumont, avant qu’en 1857, une mission ouvrière protestante allemande, fondée par le pasteur F. von Bodelschving, ne fasse l’acquisition du terrain. En 1861, Il y construit un temple réformé qui sera agrandit deux ans plus tard.
En 1871 , au moment de la Commune, de violents combats se déroulèrent aux abords des Buttes-Chaumont.
Plusieurs obus tombèrent alors sur la colline et l’un d’eux explosa dans l’église sans causer de grands dommages La mission ouvrière allemande, qui desservait aussi bien les fidèles protestants du quartier que la communauté émigrée allemande subsista jusqu’en 1914. Au début de la première guerre mondiale, la propriété fut mise sous séquestre par les autorités françaises et, après plusieurs années à l’abandon, il fut décidé de la mettre en vente au titre des dommages de guerre, en 1924.
A cette même époque, l’immigration russe en France connait un essor sans précédent à la suite de la révolution de 1917. La Cathédrale Saint-Alexandre Nevsky, dans le 17e arrondissement, construite pour donner aux migrants un lieu de culte digne de ce nom, ne peut plus accueillir tout le monde.
Par ailleurs, l’Eglise orthodoxe voulait aussi ouvrir une école de théologie permettant de prolonger l’enseignement de la théologie orthodoxe dorénavant interdit en Union soviétique ainsi que de former de futurs prêtres en vue d’un retour espéré en Russie et, dans l’immédiat, pour les besoins des communautés de l’émigration. La communauté orthodoxe de Paris décide donc d’acquérir une nouvelle église.
Le 18 juillet 1924 – jour de la fête de Saint Serge de Radonège – l’Eglise située à deux pas des Buttes Chaumont est rachetée aux enchères, Les mois qui suivirent furent dédiés à la remise en état de la propriété et l’ancien temple protestant fut transformé en église orthodoxe de style traditionnel russe avec une très belle iconostase et des peintures murales réalisées par le peintre Dimitri Stelletsky (1875-1947), qui s’inspira du style religieux russe du XVIe siècle. Pour les portes centrales (« portes royales ») de l’iconostase, tant au niveau de l’autel principal que de l’autel latéral de gauche, on utilisa des portes originales russes du XVIe siècle (école de Novgorod), offertes par un collectionneur d’art (on peut encore les admirer à leur place aujourd’hui).
La dédicace solennelle de l’église placée sous la protection de saint Serge de Radonège eu lieu le 1er mars 1925. Au même moment, l’Institut de théologie ouvrit ses portes grâce à l’arrivée à Paris d’une pléiade d’intellectuels chrétiens chassés d’Union soviétique, parmi lesquels des théologiens, philosophes et historiens de renom. Les pièces du rez-de-chaussée, sous l’église, furent utilisées comme salles de classe (fonction qu’elles conservent aujourd’hui encore) et de dortoirs pour les premiers étudiants.
Lors de l’Occupation allemande, Durant la Seconde Guerre Mondiale, l’Occupant envisage un temps de restituer les bâtiments à la mission allemande de Paris. Le projet n’aboutira pas. Le clocher sur le côté de l’édifice est ajouté dans les années 1950.
En l’an 2000, le patriarche de Moscou Alexis II fait don à l’ancien recteur d’une relique de Saint Serge de Radonège qui prend place au cœur de la croix métallique de l’icône principale.
Plus qu’une simple église, Saint-Serge de Radonège est un Institut de théologie orthodoxe. Véritable fleuron de la pensée russe orthodoxe en Occident, il a formé des centaines de prêtres, évêques et théologiens depuis la seconde moitié du 20e siècle
Sur le plan canonique, elle est rattachée à l’autorité de l’archevêque qui dirige l’Archevêché des églises de tradition russe en Europe occidentale dans la juridiction du Patriarche de Moscou et de toute la Russie.
Sur le plan administratif et juridique, elle est constituée en association cultuelle, suivant la législation française sur les cultes de 1905, et habilitée en tant que telle à recevoir des dons pour ses œuvres et travaux de restauration.
L’église Saint-Serge bénéficie, depuis décembre 2012, du label « Patrimoine religieux du XXème siècle en Ile-de-France » qui lui a été décerné par le préfet de région, après avis de la commission régionale du Patrimoine et des Sites d’Ile-de-France.
Pour le découvrir, il faudra assister aux messes qui ont lieu tous les jours de la semaine (8h et 18h) ou former un groupe d’au moins 10 personnes afin de participer à une visite guidée (4 euros par personne). (merci à Guizmo)
Régine ⋅ Actualité 2020, Eglises, France, Russie 29 Comments
Olivier Kell
25 septembre 2020 @ 04:54
Avant la construction de l’immeuble sur rue l’endroit avait beaucoup plus de charme .
cerodo
25 septembre 2020 @ 05:03
très intéressant, j’ai hâte de pouvoir découvrir cet endroit dont j’ignorais tou, évidemment.
Mary
25 septembre 2020 @ 05:26
Superbe idée de nous faire découvrir ce lieu caché !
Bambou
25 septembre 2020 @ 05:36
Paris regorge de trésors architecturaux et historiques extraordinaires, bien cachés….Tant mieux s’ils peuvent le rester…
Pascal😔
25 septembre 2020 @ 05:40
Magnifique et excellent reportage à propos d’une question qui m’est chère.
Comme il y est dit , l’institut Saint Serge a eu une renommée internationale et prestigieuse.
Ces dernières années il a connu des difficultés qui étaient peut être les prémices de celles qu’allait connaître l’archevêché des Eglises Russes en Europe Occidentale qui ce sont terminées par le retour sous l’omophore du patriarche de Moscou .
Il semble que comme le suggère l’article , le fait que la plupart des théologiens et penseurs russes qui avaient pu échapper aux bolcheviques se soient alors retrouvés à Paris pour y former un foyer exceptionnel de réflexion et d’enseignement alors que l’Eglise en Ru
Pascal🍄
25 septembre 2020 @ 05:44
en Russie s’ enfonçait dans les ténèbres de la persécution ait fait de l’institut Saint Serge un trésor digne de convoitises .
Mais il avait dépassé le cadre de la tradition russe .
J’ignore où il en est aujourd’hui , si quelqu’un le sait?
Val
25 septembre 2020 @ 06:12
Merci cela me rappelle des jolis souvenirs jai habité il y a 40 ans Rue de Crimée , quartier , tel un petit village . Je n’y suis plus jamais retournée .
Je me demande à quoi il ressemble maintenant ?
Catherine
25 septembre 2020 @ 06:12
Quelle belle découverte !
Merci beaucoup Guizmo , ça me donne envie d’aller voir sur place …
Vos articles sont toujours très complets et bien illustrés.
Encore merci pour ce partage insolite .
Catherine
bételgeuse70
25 septembre 2020 @ 07:07
Totalement inconnue jusqu’à ce jour. J’essaierai d’y faire un saut à la première occasion. Des endroits pareils se font rares.
Gisèle T
25 septembre 2020 @ 07:41
Très beau reportage sur cette église
Iris Iris
25 septembre 2020 @ 07:43
Merci, Guizmo. Passionnant !
Pierre-Yves
25 septembre 2020 @ 08:31
Voilà un joli coup de projecteur sur un lieu dépaysant et méconnu, situé dans un quartier de Paris peu attractif (en dehors du beau parc des Buttes-Chaumont) et peu touristique.
Sylvie
25 septembre 2020 @ 08:45
Merci Guizmo pour cet intéressant article. Souvenirs à la fois triste pour moi qui y ai assisté un jour à un enterrement, mais aussi émerveillé par la découverte de ce lieu dépaysant en plein Paris .
HRC
25 septembre 2020 @ 09:06
Guizmo, on vous reconnaît tout de suite. C’est un grand compliment, et merci à vous.
Là c’est sûr, vous me motivez pour mon prochain passage à Paris.
Leonor
25 septembre 2020 @ 09:09
Etonnant.
Guizmo, vous êtes irremplaçable.
ambre
25 septembre 2020 @ 09:22
Super reportage, merci Guizmo. J’y suis allée aussi, mais hors des horaires de service donc je n’ai pu voir l’intérieur. Le lieu en soi est agréable, en retrait de la rue, on est hors de Paris et un peu hors du temps aussi. Le bâtiment est très joli, et on peut se reposer sur quelques bancs à l’extérieur.
Si je puis me permettre, il y a juste une erreur dans le titre de l’article, vu que le nom est St Serge de Radonège.
ciboulette
25 septembre 2020 @ 16:10
Encore un merveilleux article signé Guizmo ( comme HRC , je l’avais soupçonné au début )
Très belle église , évidemment inconnue de moi . . .
Lors d’un de mes séjours en Russie ( alors URSS ) , j ‘ ai pu visiter la cathédrale de la Trinité Saint Serge à Zagorsk , à l’est de Moscou . Pour la première fois , j’ai entendu les cantiques en vieux slavon qui vous transpercent l’âme , ainsi que l’iconostase et sa signification . Je voulais vous demander s’il s’agit du même Saint Serge qu’à Paris ?
ambre
26 septembre 2020 @ 16:53
Bonjour Ciboulette, je ne saurais le dire, quelqu’un de mieux informé pourrait vous le confirmer. Mais c’est apparemment l’un des saints les plus importants des orthodoxes…
Pascal🍄
27 septembre 2020 @ 09:33
C’est un Saint très révéré en Russie et considéré comme le protecteur des Russes et de la Russie , fondateur (un peu malgré lui) du monastère des Laures de la Trinité Saint Serge .
Patricio
25 septembre 2020 @ 11:55
Super reportage, merci Guizmo.
Amitiés
Patricio
luigi
25 septembre 2020 @ 12:33
Guizmo, très beau reportage !
tristan
25 septembre 2020 @ 12:38
Super intéressant, beau reportage, merci. Paris l’enchantement et la surprise..
Danielle
25 septembre 2020 @ 15:49
Merci Guizmo pour cet article très intéressant, j’aimerais bien découvrir cette église.
Gwyllianne
25 septembre 2020 @ 16:25
Guizmo merci , j’ignorais tout de cette église . C’est étonnant
PATRICIA
25 septembre 2020 @ 19:55
Quelle belle découverte ! je ne connaissais pas cette église typiquement russe dans le décor.
Merci Guizmo.
Vitabel
25 septembre 2020 @ 23:46
Très belle découverte, une fois de plus, merci Guizmo.
Benoite
26 septembre 2020 @ 06:07
Très surprenante découverte : en plein Paris. c’est très instructif, comme toujours avec le Guide (apprécié) de N.R , qui nous offre bien des lieux à découvrir. Merci Guizmo
Annie JEAN
26 septembre 2020 @ 08:26
Quelle belle découverte ; merci Guizmo
Jacqueline 59
26 septembre 2020 @ 16:00
Magnifique ! Paris regorge de lieux insolites.